SEANCE DU LUNDI 22 JANVIER 1990
La séance est ouverte à dix heures en présence de tous les membres à l'exception de Monsieur FAURE.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE présente son rapport sur la modification de l'article L.O. 148 du code électoral dont le Conseil constitutionnel est saisi.
Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Premier ministre, dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article 61 de la Constitution, d'une loi organique tendant à modifier l'article LO 148 du Code électoral.
Cet article LO 148 est relatif aux incompatibilités parlementaires. Plus précisément, il comporte des exceptions aux incompatibilités ou interdictions édictées par les articles LO 146 et LO 147 du Code.
Or, en vertu de l'article 25 de la Constitution, c'est à la loi organique qu'il appartient de fixer le régime des inéligibilit
C'est donc en conformité avec l'article 25 de la Constitution que la modification du régime des incompatibilités parlementaire a été opérée par voie de loi organique.
Cette loi organique est issue d'une proposition déposée sur le bureau du Sénat par M. Etienne DAILLY et plusieurs autres sénateurs.
En vertu de l'article 46, alinéa 2, de la Constitution, le projet ou la proposition de loi organique n'est soumis à la délibération et au vote de la première assemblée saisie qu'à l'expiration d'un délai de quinze jours après son dépôt.
Cette prescription a été respectée : la proposition de loi organique a été déposée sur le bureau du Sénat le 30 novembre 1989 et a été soumise à la délibération de la Haute assemblée le 16 décembre suivant.
En ayant terminé avec ces questions de compétence et de procédure, j'en viens à l'examen du fond.
L'article LO 146 du Code électoral - qui n'est pas présentement modifié - édicte une incompatibilité entre le mandat parlementaire et les fonctions de chef d'entreprise, de président du conseil de surveillance, d'administrateur' délégué, de directeur général, directeur général adjoint ou gérant exercées dans certaines catégories de sociétés ou entreprises.
Il s'agit :
1° - des sociétés, entreprises ou établissements jouissant d'avantages financiers assurés par l'Etat ou par une collectivité publique, sauf dans le cas où ces avantages découlent de l'application automatique d'une législation ou d'une réglementation ;
2° - des sociétés ayant exclusivement un objet financier et faisant publiquement appel à l'épargne, ainsi que des sociétés civiles autorisées à faire publiquement appel à l'épargne ;
3° - des sociétés ou entreprises dont l'activité consiste principalement dans l'exécution de travaux, la passation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l'Etat, d'une collectivité ou d'un établissement public ou d'une entreprise nationale ou d'un Etat étranger ;
4° - des sociétés à but lucratif dont l'objet est l'achat ou la vente de terrains destinés à des constructions, ou qui exercent une activité de promotion immobilière ou, à titre habituel, de construction d'immeubles en vue de leurs ventes ;
5° - des sociétés dont plus de la moitié du capital est constitué par des participations des sociétés, entreprises ou établissements ci-dessus mentionnés.
L'article LO 147, rendu applicable aux sénateurs par l'article LO 207, interdit à tout député d'accepter en cours de mandat une fonction de membre du conseil d'administration ou de surveillance ou toute fonction exercée de façon permanente en qualité de conseil dans l'une des sociétés, entreprises ou établissements ci-dessus mentionnés.
La sévérité de ce régime d'incompatibilités, dont le Conseil constitutionnel a eu à plusieurs reprises l'occasion de faire application est atténuée par l'article LO 148, destiné à permettre aux membres du Parlement d'exercer des fonctions dans des sociétés ou organismes d'intérêt local.
En effet, l'article LO 148, rendu applicable aux sénateurs par l'article LO 297, introduit une double dérogation aux dispositions des articles LO 146 et LO 147 en permettant, respectivement dans ses alinéas 1 et 2 :
1°- aux parlementaires membres d'un conseil général ou d'un conseil municipal, d'être désignés par ces conseils pour représenter le département ou la commune dans des organismes d'intérêt régional ou local, à la condition toutefois que ces organismes n'aient pas pour objet propre de faire ni de distribuer des bénéfices et que les intéressés n'y occupent pas de fonctions rémunérées ;
2°- aux parlementaires, même non membres d'un conseil général ou d'un conseil municipal, d'exercer les fonctions de président du conseil d'administration, d'administrateur délégué ou de membre du conseil d'administration des sociétéqs
Les dispositions de l'article LO 148 résultent de l'ordonnance du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d'éligibilité et aux incompatibilités parlementaires et elles n'ont pas été modifiées depuis lors. Elle ne tiennent donc pas compte du fair
Je rappellerai à cet égard que la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions prévoit en son article 59 que les régions sont des collectivités territoriales administrées par un conseil régional élu au suffrage universel et, en son article 60, qu'elle demeurent provisoirement des établissements publics jusqu'à la réunion des premiers conseils régionaux élus au suffrage universel dans des conditions déterminées par une loi ultérieure.
La loi du 6 janvier 1986, relative à l'organisation des régions dispose, en son article 32, que les dispositions de la présente loi relatives aux régions entrent en vigueur à compter de la date d'élection au suffrage universel des conseils régionaux.
L'élection des conseils régionaux ayant eu lieu le 16 mars 1986, c'est à cette date que les régions sont devenues des collectivités territoriales de la République. Il devenait alors nécessaire de compléter l'article LO 148 du Code électoral pour prendre en compte la création de cette nouvelle catégorie de collectivités territoriales.
Ce n'est que le 30 novembre 1989 qu'a été déposée sur le bureau du Sénat la proposition de loi présentée par M. Etienne DAILLY et plusieurs autres sénateurs en vue d'adapter l'article LO 148 à la situation résultant de l'érection des régions en collectivités territoriales.
Cette proposition de loi a été votée sans modifications successivement par le Sénat le 16 décembre 1989 et par l'Assemblée nationale le 19 décembre.
Elle comporte deux articles :
L'article premier modifie le premier alinéa de l'article LO 148 en substituant au membre de phrase "... les députés membres d'u
L'article 2 remplace, dans le second alinéa de l'article LO 148, les mots "les députés, même non membres d'un conseil général ou d'un conseil municipal, peuvent exercer les fonctions de ....."
d'un conseil général ou d'un conseil municipal, peuvent exercer les fonctions de ....". (le reste sans changement).
La conformité de cette loi organique à la Constitution n'appelle aucune observation de ma part.
Dans ces conditions, j'ai l'honneur de demander au Conseil constitutionnel de se prononcer dans ce sens.
Monsieur le Président : il y aurait beaucoup à dire sur le fond mais ce n'est pas notre propos.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE donne lecture du projet de décision. Celui-ci est adopté à l'unanimité.
Monsieur le Président donne la parole à Monsieur MAYER :
Le 22 décembre dernier, nous avons été saisis de deux recours de députés sur la loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé. L'un émanait du groupe RPR auquel s'étaient joints des députés UDF. L'autre du groupe UDC. Ces saisines ont été suivies d'un recours de sénateurs RPR, le lendemain. Enfin, le même jour un mémoire ampliatif complétant le recours RPR de l'Assemblée nationale nous a été transmis. .
Les moyens soulevés concernent tant la procédure d'adoption de la loi que le fond mais s'agissant d'un texte de cette nature, qui comprenait à l'origine treize articles et s'est enrichi, au fur et à mesure de la discussion parlementaire de quarante articles, mes réflexions m'ont conduit à aller au-delà des seuls moyens invoqués.
Par conséquent après avoir examiné les moyens contenus dans ces trois saisines et le mémoire, je vous inviterai à analyser la conformité à la Constitution de moyens susceptibles d'être soulevés d'office.
1. Les moyens soulevés dans les recours.
J'envisagerai d'abord les moyens de procédure avant de m'étendre plus longuement sur le contenu de L'article 17.
1.1. Les moyens de procédure.
Ils concernent la procédure d'adoption de la loi pour ce qui est des saisines des députés et l'utilisation abusive du droit d'amendement pour les deux saisines RPR de l'Assemblée nationale et du Sénat.
a) S'agissant de la contestation de la régularité de la procédure législative au regard de l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, je ne voudrai pas lasser votre attention. Ces moyens que nous avons rejetés lors de l'examen de la loi de finances pour 1990 et de la loi de programmation militaire vous sont familiers. Sachez seulement que le Conseil des ministres avait délibéré au cours de sa réunion du 15 novembre 1989 sur l'engagement de la responsabilité du gouvernement sur le projet de loi qui nous est aujourd'hui déféré. La solution de ce problème étant connue et m'ayant conduit à reprendre les considérants de nos décisions sur la loi de finances pour 1990 et la loi de programmation militaire, je vous invite à vous pencher sur les conditions dans lesquelles plusieurs articles de la loi déférée ont été adoptés.
b) L'utilisation abusive du droit d'amendement par le gouvernement est invoquée à propos des articles 17 et 34 à 49.
L'article 17 est issu d'un amendement du gouvernement déposé en nouvelle lecture à l'Assemblée nationale après l'échec de la commission mixte paritaire. Il concerne les rapports entre les caisses primaires d'assurance maladie et les organisations syndicales représentatives de médecins et a suscité une vive controverse.
Le paragraphe I de cet article est ainsi rédigé :
"Les rapports entre les caisses primaires d'assurance maladie et les médecins sont définis par des conventions nationales conclues séparément pour les médecins généralistes et les médecins spécialistes, par la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et une ou plusieurs organisations syndicales les plus représentatives pour l'ensemble du territoire de médecins généralistes ou de médecins spécialistes ou par une convention nationale conclue par la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et au moins une organisation syndicale représentative pour l'ensemble du territoire de médecins généralistes et une organisation syndicale représentative pour l'ensemble du territoire de médecins spécialistes".
Le paragraphe II modifie le deuxième alinéa de l'article L. 162-5 du code de la sécurité sociale et les articles L. 162-6 à L. 162-8 pour remplacer la notion de convention unique par celle de pluralité de conventions.
Pour les auteurs des saisines RPR de l'Assemblée nationale et du Sénat, cet article excède par son objet et sa portée les limites inhérentes à l'exercice du droit d ' amendement. En outre, les sénateurs RPR font valoir que la procédure employée constitue un véritable abus de droit au regard de l'article 45 de la Constitution, en interdisant toute navette ou toute recherche d'un accord dans le cadre de la commission mixte paritaire.
La saisine RPR de l'Assemblée nationale reprend des arguments identiques sur l'ampleur et la portée du droit d'amendement à propos des articles 34 à 49 relatifs aux médicaments utilisés pour des préparations magistrales et à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales.
En vertu d'une jurisprudence solidement établie et que nous avons encore eu l'occasion de réaffirmer dans notre décision du 29 décembre 1989 à propos de la loi de finances pour 1990, le Conseil constitutionnel admet que le droit d'amendement, sous réserve des dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 45 de la Constitution relatifs respectivement aux hypothèses d'accord et d’échec de la commission mixte paritaire, puisse s'exercer à chaque stade de la procédure législative.
Il reconnaît que le droit d'amendement relève d'une procédure distincte de celle exigée pour l'élaboration et l'adoption des propositions et projets de loi. En s'appuyant sur les dispositions combinées des articles 39 et 44, alinéa 1 de la Constitution, il juge que l'adoption d'amendements sous forme de dispositions sans lien avec le texte en discussion ou qui excèdent par leur objet et leur portée les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement, est entachée d'irrégularité.
En l'espèce, le débat porte moins sur le lien des articles avec le texte en discussion que sur leur objet et leur portée. En effet, ces dispositions ne sont pas sans rapport avec une loi relative à la sécurité sociale et à la santé. En outre, de par sa nature même il s'agit d'un ensemble de dispositions hétérogènes.
L'objet de l'article 17 est étroitement spécifié puisqu'il vise à définir les relations entre les caisses primaires d'assurance maladie et les médecins. Quant au critère qualitatif tiré de la portée de cet amendement, même si celle-ci est significative, elle ne me paraît pas excéder les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement. Je constate pour ma part que le changement induit par cette disposition laisse le système conventionnel inchangé qu'il s'agisse de la fixation des tarifs et de la détermination des obligations des caisses et des médecins. Il ne porte que sur le nombre de conventions auxquelles sera partie la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés.
Par conséquent, je vous propose d'écarter le grief de procédure soulevé à l'encontre de l'adoption de l'article 17 par voie d'amendement.
Reste le problème posé par l'adoption des amendements qui sont à l'origine des articles 34 à 49.
Dix articles et deux paragraphes d'un article sont issus d'amendements votés en première lecture au Sénat. Un article émane d'un amendement adopté en première lecture à l'Assemblée nationale et cinq articles proviennent d'amendements de l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Il convient de les distinguer.
Ainsi l'article 34, issu d'un amendement voté en première lecture à l'Assemblée nationale, ne fait que soumettre les matières premières médicamenteuses destinées à la réalisation de préparations magistrales à l'office aux dispositions générales applicables aux médicaments. Son objet et sa portée limitée me paraissent satisfaire les exigences constitutionnelles posées par le Conseil constitutionnel sur le droit d'amendement.
