ORDRE DU JOUR
Séance du mercredi 16 janvier 1991
10 heures et éventuellement 1¹ après-midi
Examen, en application de l'article 61, alinéa 1, de la Constitution, du projet de décision sur la loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et relative à l'amélioration de la gestion du corps judiciaire, présenté par Monsieur Jean CABANNES ;
Examen, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, du projet de décision sur la loi relative au conseiller du salarié, présenté par Monsieur Francis MOLLET-VIEVILLE.
Examen, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, du projet de décision sur la loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales, présenté par Monsieur Jacques LATSCHA.
SEANCE DU 16 JANVIER 1991
La séance est ouverte à dix heures en présence de tous les conseillers.
Monsieur le Président : Nous entamons une journée où nous parcourerons des paysages juridiques arides.
Nous écouterons Monsieur CABANNES nous présenter son rapport sur la loi organique relative au statut de la magistrature puis Monsieur MOLLET-VIEVILLE sur la loi concernant le conseiller du salarié. Nous pourrions marquer une pause vers 11 heures 30 avant d'entendre Monsieur LATSCHA sur la loi portant diverses dispositions relatives aux assurances sociales et à la santé publique.
Monsieur CABANNES : Ce n'est pas moi qui vais vous dérider.
Le Conseil est donc saisi de la loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, elle-même plusieurs fois modifiée, portant loi organique relative au statut de la magistrature et relatif à l'amélioration de la gestion du corps judiciaire.
Dans sa version définitive, la loi déférée comporte 7 articles :
- le premier et le deuxième concernent les conseillers référendaires ;
- le troisième, les avocats aux Conseils nommés magistrats ;
- les articles 4, 5, 6 et 7, les nouvelles conditions de mise à la retraite des magistrats et leurs conséquences.
Lors de la présentation de son projet au Sénat, le Garde des Sceaux, M. Henri NALLET, a qualifié ce texte de "modeste", comme étant "bref et d'une technicité presque rébarbative", et "d'ambitieux" à la fois, car il poserait "un jalon sur le chemin du renouveau de la justice".
Le Rapporteur, M. Marcel RUDLOFF est plus prêt de la vérité lorsqu'il rectifie : "Ce ne serait pas manquer de respect à qui que ce soit que dire de ce texte qu'il est plus modeste qu'ambitieux. C'est presque un D.D.O.J. - diverses dispositions d'ordre judiciaire".
Voyons tout cela de plus près, par ordre de difficultés - ou plutôt d'absence de difficultés - croissantes, car le texte ne soulève pas de difficultés d'ordre constitutionnel qui n'aient déjà été tranchées par la jurisprudence. Vous vous y retrouverez très facilement, la loi n'ayant qu'un petit nombre d'articles.
Mais le Garde des Sceaux a raison : la matière est vraiment rébarbative.
1° L'extension en faveur des avocats aux Conseils, intégrés dans la magistrature ; des dispositions relatives au rachat des droits à pension réparent un oubli du législateur alors que bénéficient déjà de la mesure avocats aux barreaux, avoués, notaires et huissiers.
Un seul problème se pose sur le plan juridique, le législateur organique ne va pas jusqu'au bout de sa compétence en ce sens qu'il laisse le soin à un décret en Conseil d'Etat de fixer les modalités d'application de l'article 3. Vous avez estimé par le passé qu'un renvoi de ce type n'était pas inconstitutionnel (n° 86-222 DC du 6 janvier 1987, p. 7).
2° Pas de problème dirimant pour la fixation à une seule date annuelle - le 30 juin - des départs effectifs à la retraite des magistrats. Encore que je vous doive quelques explications sur le sujet.
Celui-ci me paraît pouvoir être appréhendé d'abord de façon abstraite, puis de façon concrète.
Dans le droit de la fonction publique lorsqu'un fonctionnaire atteint la limite d'âge il est mis à la retraite. Sauf texte exprès contraire il ne peut plus continuer à exercer ses fonctions. Le Conseil d'Etat statuant au contentieux a estimé qu'il y avait même là une irrégularité grave au point que l'acte de maintien en fonction est juridiquement inexistant. En conséquence il ne peut créer de droit au profit de 1'intéressée 1)•
Le statut de la magistrature, afin d'éviter toute rupture dans le fonctionnement des juridictions a cherché à éviter que la limite d'âge ne devienne un couperet.
C'est la raison pour laquelle l'article 76-1 du statut introduit une certaine souplesse :
"Les magistrats sont maintenus en fonctions, sauf demande contraire, jusqu'au 30 juin ou jusqu'au 31 décembre de l'année en cours selon qu'ils ont atteint la limite d'âge au cours du premier ou du second semestre".
En vertu de ces dispositions, le maintien en fonction au-delà de la limite d'âge d'un magistrat peut varier selon la date de naissance des intéressés d'un semestre à moins un jour.
(1) C.E. 3 février 1956 de Fontbonne, Rec. p. 45, RDP 1956 p. 859, note Marcel WALINE.
Le même mécanisme vaut aussi pour les magistrats recrutés à titre temporaire en vertu de la loi organique du 17 juillet 1970.
La loi organique présentement soumise à notre examen a prévu une date unique de maintien en fonction au-delà de la limite d'âge et ceci aussi bien pour les magistrats de carrière que pour les magistrats recrutés à titre temporaire.
Cette date unique est le 30 juin de chaque année.
Les articles 3 et 4 présentent cette nouvelle règle, comme une mesure dérogatoire et transitoire.
Elle ne vaut que pour la période comprise entre le 1er juillet 1991 et le 31 décembre 1995.
L'exposé des motifs du projet dont est issue la loi organique nous explique à ce sujet que :
"La mesure aura un caractère transitoire jusqu'au 31 décembre 1995, afin qu'un bilan de sa mise en oeuvre puisse être opéré à l'issue d'une période suffisamment longue pour être significative".
Les articles 3 et 4 m'ont arrêté quelque peu en raison de leurs répercussions concrètes. On risque d'aboutir à des inégalités de fait quant à la durée effective des carrières des magistrats. Un magistrat né le 1er juillet gagne 1 an. Un magistrat né le 30 juin ne bénéficie d'aucune prorogation.
La rupture d'égalité ne provient que de la date de naissance, même si le législateur en accentue les effets par rapport à la législation présentement en vigueur.
Les disparités de fait sont plus grandes encore lorsqu'on met en parallèle :
- le mécanisme de maintien en activité dans les mêmes fonctions jusqu'au 30 juin que je viens d'évoquer ;
- la mise en oeuvre de la loi organique du 23 décembre 1986 relative au maintien en activité des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation. Ce texte qui ne concerne pas les chefs de corps permet une prolongation d'activité pour une période de trois ans au-delà de la limite d'âge de 65 ans, mais uniquement dans les fonctions de conseiller et d'avocat général à la Cour de cassation.
Dans un arrêt du 19 avril 1989 Mangin (Rec. p. 116), le Conseil d'Etat a jugé que le bénéfice de ce dernier texte devait être sollicité par le magistrat avant qu'il n'atteigne la limite d'âge statutaire. Est en revanche tardive, une demande tendant au bénéfice de la loi organique du 23 décembre 1986 qui serait présentée pendant la période où 1'intéressé est maintenu en fonction au titre de l'article 76-1 de l'ordonnance organique du 22 décembre 1958
Concrètement, nous déboucherons sur les situations suivantes.
Les magistrats de la Cour de cassation hors hiérarchie, à l'exception des chefs de cour partent en principe à la retraite à 65 ans.
S'ils ne demandent pas leur maintien en surnombre au titre de la loi organique du 23 décembre 1986, la loi qui nous est déférée s'appliquera à eux. Ils seront maintenus en fonction sauf demande contraire jusqu'au 30 juin suivant.
Mais, s'ils demandent en temps utile à être prolongés en surnombre, ils cesseront leurs fonctions à la date à laquelle ils atteindront 68 ans.
Exemple : un président de chambre à la Cour est né le 1er août 1926 (je prends cette date parce que je ne crois pas qu'elle vise un collègue en particulier).
11 a 65 ans le 1er août 1991 et sera donc prolongé jusqu'au 30 juin 1992 dans ses fonctions de président de chambre.
S'il était né le 29 ou le 30 juin 1926, il partirait dans l'exercice de ses fonctions de président le 1er juillet 1991, soit un an avant.
Le président né le 1er août 1926, s'il décide de rester en surnombre au titre de la loi organique du 23 décembre 1986 devra formuler sa demande avant le 1er août 1991. S'il reste en fonction en surnombre ce sera pour une durée de 3 ans. Il gardera son grade de président, mais devra exercer pour ces trois années supplémentaires les fonctions de conseiller.
Autre anomalie - et nul spécialiste de la gestion du personnel n'oserait garantir que ce soit la dernière !
Vous avez admis - je n'y reviendrai pas - à l'occasion de la loi organique de 1984, que les présidents de chambre et les chefs de cour exerçaient des fonctions de nature différente et vous en avez tiré la conséquence qu'il n'était pas contraire à la Constitution que les premiers partent à la retraite à 65 ans et les seconds à 68 (cf. la décision n° 84-180 DC du
12 septembre 1984, Rec. p. 20).
A suivre ce raisonnement, c'est le contraire qui aurait pu être jugé, car les fonctions de chefs de cour ont une pesanteur administrative plus stressante, alors que le travail de recherche et de rédaction des arrêts peut se poursuivre dans le calme, à domicile, plus longtemps, même au prix d'une réflexion très approfondie et soutenue.
Vous avez jugé par une autre décision (n° 86-219 DC du
22 décembre 1986, Rec. p. 172) que les mêmes présidents n’étaient pas "dégradés" puisqu'ils conservaient pendant trois ans leur traitement (échelle F) et leur pallium - insigne distinctif - même s'ils étaient renvoyés à l'exercice inférieur des fonctions de conseillers.
Dernière inégalité enfin - est-ce vraiment la dernière ?
Les chefs de cour - et je sais que c'est une inadvertance du législateur - cumulent et continueront à cumuler, avec la loi déférée, le bénéfice du départ à 68 ans et celui du départ à la retraite au 30 juin, ce qui pourra les conduire à 69 ans, alors que présidents et conseillers, prolongés, partiront à leur date anniversaire.
En réalité, la modification des dates de mise à la retraite a été initiée, dès le début (et cela remonte loin, très loin dans le temps : ce n'est pas l'apanage du législateur actuel) pour des questions de personne, mais ce dévoiement n'a pu être sanctionné.
Tout ceci est du passé.
Le départ annuel prévu par la loi déférée peut difficilement être tenu pour contraire à la Constitution. Tout au plus l'accent est- il mis par le projet sur la nécessité pour le législateur de réexaminer la situation à la fin de la période transitoire (c'est-à-dire au 31 décembre 1995).
Je passe sur d'autres mesures de gestion, telles que la possibilité pour les magistrats des cours et tribunaux d'exercer leur surnumérariat dans d'autres juridictions ainsi que sur une dérogation temporaire à la règle de l'annualité du tableau d'avancement. J'en viens au problème - le seul important à vrai dire - des conseillers référendaires.
3° Cette catégorie de magistrats, vous le savez, a été créée par imitation de la Cour des comptes, ou même du Conseil d'Etat, pour faciliter le travail de la Haute juridiction judiciaire.
Mais, malheureusement, la Cour de cassation est le sommet d'une hiérarchie complexe et cependant unique, dont les magistrats des cours et tribunaux constituent la base, c'est-à-dire l'élément fondamental.
De plus, l'institution a été, elle aussi, dévoyée dès le départ. Au lieu d'être des collaborateurs privilégiés des conseillers dans leurs disciplines respectives, les référendaires ont été considérés comme des conseillers lourds au rabais, moins payés mais mieux logés puisque disposant de bureaux à la Cour.
Ne pouvant être nommés directement conseillers "pleins" en raison de leur âge et de leur rang modeste dans la hiérarchie judiciaire, le problème de leur sortie puis de leur retour Quai de 1'Horloge, où ils ont acquis une expérience irremplaçable, a toujours été difficile à résoudre. C'est vrai en droit, comme l'attestent les décisions de votre Conseil des 26 janvier 1967 et 12 juillet 1967. C'est également vrai en fait.
De plus, cette catégorie est mal vue des juges du fond comme de la Chancellerie, les M.A.C.J. en étant jaloux.
Comme pour tout système bâtard, plein de sève et de contradictions, une solution cohérente n'a jamais été trouvée.
Celle d'aujourd'hui en vaut une autre.
Après de courtes péripéties au Parlement, la loi déférée ramène de 5 à 3 ans le temps que les conseillers référendaires doivent passer en juridiction ou en service détaché, après dix ans au plus de services accomplis à la Cour de cassation, avant de pouvoir prétendre y être renommés, cette fois à un emploi hors hiérarchie.
Suivent quelques mesures d'ordre, comme la possibilité de détachement ou l'obligation, au sortir de la Cour de cassation, de ne pas postuler uniquement un emploi de chef de juridiction.
Tout ceci ne va pas très loin et ne pose pas - ou ne pose plus - compte tenu de votre jurisprudence, de problèmes d'ordre constitutionnel.
Je conclurai qu'à défaut d'une nécessaire réforme d'ensemble du statut, cette loi de gestion n'est pas plus mauvaise qu'une autre et qu'à défaut de vous avoir intéressés (mission impossible !) j'aurai été clair.
Reprenant un proverbe portugais, Claudel a dit : "Dieu écrit droit avec des lignes courbes", je crains qu'en l'espèce, le législateur n'ait pensé que "Dieu écrit courbe avec des lignes droites".
Monsieur le Président : il serait temps de faire simple dans ce domaine mais il faudra attendre 1995. Sur la constitutionnalité de cette loi organique, je ne vois pas de problème.
Monsieur CABANNES donne lecture du projet de décision.
Le projet de décision est adopté à l'unanimité.
Monsieur le Président donne la parole à Monsieur MOLLET-VIEVILLE.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE :
Monsieur le Président, mes chers collègues, Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 décembre dernier par soixante-neuf députés R.P.R. et U.D.F. de la loi relative au conseiller du salarié.
Cette question se situe dans le prolongement d'une loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion en date du 2 août 1989. Cette loi nous avait été déférée avant sa promulgation et j'avais eu l'honneur d'être rapporteur devant vous de ce dossier le 25 juillet 1989.
La lecture du code du travail est un parcours du combattant compte tenu des renvois et des imbrications des textes.
Je serai conduit me conduira à vous exposer successivement le contexte dans lequel s'inscrit la loi nouvelle (I) puis les arguments présentés par les saisissants au regard de l'économie de la loi (II) avant d'en venir à une question susceptible d'être soulevée d'office (III).
I. Le contexte de la loi :
La loi déférée m'amène à faire un retour en arrière sur la loi du 2 août 1989 et à évoquer son application.
M'en tenant aux seuls aspects du dispositif touchant au licenciement, qui nous intéresse ici, je voudrais vous rappeler l'économie du paragraphe I de l'article 30 de la loi du 2 août 1989 (article L. 122-14 du code du travail).
Cette disposition permet, en l'absence d'institution représentative du personnel, de recourir à une personne extérieure à l'entreprise et choisie sur une liste dressée par le préfet, pour assister le salarié lors de l'entretien préalable au licenciement.
En outre, mention doit être faite, dans la lettre de convocation à l'entretien préalable, de la faculté ouverte au salarié de faire appel pour cet entretien à une personne extérieure à 1'entreprise.
Je tiens à souligner que, dans sa décision du 25 juillet 1989, le Conseil constitutionnel avait précisé que cette personne extérieure à l'entreprise "n'est investie d'aucun pouvoir particulier à l'encontre de l'employeur et n'a d'autre mission que d'assister le salarié et de l'informer sur l'étendue de ses droits" (cons. 29).
Trois textes d'application ont précisé les fonctions et les conditions d'intervention de la personne chargée d'assister le salarié, à savoir une circulaire du 4 octobre 1989, un décret du 27 novembre 1989 et une instruction ministérielle du 1er décembre 1989.
Ces textes concernent à la fois la désignation des assistants ou des conseillers - cette différence terminologique n'ayant en fait guère d'importance -, leurs qualités et les modalités d'exercice de leurs fonctions.
La désignation des assistants : Le dispositif issu du décret du 27 novembre 1989 précisait que "les listes de personnes qui peuvent assister les salariés sont préparées pour chaque département par le directeur départemental du travail et de l'emploi après consultation des organisations de salariés et d'employeurs les plus représentatives sur le plan national siégeant à la commission nationale de la négociation collective, dont les observations doivent être présentées dans le délai d'un mois".
Chaque liste est arrêtée par le préfet et publiée au recueil des actes administratifs du département.
D'après l'instruction ministérielle, le nombre minimal de personnes pouvant figurer sur la liste serait de dix par département. Ces listes sont soumises à révision tous les trois ans et peuvent être complétées en cas de besoin.
Les qualités des assistants : Les trois textes d'application rappellent qu'ils "doivent être choisis en fonction de leur expérience des relations professionnelles et de leurs connaissance du droit social".
L'instruction ministérielle cite notamment les anciens magistrats, les anciens fonctionnaires des services extérieurs du travail et en particulier des services d'inspection du travail et les anciens conseillers prud'hommes.
Elle insiste également sur la nécessité de consulter toutes les organisations syndicales de salariés et d'employeurs. Le directeur départemental du travail et de l'emploi doit veiller au caractère interprofessionnel de la liste et au respect de la diversité des organisations syndicales de salariés.
La personne qui assiste et conseille le salarié exerce ses fonctions à titre gratuit et est tenue au secret professionnel. Elle pourrait se voir appliquer les pénalités prévues par l'article 378 du code pénal.
L'intervention de l'assistant dans la procédure de licenciement : La circulaire du 4 octobre 1989 rappelle que le recours à une personne extérieure est une simple faculté et que le salarié peut, s'il le préfère, se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise.
Le décret du 27 novembre 1989 prévoit que le salarié qui souhaite se faire assister lors de l'entretien préalable communique à la personne choisie la date, l'heure et le lieu de l'entretien. La personne sollicitée doit indiquer immédiatement au salarié sa réponse. Par ailleurs, le salarié informe l'employeur de sa démarche.
La circulaire précise également que l'employeur doit convoquer le salarié en vue de l'entretien préalable dans un délai raisonnable pour lui permettre de se faire assister lors de 1'entretien.
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Ce système a eu quelques difficultés à s'appliquer en raison des réticences des syndicats qui craignaient que les compétences des conseillers des salariés n'empiètent sur leurs prérogatives. Par la suite la C.G.T. a pris une large revanche.
Par ailleurs, la formule a rencontré moins de succès que prévu chez les anciens fonctionnaires des services extérieurs du travail, les anciens magistrats, les anciens conseillers prud'hommes. De fait, les listes comportent une très forte proportion de salariés en activité, qui sont des syndicalistes C.G.T.
D'après les chiffres qui nous ont été fournis par le ministère du travail, au 14 octobre 1990, les conseillers du salarié étaient représentés dans 94 départements ; 2 400 personnes se seraient chargées de cette tâche, soit en moyenne 26 par liste.
Pour vous situer l'importance du problème, je tiens à vous rappeler que 25 % des salariés du secteur privé travaillent dans des entreprises de moins de dix salariés et par là même ne disposent d'aucun mode légal de représentation.
II. LA SAISINE :
Vous avez sans doute été frappés comme moi par la légèreté de cette saisine. Elle est très sommaire et est à certains égards moins complète que ne l'avait été Madame CATALA, députée et professeur de droit, lorsqu'elle avait soutenu une exception d'irrecevabilité à l'encontre de la proposition de loi dont est issue le texte qui nous est soumis.
L'argumentation des saisissants peut se résumer comme suit : en raison des tâches limitées confiées à un conseiller du salarié, le fait de doter les intéressés d'un statut protecteur fait peser sur les employeurs des contraintes disproportionnées.
Cette argumentation conduit à examiner successivement les deux aspects essentiels de la loi.
Deux séries de dispositions concourent dans la loi déférée à renforcer le dispositif mis en place en 1989 ; les unes tendent à préciser l'intervention du conseiller du salarié dans la
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procédure de licenciement ; les autres visent à conférer à ces conseillers un statut de salarié protégé.
C'est le second aspect de la loi qui a surtout retenu l'attention des députés mais il ne peut être compris qu'en rappelant l'extension des pouvoirs du conseiller du salarié à laquelle a procédé le législateur.
a) L'intervention du conseiller du salarié : Cette extension de l'intervention du conseiller du salarié ressort des articles 2 et 3 de la loi déférée.
L'article 2 précise les délais dans lesquels intervient le conseiller et le contenu de la liste des conseillers.
L'article 3 porte sur les délais de notification de licenciement pour motifs économiques et insère l'intervention du conseiller du salarié dans la procédure légale de licenciement.
En l'absence d'institutions représentatives du personnel dans l'entreprise, le salarié a la faculté de se faire assister par un conseiller de son choix et l'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation au salarié de la lettre recommandée de convocation ou sa remise en main propre.
La fixation de ce délai répond au souci d'éviter une brièveté excessive. Dans un arrêt du 12 décembre 1983, la Cour de cassation avait déclaré illégal un licenciement pour lequel la lettre de convocation à l'entretien préalable n'était parvenue que trois-quarts d'heure avant l'entretien.
La deuxième adjonction au droit existant, dans cet ordre d'idées, a trait à l'établissement de la liste des conseillers.
Celle-ci, je vous le rappelle, est dressée par le représentant de l'Etat dans le département après consultation des organisations représentatives visées à l'article L. 136-1 dans des conditions fixées par décret.
Il est désormais prévu qu'elle "comporte notamment le nom, l'adresse, la profession ainsi que l'appartenance syndicale éventuelle des conseillers".
Je me suis interrogé sur la constitutionnalité de cette dernière mention. Mais, d'une part, le secrétariat général du Gouvernement a fait observer que l'absence de mention pourrait être une gêne au bon fonctionnement du système ; d'autre part, on rencontre déjà cette indication pour la publicité des noms des délégués syndicaux (article L. 142-16), la désignation des représentants du personnel et des membres du comité d'entreprise (articles L. 423-14 et L. 433-10).
Par ailleurs, ne pouvant être juge et partie, les conseillers prud'hommes sont exclus de cette liste.
Enfin, je tiens à ajouter que la loi fait obligation à 1'employeur dans la lettre de convocation du salarié à l'entretien préalable, non seulement de l'informer de la faculté de se faire assister par un conseiller mais aussi de porter à sa connaissance "l'adresse des services où la liste des conseillers est tenue à la disposition des salariés".
S'agissant des licenciements pour motifs économiques, qu'ils soient individuels ou qu'ils concernent moins de dix salariés dans une période de 30 jours, le législateur a prévu qu'en l'absence d'institutions représentatives du personnel, leur notification devait parvenir au salarié au moins quatre jours après l'entretien, ce délai étant de douze jours pour le personnel d'encadrement.
Ma dernière explication relative au régime spécifique applicable aux salariés faisant appel à un conseiller du salarié portera sur l'article 3 de la loi.
La procédure légale de licenciement des salariés de moins de deux ans d'ancienneté et de ceux des entreprises de moins de onze salariés est régie par l'article L. 122-14-5. Lorsque cette procédure n'est pas respectée, une indemnité en fonction du préjudice subi est versée au salarié. Le législateur a adapté l'article L. 122-14-5 à la nouveauté que constitue l'intervention du conseil du salarié en faisant de celle-ci un élément constitutif de la procédure de licenciement.
Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que le conseiller du salarié est investi de fonctions particulières. Elles trouvent leur justification dans l'hypothèse où un ou des licenciements seraient opérés dans des entreprises non dotées d'institutions représentatives du personnel. Elles ne se heurtent, à mon sens, à aucune règle et à aucun principe de valeur constitutionnelle.
Je note qu'il y a là une disproportion entre la présence d'un conseil du salarié et l'absence de conseil de l'employeur étranger à l'entreprise. A cet égard je tiens à citer un arrêt du 12 mars 1986 de la Chambre sociale de la Cour de cassation(l) à propos de l'assistance auprès d'un employeur d'un conseiller juridique, dans le cadre d'une procédure de licenciement. La Cour à jugé gue n'avait été établi ni même allégué par l'auteur du recours ayant fait l'objet d'un licenciement que la personne ayant assisté l'employeur au cours de l'entretien préalable avait été étrangère à l'entreprise et que sa présence avait fait grief aux intérêts du salarié.
(1) Ch. sociale, 12 mars 1986, n° 378.
b) Le statut du conseiller du salarié :
Comme je le disais tout à l'heure, c'est le statut donné au conseiller du salarié qui est surtout critiqué par les saisissants, c'est le terrain qui a été choisi pour la défense d'une exception d'irrecevabilité devant l'Assemblée nationale, ce sont les dispositions qui ont été contestées devant le Sénat et ont fait l'objet du recours des députés. Ces derniers font état d'un régime exorbitant du droit commun qui serait ainsi donné à ses salariés.
Qu'en est-il ?