En revanche, je suis plus sceptique sur les autres dispositions. Elles visent à compléter et à assouplir la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales. L'ensemble de ce dispositif porte sur :
- l'exclusion des études biologiques et médicales du champ d'application de la loi du 20 décembre 1988 ; (art ici e 35)
- les recherches avant un bénéfice individuel direct qui n'est pas nécessairement thérapeutique mais d'ordre diagnostique ; (article 36)
- les promoteurs d'une expérimentation d'initiative collective ; (article 37)
- la suppression du principe de l'indemnisation intégrale des dommages en cas de recherche médicale ; (article 38)
- l'interdiction de contreparties directes ou indirectes à l'expérimentation pour l'intéressé ; (article 39)
- les informations à fournir à l'intéressé ; (article 40)
- le retrait d'agrément d'un comité de protection des personnes ; (article 42)
- l'information des autorités sur les recherches biomédicales ; (article 43)
- les personnes susceptibles de se prêter à une recherche sans pénalité thérapeutique ; (article 44)
- les sanctions pénales applicables au promoteur ; (article 45)
- la compétence judiciaire pour l'indemnisation et l'application à Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte de la loi de 1988 ; (article 46)
- les minima de garanties en matière d'assurance ; (article 47).
Les cinq autres dispositions ont été introduites par le Gouvernement en nouvelle lecture lorsqu'il a engagé sa responsabilité. J'ajoute que pour trois d'entre elles, il s'agissait toujours au départ d'amendements d'origine parlementaire portant respectivement sur l'élargissement des intervenants dans la mise en oeuvre de la recherche, sur la constitution des comités de personnes et enfin sur l'information des directeurs d'établissements et la déclaration des événements graves susceptibles de se produire au cours d'une recherche.
Je relève enfin que l'extension de ces dispositions aux territoires d'outre-mer et aux collectivités territoriales de Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte, prévue par l'article L. 209-23 du code de la Santé publique, n'a pas été précédée de la consultation des assemblées territoriales intéressées, en violation des dispositions de l'article 72 de la Constitution.
Par conséquent l'analyse de ce texte, qui n'a pas fait l'objet d'un débat très nourri s'agissant d'un thème sensible et a reçu l'aval du Gouvernement, m'amène à constater que nous sommes bien en présence d'une véritable loi dans la loi, constituée en. définitive de quinze articles.
Sans nous prononcer sur l'opportunité de mesures qui pour certaines d'entre elles protègent les personnes se prêtant à ces recherches, il convient de s'interroger sur la portée de telles modifications à la loi du 20 décembre 1988. Pour ma part, je serai enclin à penser que ces dispositions ont excédé les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement en tournant les règles constitutionnelles.sur la distinction entre les projets et les propositions de loi et les amendements dont ceux-ci peuvent faire l'objet. Je vous propose donc la censure des articles 35 à 49.
Je n'ignore pas cependant que la jurisprudence issue de notre décision du 23 janvier 1987, à savoir la "jurisprudence SEGUIN" n'est pas très populaire au sein des Assemblées. Aussi, pour le cas où vous ne partageriez pas mon sentiment, j'ai envisagé une solution de repli éventuelle.
Monsieur le Président : nous ouvrons le débat sur ces questions de procédure.
Monsieur ROBERT : je rejoins l'opinion de notre rapporteur. Je crois en effet que nous sommes en présence d'un abus manifeste de l'exercice du droit d'amendement qu'il faut censurer. La législation en matière de bioéthique connaît une dérive. Depuis quelques années on en discute beaucoup mais faute de débat cohérent et d'ensemble sur le sujet, le danger est que des amendements soient déposés et rattachés à des textes en cours de discussion portant sur la santé et la sécurité sociale même si, comme notre rapporteur l'a dit très justement, le texte en cause apporte une certaine protection aux personnes qui se prêtent aux recherches. Cela dit, cette procédure est de mauvaise méthode car ces problèmes exigent des débats de conscience larges et approfondis. On peut imaginer que dans cette perspective l'euthanasie soit autorisée dans la mesure où cette question touche aussi à la santé. Dans ces conditions, je donne mon accord pour censurer les articles 35 à 49 de la loi.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : je partage l'opinion de Monsieur ROBERT. J'ajoute que j'ai été sensible à l'argument développé par Monsieur Pasqua dans son recours. Il souligne que l'introduction d'une disposition additionnellle nouvelle à l'Assemblée nationale en nouvelle lecture aboutit pour le Gouvernement à interdire toute navette sur cette disposition entre les deux chambres ou toute recherche d'un accord par le biais d'une commission mixte paritaire.
Cette procédure sur le fond aboutit à un
Monsieur le Président : j'interviendrai tout à l'heure plus longuement.
Monsieur FABRE : je suis d'accord pour considérer que cette loi est un fourre-tout. L'article 34 de la loi a fait l'objet de discussion
Monsieur MAYER : je pense pour ma part que ces amendements ont été déposés sous cette forme par paresse pour éviter un débat au fond.
Monsieur le Président : vous n'êtes pas en présence d'une loi relative à la protection
professeur BERNARD, le président du comité national d'éthique, à ce sujet. Là en espèce, ce sont des modifications de détail. Quand on voit effectivement l'énumération de ces dispositions, on est impressionné mais quand on chausse ses lunettes on se rend compte que ce sont des détails.
En outre, je voudrais rappeler que la jurisprudence sur "l'amendement Seguin" se justifie par le souci de protéger la minorité. Le Conseil constitutionnel a pour fonction de protéger les minorités mais l'arme de cette jurisprudence ne peut être maniée que dans les cas extrêmes, lorsqu'il y a abus de majorité. Or en l'espèce, la portée et l'objet de ces amendements n'excèdent en rien les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement. Il est vrai que les principes posés par ces amendements n'ont pas fait l'objet de discussions approfondies mais sauf à découvrir quelque disposition inconstitutionnelle par repêchage, on ne saurait par ce biais censurer la loi du 20 décembre 1988. Au demeurant, la loi déférée n'érige aucune statue, ne présente aucun tableau mais ne fait qu'introduire quelques retouches et le recours à la jurisprudence du 23 janvier 1987 doit demeurer exceptionnel. J'aurais pu passer la réforme du code pénal par le biais de celle du code de procédure pénale en 1985. Je ne l'ai pas fait.
S'agissant des moyens invoqués dans la saisine des sénateurs RPR je vous rappelle que notre jurisprudence autorise le dépôt d'amendements à toutes les étapes de la procédure parlementaire.
Je crains que si nous nous engagions sur ce terrain de la censure, nous ne mettions une camisole de force sur l'activité parlementaire.
De surcroît ces amendements ont une origine parlementaire. En censurant ces dispositions nous ouvrons un conflit avec le Parlement. Autant je suis attaché à la jurisprudence "Seguin", autant j'estime qu'ici son application irait trop loin. Aussi je vous demande avec conviction de rester fidèle à cette jurisprudence et de ne l'utiliser que lorsqu'elle est indispensable. A mon sens elle ne saurait s'appliquer à propos d'un texte qui a un an d'existence.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : j'ai été très sensible à vos arguments. Vous considérez donc que ce texte n'apporte que des modifications de détail à la loi du 20 décembre 1988.
Monsieur le Président : j'aurais une autre position si nous étions en présence d'une nouvelle loi.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : je me tourne vers le rapporteur car je ne suis pas d'avis que nous ayons affaire à de simples retouches. Je partage l'opinion de Monsieur ROBERT.
Monsieur le Président : il n'y a qu'une seule solution, c'est de relever ces articles un crayon à la main, en analysant attentivement leurs dispositions.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Nous devons avancer sur le terrain de la jurisprudence "Seguin" avec précaution. Autant nous pouvons la réaffirmer si nous sommes certains que les limites inhérentes au droit d'amendement ont été dépassés, autant nous devons être prudents s'il ne s'agit que de "broutilles". Par conséquent je suivrai avec attention l'analyse du tableau comparatif.
Monsieur ROBERT : je suis tout à fait d'accord pour procéder à cette comparaison mais ce qui me gêne c'est que le texte proposé n'est pas cohérent car, passez-moi l'expression, on nous "fourgue" des modifications de la loi du 20 décembre 1988. Qu'aurait-on dit par ailleurs si la loi avait inscrit le principe de la contrepartie financière en cas d'expérimentation ?
Monsieur le Président : si nous trouvions dans ce texte une atteinte manifeste aux droits et libertés je serais d'avis de censurer la disposition en cause mais sinon ce serait chercher une mauvaise querelle au Parlement.
La jurisprudence "Seguin" ne doit pas être assimilée à un contrôle à volonté ; elle ne doit être qu'une arme de dissuasion.
Monsieur LATSCHA : je ferai deux remarques. Il est un fait que le Parlement a tendance à introduire par voie d'amendements de nombreuses dispositions dans des textes qui ont des titres vagues. La question se pose de savoir si ces dispositions forment un tout cohérent par rapport au texte originel. Cependant, j'estime qu'il est difficile de remettre en cause le droit d'amendement et qu'il faut utiliser la jurisprudence "Seguin" avec précaution. Par conséquent, je partage le point de vue de Monsieur le Président.
Monsieur le Président : nous allons prendre les dispositions en cause les unes après les autres. A l'article 35, le mot "études" est supprimé. L'article 36 change de rédaction de l'article L. 209-1 du code de la santé publique en donnant une nouvelle dénomination à la recherche mais sur le fond cette nouvelle rédaction ne change rien.
Monsieur ROBERT : la finalité thérapeutique intéresse le médecin alors que le bénéfice thérapeutique vise le malade.
Monsieur le Président : c'est là une querelle d'école qui ne passionne pas le Parlement.
L'article 37 recouvre l'hypothèse où la recherche est effectuée à l'initiative de plusieurs promoteurs alors que la loi du 20 décembre 1988 ne visait que le cas où un seul promoteur réalisait des essais. Reconnaissons que ce ne sont là que des modifications de détail.
J'aurai été plus réservé si nous avions eu à nous saisir de l'article L. 209-6 du code de la santé publique qui porte sur les recherches biomédicales auxquelles peuvent être sujets notamment les mineurs et les incapables majeurs.
L'article 38 de la loi supprime le mot "intégrale" à l'article L. 209-7 du code de la santé publique. Il s'agit là de l'indemnisation de la recherche biomédiacale.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : la suppression du mot "intégrale" limite-t-elle la réparation ?
Monsieur le Président : non, précisément.
Monsieur ROBERT : c'est-à-dire que l'on passe à une réparation forfaitaire.
Monsieur le Président : lorsque le Parlement définit l'étendue de la réparation, peut-on estimer qu'il outrepasse sa compétence ? Je ne le pense pas même si je suis hostile à la façon de travailler du Parlement.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : l'article additionnel supprimant le mot "intégrale" a pour origine un amendement déposé par Messieurs Huriet et Sérusclat. Or je tiens à préciser que Monsieur Huriet est médecin et que Monsieur Sérusclat est pharmacien. La commission des affaires sociales du Sénat s'est déclarée favorable à cet amendement. Le Gouvernement s'en est remis à la sagesse du Sénat. Quant au fond, comme l'observe le rapporteur de l'Assemblée nationale dans son rapport en nouvelle lecture devant l'Assemblée : "La mise en oeuvre du principe de l'indemnisation intégrale des conséquences dommageables pour la personne qui se prête à une recherche biomédicale sans finalité thérapeutique directe s'est heurtée à l'impossibilité pour les laboratoires concernés de trouver un assureur prêt à couvrir un dommage illimité".
Par conséquent je pense que ce texte ne se prête pas à l'application de la jurisprudence "Seguin", d'autant que ces amendements ne sont pas le fait du Gouvernement mais sont le fait de l'ensemble du Sénat.
Monsieur le Président : je vous remercie pour ces interventions. Nous ne voulons pas d'épreuve de force avec le Gouvernement mais nous ne voulons pas non plus que le Parlement voit des textes entiers lui passer sous le nez. Mais en l'espèce, je considère que ce sont des modifications de détail, les libertés et les droits fondamentaux ne sont pas en cause.
Monsieur ROBERT : pourquoi ces dispositions ont-elles été insérées dans ce texte ?
Monsieur le Président : au fur et à mesure que vous siégerez dans cette maison, vous constaterez que les textes de loi sont mal rédigés mais si nous devons fixer des bornes nous ne devons pas lesdéplacer.