Ce statut protégé reçoit quatre applications. Le conseiller du salarié bénéficie d'autorisations d'absence, du maintien de sa rémunération, d'une protection contre le licenciement et enfin d'un droit particulier à la formation. Le salarié d'une entreprise A inscrit sur une liste va pouvoir quitter son emploi pour défendre le salarié d'une entreprise B.
- Le crédit d'heures :
L'article L. 122-14-14 du code du travail résultant de l'article 6 de la loi est ainsi rédigé :
"L'employeur, dans les établissements où sont occupés au moins onze salariés, est tenu de laisser au salarié de son entreprise investi de la mission du conseiller du salarié.., le temps nécessaire à l'exercice de sa mission dans la limite" d'une durée qui ne peut excéder quinze heures par mois".
Or je vous rappelle que la durée maximale hebdomadaire moyenne du travail est de 46 heures, soit 184 heures par mois. Dans un établissement, le fait de prendre 15 heures, cela donne 8,15 % d'absence de l'entreprise d'où une désorganisation certaine du travail dans celle-ci. Imaginez le cas de la secrétaire de direction qui consacre 15 heures par mois à cette tâche.
- Le maintien de la rémunération (article L. 122-14-15) :
Le temps passé par le conseiller du salarié hors de l'entreprise pendant ses heures de travail pour l'exercice de sa mission est assimilé à une durée effective de travail pour la détermination de la durée des congés payés, du droit aux prestations familiales ainsi qu'au regard de tous les droits que le salarié tient du fait de son ancienneté dans l'entreprise.
A la suite de l'adoption d'un amendement du gouvernement en 1ère lecture devant l'Assemblée nationale, les salaires maintenus ainsi que les avantages et charges sociales y afférents sont remboursés par 1'Etat.
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Ce crédit d'heures peut ne pas imposer à certains employeurs des charges manifestement trop lourdes au regard de l'intérêt général mais peut perturber le travail de l'entreprise.
Il en va de même, s'agissant du maintien de la rémunération, du versement des avantages annexes et de la couverture sociale, à partir du moment où ceux-ci sont pris en charge par l'Etat.
Mais aucun reproche d'inconstitutionnalité ne peut être fait à l'encontre de ces dispositions.
- La protection contre le licenciement :
L'une des nouveautés essentielles de ce texte réside incontestablement dans la protection dont jouiraient désormais les conseillers du salarié.
L'article 8 de la loi fait entrer ces derniers dans la catégorie des salariés "protégés". Autant l'on comprend que ces salariés puissent bénéficier d'une protection particulière dans l'entreprise dans laquelle ils travaillent, autant on peut s'interroger sur le bien fondé de cette protection pour défendre des salariés d'autres entreprises. Cette catégorie des salariés "protégés" comprend déjà les représentants du personnel, les délégués syndicaux, les conseillers prud'hommaux salariés et les administrateurs des caisses de sécurité sociale.
L'article 8 pose le principe selon lequel l'exercice de la mission de conseiller du salarié ne saurait être une cause de rupture par 1'employeur du contrat de travail.
Il précise que le licenciement du conseiller du salarié est soumis à la procédure prévue par l'article L. 412-18 du code du travail, à savoir l'autorisation de l'inspecteur du travail ou de l'autorité qui en tient lieu.
La décision de l'autorité administrative peut faire l'objet d'un recours hiérarchique auprès du ministre du travail et est soumise au contrôle du juge administratif.
Depuis un arrêt d'assemblée du Conseil d'Etat du
5 mai 1976(1) l'intervention de l'autorité administrative et le contrôle du juge de l'excès de pouvoir reposent sur les principes suivants :
- le licenciement "ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé" et il appartient à l'administration de s'en assurer sous le contrôle du juge ;
(1) S.A.F.E.R. d'Auvergne C. Bernette p. 232
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dans le cas d'un licenciement disciplinaire, l'administration doit rechercher si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour le justifier ;
- même si les fautes commises par l'intéressé sont de nature à justifier le licenciement, l'autorisation peut être refusée pour "des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence".
Par conséquent, compte tenu de la possibilité qui est offerte à l'employeur de contester devant le juge administratif la décision de l'autorité qui refuserait l'autorisation de procéder au licenciement, et de la jurisprudence que je vous ai rappelée, on ne saurait soutenir au plan constitutionnel, que ce statut de salarié protégé fait peser une contrainte excessive sur l'employeur, et soit source d'un déséquilibre manifeste.
- Le droit à formation :
L'article 9 prévoit l'octroi d'autorisations d'absence dans la limite de deux semaines par périodes de trois ans suivant la publication de liste, afin de permettre aux conseillers de suivre une formation. On peut d'ailleurs se demander si deux fois une semaine pendant 3 ans c'est très utile pour former le conseiller du salarié.
Ces congés sont soumis aux dispositions des articles L.451-1, L.451-2, L.451-4 et L.451-5 du code du travail.
L'article L.451-3 qui permet à l'employeur, après avis conforme du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, de refuser le congé lorsque l'absence de l'intéressé pourrait avoir des conséquences préjudiciables à la production et à la bonne marche de l'entreprise n'est pas applicable.
Il faut retenir surtout que ces congés tout comme ceux de formation économique et sociale ou syndicale doivent donner lieu à une rémunération par les employeurs dans les entreprises occupant au moins dix salariés, à la hauteur de 0,08 pour mille du montant de la masse salariale versée pendant l'année en cours.
Ces dépenses, en vertu du 3ème alinéa de l'article L.451-1, sont déductibles, dans cette limite de 0,08 pour mille, du montant de la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle continue.
Enfin, la durée de cette formation doit s'imputer non seulement sur la charge globale de l'entreprise mais aussi sur la durée totale annuelle des congés-formation ouverts au salarié, soit douze jours.
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Par conséquent l'incidence de cette protection est limitée et ne constitue pas pour les entreprises un sacrifice manifestement disproportionné avec le but poursuivi. 15 jours sur trois ans, cela fait 0,22 % du travail total.
Je vous invite donc à rejeter ce recours mais je n'en ai pas fini pour autant car, comme vous l'avez constaté à la lecture du projet et de la variante qui devient pour moi le projet, j'ai des doutes sur la constitutionnalité de l'article 11.11 de la loi déférée.
Monsieur le Président : Nous nous arrêtons là.
Monsieur MAYER : Le nombre des éventuels conseillers du salarié est limité.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Il n'est pas limité dans la loi. Ce qu'il faut savoir c'est que cette institution, après avoir été boudée par les syndicats a été prise d'assaut par la C.G.T. Les listes aujourd'hui comprennent surtout des salariés appartenant à la C.G.T.
Monsieur le Président : C'était prévisible.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Je voudrais insister sur la désorganisation que peut représenter cette institution pour l'entreprise. Prenons le cas où sur 15 salariés, 8 sont sur la liste des conseillers du salarié et imaginons que l'employeur licencie ces derniers pour assurer la bonne marche de l'entreprise ; si ces licenciements sont refusés par l'inspection du travail, le chef d'entreprise pourra seulement faire un recours devant la juridiction administrative. Cet exemple est peut-être théorique mais je voulais le prendre pour illustrer les conséquences de cette nouvelle institution.
Cela dit, je vois beaucoup plus sur la liste des syndicalistes des grandes entreprises et qui vont devenir ce qu'étaient auparavant les salariés de l'entreprise épaulant leurs camarades.
Le but de la loi est bien de pallier l'absence d'institutions représentatives du personnel dans les P.M.E. en demandant l'intervention d'une personne extérieure à l'entreprise.
Mais les avocats ne peuvent conseillers les salariés.
Monsieur le Président : Ils peuvent toujours se faire inscrire. Pourquoi aucun avocat de syndicat ne s'est fait inscrire sur ces listes ?
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : La loi dit que cette activité de conseillers du salarié est gratuite.
Deux raisons font sans doute que les avocats n'ont pas rempli ce rôle. D'abord, des raisons financières et ensuite, cela tient au
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fait que si l'avocat se trouve devant les conseillers prud'hommes, il pourra, à mon sens, difficilement plaider après avoir tenu le rôle de conseiller du salarié. En revanche, le membre du personnel ayant assisté le salarié peut le représenter devant le conseil de prud'hommes.
Monsieur le Président : A mon avis, c'est l'inverse qui présente des inconvénients, à savoir la situation où l'avocat est conseiller du salarié et avocat du patron.
Mais c'est aux syndicats à prendre en charge les avocats. L’échec de la formule de 1989 s'explique par le fait que ces tâches ne sont pas rémunérées. Si des indemnités avaient été prévues, les fonctionnaires et les magistrats honoraires se seraient portés candidats.
Monsieur ROBERT : Ce qui m'intrigue, c'est ce déséquilibre entre le salarié et l'employeur. Y-a-t-il un texte qui empêche l'employeur d'avoir un avocat ?
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : L'employeur connaît mieux le droit du travail que le salarié. Cependant pour revenir à l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation que je citais tout à l'heure, celui-ci avait affirmé qu'il n'avait pas été démontré que l'avocat de l'employeur était étranger à l'entreprise alors que, je le précise, toute personne étrangère à l'actionnariat ne peut assister à l'assemblée générale des actionnaires.
S'agissant de l'entretien préalable qui est fait pour dédramatiser le licenciement, on arrive à ce résultat que l'employeur n'a pas de conseil contrairement au salarié.
Monsieur FABRE : Lors de l'entretien préalable, l'employeur n'est pas dans la même situation que le salarié. L'employeur a pu procéder à des consultations avant l'entretien et n¹ a pas besoin d'être défendu.
Monsieur le Président : Nous n'allons pas reprendre un débat sur le contentieux du licenciement tranché le 25 juillet 1989. Ce dispositif ne donne pas satisfaction faute d'indemnisation des conseillers du salarié. Il s'ensuit qu'il est fait appel à des syndicalistes, que ce sont les plus motivés qui sont intéressés, à savoir les membres de la C.G.T.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Mais vous avez observé que j'ai proposé chaque fois le rejet des moyens invoqués.
Monsieur JOZEAÜ-MARIGNE : Monsieur le rapporteur a fait un excellent exposé mais pour ma part aucune question de constitutionnalité ne mérite d'être soulevée. Cette loi n'est peut-être pas merveilleuse mais ce n'est pas à nous de la juger sur ce plan là.
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L'article 2 de la loi complète l'article L. 122-14 du code du travail. Cet article dont je vais vous donner lecture est très imprécis. (Monsieur JOZEAU-MARIGNE lit le début de l'article). Rien, à mon avis, n'interdit d'interpréter les mots "L'employeur ou son représentant" comme pouvant désigner l'employeur ou son avocat.
Monsieur ROBERT : Je n'en suis pas sûr.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Il n'y a pas de jurisprudence dans ce domaine mais la loi est imprécise. La loi déférée a pour objet de permettre au salarié de se faire assister d'un conseiller et d'éviter que l'employeur de celui-ci ne le mette à la porte. Le salarié prendra un conseiller qui ne sera pas toujours très qualifié juridiquement et l'on peut regretter que les diplômés de droit ne puissent assister plus systématiquement les salariés.
Monsieur le Président : Ils ne sont pas payés alors ils ne le font pas.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : On ne peut que regretter effectivement l'absence de mesures incitatives. Je me souviens du contentieux des accidents du travail devant les anciens commissions de première instance de la sécurité sociale ; vous arriviez et vous aviez affaire à des syndicalistes qui n'étaient pas toujours très qualifiés.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Je ne crois pas qu'au début de l'article L. 122-14 du code du travail, les mots "ou son représentant" puissent désigner l'avocat de l'employeur.
Monsieur le Président : C'est plutôt le comptable ou le directeur du personnel.
Messieurs FAURE et ROBERT : Dans ces entreprises, il n'y en a pas.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE donne lecture du projet de décision.
Monsieur le Président : Je me demande si, dans le deuxième considérant de la page 5, la phrase "qu’il y a lieu pour le Conseil constitutionnel de rechercher si les règles ainsi édictées ne portent pas aux droits et libertés des employeurs une atteinte contraire à la Constitution" n'est pas superfétatoire.
Monsieur le Secrétaire général : Elle permet d'expliciter la suite.
Monsieur MAYER : Pourquoi ne pas supprimer alors tout le considérant ?
Monsieur le Secrétaire général : Il faut tenir compte de 1 ' imbrication de la loi dans le code du travail ; le considérant permet au lecteur de mieux se repérer.
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La deuxième phrase du deuxième considérant est supprimée. Le texte du projet de décision jusqu'au premier considérant de la page 9 est adopté.
Après une suspension de cinq minutes, la séance est reprise à onze heures cinquante.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : J'aborde maintenant l'article 11.11 de la loi.
Cette disposition, issue d'amendement parlementaire sous-amendé par le Gouvernement est libellée comme suit :
Il est inséré, dans le code du travail, un article L 152.1 ainsi rédigé : "article L 152.1 - Quiconque aura porté ou tenté de porter atteinte à l'exercice régulier des fonctions de conseiller du salarié, notamment par la méconnaissance des articles L.122-14-14, L.122-14-15, L.122-14-16 et L.122-14-17 ainsi que des textes réglementaires pris pour leur application, sera puni d'emprisonnement de deux mois à un an et d'une amende de 2.000 F à 20.000 F ou de l'une de ces deux peines seulement.
En cas de récidive, l'emprisonnement pourra être porté à deux ans et l'amende à 40.000 F.
Nous voilà en présence d'un texte législatif qui prévoit par avance des peines applicables à des infractions que l'on ne connaît pas en tous leurs éléments. Cela tient à la référence faite par la loi aux textes réglementaires pris pour son application.
Les représentants du Gouvernement ont reconnu, qu'en l'espèce, les parlementaires n'avaient fait que transposer des dispositions déjà existantes dans le code du travail et admis par là-même qu'ils avaient fait preuve d'une certaine paresse.
En effet la rédaction de ce paragraphe est inspirée de celle des articles L.482-1, L.483-1 et L.531-1 du code du travail relatifs au délit d'entrave à l'exercice régulier des fonctions respectives de délégué du personnel, de membre du comité d'entreprise et de conseiller prud'homme.
Ils ont même ajouté, non sans malice, que l'article L. 483-1 était issu de la loi du 28 octobre 1982, qui avait été déférée au Conseil constitutionnel( 1 ) j'avoue que ce dernier argument ne m'a pas convaincu.
A l'époque le Conseil constitutionnel n'avait été expressément saisi que d'une disposition, celle qui exonérait de toute responsabilité civile les représentants du personnel et les
(1 ) Cf la décision du 22 octobre 1982, au rapport du Doyen VEDEL
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syndicats pour des dommages causés par un conflit collectif du travail, sauf le cas d'infraction pénale.
Je crois que face à cette question importante de la définition des infractions et des peines, deux thèses s'affrontent.
La première se veut rigoureuse. Elle part du principe proclamé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme selon lequel "nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée". Comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision des 19 et 20 janvier 1981 sur la loi "sécurité et liberté", il en résulte la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure 1'arbitraire.
J'ajoute, qu'à l'appui de cette thèse, on peut bien évidemment se référer aussi à l'article 34 de la Constitution. Son deuxième alinéa dispose que "la loi fixe les règles concernant .... la détermination des crimes et délits ainsi que des peines qui leur sont applicables..."
L'imprécision de l'infraction que le législateur vise à réprimer me paraît résulter d'un renvoi gui est par nature incertain quant à son contenu, à des règlements à venir.
Je n'ignore pas que des arguments juridiques en des arguments pratiques peuvent s'opposer à une trop grande rigueur de notre part. Le Conseil constitutionnel a comme je l'ai dit affirmé à plusieurs reprises que la loi doit définir les éléments constitutifs de l'infraction. (80-127 DC, 19 et 20 janvier 1981 ; 84-176 DC,du 25 juillet 1984 ; 84-183 DC, 18 janvier 1985 ; 86-213 DC, 3 septembre 1986).
Mais dès lors que cette règle est respectée, le législateur peut malgré tout se référer, à d'autres normes que la loi.
Dans une décision du 10 novembre 1982 relative à la loi concernant la négociation collective et le règlement des conflits collectifs du travail, le Conseil constitutionnel a estimé, qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur d'ériger en infractions le manquement à des obligations qui ne résultent pas directement de la loi elle-même.
Or selon les représentants du Gouvernement l'article 11-11 satisferait à cette condition pour deux raisons :
La première, parce que l'élément constitutif du délit se trouverait suffisamment défini dans la loi. Je vous rappelle les termes du début de ce nouvel article L-152-1 du code du travail : "Quiconque aura porté ou tenté de porter atteinte à 1'exercice régulier des fonctions de conseiller du salarié ...."
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La deuxième raison, se situe dans le prolongement de la première ; l'adverbe "notamment" qui renvoie aux articles de la loi accordant des garanties au conseiller du salarié ne fait qu'introduire des illustrations du délit d'entrave défini antérieurement.
Par conséquent, la référence à des textes réglementaires pris pour l'application de ces articles législatifs serait sans influence sur les éléments constitutifs de l'infraction, voire même superfétatoire au dire des représentants du secrétariat général du Gouvernement.
Dans ses observations, celui-ci indique que les seuls textes réglementaires susceptibles d'être fixés en réalité par l'article 11-11 définissent de simples modalités d'application, étrangères aux éléments constitutifs du délit d'entrave.
Des considérations d'ordre pratique ont été également invoquées. Lorsque nous avons reçu les représentants du secrétariat général du Gouvernement, ceux-ci n'ont pas manqué de faire observer que l'adoption d'une solution rigoureuse qui interdirait toute référence aux textes réglementaires dans un article de loi définissant un délit, ne serait pas sans conséquences. Elle conduirait le Parlement à effectuer un travail considérable en reprenant de nombreux textes réglementaires, qui sans parler des dispositions du code du travail déjà existantes que j'ai citées, régissent des matières par définition très mouvantes. Cela se vérifierait dans des domaines parfois très techniques : code de la santé publique pour les stupéfiants ; infractions en matière de sécurité routière.
Ces arguments, à vrai dire n'ont pas emporté ma conviction.
D'abord, sans ignorer les effet d'une censure, j'estime que l'argument tiré de l'absence d'effets réels de la disposition présentement en cause, à savoir "ainsi que des textes réglemen- taires pris pour leur application" peut être aisément retourné. Son caractère inutile en l'espèce m'inciterait au contraire à saisir l'occasion qui nous est fournie pour éviter toute dérive à l'avenir.
Ensuite, le raisonnement qu'ont construit les représentants du secrétariat général du gouvernement en invoquant l'atténuation apportée par le Conseil constitutionnel le 10 novembre 1982 à la nécessité de la précision des incriminations, ne m'est pas apparu décisif.
Je voudrais vous indiquer ce qui était réellement en cause dans cette décision. L'article incriminé prévoyait que lorsqu'en vertu d'une disposition législative expresse, une convention ou un accord dérogeait à la loi ou au règlement, les infractions à ces dérogations étaient passives des sanctions qu'entraînerait la violation de la loi ou du règlement.
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Le Conseil constitutionnel a effectivement estimé qu'"aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur d'ériger en infractions le manquement à des obligations qui ne résultent pas de la loi elle-même ; que la méconnaissance par une personne des obligations résultant d'une convention ayant force obligatoire à son égard peut donc faire l'objet d'une répression pénale".
En d'autres termes, le Conseil constitutionnel était en présence d'un problème de hiérarchie de normes juridiques qui a une acuité particulière en droit du travail. Comme vous le savez celui-ci se présente comme une série de prescriptions de caractère impératif constituant au profit des salariés un minimum intangible que la négociation peut améliorer. Aussi parle-t-on d'ordre public social. D'ailleurs ce principe a reçu une application dans un domaine très voisin. Dans un arrêt du 31 octobre 1980(1), le Conseil d'Etat a jugé applicables à des entreprises entrant dans le champ d'application d'une convention collective des dispositions de cette dernière relatives à la désignation des délégués syndicaux qui étaient plus favorables que la loi.
Le Conseil constitutionnel était donc dans un cas de figure spécifique dont on ne peut pas à mon sens tirer de conclusions aussi définitives que le fait le secrétariat général du Gouvernement.
C'est pour l'ensemble de ces raisons avec le souci, de fixer sans ambiguïté la jurisprudence, que je vous propose de soulever d'office ce moyen en censurant les mots "ainsi que des textes réglementaires pris pour leur application".
J'y suis d'autant plus enclin que la chambre criminelle de la Cour de cassation vient elle-même de faire un pas important dans le sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
On lit dans un arrêt de la Chambre criminelle du 9 février 1990(2) que "toute infraction doit être définie en des termes clairs et précis pour exclure l'arbitraire et permettre au prévenu de connaître exactement la nature et la cause de l'accusation portée contre lui".
A un moment où le juge judiciaire lui-même s'inspire de notre jurisprudence, il me paraît opportun de la réaffirmer sans ambiguïté. J'ai songé à une formule stricte qui figure dans le projet ♦
(1 ) CE Ass; 31 octobre 1980, ministre du travail et Consortium viticole et vinicole de Bourgogne, p 404
(2) Bull n° 56, p 153
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Mais je pense, à la réflexion, préférable de retenir une variante qui procède à une censure moins brutale.
Si en effet le législateur est dans l'obligation de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l'arbitraire, il peut ériger en infractions le manquement à des obligations qui ne résultent pas directement de la loi dès lors que la détermination de ces obligations est elle-même sans équivoque.
Or un seul décret d'application serait pris en fait en application du 3ème alinéa du nouvel article L. 122-14-15 du code du travail. Par conséquent, la référence à l'article L. 122-14-15 faite par l'article 11 est inadéquate pour définir le délit à réprimer.
C'est la raison pour laquelle j'estime que le législateur à méconnu les exigences découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et de l'article 34 de la Constitution. Cela me conduit à vous inviter à censurer dans le texte de l'article 11 de la loi les mots "ainsi que des textes réglementaires pris pour leur application".
Monsieur le Président : Je vous remercie, Monsieur le bâtonnier pour ce rapport fouillé ; j'ai des vues sur cette approche du problème.
Monsieur FAURE : N'est-il pas préférable d'écouter d'abord les partisans de la seconde thèse ?
Monsieur le Président : Je me suis fait communiquer le rapport du Doyen VEDEL sur la décision du 10 novembre 1982. Le Doyen se pose la question suivante : "est-ce que le législateur dans la définition des infractions peut faire référence à d'autres éléments que la loi ?" Il répond que oui. Voilà un élément d'information que je voulais signaler d'emblée.
Monsieur CABANNES : Ne vaut-il pas mieux vous écouter jusqu'au bout ?
Monsieur le Président donne la parole à Monsieur ROBERT qui 1'a réclamée.
Monsieur ROBERT : Je suivrai sur le fond notre rapporteur mais je ne suis pas d'accord avec le projet de décision et la variante.
La décision du 1 0 novembre 1982 exige bien une définition précise des éléments constitutifs de l'infraction. Par conséquent (se tournant vers le rapporteur), votre position n'est pas incompatible avec la position adoptée par le Conseil constitutionnel le 10 novembre 1982.
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Monsieur le Président : Je me reporterai à ce que disait le Doyen VEDEL ce jour là. "L'erreur des saisissants provient du fait qu'ils estiment qu'en prévoyant une sanction à la méconnaissance de clauses d'une convention collective, le législateur remet aux auteurs de cette convention le droit de poser des délits et les peines qui leur sont attachées.
Ceci est manifestement faux, le principe de la légalité des délits et des peines affirmé par l'article 8 de la Déclaration de 1789 impose simplement au législateur de poser lui-même les éléments constitutifs des infractions qu'il sanctionne. Cette définition doit être suffisamment claire et précise...."
La référence aux conventions collectives vise les conventions présentes et à venir mais le législateur a pour devoir de préciser les éléments constitutifs de l'infraction. Si la loi décide que le manquement à des conventions collectives doit être sanctionné, le législateur a rempli son office et si les éléments constitutifs de l'infraction sont imprécis, il appartient aux plaignants de réagir dans le cadre d'un procès. Le législateur va jusgu'aux limites de sa compétence. Ensuite dans l'hypothèse où la convention collective est nulle, où le règlement méconnaît ses principes, ce n'est en effet gue devant le juge que pourront être contestés les éléments constitutifs de l'infraction.
Par conséquent nous sommes en présence d'un système à deux étages avec, d'une part, le renvoi par le législateur à quelque chose qu'il ne connaît pas encore et, d'autre part, l'application de cette disposition par la convention collective et le règlement.
Mais nous n'avons pas été saisis de ce moyen. La situation est différente lorsque la question est soulevée par les saisissants et lorsque nous nous en saisissons nous-mêmes. Dans le premier cas, il faut arbitrer. Dans le second cas, lorsqu'il y a autosaisine, nous devons agir prudemment car nous n'arbitrons plus différentes interprétations mais nous donnons une leçon de droit constitutionnel à la majorité de l'opposition.
La politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel est la suivante : nous ne soulevons un moyen d'office que lorsque nous estimons que celui-ci méconnaît vraiment les droits fondamentaux ou l'équilibre des institutions. Sommes-nous dans cette hypothèse ? Il ne s'agit pas de dire ici qu'il faudrait pour respecter l'article 8 de la Déclaration que le législateur inscrive dans la loi le texte du règlement. Cela constituerait une révolution juridique et cela serait impraticable. Je ne pense pas non plus que nous songions à affirmer que les textes pénaux ne doivent plus recevoir une définition réglementaire. Cela constituerait une aberration en paralysant l'action du Gouvernement.
Si nous lisons attentivement ce nouvel article L. 152-1 du code du travail en oubliant l'illustration introduite par le mot "notamment", le texte satisfait aux exigences qui définissent les
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infractions. Nous savons tous en effet ce que sont les fonctions de conseiller du salarié, ce qu'est l'atteinte à l'exercice régulier de telles fonctions et ce que recouvre l'expression "Quiconque aura porté ou tenté de porter atteinte...". Personne ne songerait à dire que le législateur a utilisé des termes trop vagues. C'est un délit d'entrave classique. Ce qui vous retient en fait ce n'est pas tant ce "notamment" que la référence à des textes réglementaires pris pour leur application. Nous pouvons suivre Monsieur MOLLET-VIEVILLE avec la variante qu'il nous propose mais nous donnons une leçon au législateur. Une fois encore la référence à des textes réglementaires pris pour l'application des articles législatifs qui sont cités n'exerce aucune influence sur les éléments constitutifs de l'infraction. Faut-il taper sur les doigts du Parlement en allant chercher un problème qui ne change rien à la répression ? Je n'en vois pas l'utilité. Cela me paraît inopportun, inutile et vexatoire. Ne perdons pas de vue que nous entretenons des rapports difficiles avec le Parlement qui est notre fournisseur et notre client. On nous a comparé à une troisième chambre. Devons-nous ajuster notre microscope à ce point là ? Je n'en suis pas partisan mais je suivrais Monsieur MOLLET-VIEVILLE si le moyen était soulevé.
Je propose dans ces conditions au Conseil d'oublier cet article 11 car vous allez au-delà de sa politique jurisprudentielle habituelle. Nous ne sommes pas là en effet pour jouer le rôle du pion à l'égard du législateur. Nous sommes une institution qui fait partie d'un ensemble. Nous ne devons pas donner de leçons inutiles. Nous sommes les défenseurs des libertés fondamentales et des équilibres institutionnels essentiels.
J'admire la virtuosité juridique mais je m'interroge sur sa place ici. Le Conseil constitutionnel est soumis à des impératifs de prudence, doit faire preuve, je dirais même, de courtoisie. Je ne critique pas cette démarche d'un point de vue juridique encore une fois mais je n'en vois pas l'opportunité. Cela amènera en effet le Conseil constitutionnel à examiner tous les textes au microscope.
Nous avons connu une époque de prospérité mais maintenant je sens poindre des critiques à notre égard dans la doctrine.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Je ne méconnais pas vos observations. Finalement votre postulat est le suivant : nous ne sommes pas saisis du moyen donc nous devons être prudents car nous ne pouvons frapper sur les doigts du législateur avec notre règle.
Je voudrais cependant revenir à l'article 11. Vous vous êtes attaché à dire que c'est le mot "notamment" qui vous heurte. Mais moi, ce qui me choque, ce sont les mots : "textes réglementaires pris pour leur application". Cela signifie qu'en recourant à un texte réglementaire pris pour l'application de cette loi, on va donner la possibilité au règlement d'instituer des peines privatives de liberté. Nous ne savons pas ce que ce texte réglementaire adoptera comme peine.
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Mais compte-tenu du fait que nous engageons l'avenir, si on laisse passer ce texte, soyons logiques, abandonnons le considérant balai. Avec ce considérant-balai dont je déplore l'existence, nous donnons un label de conformité à la loi ; si nous devons être plus que prudents, ne pas prendre de décision inopportune, supprimons alors le considérant-balai puisque si le moyen avait été soulevé nous aurions censuré. Ou nous censurons ou nous ne mettons pas un considérant-balai, qui va à l'encontre des raisons que vous avez invoquées.
Monsieur LATSCHA : Je suis assez proche de Monsieur MOLLET-VIEVILLE et ai été tenté de le suivre sur le terrain de la censure ayant cependant une hésitation sur la saisine d'office. Toutefois, en analysant le texte de l'article L. 152-1 du code du travail, on est conduit à penser que la définition des infractions est contenue dans les deux premières lignes de cet article et que le "notamment" est subsidiaire. C'est la raison pour laquelle en fin de compte je partage l'opinion du Président sur le caractère illustratif des dispositions citées.
Monsieur CABANNES : Nous sommes dans l'ambiguïté. Si nous déclarons cette loi conforme à la Constitution, nous créons un précédent. Dans l'autre hypothèse, nous risquons effectivement d'aller un peu au-delà de notre jurisprudence.
Monsieur FABRE : L'article 34 de la Constitution ne dit pas que la loi doit comprendre tous les éléments constitutifs de l'infraction et nombreuses sont les lois qui renvoient leur application à un décret simple ou à un décret en Conseil d'Etat.
J'ajoute qu'il y a une semaine j'ai soulevé un moyen qui n'a pas été retenu finalement par le Conseil(1). Il faut accepter la prise de position du Conseil.
Enfin, par rapport aux événements actuels, vous conviendrez que la décision que nous prendrons est quelque peu dérisoire.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Il s'agit d'une question fort importante. Il y a d'abord le problème du moyen soulevé d'office. Je suis d'avis de ne pas être plus royaliste que le roi. Je vous rappelle que fin décembre lors de la discussion de la décision relative à la loi de finances pour 1991, j'avais proposé de ne pas soulever d'office la question du caractère confiscatoire du pourcentage du revenu disponible constitué par le cumul de l'impôt de solidarité sur la fortune et de l'impôt sur le revenu.
Il y a ensuite la question de l'opportunité de ce soulèvement d'office.
(1) Cf. séance du 8 janvier 1991 (art 1er de la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme).
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Je rejoindrai Monsieur LATSCHA. La loi définit l'objet des sanctions, c'est-à-dire l'atteinte ou la tentation d'atteinte à l'exercice régulier des fonctions de conseiller du salarié. Je déteste personnellement le mot "notamment", suivant en cela l'enseignement du Président Georges PERNOD. Je crois qu'il faut considérer ce mot comme un exemple, une simple adjonction. Par conséquent je suis d'avis de ne pas censurer les dispositions de l'article 11 proposées par notre rapporteur mais de rédiger de telle sorte notre décision que l'on montre que nous n'avons répondu qu'à la saisine.
Monsieur le Président : Vous offrez la même alternative que le Bâtonnier MOLLET-VIEVILLE en suggérant en fait de modifier la présentation traditionnelle de nos décisions.
Monsieur FAURE : Je suis sensible à vos arguments sur l'opportunité d'un soulèvement d'office. Il ne faut pas en effet exagérer mais nous n'avons pas les moyens de nous contenter de dire que nous rejetons la saisine sans être obligé de déclarer conforme à la Constitution la totalité de la loi.
(S'adressant au Président). S'il y avait eu saisine, vous auriez censuré...
Monsieur le Président : J'aurais suivi la variante.
Monsieur FAURE : Dans ces conditions, vous êtes d'accord avec la fin de la variante. Je veux bien que l'on mette le mouchoir sur ces dispositions de l'article 11 mais je suis gêné pour déclarer l'ensemble de la loi conforme à la Constitution.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Je tiens à faire observer que les décisions du 10 novembre 1982 et du 25 juillet 1984 ont débouché sur des déclarations de conformité à la Constitution.
Là, en l'espèce, nous ne sommes pas tenus de mettre de considérant-balai et nous pourrions dire seulement dans l'article 1er du dispositif que les dispositions contestées ne sont pas contraires à la Constitution.
Monsieur le Président : Monsieur le Secrétaire général ou Monsieur PAOLI peuvent nous indiquer quelle a été la pratique du Conseil sur ce point.
Monsieur le Secrétaire général : La réflexion sur cette question est marquée par deux écoles. Ceux qui sont attachés au texte de la Constitution parlent de conformité ou de non conformité ; ceux qui s'inspirent de la rédaction de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil préfèrent employer les termes de contrariété et de non contrariété de la loi à la Constitution.
Il a été également soutenu que la formule "la loi n'est pas contraire à la Constitution" vise à traduire un assentiment du
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bout des lèvres de la part des membres du Conseil. Ce fut le cas pour une décision des 25 et 26 juin 1986.
Le problème de la terminologie la plus adéquate a été débattu en particulier le 22 décembre 1986 au sein du Conseil, à l'occasion de l'examen d'une loi organique sur le maintien en activité des magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation et d'une loi relative à la limite d'âge et aux modalités de recrutement de certains fonctionnaires civils de l'Etat, au rapport de Monsieur LECOURT.
Dans la mesure où les lois organiques font l'objet d'un contrôle de conformité obligatoire à la Constitution en vertu des dispositions constitutionnelles, le Conseil s'est référé à une exigence de conformité à propos de la loi organique sur les magistrats.
Pour la loi ordinaire examinée le même jour, il a indiqué qu'elle n'était pas contraire à la Constitution.
Quant aux questions touchant à l'étendue de la saisine et à la motivation du considérant-balai, elles ont été fréquemment discutées.
Je pense aux délibérés des 24 juillet 1987, 19 janvier 1988 et 12 janvier 1989.
Pour le Doyen VEDEL, la Constitution ne laissait pas le choix au Conseil constitutionnel qui était astreint à exercer un contrôle total de la loi déférée, qu'elle soit organique ou ordinaire. Pour les lois organiques, le contrôle intégral est impliqué par le premier alinéa de l'article 61 . Le deuxième alinéa, applicable aux lois ordinaires, se réfère au précédent : "Aux mêmes fins, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel...".
A la suite de l'examen effectué par le Conseil, la loi est susceptible ou non d'être promulguée.
Dans cette optigue, défendue par le Doyen VEDEL, le Conseil doit nécessairement prendre position.
Cette approche se heurte cependant à des difficultés d'ordre pratique pour les textes longs et hétérogènes. Le Conseil a pu tourner le problème en censurant un ou plusieurs articles et en observant le silence sur les autres dispositions du texte soumis à son examen. En dépit de la prudence observée par le Conseil, la formule de promulgation des lois est restée inchangée : le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution. Fort heureusement, depuis mars 1990, le décret sur la promulgation des lois a été modifié. Pour les lois ordinaires, il est simplement mentionné "Vu la décision du Conseil constitutionnel n°... en date du... ".
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Le Conseil reste cependant gêné dans l'hypothèse où il ne procède à aucune censure tout en ayant des doutes sur la constitutionnalité d'une disposition non expressément contestée. Il lui est difficile en pareil cas d'éluder le problème. Faute d'autre solution, il déclare la loi non contraire à la Constitution.
J'ajoute que dans l'esprit du Doyen VEDEL cette formulation permettait la promulgation dans l'immédiat du texte, mais sans faire obstacle à sa remise en cause ultérieure. Il estimait que la décision de non contrariété débouchait sur une simple immunité de procédure et non sur une immunité de fond. Il avait esquissé cette distinction lors d'une rencontre avec des juristes italiens en octobre 1987 et il a regretté de ne pas avoir été rapporteur d'une affaire lui permettant de mettre en pratique cette théorie.
Monsieur MAYER : Par principe, je suis hostile à l'autosaisine nonobstant le rappel malicieux de notre Secrétaire général dont j'ai failli être la victime(1).
Je disais, lors de notre dernière séance, que j'étais hostile à cette démarche et lorsque je me suis interrogé sur l'existence de précédents, Monsieur le Secrétaire général m'a fait observer qu'il y avait une décision du 22 janvier 1990 à mon rapport.
Monsieur le Secrétaire général : "Notamment" celle-ci (sourires).
Monsieur MAYER : Il serait normal de renoncer à l'autosaisine et, pour éviter tout retour en arrière, il faudrait se mettre d'accord entre nous pour abandonner "l'article-balai".
Monsieur ROBERT : (S'adressant au Président). Je comprends très bien votre raisonnement. Nous ne sommes pas des pions effectivement et nous devons veiller à conférer une certaine cohérence à notre politique jurisprudentielle.
Mais je voudrais me placer sur un terrain juridique en revenant au moyen soulevé d'office. Le problème est de savoir si l'on a ou non un bon argument pour censurer. S'il est bon, ce qui est le cas puisque vous suivriez le raisonnement de notre rapporteur si nous avions été saisis, nous devrions aller jusqu'au bout. Autrement nous sommes à la remorque des saisissants alors que nous sommes assez grands pour nous prononcer nous-mêmes.