Monsieur FABRE : on prête souvent au Parlement des arrières-pensées alors que le travail parlementaire n'est que le fruit d'une certaine désorganisation. Je me souviens à propos de la loi Boulin (1) que l'administration avait modifié les textes d'application. Les
parlementaires subissent les pressions des organisations professionnelles, déposent les propositions de loi. Le Gouvernement réagit en leur disant que l'on ne peut remettre la législation sur le tapis mais qu'il est disposé à accepter des amendements s'ils sont déposés à l'occasion de la discussion d'un autre texte. Ainsi le nombre des cavaliers grossit et les cavaliers finissent par ressembler à une armée. Mais il faut tenir la mesure entre les excès de l'amendement "Seguin" et les petites modifications de détail.
Monsieur MAYER : à l'origine la disposition de l'article 38 s'explique par l'impossibilité dans laquelle se trouvaient les laboratoires pour trouver un assureur prêt à couvrir un dommage illimité. Monsieur le Président a été persuasif mais pour être convaincant il faudrait savoir quelle est la signification de la suppression du mot "intégrale". J'aimerai être éclairé sur ce point. Cependant au cas où nous n'arriverions pas à un accord nous pouvons adopter une position de repli.
Monsieur le Président : il s'agit là d'un travail qui a été fait en commission. On ne peut empêcher le Parlement de changer un adjectif.
Monsieur LATSCHA : je dois faire observer que pour un assureur il est impossible de garantir une réparation intégrale. Celle-ci n'existe pas car elle n'est pas palpable. Sinon on peut aller jusqu'à l'infini.
Monsieur le Président : je tiens à souligner que ce dont nous discutons a trait à une initiative d'origine parlementaire. Appliquer en l'espèce la jurisprudence "Seguin" reviendrait à altérer l'esprit de cette décision et à la pousser à l'extrême.
Monsieur CABANNES : c'est du corporatisme parlementaire !
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : je voudrais revenir à la discussion de cet amendement en première lecture devant le Sénat le 13 décembre 1989. Il s'agit d'un amendement déposé par Messieurs Huriet et Sérusclat.
Monsieur Huriet est un sénateur de la majorité sénatoriale et Monsieur Sérusclat un sénateur de 1'opposition. Cet amendement a reçu l'aval de la commission des affaires sociales. Le Gouvernement s'y est rallié après avoir souligné que s'il en partageait l'esprit, il s'en remettait à la sagesse du Sénat. Après une intervention d'un sénateur communiste contre l'amendement, celui-ci a été adopté à main levée sans difficulté.
Monsieur le Président : si nous censurions ce texte, on ne manquerait pas de s'interroger sur notre démarche compte tenu du déroulement du débat parlementaire.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : la signification de la modification proposée portant sur l'agrément des comités techniques visée en bas de la page 8 du projet B m'échappe.
Monsieur le Président : le vrai problème se pose à propos du consentement des mineurs pour les expérimentations.
Monsieur CABANNES : je pense que la censure à laquelle nous pouvons recourir pour imposer une discipline au Parlement doit être stricte aussi suis-je d'accord avec vous au départ et à l'arrivée.
Monsieur le Président : je poursuis l'examen des articles en cause. A l'article 42, le législateur a substitué "plus" à "pas" devant le mot satisfaites.
Monsieur ROBERT : je crois que nous sommes devant la minute de vérité. Soit nous disons non en bloc, soit nous vous suivons et j'avoue que votre position m'a ébranlé. Nous ne devons pas nous mettre à dos le Parlement mais j'aimerai quand même que nous disions que ces dispositions ne sont pas manifestement extérieures à la loi déférée ; qu'il s'agit de modifications mineures apportées à une loi dont le Conseil n'a pas été saisi mais que dans un autre cas de figure nous aurions été contraints de les censurer.
Monsieur le Président : on ne peut pas le dire mais cela va de soi.
Monsieur ROBERT : il faut montrer que l'on a vu le problème.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : il reste le problème des sanctions pénales nouvelles.
Monsieur le Secrétaire général : c'est du même ordre que les autres dispositions, c'est ponctuel.
Monsieur le Président : l'article 46 constitue aussi une simple adjonction nécessaire à l'article L. 209-21 du code de la santé publique.
Monsieur LATSCHA : la notion de contrepartie financière à l'article 39 avait retenu mon attention mais le législateur s'est borné à ajouter la qualification d'indirecte.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : que faut-il penser de l'application de cette législation aux collectivités territoriales ?
Monsieur le Président : là-dessus il n'y a pas de problème.
Monsieur le Secrétaire général : la loi prévoit l'extension de la loi du 20 décembre 1988 à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte.
Monsieur MAYER donne lecture du projet A à compter de la page 3.
Monsieur CABANNES : l'expression "ni ni", qui figure dans le premier considérant de la page 7 ne doit pas être entrecoupée de virgule.
Monsieur le Président : dans le second considérant de la même page, au lieu d'écrire "modifient et complètent sur des points limités", je vous suggère la rédaction suivante : "ne font que modifier et compléter sur des points limités".
La modification est adoptée.
Monsieur ROBERT : j'ai quelques doute cependant sur le lien des amendements avec le texte initial.
Monsieur le Secrétaire général : la jurisprudence exige deux conditions : le lien, d'une part, et la portée, d'autre part.
Monsieur ROBERT : peut-être conviendrait-il de préciser ces points.
Monsieur le président : je n'en suis pas partisan car cela risque de donner lieu à des gloses interminables.
Monsieur FABRE : s'agissant de l'article 34, on ne peut dire qu'il se borne à soumettre les médicaments utilisés pour des préparations magistrales aux mêmes procédures de contrôle que les spécialités pharmaceutiques, il va plus loin.
L'article 34 a pour objet de soumettre ces médicaments aux mêmes procédures de contrôle que les spécialités pharmaceutiques.
Monsieur LATSCHA : l'article 34 soumet les médicaments utilisés.
Cette modification est adoptée.
Monsieur ROBERT : la notion d'objet étroitement spécifié fait-elle partie de la jurisprudence ?
Monsieur le Président : oui.
La partie du projet de décision concernant la procédure d'insertion sous forme d'amendements de l'article 17 et des articles 34 à 49 est adoptée à l'unanimité.
Monsieur MAYER poursuit la présentation de son rapport.
1.2. L'article 17
C'est le seul article qui ait fait l'objet de contestation sur le fond de la part des parlementaires.
Nous l'avons déjà évoqué tout à l'heure. Avant d'analyser les différents moyens qui sont soulevés à son encontre, je voudrais dire quelques mots du contexte dans lequel il est né.
La précédente convention médicale conclue en 1985 a été en vigueur jusqu'au 30 juin 1989. Au terme de négociations difficiles, un avenant a été conclu le 7 juillet, un protocole national devant en préciser les modalités concrètes avant le 1er novembre. Or cet accord n'a pu être signé. Il faut savoir que si l'avenant ne proposait pas de changement notable du statut social et fiscal des médecins libéraux, il favorisait leur formation continue et entendait promouvoir le secteur à honoraires opposables (secteur I). Les négociations ont achoppé notamment sur l'accès au secteur II donnant droit à dépassement des tarifs conventionnels et sur la création éventuelle d'un secteur I bis autorisant les médecins à augmenter leurs honoraires de 15 % tout en réduisant globalement leur activité de 10 %.
Pour sortir de cette impasse, le gouvernement a déposé en nouvelle lecture devant l'Assemblée nationale après échec de la Commission mixte paritaire l'amendement que j'ai cité. Il a même engagé sa responsabilité sur ce texte, comme nous l'avons vu précédemment.
Les critiques des auteurs de la saisine RPR de L'Assemblée nationale touchent à la fois à des problèmes de compétence et à des problèmes de fond.
Ces députés font valoir qu'en se bornant à renvoyer à des conventions la définitition
J'examinerai d'abord le moyen tiré de la violation de l'article 34 la Constitution.
Celui-ci dispose que la "loi détermine les principes fondamentaux : ... de la sécurité sociale". Or depuis un arrêt du 13 juillet 1962, le Conseil d'Etat estime qu'il convient de ranger parmi les principes fondamentaux de la sécurité sociale celui d'après lequel les honoraires médicaux pour les soins aux assurés sociaux, est délivré par voie de convention passée avec les praticiens.
Il appartient pourtant au pouvoir réglementaire de fixer les modalités de mise en oeuvre des principes fondamentaux posés par le législateur.
L'article 17 de la loi s'inscrit tout à fait dans cette problèmatique.
Par conséquent, je vous propose d'écarter le moyen tiré de la violation de l'article 34.
Le deuxième moyen qui fait état d'une délégation indue de la compétence du pouvoir.réglementaire est plus délicat.
Il convient de rappeler que les relations entre les organismes d'assurance maladie et les professions de santé se nouent dans le cadre de conventions conclues entre ces organismes et les organisations représentatives de chaque profession. Ces conventions, nationales depuis 1971, constituent des contrats administratifs. Nous sommes donc dans un domaine éminemment contractuel mais le recours au contrat ne prive pas le Premier ministre d'user de son pouvoir réglementaire conformément à l'article 21 de la Constitution.
Dans nos décisions du 18 septembre 1986 et du 17 janvier 1989, relatives respectivement à la C.N.C.L. et au C S.A., nous avons admis que les dispositions constitutionnelles des articles 13 et 21 ne font pas obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l'Etat, autre que le Premier ministre, le soin de fixer, dans un domaine déterminé et dans le cadre défini par les lois et règlements, des normes permettant de mettre en oeuvre une loi.
C'est à cette pratique admise par le Conseil constitutionnel que nous pouvons rattacher les dispositions de l'article L. 162-6 du code de la sécurité sociale prévoyant l'intervention d'un arrêté interministériel approuvant la convention et lui donnant force exécutoire. Dans la mesure où il s'agit d'un acte de portée limitée et dont l'objet est strictement défini par la loi, on peut estimer que l'article 21 de la Constitution n'est pas méconnu.
Je précise qu'une fois approuvées, les stipulations de la Convention nationale, au moins celles relatives à l'organisation et au fonctionnement du service public, acquièrent force réglementaire. Ce point a été expressément jugé par un arrêt du Conseil d'Etat du 9 octobre 1981.
Enfin, pour montrer que toute appréciation sur le rôle du pouvoir réglementaire ne saurait être détachée du contexte de la section 1 du chapitre 2 du code de la sécurité sociale qui nous intéresse, je voudrais rappeler que les remboursements sur la base des tarifs de responsabilité continuent à être fixés par arrêté interministériel pour les médecins non régis par la convention nationale, ou, à défaut de convention nationale (article L. 162-8 du Code de la Sécurité sociale)
Je vous propose donc pour cette série de raisons de juger que le Premier ministre n'est pas resté en deça
La partie du projet de décision relative à l'article 17 de la loi analysée sous l'angle des articles 34 et 21 de la Constitution est adoptée à l'unanimité.
M. MAYER:
S'appuyant sur le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 aux termes desquels la Nation "garantit à tous... la protection de la santé", les députés RPR estiment que la possibilité de passer des conventions distinctes créera, entre les assurés sociaux bénéficiaires du droit au remboursement des soins, une discrimination injustifiée contraire au principe d'égalité.
Je répondrai à cet argument en me reportant successivement à notre jurisprudence et au contenu des conventions.
Nous avons affirmé dans notre décision du 23 janvier 1987 "qu'il incombe, tant au législateur qu'au Gouvernement, conformément à leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes proclamés par le onzième alinéa .du Préambule, les modalités de leur mise en oeuvre".
Si le juge constitutionnel reconnaît au législateur une compétence pour la mise en oeuvre de ces principes, il admet que celui-ci dispose pour ce faire d'un pouvoir d'appréciation. Dans une décision du 18 janvier 1978, rendue à propos de la contre-visite médicale, le Conseil constitutionnel a indiqué que "c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect des principes énoncés au huitième alinéa (il s'agissait en l'espèce de la participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises), les conditions de leur mise en oeuvre".
Par conséquent, forts de ces principes, nous pouvons estimer que le recours à la convention constitue le moyen choisi par le législateur pour mettre en oeuvre le principe d'égalité devant les soins proclamé par le Préambule. Compte tenu de l'échec des négociations sur la convention unique, il appartenait au législateur d'apprécier si le recours à des conventions séparées pour les médecins généralistes et les médecins spécialistes permettait de favoriser la conclusion de convention pour organiser les rapports entre les caisses d'assurance maladie et les praticiens.
Dans la mesure où le régime conventionnel, dès lors qu'il peut être effectivement mis en oeuvre, aboutit à diminuer la part des dépenses de santé effectivement supportée par les assurés sociaux, il me semble difficile de soutenir que l'article 17 de la loi violerait le onzième alinéa du Préambule de 1946.
Dans leur recours, les députés RPR soutiennent aussi que l'article 17 de la loi porterait atteinte au principe du libre choix du médecin par le malade et de son corollaire, la liberté de prescription du.médecin. Pour les auteurs de la saisine, la dualité des conventions créerait une discrimination financière dissuadant les assurés de choisir l'une des catégories de médecins concernée par l'une ou l'autre convention. La sanction financière pèserait donc sur la liberté de choix des assurés sociaux et en priverait le plus grand nombre en raison de son caractère dissuasif.