Nous ne censurons pas tout l'article 11 mais nous censurons simplement une expression. Cependant, si l'on peut trouver une formule proche de celle qu'a suggérée Monsieur MAYER, je m'y rallierai bien qu'elle soit quelque peu hypocrite.
(1) Cf. délibéré du 8 janvier 1991.
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Monsieur FABRE : Il suffirait de s'arrêter en haut de la page 9 en se prononçant sur la saisine, si nous ne retenions pas la proposition de notre rapporteur.
Monsieur le Président : Je tiens à préciser que si nous ne mentionnons pas 1 ' article 11 nous ne créons pas de précédent puisque le silence n'est pas un précédent.
Si nous censurons, nous enlevons un élément qui n'est pas indispensable et cela ne changera pas grand chose à la portée de notre décision. Mais nous aurons attiré l'attention du législateur sur la question.
Si nous gardons le silence, on nous dira gue l'on a livré toutes les possibilités de définition des infractions au pouvoir réglementaire.
Ce que je souhaiterais, c'est affirmer une certaine cohérence en matière d'autosaisine. Il y a huit jours notre attention a été altérée par Monsieur FABRE sur l'indice des prix(1). En fait, nous avons tenu le raisonnement suivant : "De minimis non curât praetor". Auparavant, le problème s'est posé à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 1991, à propos du caractère confiscatoire du cumul de l'impôt sur le revenu et de l'impôt de solidarité sur la fortune(2) et le problème était autrement plus important. Nous avons écarté la possibilité de soulever le moyen d'office en l'espèce parce que cela nous est apparu gênant.
Nous avons témoigné d'une certaine cohérence. Nous serons toujours impitoyables lorsqu'il s'agira d'examiner au microscope les libertés, les droits fondamentaux, l'équilibre institutionnel.
C'est une question de cohérence de la politique jurisprudentielle de notre institution. Mais est-ce un texte qui touche aux droits du citoyen ? Si l'on estime que oui, je me rallierai à la variante et nous ne modifierons pas le dispositif.
Monsieur MAYER : Pas cette fois-ci.
Monsieur le Président : Je vous propose de voter sur ma proposition qui consiste à ne pas parler de l'article 11. Dans le cas contraire, nous nous replierons sur la variante.
Monsieur CABANNES : Comment sera rédigé 1'article 1er?
Monsieur le Président : La loi n'est pas contraire à la Constitution.
(1 ) Cf. compte-rendu de la séance du 8 janvier 1991.
(2) Cf. compte-rendu de la séance du 28 décembre 1990, p. 31
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Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Il n'y aurait plus de considérant-balai ? L'absence de considérant-balai peut influencer le vote.
Monsieur le Président : Disons à l'article 1er que la loi n'est pas contraire à la Constitution.
Monsieur CABANNES ; ... est conforme à la Constitution.
Monsieur LATSCHA : Dans le dispositif de la décision sur la loi de finances pour 1988, après avoir déclaré un article contraire à la Constitution, le Conseil ne s'est pas prononcé sur le reste de la loi de finances. La question est de savoir si l'on parle maintenant du dispositif ou du considérant-balai.
Monsieur le Président : Revenons au projet de décision après le haut de la page 9.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Je crois qu'il vaudrait mieux ne pas scinder les deux votes car la question du considérant-balai et celle de la rédaction du dispositif forment un tout.
Je rejoins Monsieur FABRE pour penser que la première phrase de la page 9 constitue notre conclusion. Nous abandonnerions la variante et introduirions le considérant-balai : "Considérant qu'il n'y a pas lieu de soulever d'office etc..." et le dispositif serait ainsi rédigé : "- article 1er.- La loi n'est pas contraire... ; - article 2 : La loi sera publiée.,.".
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : J'ai noté une différence de rédaction à la lecture du considérant-balai entre la décision du 10 novembre 1982 et celle du 25 juillet 1984. La première dit "Considérant qu'en l'espèce" et la seconde "Considérant qu'en l'état". Je préfère pour ma part l’expression "Considérant qu'en 1'état".
Monsieur le Président : On ne peut revenir sur la rédaction "Considérant qu'en l'espèce...".
Monsieur le Secrétaire général : La formule "Considérant qu'en l'état" a été introduite dans une décision du 30 décembre 1970 (n° 70-41 DC) sur la suggestion de Monsieur le Conseiller DUBOIS. Elle a disparue ensuite et a pu réapparaître mais l'exemple cité par Monsieur le Bâtonnier constitue une exception.
Monsieur FAURE : Pourquoi ne supprimerait-on pas le considérant-balai ?
Monsieur le Président : Je suis tout à fait d'accord pour le faire. Supprimons ce considérant.
Monsieur CABANNES : On fait un progrès. L'ordonnance organique emploie indifféremment le mot "contrariété" et le mot "conformité" ; nous employerions le mot "conformité" uniquement
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lorsque nous aurions exercé un contrôle total et cela correspondrait à notre politique jurisprudentielle.
Monsieur le Président : Supprimons toute référence à 1'article 11, le considérant-balai et disons que la loi n'est pas contraire à la Constitution.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE lit le premier considérant de la page 9.
Cette rédaction du projet de décision est adoptée à l'unanimité.
La séance est levée à 13 h 15.
La séance est reprise à 14 h 50. Tous les membres sont présents.
Monsieur le Président : bien, Monsieur LATSCHA, allons-y...Nous ferons une pause à 1'heure du thé.
Monsieur LATSCHA : Monsieur le Président, mes chers collègues, je crains, en vous présentant ce rapport sur la loi relative à la santé publique et aux assurances sociales, d'être quelque peu monotone... Avant de commencer, je voudrais remercier le secrétariat général et le service juridique pour leur participation à l'examen d'un dossier long et difficile à exposer, ne serait-ce qu'à cause de la variété de l'argumentation des députés et sénateurs saisissants, qui vise 17 des 47 articles de la loi. Mes remerciements sont d'autant plus vifs que je sais quelle fût leur charge de travail au cours de ces dernières semaines, et la brièveté des délais dans lesquels ils ont été enserrés.
L'an passé, le Gouvernement, conformément aux bonnes intentions affichées par l'un de ses conseillers (M. Carcassonne, pour ne pas le nommer), avait fait voter par le Parlement, au lieu du traditionnel D.D.O.S "fourre-tout social" de fin d'année, un projet plus "ciblé", ne comportant que des dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé. Dans notre décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990 sur la loi correspondante, nous n'avions pas été amenés à censurer le moindre "cavalier législatif"...
Cette année, les choses se présentaient également sous de bons auspices : hormis trois "dispositions diverses" seulement (sur 21 articles au total), c'est un projet de loi relatif à la santé publique et aux assurances sociales qui a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale...
Hélas, les vieilles tentations l'ont cette fois emporté sur les bonnes résolutions : en dernière lecture surtout, le Gouvernement a porté, par voie d'amendement, de 3 à 15 ces "dispositions diverses", introduisant dans le projet plusieurs articles n'ayant
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pas de rapport avec lui. C'est par l'examen de ces "cavaliers législatifs" que je commencerai mon exposé.
J'aborderai ensuite les critiques de fond développées par les saisissants qui touchent quatre articles.
I. LES CAVALIERS LEGISLATIFS :
Je commence donc par l'examen des dispositions de la loi qui ont été insérées par voie d'amendements apportés au projet, alors qu'elles étaient dénuées de tout lien avec ce dernier, et qui tombent par conséquent sous le coup de notre jurisprudence f I ■ Il
seguin .
Je vous rappelle que cette jurisprudence exige que, pour être admissible, un amendement, quel que soit le stade de la procédure législative auquel il est présenté, d'une part ne doit pas être dépourvu de tout lien avec le texte en discussion, d'autre part ne doit pas, par son ampleur et sa portée, dépasser les limites inhérentes au droit d'amendement.
A propos de la deuxième exigence, le Conseil constitutionnel fait montre d'une certaine prudence : c'est ainsi que, le 25 juillet 1990(*), nous n'avons pas censuré sur ce terrain l'importante taxe départementale sur le revenu. En revanche, nous censurons plus volontiers sur le terrain de l'absence de lien : par exemple, le même jour, pour les unités touristiques nouvelles en zone de montagne(**).
Aujourd'hui les saisissants stigmatisent, de ce point de vue, 13 articles au total (les députés en visent 12, les sénateurs 5, dont 4 se retrouvent dans les 12 des députés).
Avant de les examiner successivement, je voudrais faire la remarque préalable suivante. Le titre de la loi ne vise donc que la santé publique et les assurances sociales. Comme nous allons le voir, plusieurs des amendements critiqués ne peuvent être rattachés à aucune de ces deux notions. Mais, parmi eux, certains sont, tout du moins, d'ordre social ou d'inspiration sociale. On pourrait avoir la tentation de les admettre, en raisonnant comme si nous étions en présence d'un D.D.O.S., et en nous bornant à censurer les dispositions qui n'ont pas du tout de caractère social. Ce n'est pas la solution que je vous propose. Je crois qu'il faut suivre le Gouvernement sur le terrain qu'il a choisi, quitte à refermer sur lui son propre piège. Il ne serait pas de bonne pédagogie de lui permettre de faire ainsi des efforts en trompe-1'oeil, aussitôt relâchés.
(*) C.C. n° 90-277 DC, 25 juillet 1990, cons. 2 à 6
(**) ib. cons 23 et 24
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Si vous adoptez cette façon de voir, nous serons amenés, à mon sens, à donner satisfaction aux demandeurs pour 5 articles sur les 13 contestés.
1. Je dirai d'abord un mot des huit articles pour lesquels il faut rejeter les saisines. "Un mot" parce que, sauf peut être pour l'un d'entre eux, l'argumentation des députés (auxquels les sénateurs, encore une fois plus sérieux, n'ont pas ici mêlé leurs voix) ne mérite pas, tant elle est désinvolte, davantage.
D'après eux, les articles 26 à 32 et 35 de la loi concerneraient la fonction publique et n'auraient pas de rapport avec la santé publique, ni les assurances sociales.
On peut avoir un doute - mais léger - pour l'article 26. Il a pour objet de proroger (pour la sixième fois en huit ans) le dispositif de cessation progressive d'activité des fonctionnaires de l'Etat et des collectivités locales (et de leurs établissements publics à caractère administratif) institué par des ordonnances du 31 mars 1982. Les agents concernés ont la possibilité d'exercer une activité à mi-temps, en percevant un revenu égal à 80 % de leur rémunération d'activité complète. Mais l'accès à ce régime (de pré-retraite, en quelque sorte) est subordonné au fait d'avoir 55 ans au moins sans réunir les conditions requises pour obtenir une pension à jouissance immédiate et l'intéressé en perd le bénéfice aussitôt que ces conditions sont réunies. On ne peut donc parler de dispositions n'ayant aucun lien avec les assurances sociales. Il ne faut donc pas censurer, selon moi, cet article 26.
Je n'ai, en revanche, aucune hésitation pour les articles 27 à 32 et 35.
- L'article 27 a pour objet d'accorder une bonification indiciaire en faveur d'emplois de la fonction publique comportant une responsabilité ou une technicité particulière : le corps même de l'article organise l'inclusion de cette bonification dans la base servant au calcul de la pension de retraite.
_ L'article 28 pose le principe d'une remise forfaitaire (qui sera de 42 francs par mois) sur les cotisations de retraite, pour 1'ensemble des régimes de base d'assurance vieillesse (c'est l'une des contre-parties annoncées de la CSG). Le lien avec les assurances sociales est évident.
- L'article 29 organise le retour au paritarisme au sein du conseil d'administration de l'union des caisses nationales de sécurité sociale (UCANSS). Même conclusion.
- L'article 30 porte revalorisation des retraites au 1er juillet 1991. Nous sommes pleinement dans les assurances sociales.
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- Les articles 31 et 32 fixent la date d'entrée en vigueur de dispositions précédentes (articles 19 et 21 à 25) constituant la contrepartie, en matière de cotisations sociales et d¹ assurance-vieillesse notamment, de la CSG. Pas de censure, par conséquent.
Monsieur le Président : la discussion est ouverte sur ces différents points. S'il y a des intervenants, qu'il se fassent connaître... Non ? Alors, poursuivez, je vous prie. On lira en bloc la partie du projet relative aux "cavaliers".
Monsieur LATSCHA : reste l'article 35, qui est relatif au remboursement de la formation rémunérée suivie par un agent de la fonction publique hospitalière, en cas de changement, par l'intéressé, de l'établissement où il accomplit son engagement de servir. Mais il figurait dans le projet de loi initial du Gouvernement : il n'est donc pas susceptible d'être critiqué sur le terrain des amendements abusifs.
2. J'en viens à présent aux articles dont j'estime qu'ils constituent, en revanche, des cavaliers législatifs, malgré les efforts parfois "pyrotechniques" déployés par le Gouvernement pour nous persuader du contraire. Il s'agit des articles 37, 38, 41, 42 et 47.
- L'article 37 touche à l'utilisation des titres- restaurants . Il s'agit, d'une part, de ne plus faire référence aux conditions de prix des repas offerts par les restaurants où les titres sont utilisables ; et, d'autre part, de permettre cette utilisation pendant une année, et non plus seulement pendant un trimestre. On peut considérer que cette matière des titres-restaurants revêt un caractère social. Mais on ne peut la "raccrocher" ni à la santé publique, ni aux assurances sociales, même si le Gouvernement a fait valoir qu'il s'agissait de vider un litige existant, sur ce point, entre les URSSAF et les employeurs.
- L'article 38 pose des règles de recrutement des enseignants des écoles d'architecture dérogatoires au statut général des fonctionnaires. On pourra désormais recruter des "personnalités" ne possédant pas la qualité de fonctionnaire ou n'ayant pas la nationalité française. Je ne vois pas de rapport possible avec la santé publique ou les assurances sociales. Et il ne suffit pas que, comme l'avance le Gouvernement, le projet de loi ait initialement comporté d'autres articles relatifs à la fonction publique, hospitalière.
- l'article 41 est relatif au versement destiné au financement des transports en commun, institué par la loi du 11 juillet 1973. Il est quasiment illisible, car il apporte toute une série de modifications très courtes à des textes existants.
Cet impôt, assis sur les salaires, est acquitté, au profit des communes ou de leurs groupements (ou du Syndicat des
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transports parisiens, s'agissant de 1'Ile-de-France) par toute personne, physique ou morale, publique ou privée - sauf exceptions -, exerçant une activité de caractère social et employant plus de 9 salariés, pour le financement de dépenses touchant les transports publics.
L'article 41 a pour objet de modifier l'assiette de ce versement (Ile-de-France comprise) et d'abaisser les taux maximum susceptibles d'être votés par les communes ou leurs groupements hors Ile-de-France.
On peut certes relever :
. que les personnes redevables ont une activité de caractère social ;
. que la modification de l'assiette envisagée consiste à supprimer le plafond de la sécurité sociale qui aujourd'hui limite le montant des salaires retenus pour constituer cette assiette ;
. enfin, que le recouvrement se fait par versement des redevables aux URSSAF, lesquelles reversent le produit aux bénéficiaires finaux.
Mais je crois qu'aucune de ces trois considérations, ni leur cumul, ne suffit à faire échapper l'article en cause à notre censure. Nous sommes en présence d'un impôt qui, même si son régime emprunte certains de ses aspects aux techniques de la sécurité sociale, n'est modifié ici que dans ses aspects purement fiscaux et a pour finalité de contribuer au développement des transports en commun, ce qui ne relève ni de la santé publique, ni des assurances sociales. J'ajoute que le Parlement est saisi d'un projet de loi relatif à l'administration territoriale de la République, dont l'article 61 reprend cette question du versement-transports.
Monsieur le Président : que ceux qui souhaitent intervenir sur tel ou tel point, le fassent. Je ne le répéterai pas après chaque article, qu'ils le fassent motu proprio
Monsieur LATSCHA : l'article 42 rétablit le droit au maintien dans les lieux des associations et syndicats professionnels, qu'avait posé la loi du 1er septembre 1948 relative aux rapports des bailleurs et locataires et qu'avait supprimé une loi du 23 décembre 1986. C'est, d'après moi, un cavalier législatif évident. Nous avons souri quand le Gouvernement, pour justifier cet amendement, nous a expliqué qu'ainsi assurés de leur logement, les syndicats pourraient mieux jouer leur rôle dans la gestion paritaire des assurances sociales 1
- l'article 47 est relatif à la fonction publique territoriale : il pose le principe que les fonctionnaires territoriaux qui exercent des fonctions équivalentes à celles des
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fonctionnaires de l'Etat, bénéficient de rémunérations au maximum identiques. Sauf à prendre en considération l'impact nécessaire des rémunérations sur les pensions de retraite, je ne vois pas, là non plus, de lien avec l'objet de la loi. Le Gouvernement s'est borné à reprendre son argument relatif au contenu initial du projet.
Si vous me suivez sur tous ces points, il en résulterait la non- conformité à la Constitution, pour adoption selon une procédure législative irrégulière, des cinq articles 37, 38, 41, 42 et 47 de la loi déférée.
En vérité, je me suis interrogé sur l'opportunité d'en ajouter un sixième, l'article 39. Il a pour objet de proroger pour les rapatriés, dans certaines hypothèses, la mesure de suspension des poursuites prévue par la loi du 31 décembre 1989 relative aux difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, j'ai un peu hésité, puis j'ai renoncé. Il ne s'agit que d'une prorogation de date, dans un domaine éminemment social. Je ne vous propose donc pas de le soulever d'office, au nom de la marge d'opportunité que se réserve le Conseil en la matière.
Monsieur le Président : Messieurs, sur ces "cavaliers législatifs" ?
Monsieur MAYER : je ne suis pas convaincu que ce soit le moment de faire cette observation. Mais ne serait-il pas bon d'alerter les pouvoirs publics, par une lettre au Premier ministre, au Président de l'Assemblée nationale, sur la nocivité de ces lois "fourre-tout" de fin d'année ?
Monsieur le Président : chaque année le Secrétaire général fait la remarque au Secrétaire général du Gouvernement qui transmet à Matignon. . . Je ne suis pas pour une lettre, cela fait réprimande... J'en parlerai au Premier ministre lorsque j'aurai l'occasion de le rencontrer... C'est du très mauvais travail législatif.. . (*)
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : il y a deux sortes de cavaliers, ceux venant du Gouvernement et ceux issus des parlementaires. C'est ennuyeux quand il s'agit du Gouvernement lui-même. Il en est ainsi, quels que soient les gouvernements, depuis vingt ans... On pourrait décider d'une lettre du Secrétaire général au Secrétaire général du Gouvernement, pour rappeler notre position et inviter le Gouvernement à la modération...
(*) Postérieurement à la séance le Secrétaire général a fait part verbalement de la position du Conseil à Mme Puybasset, Directeur au Secrétariat général ainsi qu'à M. Guy Carcassonne, conseiller au cabinet du Premier ministre pour les relations avec le Parlement. Ses interlocuteurs se sont déclarés personnellement convaincus de la pertinence de la position adoptée par le Conseil constitutionnel.
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Monsieur LATSCHA : Monsieur Carcassonne avait affiché de belles intentions... Il y a eu un effort, puis ça a explosé de partout par la suite...
Monsieur le Président : je crois qu'il faut simplement saisir l'occasion de conversation que nous aurons les uns et les autres, pour en parler. Mais, encore une fois, je ne suis pas partisan d'une lettre de méthodologie.
Monsieur FAURE : j'ai été moi-même, dans ma carrière, coupables de quelques uns de ces cavaliers. Je ne vois pas de différences selon leur origine.
Pour le Gouvernement, il s'agit, dans la plupart des cas, d'obtenir, au Sénat ou à 1'Asssemblée, une majorité pour voter sur l'ensemble. La question est de savoir s'il faut maintenir notre rigueur passée ou pas. Il y a la possibilité d'estimer que les dispositions en cause sont bonnes en soi, même si elles sont sans lien... le problème est là.
Monsieur LATSCHA : les propositions que je vous fais sont dans la droite ligne de notre jurisprudence.
Monsieur le Président : il ne faut pas modifier quoi que soit dans notre approche ; que le Gouvernement, lui, modifie sa politique !
Monsieur LATSCHA lit la partie du projet relative à la procédure législative.
Monsieur ROBERT (l'interrompant après la lecture du considérant de principe, p. 4) : faut-il mettre "qui relève d'une procédure spécifique" ?
Monsieur le Président : il faut le laisser. C'est cela qui a motivé la position du Conseil. Il ne faut rien changer à ce considérant dont tous les mots ont été, en leur temps, pesés longuement(*).
Monsieur LATSCHA reprend la lecture du projet, jusqu'à la fin de ce qui touche la procédure (p. 7).
Monsieur le Président : on vote là dessus. (Unanimité des membres du Conseil à adopter cette partie du projet). D'accord. On passe donc au fond.
Monsieur LATSCHA : au fond, je vous l'ai dit, quatre articles sont visés. Ces dispositions sont touffues et les saisines compliquées : je vais être un peu long. J'examinerai les choses dans 1'ordre suivant :
(*) Cf. la décision n° 88-251 DC du 12 janvier 1989.
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- s'agissant du titre I de la loi, relatif à la santé publique, les députés contestent le III de l'article 10, qui touche aux études de médecine (II) ;
- s'agissant du titre II, consacré aux assurances sociales, députés et sénateurs ont présentés des argumentations (qui se recoupent) contre les articles 15 et 16 de la loi, relatifs au conventionnement de certains établissements de santé (III) ;
- enfin, les députés seuls incriminent le fond de l'un des articles regroupés par le titre III, en "dispositions diverses" : l’article 40, portant réforme de la contribution des entreprises de préparation de médicaments (IV) .
II - L'article 10-III
Le III de l'article 10 de la loi déférée a pour objet d'ajouter deux phrases à l'article 15 de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur, dite "loi Savary".
Cet article 15, après un article 14 relatif au premier cycle des études supérieures, dit quelles sont les finalités du deuxième cycle, puis pose le principe qu'on y accède normalement, sauf dérogation, une fois qu'on est titulaire de l'un des diplômes sanctionnant les études de premier cycle.
Les dispositions critiquées prévoient que des étudiants n'ayant pas effectué le premier cycle des études médicales, odontologiques ou pharmaceutiques pourront être admis directement dans le deuxième cycle de ces études. Leur nombre et les modalités de leur admission seront fixés par arrêté du ministre de l'éducation nationale et du ministre de la santé.
Ce qui frappe, à la lecture de cet article, c'est son caractère imprécis : des "étudiants" (mais de quel niveau, dans quelle spécialité ?) pourront ainsi bénéficier d'une équivalence, c'est tout ce que dit la loi ; pour le reste (le nombre, les modalités d'admission), tout est renvoyé au pouvoir réglementaire. Dans ces conditions, il est légitime de se demander si le législateur, à qui il appartient, en vertu de l'article 34 de la Constitution, de "déterminer les principes fondamentaux ... de l'enseignement", n'est pas resté en deçà de sa compétence.
Tel n'est cependant pas le terrain de critique choisi par les députés saisissants. Selon eux, le fait de laisser accéder à des professions médicales des personnes qui n'ont pas suivi le processus complet de formation, représenterait un danger certain pour la qualité de notre médecine et pour la santé de nos concitoyens ; le Préambule de la Constitution de 1946, en ce qu'il dispose que "la Nation ... garantit à tous la protection de la santé" serait, par suite, violé.
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Ce moyen ne m'a pas convaincu. Le premier cycle des études médicales est de deux ans et a surtout pour but d'assurer une formation scientifique générale, sans comporter aucune discipline clinigue. Au-delà, les études médicales se poursuivent fort longuement, au travers d'un deuxième cycle de guatre ans, puis d'un troisième cycle ... Franchement, je n'ai pas vu gue la santé publique de ce pays était menacée par cette diposition se bornant à établir une "passerelle" entre divers types d'études universitaires, comme cela se fait déjà dans un certain nombre de cas.
D'autant plus que l'intention du gouvernement, telle qu'elle est apparue au cours des travaux parlementaires, est de nature à apaiser les craintes qu'on pourrait avoir. De quoi s'agit-il ? De donner cette équivalence à deux catégories de personnes : d'une part, une poignée (15/20) d'étudiants de haut niveau, par exemple issus de grandes écoles scientifiques ; d'autre part, à ceux qui se seraient engagés assez avant dans l'une des trois branches constituées par la médecine, la chirurgie dentaire ou la pharmacie, et souhaiteraient en changer pour l'une des deux autres : par exemple un étudiant en odontologie voulant se reconvertir pour devenir stomatologue, n'aurait plus à tout recommencer depuis la première année de médecine, comme c'est le cas aujourd'hui, et accéderait directement au deuxième cycle. Il n'y a évidemment là rien de choquant.