Ce moyen est sans fondement car le système de la double convention ne remet nullement en cause le libre choix du médecin par le malade et la liberté de prescription du médecin, qui continuent à être affirmés par l'article L 162-2 du-code de la sécurité sociale.
A ce propos, je tiens à vous faire observer que le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur la valeur constitutionnelle de ces principes, mais le Conseil d'Etat, dans l'arrêt d'assemblée du 13 juillet 1962 que j'ai cité, a estimé que le libre choix du médecin par le malade constituait un principe fondamental de la sécurité sociale au sens de l'article 34.
J'ai, jugé utile, en l'espèce, de souligner dans notre décision qu'il n'apparaissait pas nécessaire de se prononcer sur la valeur constitutionnelle de ces principes.
J'en arrive, maintenant, au moyen tiré de la violation du principe de l' unité de la profëssion médicale e
Pour les auteurs de la saisine RPR de l'Assemblée nationale, l'unité de la profession médicale constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République. L'unité du corps médical s'oppose, d'après eux, à ce que des conventions distinctes soient-négociées puis rendues applicables par voie réglementaire en méconnaissance de ce principe. Cette distinction conduit à une rupture du principe d'égalité au détriment des médecins qui feront l'objet de traitements différents selon leurs qualifications professionnelles et selon les remboursements pratiqués suivant les conventions.
L'unité de la profession médicale ne correspond pas à la réalité du monde médical et n'a aucun fondement constitutionnel. Les critères de qualification entre généralistes et spécialistes, les critères de tarification entre médecins soumis ou non à convention, les critères de rémunération entre médecins hospitaliers et médecins privés constituent autant de signes distinctifs des médecins au sein de leur profession. Partant de cette constatation vous conviendrez qu'il n'est pas possible.de conférer de valeur constitutionnelle à ce principe.
Pour les saisissants, l'atteinte au libre exercice de la médecine serait due à l'exclusion des médecins de certains soins en raison des règles de remboursement.
Ce moyen n'est guère plus sérieux que le précédent dans la mesure où les prescriptions continueront d'être prises en charges par les régimes d'assurance maladie, quelle que soit la situation conventionnelle du praticien ; par ailleurs, l'article 17 ne touche pas à leur liberté d'exercice garantie par l'article L. 162-2 du code de la sécurité sociale.
Je conclus donc au rejet de ce moyen.
Monsieur le Président : qui désire intervenir sur l'article 17 ?
Monsieur FABRE : il est curieux de s'apercevoir maintenant de l'existence d'une dualité au sein du monde médical. Elle existe en fait depuis longtemps puisque l'on distingue les médecins conventionnés et les autres.
Quant à l'argument tiré de l'unité de la profession, il suffit d'observer la diversité des syndicats par branches pour conclure que ce moyen ne résiste pas à l'examen.
Monsieur LATSCHA : s'il y a une déontologie, effectivement il n'y a pas d'unité au sein du monde médical. Les moyens qui sont invoqués apparaissent surtout dictés par l'émotion et ne sont pas très solides.
Monsieur MAYER : l'unité du corps médical est un artifice.
Monsieur le Président : on est en présence d'une saisine inspirée non pas par des motifs constitutionnels mais par des motifs politiques.
Monsieur MAYER : les parlementaires commencent par annoncer leur intention de saisir le Conseil constitutionnel. Ce n'est qu'après qu'ils cherchent des arguments.
Monsieur ROBERT : je partage votre opinion sur les moyens qui ont été soulevés.
Monsieur MAYER donne lecture du projet de décision à partir de la page 13.
Monsieur le Président : je m'interroge sur la portée du troisième considérant de la page 15, à savoir "et sans même qu'il soit besoin de déterminer si les principes en cause on
Monsieur le Secrétaire général : si cette précision n'est pas apportée, la doctrine va en inférer que le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalisation de ces principes.
Monsieur le Président : l'article 17 ne méconnaît en rien ces principes mais on admet que ce sont des principes car nous nous situons à un niveau constitutionnel.
Monsieur ROBERT : nous avons intérêt à constitutionnaliser ces principes.
Monsieur le Président : je ne le ferai pas.
Monsieur ROBERT : tout-à-l'heure, nous avons dit non au principe de l'unité. Je me demande si ce n'est pas le moment.
Monsieur le Président : devons-nous conférer une valeur constitutionnelle à ces principes ? Le Conseil constitutionnel n'est pas enclin à s'engager sur ce terrain sauf lorsqu'un principe fondamental est en jeu. Or là, le moyen manque en fait.
Monsieur CABANNES : c'est ce que l'on tirera comme conséquence.
Monsieur le Président : sont-ce des principes ?
Monsieur le Secrétaire général : ils sont invoqués.
Monsieur ROBERT : donc vous leur attachez une valeur constitutionnelle.
Monsieur le Secrétaire général : cette formulation permet de réserver la question et après de rejeter le moyen.
Monsieur le Président : nous pourrions rédiger ainsi le considérant : "...sans même qu'il soit besoin de déterminer si les principes en cause ont valeur constitutionnelle". Là nous ne nous prononçons pas. Si après la question est posée, on dira que la jurisprudence a changé.
Monsieur ROBERT : je regrette que l'on ne se prononce pas.
Monsieur le Président : le Conseil constitutionnel estime-t-il qu'il faut se prononcer ? Moi je dis non, pensant qu'il ne faut aborder la question que le moment venu.
Monsieur MAYER : on ne connaît pas entièrement les termes de ce décret, on ne sait pas ce que sera la médecine de demain. Par conséquent on ne peut s'engager sur ce terrain.
Monsieur le Président : cette question demanderait un ou deux jours de débat. Je suis partisan de laisser cette question en l'état.
Monsieur LATSCHA : on ne peut la trancher en tout cas par une incidente.
Monsieur MAYER donne lecture du passage du projet de décision relatif à l'unité du corps médical.
Monsieur le Président : il n'y a pas de principe d'unité.
Monsieur le Secrétaire général : le moyen est invoqué par les députés.
Monsieur le Président : nous devons souligner dans un considérant qu'il n'y a pas de principe d'unité de la profession médicale.
Monsieur FABRE : je serais partisan de supprimer ce considérant.
Monsieur le Secrétaire général : dans l'ordre national des médecins, cette unité s'appuie sur le code de déontologie.
Monsieur le président
Monsieur LATSCHA : mais elle n'existe pas.
Monsieur ROBERT : il n'y a qu'a
Monsieur le Président : nous pourrions viser "l'unité alléguée par les députés".
Monsieur CABANNES : j'estime aussi que ce considérant n'ajoute rien.
Monsieur ROBERT : nous pourrions en revanche placer l'unité du corps médical dans le premier considérant de la page 16.
Monsieur le Président : le considérant serait ainsi rédigé : "Considérant que les députés auteurs de la première saisine allèguent l'existence d'une unité du corps médical ; que sans avoir à déterminer si cette unité existe ou non, le moyen doit être rejeté comme n'ayant pas de valeur constitutionnelle".
Cette unité n'existe pas et en toute hypothèse elle n'a pas de valeur constitutionnelle.
Monsieur FABRE : je suis aussi partisan d'introduire la réponse au moyen sur l'unité médicale page 16.
Monsieur le Président : "... qu'il en vas
Monsieur ROBERT : ce serait l'unité alléguée.
Monsieur LATSCHA : cette unité n'existe que par certains aspects.
Monsieur MAYER : en employant l'expression "une unité" on manifeste une distance plus grande, c'est une unité quelconque.
Monsieur CABANNES : de l'allégation d'une unité.
Monsieur le Président : l'allégation d'unité du corps médical.
Monsieur ROBERT : c'est très bien.
Messieurs CABANNES et LATSCHA expriment leur accord.
La phrase du considérant ainsi rédigée : "qu'il en va de même du moyen tiré de l'allégation d'"unité du corps médical" est adoptée.
M. MAYER : J'aborde maintenant les dispositions suceptibles d'être soulevées d'office, à savoir les articles 24 et 27.
Les moyens susceptibles d'être soulevés d'office :
L'article 24 issu d'un amendement du gouvernement déposé en première lecture à l'Assemblée nationale complète l'article L. 815-5 du Code de la sécurité sociale en précisant que l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité est due aux étrangers non seulement en application de conventions internationales de réciprocité mais également, et c'est la nouveauté, en application de règlements communautaires.
Le Fonds national de solidarité a été institué par une loi du 30 juin 1956. Sa création répondait au souci de "promouvoir une politique générale de protection des personnes âgées par l'amélioration des pensions, retraites, rentes et allocations vieillesse."
L'allocation supplémentaire est servie sous conditions de ressources. Elle est destinée à garantir un montant minimal de revenus aux personnes âgées et est financée non par des cotisations mais par le budget de l'Etat, autrement dit par l'impôt. Son attribution est subordonnée à une condition de résidence en France. Cette rédaction restrictive a fait l'objet d'un contentieux devant la Cour de justice des communautés européennes. Dans un arrêt rendu le 24 février 1987, la Cour a prohibé la déchéance du droit à cette allocation en cas de résidence hors de France. Le principe de l'égalité de traitement entre les Français et les ressortissants communautaires est prévu par un règlement communautaire mais le gouvernement a voulu, dissiper toute ambigüité en précisant la rédaction de l'article L. 815-5 du Code de la sécurité sociale.
Mal lui en a pris ...
S’agissant d'une prestation non contributive, la question se pose de savoir si la réserve de son attribution aux étrangers sous réserve de conventions internationales de réciprocité et de règlements communautaires est ou non conforme à la Constitution.
Je vous rappelle que, n'opérant pas de distinction entre les rançais
Par ailleurs dans deux jugements rendus, l'un au sujet de prestations familiales complémentaires de la ville de Paris et l'autre à propos d'allocations aux chômeurs versées par un bureau d'aide sociale, le tribunal administratif de Paris a censuré le recours au critère de la nationalité pour l'attribution de prestations sociales. Le jugement relatif à l'illégalité de la subordination de l'attribution des prestations familiales complémentaires à la condition de nationalité a été confirmé par le Conseil d'Etat le 30 juin dernier.
Enfin, d'une manière générale, notre jurisprudence n'admet des discriminations que lorsqu'elles reposent sur une distinction objective dans la situation des intéressés et lorsqu'elles répondent à une nécessité d'intérêt général en rapport avec l'objet de la législation.
Or les étrangers qui ne pourraient se prévaloir d'accords internationaux de réciprocité ou de règlements communautaires ne sont pas dans une situation propre à fonder une discrimination quant à l'attribution de prestations non contributives par rapport aux autres étrangers et aux nationaux.
Reste le second point, les nécessités d'intérêt général. Pour ma part je pense que ce ne sont ni les nécessités de l'ordre public ni des raisons d'ordre budgétaire, que le Secrétariat général du Gouvernement a eu d'ailleurs du mal à évaluer, qui peuvent justifier une telle différence de traitement. C'est la raison pour laquelle je vous propose de censurer cette disposition de la loi, en attirant votre attention sur le fait que l'ancien dispositif soumettant pour les étrangers le bénéfice du minimum vieillesse à l'application d'engagements internationaux restera toujours en vigueur.
Si vous me suivez, la décision que vous rendrez aura pour conséquence d'inciter le législateur à revoir le texte de l'article L. 815-5 du Code de la sécurité sociale. Il aurait tout intérêt à mon sens à prévoir des règles d'attribution proches de celles en vigueur pour le revenu minimum d'insertion (R.M.I.) depuis la loi du 1er décembre 1988. Les étrangers ne sont pas exclus du bénéfice du R.I.M.
Monsieur le Président : c'est une question qui n'est pas formelle.
Monsieur ROBERT : je suis gêné. Sur le fond je rejoins notre rapporteur mais je me demande si nous avons les moyens de censurer cette disposition. Effectivement le Préambule de 1946 prévoit que "la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement". La nation assure-t-elle ces conditions à tous ou aux seuls nationaux ? Je ne suis pas si sûr que tout le monde, quelqu'il soit, soit visé par cette disposition.
Dans notre décision du 9 janvier 1990, à propos.,du sursis à exécution des décisions de reconduite à la frontière des étrangers, nous avons bien souligné que les étrangers se trouvaient placés dans une situation différente de celle des nationaux. Or là nous sommes dans la même situation. C'est la raison pour laquelle tout en partageant votre opinion, je serai plus nuancé.
Monsieur CABANNES : il n'y a pas de support juridique pour fonder une censure. Aussi suis-je d'accord avec Monsieur ROBERT.
Monsieur FABRE : c'est un sujet délicat qui a une résonnance dans l'opinion. L'argument tiré de la réciprocité est important et cette réciprocité me chagrine. Cela dit d'un point de vue humain, je réjoins Monsieur MAYER.
Monsieur MAYER : le Gouvernement étranger refusera la réciprocité.
Monsieur FABRE : la réciprocité est globale et non individuelle. Par exemple, il n'y a pas de réserve de réciprocité pour l'Algérie comme le montre le problème des enfants nés d'un parent algérien. On doit se poser la question mais cela relève d'une initiative gouvernementale.
Monsieur LATSCHA : ce que vous visez là existe déjà puisque le texte ajoute les règlements communautaires.
Monsieur le Président donne lecture de l'article L. 815-5 du code de la sécurité sociale.
Monsieur le Secrétaire général : la censure remet en vigueur le texte antérieur. De toute façon les ressortissants de la communauté peuvent se réclamer de l'arrêt de la Cour de justice du 24 février 1987. Une censure serait une incitation faite au législateur de modifier le texte en vigueur.
Monsieur le Président : nous sommes dans une situation particulière. Nous accepterions que le minimum vieillesse bénéficie aux étrangers régulièrement domiciliés. Car il faut voir la réalité humaine derrière ce texte. Peut-on justifier cette discrimination ? Elle est contenue dans la loi de 1956. Or il y a là une rupture d'égalité au regard des principes constitutionnels difficile à admettre et que le Conseil d'Etat a censurée à propos d'une autre prestation. Le Préambule de la Constitution de 1946 garantit à tout être humain le droit à des moyens convenables d'existence. Il n'est pas fait mention de la nationalité. Là le législateur soumet l'octroi de cette prestation à une condition de réciprocité ; suivant qu'il est turc ou portugais l'étranger pourra y prétendre. Cette condition de réciprocité est contraire à la Constitution. Il convient de mettre dans la décision que cette prestation doit être servie aux étrangers âgés, régulièrement domiciliés, c'est-à-dire assujettis à des conditions de délai de résidence. Sinon il faut dire que les français et les étrangers sont différents.
Monsieur LATSCHA : si nous censurons nous revenons au droit antérieur. Nous sommes en face d'une prestation servie par un fonds. Le problème ne se situe pas seulement au niveau des principes mais aussi au niveau des modalités d'application. Le revenu minimum d'insertion n'établit pas cette distinction. De là à assimiler l'ensemble des prestations non contributives au même régime, il y a un pas à franchir. Nous sommes en présence de mécanismes complexes. Il faut faire attention. J'ajoute que si le Préambule de 1946 affirme que "tout être humain" a droit à des moyens convenables d'existence, à ce moment là, la condition de résidence n'est plus évidente.
Monsieur le Président : la prestation ne bénéficiera pas aux étrangers entrés irrégulièrement.
Monsieur CABANNES : j'ai des doutes.
Monsieur LATSCHA : il faut veiller aux modalités d'application si l'on se réclame du Préambule.
Monsieur FABRE : les demandeurs d'asile bénéficient d'une allocation et l'opinion est très sensible à ce sujet. Il faut donc faire preuve de beaucoup d'habileté dans notre démarche.
Monsieur le Président : le vieux travailleurs portugais peut y prétendre mais pas le turc.
Monsieur LATSCHA : en tout état de cause il bénéficiera du revenu minimum d'insertion. Vous faites référence à une obligation constitutionnelle et philosophique mais le système actuel répond déjà à cette exigence constitutionnelle. J'ajoute que le R.M.I. ne se cumule pas avec le minimum vieillesse.
Monsieur le Président c'est l'énoncé d'un principe que nous sanctionnons. Je lis la variante qui a été préparée à ma demande. Vous conviendrez que dire aux titulaires d'une carte de séjour qu'ils n'ont pas droit à cette prestation, c'est opérer une discrimination. Nous prenons une précaution en exigeant la condition de la résidence régulière.
Monsieur ROBERT : que recouvre cette condition de résidence régulière ?
Monsieur le Président : cela signifie que nous ne laissons planer aucune équivoque. les
Monsieur LATSCHA : on part de l'idée que tout être humain a droit à une couverture sociale minimale et ne sont concernés en fin de compte que les résidents réguliers. Si cette décision s'appliquait aux bénéficiaires du R.M.I., il n'y aurait pas de problème mais là je crains que cette décision ne soit redondante, d'autant que le R.M.I. fait fonction de filet de sécurité. Par conséquent ce qui me gêne, ce n'est pas le principe que l'on retient mais son application alors même que cette décision n'est pas indispensable et que nous soulevons d'office ce moyen.
Monsieur le Président : nous avons affaire à un problème de droits fondamentaux. Cela nous conduit à être vigilants et à soulever d'office ce moyen. Il est vrai que cette décision sera dans la pratique sans conséquence mais c'est aussi vrai des grands arrêts de la Cour Suprême américaine. Il n'empêche que ce serait une grand décision si nous la prenions.
Monsieur ROBERT : cela ne passerait pas inaperçu.
Monsieur CABANNES : là même où vous affaiblissez un principe.
Monsieur ROBERT : j'ai peur que cette décision soit mal comprise. On dira que des droits supplémentaires sont donnés aux étrangers alors que la politique actuelle tend vers l'intégration des étrangers en situation régulière.
Monsieur MAYER : cette décision donnera un coup de frein à la campagne de xénophobie.
Monsieur le Président : on montre ainsi notre attachement aux droits fondamentaux.
Monsieur CABANNES : vous affirmez un principe que vous restreignez par ailleurs.
Monsieur le Président : il ne faut pas confondre la sûreté des étrangers et le droit à une allocation. Vous voulez effacer la condition de séjour régulier ?
Monsieur CABANNES : je n'en vois pas l'intérêt. Cela n'ajoute rien ; c'est sans conséquence et cela suscite des interprétations.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : je suggérerai d'insérer le mot "régulièrement" après "qui résident" dans le second considérant de la première page de la variante.
Monsieur MAYER : ce qui me gêne dans ce considérant c'est l'affirmation que les étrangers constituent une catégorie particulière d'habitants.
Monsieur le Président : on ne peut pas le nier.
Monsieur ROBERT : c'est logique. Dans la mesure où ils constituent une catégorie à part d'habitants, ils ont droit à une protection particulière. On ne peut donner tous les droits à tous les être humains précisément parce que certains d'entre eux forment une catégorie spécifique.
Monsieur le Président : vous ne voyez pas l'adjonction immense de ce texte.
Monsieur MAYER : vous ne vous rendez pas compte de l'argument donné à ceux gui mènent une campagne aveugle contre les étrangers.
Monsieur FABRE : après "constituent", nous pourrions ajouter "en France".
Monsieur le Secrétaire général propose que la suspension du déjeuner soit mise à profit pour rédiger ce passage.
La séance est suspendue à 13 h 10.
La séance est reprise à 14 h 35.
Monsieur le Président : nous avons deux versions. Messieurs CABANNES et LATSCHA font valoir que la portée du principe ainsi énoncé est faible.
Nous avons trois possibilités : nous appuyer sur le Préambule et le principe d'égalité, invoquer ce dernier ou enfin le passer sous silence.
A ce stade quelqu'un désire-t-il prendre la parole ?
Je proposerai la rédaction suivante pour le second considérant de la variante : "Considérant que le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques à la condition de respecter les engagements internationaux... (le reste sans changement).
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : nous soulevons d'office ce moyen. Nous débouchons sur deux solutions mais ce n'est qu'à l'occasion de l'addition d'une disposition sur l'application des règlements communautaires que nous nous saisissons de cette question. J'observe aussi que la loi en cause date de 1956, qu'elle a été appliquée depuis cette date. Tant qu'à faire, je préfèrerais
Monsieur CABANNES : mon sentiment est que lorsqu'il n'y a pas d'intérêt, il n'y a pas d'action.
Monsieur le Président : nous jouissons ici de toute liberté, nous pouvons donc changer d'avis.
Monsieur LATSCHA : le texte que vous nous avez proposé, modifie la rédaction du deuxième considérant.
C'est un' problème difficile. Si nous avions été saisis de l'article 24, nous aurions affirmé le droit à un minimum de moyens d'existence. Mais ce qui me frappe, ce n'est pas tant le problème posé par l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité que l'application du principe posé par le Préambule de 1946. Si la personne ne dispose pas d'autres ressources, elle percevra le revenu minimum d'insertion, ce qui fait que nous serions conduits à un résultat en contradiction avec notre objectif.
Monsieur FABRE : nous sommes engagés sur le terrain des grands principes. Si l'on estime qu'il ne se passera rien si ce texte est censuré c'est peut-être l'occasion d'affirmer avec force le principe d'égalité quitte à exciter les xénophobes. Je penche plutôt pour l'adoption de la solution n° 1.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : il s'agit d'une disposition importante qui soulève des difficultés. Nous sommes divisés face au problème. Tout le monde connaît notre position, nous n'avons pas besoin de la répéter.
Par conséquent, je pense qu'il est préférable de ne pas en parler.
Monsieur MAYER : je pense qu'un projet de cette nature ne peut être adopté avec une courte majorité. Je souscris à votre nouvelle rédaction. Je vous laisse cependant le soin d'évaluer si elle doit être adoptée.
Monsieur le Président : je regrette l'absence de Monsieur FAURE. C'est très dommage.
Monsieur le Président lit la page 2 du projet de variante.
Monsieur LATSCHA : je suggère de compléter ce considérant par les mots : "notamment au titre de prestation différentielle".
Monsieur MAYER : je suis choqué par le fait que le délai de résidence soit fixé par voie réglementaire.
Monsieur le Président poursuit la lecture du projet de variante et s'arrête aux mots "méconnaît tant le principe d'égalité".
Monsieur LATSCHA : il serait souhaitable de préciser la nature des ressources des personnes intéressées en spécifiant qu'elles ne disposent pas de "ressources personnelles autres".
Monsieur le Président : "de ressources d'origine privée ou légale".
Monsieur FABRE : le texte doit être conforme à la loi de 1956.
Monsieur le Secrétaire général : la prestation est versée de toute façon sans condition de ressource.
Monsieur FABRE : ce n'est pas la peine de définir un seuil de ressources puisque ce seuil est fixé par décret.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : je voudrais présenter une motion d'ordre. J'ai été touché par l'observation de Monsieur MAYER qui a souligné qu'une telle décision ne pouvait être prise qu'à une forte majorité. Or nous avons une alternative : soit ne rien dire, soit dire quelque chose. Je constate que nous avons gommé la première branche de cette alternative. Il convient d'abord de se prononcer sur le point de savoir si nous nous saisissons ou non d'office de ce problème.
Monsieur le Président : la rédaction à de l'importance en l'espèce et nous mettons au vote ce texte qui aura été élaboré. C'est important, un texte pouvant nous satisfaire.
Monsieur ROBERT : j'estime qu'à partir du moment où nous disons qu'il y a des questions importantes qui exigent une forte majorité et d'autres questions, nous sommes sur une pente délicate. Le Conseil prend des décisions en étant partagé.
Monsieur le Président : comme nous soulevons d'office, c'est différent.
Monsieur CABANNES : c'est tout le problème.
Monsieur le Président : c'est pour cette raison que je rejoins Monsieur FABRE sur le point de savoir si nous avons suffisamment cadré la question. Je suis prêt à mettre de côté la première formulation. Je suis ennuyé par le fait qu'il est difficile d'en rester au seul niveau des principes et je me demande si l'on ne pourrait trouver encore une nouvelle rédaction.
Monsieur le Président se tourne pour interroger Monsieur le Secrétaire général.
Monsieur le Secrétaire général : je crois que le Conseil a bien discuté des divers aspects de la question.
Monsieur MAYER : si on utilisait votre texte pour faire une interprétation neutralisante ?
Monsieur le Secrétaire général : il y a eu un précédent le 23 janvier 1987 (2) mais je ne crois pas que cela soit possible en l'espèce.
Monsieur le Président : on ne peut soulever d'office une interprétation neutralisante. C'est au législateur de prendre toute les mesures nécessaires.
Monsieur LATSCHA : ne pourrait-on pas parler de minimum vital s'agissant du montant des ressources ?
Monsieur le Président : je mets aux voix la variante que je vous ai lue avec la modification proposée par Monsieur LATSCHA.
La variante est adoptée (Messieurs FABRE, MAYER, et ROBERT votant pour et Monsieur le Président ayant exercé sa voix prépondérante ; Messieurs CABANNES, JOZEAU-MARIGNE, LATSCHA et MOLLET-VIEVILLE votant contre).
Monsieur MAYER aborde l'article 27 de la loi.
Cet article a trait à la tarification applicable dans les unités et les centres de long séjour.
La loi du 4 janvier 1978 qui a prescrit la création des unités de long séjour résultant notamment de la médicalisation et la transformation d'anciens lits d'hospices, prévoyait le partage des frais de séjour en deux éléments : l'un pour les soins, l'autre pour l'hébergement. Des décrets, jamais parus, devaient déterminer une clef de répartition.
Dans un arrêt du 25 mars 1989, la Cour de Cassation a jugé, qu'en l'absence de décret d'application, la totalité des dépenses afférentes à une hospitalisation en service de long séjour était imputable à l'assurance maladie. Or le coût annuel des hospitalisations en long séjour est de 4,3 milliards de francs et celui des hébergements de 5,6 milliards de francs.
La loi, dans son paragraphe I, valide tous les actes administratifs fixant la tarification dans les services de long séjour afin d'empêcher tout nouveau contentieux fondé sur l'absence de texte d'application.
Le paragraphe II complète la loi hospitalière pour définir la procédure de détermination de la part des prestations de soins dans les établissements de long séjour.
Le paragraphe III reprend le principe d'une tarification fondée sur deux éléments et précise que les procédures conduisant à fixer les règles applicables en ce domaine résulteront d'un décret en Conseil d'Etat.
Au paragraphe IV, il est spécifié que le système de tarification n'a qu'un caractère provisoire, dans l'attente d'une nouvelle classification des établissements hospitaliers qui résultera du futur projet de réforme des conditions de prise en charge des personnes âgées dépendantes. Le terme de la période transitoire est fixé au 31 décembre 1990.
C'est cette dernière disposition qui m'intéresse car elle se présente bien comme une injonction faite au gouvernement de déposer un projet de loi. D'ailleurs initialement la date avait été fixée par l'Assemblée nationale au 30 septembre 1990.
Le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions contenant de semblables injonctions non seulement parce qu'elles ne trouvent de base juridique "ni dans l'article 34, ni dans aucune des autres dispositions de la Constitution", mais également au motif qu'elles sont "en contradiction avec le droit d'initiative... conféré au Premier ministre par l'article 39 de la Constitution".
Je vous incite à rester fidèle à notre jurisprudence en censurant le IV in fine de l'article 27.
Pour terminer, je vous inviterai à censurer, à l'article 46, les mots "dans les territoires d'outre-mer" pour méconnaissance de l'article 74 de la Constitution.
Vous me permettrez une ultime observation. Le Gouvernement actuel a entendu rompre avec la pratique des D.M.O.S. dont Guy CARCASSONNE disait un jour à notre Secrétaire général que c'est un mode de législation "indécent".
Dans ce but il a mis sur pied non pas une D.M.O.S. mais un D.D.S.S.S. (dispositions diverses relatives à la sécurité sociale et à la santé).
Je ne suis pas convaincu que cette première expérience soit à la mesure des espoirs de ses initiateurs.
Monsieur MAYER lit le passage du projet de décision afférent à l'article 27.
Monsieur MAYER : je vous suggérerai page 18 de remplacer dans le second considérant, à la 6ème ligne, à compter de la fin, le mot "dispose" par le mot "stipule" pour éviter une répétition.
Monsieur le Secrétaire général : les stipulations ne s'appliquent qu'aux clauses contractuelles.
Monsieur LATSCHA : il n'y a qu'à mettre "selon".
La modification est adoptée.
Monsieur CABANNES : il me semble que le premier considérant de la page 19 recèle une contradiction avec le libellé de l'article 39 de la Constitution qui prévoit que l'initiative des lois appartient au Premier ministre et aux parlementaires. Cette rédaction gomme l'initiative parlementaire concurrente de celle du Premier ministre.
Monsieur le Président : là nous analysons l'injonction.
Monsieur CABANNES : le Parlement peut être saisi aussi bien par le Gouvernement que par ses membres.
Monsieur le Président : l'argument est intéressant.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : ce que nous censurons c'est le caractère de l'injonction. Nous ri'avons dans ces conditions qu'à supprimer les mots ", et est en contradiction avec le droit d'initiative des lois conféré au Premier ministre par l'article 39 de la Constitution".
Cette modification est adoptée à l'unanimité.
Monsieur MAYER lit le passage du projet de décision relatif à l'article 46.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : j'aurais une proposition à faire, à savoir substituer les mots "n'ayant pas été précédée" aux mots "n'ayant pas eu lieu", dans le deuxième considérant de la page 20.
Monsieur le Président : on relève le fait. La phrase fait déjà huit lignes.
Monsieur CABANNES : elle n'en fait que sept.
Monsieur le Président : non huit. Nous constatons que la consultation des territoires d'outre-mer n'a pas eu lieu.
Monsieur le Secrétaire général : il y a eu le précédent de la décision des 30 et 31 octobre 1981. (3)
Monsieur le Président : on laisse les choses en l'état.
Monsieur MAYER : poursuit la lecture du projet de décision.
Monsieur LATSCHA : qu'en est-il alors de l'article 24 ?
Monsieur le Président : il est supprimé et l'ancienne disposition du code de la sécurité sociale reste en vigueur.
Le projet de décision est adopté à l'unanimité.
Il semble qu'il est échappé à plusieurs membres du Conseil constitutionnel que le Président avait fait usage de sa voix prépondérante lors du vote sur la censure éventuelle de l'article 24.
Monsieur le Président BADINTER donne la parole à Monsieur Jacques LATSCHA pour qu'il présente son rapport sur la loi complémentaire à la loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 relative à l'exploitation agricole à son environnement économique et social.
Monsieur le Président,
Messieurs,
Nous avons été saisis le 22 décembre 1989, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par Monsieur Charles PASQUA et 75 sénateurs.
Ils contestent devant nous la loi complémentaire à la loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 relative à l'adaptation de l'exploitation agricole à son environnement économique et social, adoptée le 20 décembre 1989. Cette loi de 88 articles concerne le contrôle des structures et l'aménagement foncier (titre I), comporte des dispositions diverses (titre II) et des dispositions d'ordre social (titre III).
Il s'agit, pour les deux derniers titres, d'un texte qui pourrait prendre le titre de loi relative à diverses mesures d'ordre rural et social. Il s'agit d'un texte souvent confus et difficile à cerner dans ses intentions et ses options qui aboutit à plus de 40 modifications d'articles du code rural. Il s'agit aussi d'une Xème tentative pour définir une orientation de la politique agricole face à un avenir de l'exploitation classique qui mérite une analyse approfondie en raison des mutations économiques en cours et de celles qu'implique l'échéance européenne de 1993. Je ferai trois remarques préliminaires.
1. Les chiffres donnés dans l'exposé des motifs font apparaître que dans les dix ans qui viennent 500.000 exploitants, soit environ 20 % des exploitations agricoles cesseront leur activité.
A la faim de terres qu'a connu la-France jusqu'ici succède un excès de terres qui est susceptible de modifier profondément le paysage français. Le "jardin" que nous connaissons depuis toujours pourrait retourner à la friche dans bien des régions.
2. Pour la première fois, à ma connaissance et de l'avis même des représentants du ministère de l'agriculture, le statut du formage pose problème. Le Conseil d'Etat l'a noté dans son avis sur le projet et nous y reviendrons.
3. Il faut noter enfin que le texte de ces dispositions les plus marquantes a semble-t-il été élaboré en concertation avec les organisations agricoles et n'a pas suscité au plan constitutionnel, les critiques concernant les atteintes graves au droit de propriété et à la liberté d'exploitation dont il a fait l'objet de la part des saisissants.
Dans leur saisine les sénateurs critiquent exclusivement les dispositions du titré premier relatives aux associations foncières agricoles (articles 12 à 25 dans la numérotation définitive) et aux sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) (articles 26 à 35), en concentrant leurs critiques sur les articles 17, 19 et 20 pour les associations foncières agricoles et sur l'article 30 pour les SAFER.
Je me propose d'analyser d'abord les articles contestés relatifs aux associations foncières agricoles autorisées (I) ensuite, l'article relatif aux SAFER (II), enfin je vous ferai part des questions que je me suis posé sur des articles qui ne sont pas contestés devant nous et je vous proposerai de censurer l'un d'entre eux (III).
I. Les associations foncières agricoles (AFA) constituent une innovation dans notre droit, mais elles s'inscrivent dans une longue tradition juridique française et les atteintes qu'elles portent au droit de propriété ne paraissent pas, malgré les critiques des saisissants, excéder les limites admises par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Il s'agit donc d'une innovation. Que sont les AFA ? Elles sont instituées par l'article 12 de la loi qui précise : "Les associations foncières agricoles sont des associations syndicales, libres ou autorisées, régies par les dispositions de la loi du 21 juin 1965 relatives aux associations syndicales et les textes subséquents ainsi que par les articles 13 à 23 de la présente loi, constituées entre propriétaires de terrains à vocation agricole, pastorale ou forestière pour réaliser les opérations mentionnées à l'article 13".
L'article 13 dispose : "Dans les limites fixées par leur statut, les associations foncières agricoles peuvent :
a) assurer ou faire assurer l'exécution, l'aménagement, l'entretien et la gestion de travaux ou ouvrages collectifs permettant la mise en valeur agricole, pastorale ou forestière des fonds sans se livrer d'une manière habituelle à leur exploitation directe ;
b) assurer ou faire assurer l'exécution de travaux ou d'ouvrages à des fins autres qu'agricoles, pastorales ou forestières à la condition que ces travaux ou ouvrages contribuent au développement rural dans leur périmètre.
Elles assurent la gestion des fonds compris dans leur périmètre pour lesquels elles ont reçu un mandat du propriétaire ou de son représentant".
Leur régime est pour l'essentiel celui des associations syndicales de propriétaires de 1865 comme cela vient d'être précisé.
Les associations sont libres ou autorisées. Ces dernières sont autorisées par le préfet après enquête (article 15). Ce sont elles qui nous intéressent. Elles ont un caractère obligatoire et prennent des décisions majoritaires. Une contribution des membres aux charges est requise et l'on peut noter une situation privilégiées des collectivités territoriales dans leur sein (articles 16 et 19).
Pour le propriétaire concerné par le périmètre de l'association, il doit soit adhérer, soit délaisser ses terres (article 20).
Enfin pendant l'enquête préalable à la constitution par le préfet un gel possible de travaux est prévu pendant un délai maximum d'un an (article 17).
Ce sont les articles 17, 19 et 20 qui font l'objet de la saisine comme je l'ai déjà dit. Cette saisine est fondée sur les atteintes au droit de propriété. L'atteinte paraît évidente. Mais est-elle exceptionnelle dans notre droit ?
La loi déférée s'inscrit dans une longue tradition.
L'article 12 renvoie à la loi du 26 juin 1865 sur les associations syndicales qui à défaut de dispositions contraires constitue toujours de nos jours le droit commun de la matière. Le décret d'application est celui du 18 décembre 1927 modifié en dernier lieu par celui du 29 janvier 1974.
Or ce texte prévoit :
- Une intervention du préfet ;
- Des décisions majoritaires ;
- Un mécanisme d'adhésion obligatoire des propriétaires concernés avec comme alternative le délaissement moyennant une indemnité.
La loi de 1965 a de plus "un objet" et "un but" définis à l'article premier qui se sont élargis avec le temps.
Elle ne nous a évidemment pas été déférée, pas plus que les nombreux textes qui en sont dérivés depuis en utilisant la technique de l'association syndicale.
Sans nous livrer à un relevé exhaustif, nous avons noté son utilisation : en 1912 pour l'assainissement des voies privées ; en 1928 pour l'aménagement des lotissements défectueux ; après la guerre pour la reconstruction des villes sinistrées avec les associations syndicales de reconstruction ; pour l'aménagement forestier avec les associations syndicales de gestion forestière ; pour la mise en valeur pastorale de la montagne avec la loi du 3 janvier 1972 sur les associations foncières pastorales ; enfin en matière d'urbanisme avec les associations foncières urbaines issues de la loi d'orientation foncière de 1967.
Tous les exemples correspondent à des réglementations spécifiques qui adaptent la loi de 1865 et son décret d'application à des situations particulières.
C'est encore le cas aujourd'hui des AFA. L'association syndicale de propriétaires méritait-elle le qualificatif de "première institution collectiviste" que le Doyen HAURIOU lui appliquait en 1889 (T.C. Canal de Gignac - 9 décembre 1889), alors que d'autres auteurs dénonçaient son caractère corporatiste ?
Cette loi est l'oeuvre du second Empire peu soupçonnable à l'encontre de la propriété privée et ses origines remontent très loin dans notre passé. L'exposé des motifs de la loi de 1865 mentionne des antécédents dès le moyen âge avec l'administration des Watteringues du Nord. J'ai noté une formule heureuse dans cet exposé des motifs qui remonte à plus d'un siècle : "A l'impuissance de l'isolement nous voulons substituer l'association féconde".
Pour revenir au droit positif, les activités de ces associations concernent des travaux importants de protection ou d'aménagement des terres qui paraissent nécessaires et dont la charge incombera aux propriétaires des terrains concernés. Les associations syndicales sont soit libres, elles restent alors des personnes privées, soit autorisées ou constituées d'office. Elles constituent alors, dans ces deux dernières hypothèses, des établissements publics administratifs. Ainsi en a décidé le Tribunal des conflits dans la célèbre décision du 9 décembre 1989, Association syndicale du Canal de Gignac, qui concernait une association syndicale autorisée. La doctrine n'avait pas manqué de s'interroger sur une telle qualification.
En effet, si l'association syndicale autorisée bénéficie de prérogatives de puissance publique, notamment en raison de l'adhésion obligatoire des propriétaires concernés, sauf exercice du droit de délaissement, elle ne gère pas un service public mais intervient dans l'intérêt collectif des propriétaires.
Ces remarques conduisent au coeur du débat sur la constitutionnalité des dispositions déférées. J'en arrive ainsi à l'examen de la saisine.
L'article 17 de la loi dispose que : "Dans le périmètre de l'association, la préparation et l'exécution de tous travaux modifiant l'état des lieux, tels que semis et plantations d'espèces pluriannuelles, établisssements de clôture, création de fossés et de chemins, arrachage ou coupe des arbres et des haies meuvent êcre interdites par le représentant de l'Etat dans le département à compter de l'ouverture de l'enquête et jusqu'à sa décision pendant le délai d'un an au plus".
Le mécanisme prévu est donc celui d'une forme de gel des terrains entre l'ouverture de l'enquête sur la constitution de l'associacion foncière et la décision de la créer.
L'atteinte au droit de propriété résulte, pour les auteurs de la saisine, de ce que les propriétaires peuvent se voir privés pendant un an de.certains éléments d'exercice de leur droit de propriété, sans aucune justification tirée de l'intérêt national au plan économique ou social et sans garantie réelle à défaut que soient prévues là consultation des propriétaires et leur indemnisation.
Il paraît difficile de se ranger à une telle argumentation dès lors que l'on admet le recours aux associations foncières autorisées, l'intérêt général ou plutôt collectif justifiant la mesure de sauvegarde prévue. Il s'agit de permettre la constitution, dans de bonnes conditions, d'une association foncière agricole. A cet effet, il convient d'empêcher les modifications qui pourraient rendre la situation irréversible. C'est un problème du même style que ceux qu'avaient rencontrés les auteurs de la loi de 1865.
Un tel but permet de justifier, me semble-t-il, des atteintes temporaires et limitées à l'exercice du droit de propriété. Le défaut de consultation des propriétaires concernés ne permet pas de remettre en question cette appréciation d'autant qu'est prévue par ailleurs une enquête. Les popriétaires sont consultés dans le cadre de cette enquête relative à la constitution de l'association et pourraient faire valoir devant le préfet leurs arguments contre la mise en oeuvre de cette procédure.
Quant au défaut de prévision par la loi d'une indemnisation, il n'est pas non plus de nature à modifier mon jugement. Nous ne sommes pas dans le cadre d'une dépossession et, à défaut de précisions contraires, le contentieux administratif apporte des garanties. La censure est possible sur le terrain du recours pour excès de pouvoir contre la décision du préfet. De plus est ouverte l'action en responsabilité sur le fondement de l'irrégularité de la décision du préfet ou, éventuellement, sur celui de la responsabilité sans faute.
Je vous signale que l'on rencontre des mécanismes similaires de gel des situations dans le droit de l'urbanisme qui comportent des conséquences sans doute plus rigoureuses. Je pense au mécanisme du sursis à statuer opposable par l'administration qui retarde les possibilités d'utilisation du sol. C'est le cas par exemple quand l'établissement d'un plan d'occupation des sols est prescrit pour les utilisations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse son exécution. Le même mécanisme peut être mis en application en cas d'ouverture d'une enquête préalable à une déclaration d'utilité publique.
Cependant, l'interprétation de l'article 17 qui vous est soumise dans le projet de décision précise les conditions "implicites" de son application dans un sens conforme à celui donné à la fois par le Conseil d'Etat et par les représentants du Gouvernement.
Il paraît difficile de retenir dans ces conditions et compte tenu de ces précisions une atteinte au droit de propriété susceptible de justifier notre censure.
Notre jurisprudence sur le droit de propriété nous a conduits à souligner que ses finalités et ses conditions d'exercice ont subi une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines nouveaux et par les limitations exigées au nom de l'intérêt général. C'est en fonction de cette évolution que doit s'entendre la valeur constitutionnelle du droit de propriété
Les articles 19 et 20 concernent la majorité requise pour créer une association foncière agricole et les conditions d'exercice du droit de délaissement. Ils sont contestés au regard du droit de propriété en raison du caractère contraignant de la création et notamment de la participation des collectivités territoriales à cette création
Retenir l'atteinte au droit de propriété portée par l'article 19 défaut de recours au principe de l'unanimité revient tout simplement à condamner l'association syndicale autorisée. Quant au poids excessif qui serait donné aux collectivités territoriales, il est difficile à retenir dès lors qu'on admet la participation des collectivités à ce type d'organisme. On ne voit pas pourquoi les collectivités territoriales en tant que propriétaires de terrains auraient moins de droits que les propriétaires privés. Une garantie sérieuse existe par ailleurs dans la condition requise de la propriété des 2/3 de la superficie concernée par des collectivités territoriales et des propriétaires privés pour que soit écartée la règle de la majorité des voix.
L'atteinte à la liberté d'association ne résiste pas à l'analyse dès lors que les associations autorisées sont des établissements publics.
Monsieur le Président demande au rapporteur de lire le projet de décision concernant ces deux articles.
Monsieur Jacques ROBERT : Pourquoi souligner dans le 2ème considérant "dans le dernier état de leurs conclusions".
Monsieur Jacques LATSCHA : C'est à cause du mémoire ampliatif.
Monsieur le Président : Oui, il faut apporter cette précision car seul est public le texte de la saisine.
Monsieur Robert FABRE : Pourquoi "uniquement" dans le même considérant ?
Monsieur le Président : Bon ! Effaçons tout le considérant et commençons directement par l'article 17.
Monsieur Daniel MAYER : Puisque la saisine est publiée, cela donnera l'impression que nous n'avons pas répondu. Nous passons sous silence les articles 12 à 25 qui sont critiqués dans la saisine.
Monsieur Jacques LATSCHA rappelle que le mémoire ampliatif concentre les critiques sur certains articles et ne parle plus du reste qui était seulement évoqué dans la saisine.
Le Conseil décide de s'en tenir à la rédaction du projet qui précise la situation au regard de la saisine et du mémoire ampliatif.
Le projet est adopté à l'unanimité sur les deux articles.
Monsieur LATSCHA poursuit son rapport :
L'article 20 pose une question plus délicate qui concerne la nature et le régime du délaissement.
Les requérants invoquent les dispositions de l’article 17 de la Déclaration des droits de l'homme pour une opération qu'ils assimilent donc à une expropriation. Ils dénoncent le défaut de nécessité et mettent en cause le caractère juste et préalable de l'indemnisation. Ils soutiennent également dans leur mémoire ampliatif que le législateur est resté en-deça
La saisine ne cite pas l'article 545 : "Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité".
On remarque que c'est l'utilité et non plus la "nécessité" qui est mentionnée.
Ce dernier moyen peut être écarté sans difficulté car il manque en fait ainsi que cela ressort du texte de l'article 19 de la loi.
Reste le moyen principal qui est tiré de la violation de l'article 17 de la Déclaration de 1789.
Si l'on estime que l'article 17 est applicable à la procédure de délaissement un double problème se pose sur le plan constitutionnel :
- d'une part, on peut avoir des doutes sur le point de savoir si les travaux et ouvrages que se propose de réaliser une association syndicale de propriétaires répond àune nécessité publique au sens de l'article 17.
Dans la logique de la législation sur les associations syndicales il y a tout au plus un but d'utilité collective.
- d'autre part, la procédure de délaissement n'exige nullement que la prise de possession soit subordonnée à la fixation préalable d'une indemnité par le juge.
Je pense néanmoins qu'il y a lieu de ne pas retenir le moyen tiré de la violation de l'article 17 car la procédure de délaissement n'est pas une dépossession décidée unilatéralement et autoritairement par la puissance publique.
C'est une simple réquisition d'achat formulée par le propriétaire qui entend ne pas adhérer à une association syndicale autorisée.
Certes, en cas de délaissement et à défaut d'accord amiable le 2ème alinéa de l'article 20 (ajouté au cours du débat) paraît impliquer le paiement ou la consignation avant la prise de possession puisque les travaux ne pourront commencer. Mais l'argument n'est pas sans réplique. Il faut s'attacher aux termes de la dernière phrase du premier alinéa selon lesquels "l'indemnité est fixée comme en matière d'expropriation". La référence à l'expropriation ne porte donc pas sur toute la procédure mais bien sur la fixation de l'indemnité. La distinction est très clairement faite par un arrêt du Conseil d'Etat du 2 avril 1965 syndicat du commerce en fruits et légumes du marché des capucines de Bordeaux dans lequel on peut lire "si, en vertu de l'alinéa 2 de ce même article l'indemnité qui doit être allouée en réparation du préjudice que ces interdictions peuvent faire subir aux commerçants intéressés "obéit au régime des indemnités d'expropriation", cette prescription qui a pour objet de déterminer le mode de fixation de l'indemnité, n'a pas eu pour effet d'étendre à la matière l'ensemble des règles applicables en cas d'expropriation pour cause d'utilité publique et en particulier, la règle qui subordonne la prise de possession des immeubles expropriés au versement préalable de l'indemnité d'expropriation".
Par ailleurs, le délaissement n'est pas une dépossession décidée unilatéralement et autoritairement par la puissance publique.
C'est, j'allais dire au contraire, une réquisition d'achat formulée par le propriétaire qui entend ne pas adhérer à une association syndicale autorisée et choisit de se retirer.
La procédure de délaissement n'est donc subordonnée sur le plan constitutionnel qu'à l'exigence du juste prix du bien délaissé. Cela est inhérent au respect dû au droit de propriété en vertu de l'article 2 de la Déclaration de 1789 qui garantit le droit de propriété. Cette analyse est confortée par le recours à la notion d'égalité devant les charges publiques.
Or, au cas présent, il ne fait pas de doute que le respect de l'exigence du juste prix est assuré puisqu'en cas de désaccord c'est le juge judiciaire, statuant comme en matière d'expropriation, qui sera appelé à trancher.
Monsieur Jacques ROBERT exprime un doute sur le projet. Il considère que le délaissement entre dans le champ d'application de l'article 17 de la Déclaration de 1789.
Monsieur Jacques LATSCHA fait observer que le prix du bien délaissé sera payé comme en matière d'expropriation. Ainsi le propriétaire bénéficiera du juste prix.
Monsieur Jacques ROBERT déclare qu'il n'est pas convaincu.
Monsieur le Président s'interroge : S'agit-il d'une expropriation déguisée ? Je ne le pense pas. De toute façon le juge judiciaire interviendra en cas de désaccord sur la fixation du prix du bien délaissé. Nous n'allons pas censurer la procédure d'expropriation comme inconstitutionnelle !
Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE : Je voudrais poser deux questions à notre rapporteur :
- qui sera le débiteur du prix du bien délaissé ?
- qui s'opposera au propriétaire qui délaisse ?
Monsieur Jacques LATSCHA : Il me semble que l'article 19 de la loi répond à votre double interrogation.
Finalement la partie du projet relative à l'article 20, est mise aux voix et adoptée à l'unanimité.
Monsieur LATSCHA poursuit son rapport.
II. L'autre objet de la saisine concerne les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER).
Alors que la saisine vise toute la section 2 de la loi déférée, le mémoire ampliatif limite son argumentation à l'article 30 qui pose un réel problème en accordant aux SAFER le privilège de louer des terres sans que les baux soient soumis au statut du fermage. Je me concentrerai sur cet article, mais compte tenu de la saisine, j'évoquerai aussi certaines autres dispositions étant donné leur portée éventuelle après avoir rappelé brièvement en ces matières peu familières ce que sont les SAFER.
Les SAFER créées par la loi du 5 août 1960 ont joué un rôle très important dans le réaménagement foncier.
Les SAFER créées par la loi du 5 août 1960 ont joué un rôle très important dans le réaménagement foncier.
La présente loi tirant les conséquences d'une conjoncture modifiée depuis 1960 accentue le rôle de ces sociétés en le diversifiant.
Si les associations foncières sont des personnes publiques au service d'un intérêt collectif privé, les SAFER sont, elles, des personnes privées investies d'une mission de service public et bénéficiant à ce titre de prérogatives de puissance publique. Il s'agit du droit de préemption prévu par la loi du 8 août 1962 lequel ne peut être exercé que dans le cadre de l'activité agricole de la SAFER.
La nature juridique de ce droit de préemption a donné lieu à une jurisprudence évolutive. Le Conseil d'Etat a d'abord vu des décisions administratives dans les décisions de préemption. Sans remettre en cause cette analyse le Tribunal des conflits a décidé que la compétence pour apprécier ces actes appartenait au juge judiciaire en vertu d'une interprétation des dispositions de la loi-même. On peut mentionner en ce sens des décisions du 12 décembre 1969 rendues sur partage du Garde des Sceaux, M. PLEVEN.
Armée de son droit de préemption la SAFER apparaît donc comme une institution interventionniste axée davantage sur le soutien de l'exploitation agricole que de la propriété.
L'élargissement de ses missions est une autre caractéristique.
Au départ la SAFER est essentiellement et même uniquement agricole.
Or la loi déférée élargit leur domaine d'intervention. Son article 26 modifie profondément l'article 15 de la loidu
Le nouveau texte ajoute : "Les cessions peuvent être effectuées au profit de toute personne publique ou privée" donc évidemment, d'un non-agriculteur.
Le Ministre de l'agriculture parle vaguement de la chasse, de la pêche, de projets d'équipement (pourquoi pas touristiques ?).
Cela reste bien vague et bien risqué pour des organismes non équipés pour ce genre d'interventions.
Il y a là un nouvel indice du changement de paysage indiqué au commencement de ce rapport.
On peut critiquer cette déspécialisation, mais de là à la déclarer inconstitutionnelle...!
On ne le peut pas, à mon sens, pour une raison majeure : pour ces nouvelles missions, la SAFER ne jouit d'aucune prérogative de puissance publique. Elle n'a pas de droit de préemption.
Mais la saisine conteste essentiellement l'article 30. Elle souligne que la disposition vise à permettre aux propriétaires de mettre à la disposition d'une SAFER, par convention, leurs immeubles ruraux afin que celle-ci les reloue en vue de leur mise en valeur agricole ou de leur réaménagement parcellaire. J'ajoute, sans que ces locations soient soumises aux règles concernant le statut du fermage sauf sur le prix.
Pour les auteurs de la saisine, il y a là une atteinte au principe d'égalité.
Une telle atteinte paraît bien exister mais est-elle contraire à la Constitution ?
C'est évidemment la rupture de l'égalité qui est invoqué
Elle résulte selon eux de ce que le législateur a institué au profit des SAFER et de leurs contractants une double dérogation au statut de fermage. Cette double dérogation ne saurait par ailleurs, selon eux, être justifiée par l'intérêt général.
Le Conseil d'Etat, et c'est très intéressant, a pris dès le départ une attitude négative puisque saisi du projet de loi, il a disjoint le futur article 30 en y voyant, semble-t-il, une façon d'éviter une réforme du statut du fermage qui lui semblait souhaitable. Son avis communiqué au Conseil constitutionnel par le Secrétaire général du Gouvernement dit ceci : "Le Conseil d'Etat a disjoint l'article 25 (devenu l'article 30) qui tendait à permettre aux SAFER de prendre ou de donner à bail des terres dans le cadre des rapports contractuels qui ne seraient pas soumis au statut du fermage : s'il apparaît souhaitable d'alléger ou de supprimer certaines contraintes résultant du statut du fermage, la présence d'une SAFER comme partie au contrat n'est pas un critère justifiant la modification du champ d'application de ce statut". Interrogé par Monsieur GENEVOIS, le représentant du Ministre de l'agriculture à souligné que l'avis du Conseil d'Etat était fondé sur des considérations d'opportunité et non de constitutionnalité.
Le texte a cependant été maintenu.
Les représentants du Gouvernement nous ont expliqué les raisons de cet article qui vise à permettre une meilleure exploitation de petites parcelles qui, sinon, seraient laissées en friche, mais l'argumentation n'est pas décisive.
Ceci étant, pour critiquable qu'il soit, l'article 30 n'apparaît pas inconstitutionnel.
Si la possibilité pour des propriétaires de louer leur terre à une SAFER en dehors du cadre des baux ruraux est une innovation, la location par les SAFER elles-mêmes en dehors du régime des baux ruraux était prévue par l'article 17 de la loi du 5 août 1960. Cette disposition avait, il est vrai, le caractère d'une mesure conservatoire.
Surtout, il est difficile de ne pas admettre que les SAFER, investies d'une mission de service public, se trouvent bien dans une situation particulière. Il y a dès lors traitement différent pour les SAFER et les propriétaires qui sont en relation avec elles tout simplement parce que les SAFER se trouvent dans une situation particulière.
Mais il y a plus, dès lors que c'est "l'aménagement parcellaire" ou "la mise en valeur agricole" qui justifie le recours au procédé, il est difficile d'écarter le but d'intérêt général.
Si on assiste à une mutation importante du rôle des SAFER, comme le prouvent les dispositions de l'article 26, en elle-même, cette mutation n'apparaît contraire à aucune disposition de la Constitution.
Monsieur le Président ouvre la discussion sur cette partie du rapport.
Monsieur Robert FABRE rappelle le rôle essentiel des SAFER : Dans les régions pauvres, on a assisté à une désertification. La loi d'orientation agricole a créé les SAFER pour donner aux agriculteurs les moyens d'accéder à la propriété. Les SAFER ont été menacées de disparition dans le cadre du programme commun de la gauche puisque leur remplacement par des offices fonciers départementaux était prévu. Ces SAFER permettent en outre la protection des terres agricoles contre les achats étrangers.
Les pouvoirs accrus donnés aux SAFER leur permettront de franchir une étape supplémentaire.
Les achats étrangers font monter les prix et il faut permettre aux SAFER de louer les terres pour faciliter leur tâche. Je suis donc favorable aux dispositions proposées.
Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE : Je connais bien ce problème. Je suis partisan de ce texte, mais le revers de la médaille, ce sont certaines inégalités. Ainsi les SAFER avaient un but différent selon les régions. Par exemple en Basse Normandie il y a plus de preneurs que de vendeurs d'où le départ de certains. Par ailleurs, les SAFER prenaient un bénéfice de 10 % sur les transactions, ce qui conduisait à une certaine augmentation du coût de la terre.
Mais il me semble que le texte a pour objet de sauver les SAFER et c'est pourquoi j'adhère aux propos de Monsieur le rapporteur.
Monsieur Jacques LATSCHA signale que les SAFER bénéficient d'une exonération de droits pour leurs acquisitions.
Monsieur le Président demande au rapporteur de lire le projet de décision qui est adopté à l'unanimité.
Monsieur Jacques LATSCHA poursuit son rapport.
III. J'en viens maintenant à la partie "fourre tout" de la loi et à des articles qui n'ont pas été contestés mais sur lesquels je me suis posé des questions de constitutionnalité. Il y a les articles 49 et 52 pour lesquels se pose une question au regard du régime des sanctions administratives.
Ces articles concernent les sanctions relatives à la méconnaissance de la réglementation européenne en matière d'huile d'olive et de lait. Je pense finalement qu'ils respectent notre jurisprudence sur les sanctions administratives. Je ne développerai donc pas plus avant l'analyse.
Monsieur le Président : En effet, ce n'est pas utile.
Monsieur Jacques LATSCHA poursuit son rapport.
J'en arrive, maintenant, à l'article 56 que je vous propose de censurer partiellement.
J'ai, d'abord, été frappé par le montant maximum de l'amende prévue par cet article en cas de défrichement non autorisé.
L'amende peut, en effet, atteindre 10.000.000 de F. par hectare de bois défriché. L'ancien montant maximum n'était que de 20.000 F.
Certes, le représentant du Gouvernement nous a apporté des explications précises pour justifier ce.montant gui serait, sans doute, mieux "passé" s'il avait été converti en m².
La disposition, nous a-t-il expliqué, tend à empêcher le défrichement non autorisé à la périphérie des villes où les plus-values peuvent être énormes Le chiffre retenu est justement le chiffre moyen de la valeur des terrains urbanisables. Seul un montant élevé est dissuasif a-t-il été précisé, sinon le montant des amendes est tout simplement intégré dans le prix de vente par les promoteurs. On nous a fait remarquer que le code de l'urbanisme prévoit une amende dix fois plus élevée dans une de ses dispositions qui remonte à la loi du 31 décembre 1976.
Par ailleurs, le ministre de la justice nous a rappelé les dispositions de l'article 41 du code pénal aux termes desquelles "dans les limites fixées par la loi, le montant de l'amende est déterminé en tenant compte des circonstantes de l'infraction, ainsi que des ressources et des charges des prévenus".
Je ne suis pas insensible à ces arguments, mais ils ne me convainquent pas entièrement.
Si, en soi, le montant de l'amende, compte tenu de la situation concernée, n'est pas inacceptable, on doit tenir compte du mécanisme de la remise en état des lieux qui est toujours possible et qui devrait être le droit commun.
L'article L 313-1, 2e alinéa, du code- forestier prévoit, en effet, que "le propriétaire doit, ..., s'il en est ainsi ordonné par l'autorité administrative, rétablir les lieux en nature de bois dans le délai que fixe cette autorité".
Dès lors, il me semble que le montant retenu n'est pas nécessaire "pour obtenir le respect de l'interdiction concernée et qu'il est, de ce fait, disproportionné. Je souligne, d'ailleurs, que si nous ne censurons pas, un problème sérieux se posera avec l'article L 313-2 qui n'a pas été modifié en conséquence de la modification de l'article L 313-1 auquel il renvoie. L'article L 313-2 prévoit, en effet, une amende égale au triple de l'amende prévue par l'article L 313-1 pour le défrichement, sans autorisation, des réserves boisées.
Par ailleurs, le montant de l'amende prévue par l'article L 313-1 pourrait aussi concerner l'article L 313-4 qui vise le cas des forêts des collectivités publiques et personnes morales assimilées.
Je laisserai de côté le problème des réserves de chasse bien que je me sois interrogé sur l'éventualité d'une incompétence négative.
Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE : ... Très bien !
Monsieur Robert FABRE : Ce qui me gène c'est qu'on parle de défrichement alors qu'il s'agit en réalité de déboisement. La spéculation est telle au tour des villes que l'on calcule le prix au m² et non plus à l'hectare. L'Etat reconnaît son incapacité devant ce phénomène.
Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE remarque que si les terrains sont classés en zone inconstructible au plan d'occupation des sols le problème ne devrait pas se poser.
Monsieur Robert FABRE rappelle le scandale "Balkany" et la construction sur des terrains inconstructibles.
Monsieur le Président : S'il y avait eu atteinte à une liberté individuelle, la censure ne m'aurait pas gêné. Mais là... ! Par ailleurs nous avons laissé passer dans le cadre de la C.O.B. des sanctions qui vont jusqu'au décuple du profit illicite.
Il n'est pas nécessaire de monter ici sur ses grands chevaux. Laissons au juge le soin de moduler. Si on regardait la législation économique, on trouverait sûrement des montants encore plus importants.
Monsieur Jacques LATSCHA : Ce qui me détermine c'est que le montant maximum n'a aucune justification. Il s'agit d'un pur effet d'affichage !
Monsieur le Président : Nous sommes là pour tempérer.
Monsieur Jean CABANNES : Les- juges iront au maximum.
Monsieur le Président : Je ne suis pas partisan d'une censure du plafond alors que comme je l'ai souligné nous avons laissé passer le décuple pour la C.O.B.
Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE souligne qu'il y a une disproportion entre le nouveau plafond de la sanction pécuniaire encourue et l'ancien. On passe de 20.000 F l'hectare à 10.000.000 F !
Monsieur Robert FABRE : La réglementation concerne aussi les forêts et cela explique les incendies volontaires
Monsieur Léon JOZEAU-MARIGNE remarque que le montant du plafond provient d'un amendement du Gouvernement déposé au Sénat.
Monsieur le Président : Notre jurisprudence se construit pierre par pierre. Si nous censurons, cela veut dire que nous allons être obligés d'examiner à la loupe chaque texte. Je ne sens pas cette censure parce que nous censurons toute une législation alors qu'elle permet au juge de moduler !
Monsieur Jacques LATSCHA : D'un côté c'est un moyen que je soulève d'office, d'un autre côté nous ne devons pas encourager les sanctions disproportionnées. Sinon cela risque d'être un sabre de bois.
Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE : J'abonde dans votre sens. Nous avons déjà eu deux cas où Le problème de la disproportion de sanctions pécuniaires s'est posé. Mais dès l'instant qu'un juge peut moduler il peut s'en tenir au minimum. Le risque est qu'un citoyen saisisse la Cour de Strasbourg...
Monsieur le Président : Si c'était absolument choquant, l'opposition nous aurait saisi sur ce point. Je pense que nous devons laisser passer.
Monsieur Jacques LATSCHA : Je regrette que pour la C.O.B. nous n'ayons pas censuré !
Le projet de décision est adopté à l'unanimité. Monsieur le Président remercie Monsieur LATSCHA pour son travail... de défrichement.
La séance est levée à 17 h 40.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.