Il n'empêche que le caractère imprécis du texte demeure. Le gouvernement, lorsque nous avons rencontré ses représentants, nous a expliqué qu'il fallait le lire à la lumière d'autres dispositions de la loi Savary et notamment ses articles 5 et 1 4 : le premier, en son alinéa 4, admet le principe des équivalences, dans des conditions fixées par décret, dans l'enseignement supérieur ; le second, en son alinéa 4 in fine, pose la règle d'un "numerus clausus" en ce qui concerne les études de médecine et assimilées.
L'objet des dispositions litigieuses serait ainsi seulement, nous a-t-on dit, de prévoir que, malgré ce "numerus clausus", des accès latéraux aux études de médecine demeuraient possibles.
Le législateur, cohérent avec lui-même, s'en serait tenu à édicter un troisième principe fondamental. Dans l'article 5, il a posé celui de la liberté d'accès aux différents niveaux de l'enseignement supérieur pour peu gue l'on soit titulaire de certains diplômes sous la réserve de certaines équivalences. Dans l'article 14, il a posé celui - d'inspiration contraire - instituant un numerus clausus pour les études de médecine. Aujourd'hui, il poserait seulement le principe que, pour ces dernières, malgré ce numerus clausus, on peut également avoir recours à un système d'équivalences. La loi déférée n'aurait pas eu à en dire davantage, et pouvait, comme elle le fait, renvoyer au pouvoir réglementaire pour le surplus.
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On nous a également indiqué que, dans l'arrêté interministériel en cours de préparation, il serait précisé que seul un petit nombre d'étudiants serait concerné, que leur niveau de connaissances scientifiques serait élevé, que le recrutement se ferait par concours dans le respect du numerus clausus. Les intentions du gouvernement dans cette affaire me paraissent pures.
Dans ces conditions, je vous propose de rejeter la saisine des députés sur ce point : en repoussant leur moyen relatif à la menace qui pèserait sur la santé publique ; et, pour le reste, en "neutralisant" la délégation au pouvoir réglementaire, de façon à guider ce dernier dans les grandes lignes qu'il devra suivre.
Monsieur le Président : Messieurs ?
Monsieur ROBERT : Je partage les hésitations qu'à éprouvées le rapporteur. Ce texte me paraît dangereux de deux points de vue. D'abord, en effet, eu égard à la protection de la santé publique, encore que... Mais également et surtout, au regard de l'égalité entre les étudiants. La loi Savary après la loi Faure a posé le principe de base qu'on entrait à l'université sans concours, à 1'exception de la médécine - exception évidemment motivée par le souci de la santé publique. Le numerus clausus équivaut à un véritable concours d'entrée. Or la loi déférée vient nous dire qu'on pourra contourner le numerus clausus, le concours. Et qui pourra le faire ? Peut-être le titulaire d'une capacité en droit ou d'un DEUG de sociologie ! Celui-là pourra entrer directement en deuxième cycle, et selon des modalités dont nous ne sommes pas informés. J'entends bien qu'on peut parfaitement admettre des équivalences. Mais après l'étude d'un dossier, au vu d'une expérience professionnelle qui puisse suppléer. Ca n'est pas le cas ici, on se borne à parler d'"étudiants". Quant à l'argument tiré de ce qu'au cours des deux premières années, on n'étudie pas de matière clinique, serait-ce que l'anatomie, la biologie, etc... ne seraient pas indispensables à la formation d'un médecin ? J'ai donc des doutes à deux titres : la qualité de la médecine et l'égalité avec les étudiants qui sont astreints à passer un concours... Je vois bien que vous vous êtes efforcés de faire une interprétation neutralisante : mais celle que vous proposez -les "titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur" -me paraît insuffisante...
Monsieur le Président : sur la protection de la santé, si ceux qui accèdent directement en troisième année sont incompétents, ça s'arrêtera là pour eux, ils ne pourront aller plus loin.
Monsieur CABANNES : on en colle pas !
Monsieur le Président : je ne sens pas la nécessité d'une censure sur ce point... UNe exigence d'égalité au regard du concours... Cela neme paraît pas d'essence constitutionnelle. S'il y a un problème cela se verra en cours de route...
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Monsieur LATSCHA : je voudrais vous rappeler les termes de l'article 15 de la loi Savary. (Il le relit). Monsieur ROBERT fait état de problèmes qui nous ont préoccupés... Avex notre interprétation, nous avons indéniablement ajouté à la loi...Le baccalauréat est le premier diplôme de 1'enseignement supérieur...
Monsieur ROBERT : vous apportez de l'eau à mon moulin...
Monsieur LATSCHA : la référence au "nombre", dans l'article litigieux, suppose un filtrage et un contrôle.
Monsieur ROBERT : alors, il faut le préciser dans 1'interprétation.
Monsieur LATSCHA : nous avons eu l'impression d'être allés déjà aussi loin gu'il était possible...
Monsieur le Président : il est difficile d'indiquer trop précisemment au Gouvernement la marche à suivre... Je présumeque, normalement, le ministre ne va pas permettre ça aux étudiants en sanskrit...
Monsieur FAURE : ils auraient pu le dire. C'est imprécis. C'est mal foutu.
Monsieur FABRE : mais quelle est la motivation de cette disposition ? On ne cesse de nous dire par ailleurs qu'il y a trop de médecins !
Monsieur le Président : cela vise les biologistes, les chercheurs qui voudront devenir médecins ; pas les étudiants des Beaux-arts ! Et en troisième année, il faut suivre ! Rien de tout cela ne me semble appeler une censure constitutionnelle.
Monsieur LATSCHA : je poursuis sur ce que disait Monsieur FABRE : dans d'autres dispositions de la loi il est traité de médecins- adjoints. Tout cela est en effet surprenant...
Monsieur le Président : allons lisons le projet !
Monsieur LATSCHA procède à la lecture de la partie du projet relative à l'article 10-III.
Monsieur le Président (après que Monsieur LATSCHA a terminé) : c'est là que le Conseil se substitue, en indiquant la nature des études. Là, on fait le législateur....
Monsieur le secrétaire général : si le Conseil le souhaite il pourrait être précisé qu'il devra s'agir d'études "scientifiques"...
Monsieur le Président : la condition du diplôme, c'est nous qu la rajoutons...
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Monsieur ROBERT : on peut prendre quelqu'un qui n'a rien fait et entrera directement en troisième année...
Monsieur le Président : est-ce-que les "modalités", ça comprend leur formation ? Non, c'est la procédure : par examen, concours... le texte ne dit pas : les conditions de leur formation...
Monsieur FAURE : a-t-on regarddé dans les débats parlementaires ? Il y sûrement quelqu'un qui a fait une remarque du genre : "en liaison avec la finalité des études..."
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : je voudrais faire quelques remarques. Page 8, cinquième ligne : à "procédure d'admission", je préférerais "possibilité d'être admis", possibilités "d'accès" en deuxième cycle... Ensuite, page 9, première ligne : "diplôme d'enseignement supérieur" ne me plaît guère. Nous inventons. Je dis comme Monsieur FAURE : n'y-a-t-il pas, dans les débats, une réponse du ministre, qui porrait constituer un meilleur support, nous permettre d'encadrer le contrat passé entre le ministre et le Parlement ?
Monsieur LATSCHA : a ma connaissance, ce qu'il ressort des débats parlementaires, c'est que le système est établi pour deux catégories de gens : d'une part une poignée de scientifiques de haut niveau -type centraliens ; d'autre part, pour ceux qui, engagés dans l'une des trois branches -médécine, odontogie, pharmacie- veulent changer pour l'une des deux autres.
Monsieur le Président : "titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur" paraît une véritable adjonction... Il faudrait trouver une référence à la formation antérieure... Sinon, il pourra s'agir de n'importe quel diplôme, et l'adjonction est trop précise.
Monsieur FABRE : les étudiants "aptes à cette formation"...
Monsieur FAURE : jamais personne n'ira vérifier si ce qu'on a dit est vrai ou faux... C'est "Montaigne a dit...".
Monsieur le secrétaire général, à la demande du Président, relit le considérant et propose : "dont la formation satisfera aux exigences de ces études".
Le débat se poursuit quelque peu entre les membres du Conseil sur ce point et aboutit à l'adoption de la formule : "à des étudiants, en nombre limité, dont la formation initiale aura satisfait aux exigences de ces études".
Monsieur le Président : parfait, Monsieur LATSCHA, nous poursuivon, avec les articles 15 et 16.
Monsieur LATSCHA : les articles 15 et 16 donc (III)
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L'article 15 est relatif aux conventions passées entre la sécurité sociale et - je cite - les "établissements privés de soins de toute nature, à l'exception des établissements d'hospitalisation privés à but non lucratif qui participent à l'exécution du service public hospitalier," ce qui sert à désigner, tout simplement, les cliniques privées. C'est lui qui a fait l'objet des critiques les plus nourries, des députés et des sénateurs à la fois ; c'est par lui que je commencerai.
L'article 16, quant à lui, touche aux rapports (notamment par l'entremise de conventions également) entre la sécurité sociale et ces établissements privés de cure et de prévention qu'on appelait jusqu'à présent les dispensaires et qu'on appelle désormais les "centres de santé agréés". Il n'est contesté que par les sénateurs, essentiellement par référence à l'article 15, au regard du principe d'égalité ; je l'aborderai en un second temps.
I .- L'article 15
II a pour objet de substituer sept alinéas nouveaux au 1er alinéa actuel de l'article L 162-22 du code de la sécurité sociale.
Ce premier alinéa actuel prévoit que, pour la fixation des tarifs d'hospitalisation auxquels sont soignés les assurés sociaux dans les cliniques privées ainsi que les tarifs de responsabilité des caisses, lesdites cliniques peuvent conclure avec les caisses régionales d'assurance-maladie des conventions, qui doivent être homologuées par l'autorité administrative, c'est-à-dire le Préfet de région.
L'alinéa second de l'actuel article L.162-22 (lequel n'est pas modifié) dispose qu'à défaut de convention, ou d'homologation des tarifs conventionnels, les caisses fixent directement les tarifs de responsabilité applicables à l'établissement, lesquels sont pareillement soumis à homologation.
a - En quoi consistent les modifications apportées par l'article 15 au premier alinéa ? Il y en a trois principales, qui toutes sont inspirées par le souci - avoué - de resserrer le contrôle exercé sur les établissements, dans la perspective de la maîtrise des dépenses de santé.
En premier lieu, les conventions seront désormais à durée déterminée (d'une durée de 5 ans minimum) et chaque établissement devra conclure autant de conventions qu'il y a de disciplines exercées en son sein : l'obligation de retourner à la négociation périodiquement et la faculté offerte d'un déconventionnement partiel, par discipline, vont dans ce sens, que j'indiquais, d'un contrôle plus étroit et mieux adapté.
En deuxième lieu, les critériums au vu desquels l'autorité administrative homologue ou pas les tarifs conventionnels sont désormais précisés par la loi. Le préfet de région prendra en
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considération deux choses : d'une part les caractéristiques propres à l'établissement, et notamment le volume de son activité ; d'autrepartdes éléments généraux, nationaux, touchant la prévision de l'évolution des dépenses hospitalières et la politique sociale et sanitaire de l'Etat. Jusqu'à présent l'action des préfets était guidée par de simples circulaires.
Enfin, le texte prévoit :
. une procédure de suspension ou de dénonciation des conventions par les caisses, en cas de "manquement grave" des établissements à leurs obligations ; un décret en Conseil d'Etat fixera les modalités de cette suspension ou de cette dénonciation.
. une procédure de suspension des effets de l'homologation accordée par le Préfet, dont rien ne semble dit sauf que les cas et les conditions de son application seront précisées par le décret en Conseil d'Etat en question.
b - Je l'ai dit, les saisissants ont beaucoup argumenté contre ces dispositions ; mais de manière un peu touffue. Il me semble qu'on peut classer leurs arguments suivant les quatre rubriques suivantes :
. premièrement, le législateur serait resté en deçà de sa compétence en laissant le soin au pouvoir réglementaire de fixer les cas et les conditions dans lesquels 1¹ homologation de la convention peut être suspendue par l'autorité administrative.
. deuxièmement, le fait de permettre au Préfet, dans l'exercice de son pouvoir l'homologation, de "contrôler en permanence et de fixer à l'avance" le volume d'activité d'une entreprise privée et donc son chiffre d'affaires, constituerait une atteinte à la liberté d'entreprendre conjugué au régime d'autorisation auquel sont par ailleurs soumises les cliniques, ce "plafonnement du volume d'activité" aboutirait même à une violation du droit de propriété et à une dépossession sans indemnisation d'un entrepreneur qu'on aurait dépouillé de toutes ses prérogatives essentielles.
. en troisième lieu, ce "plafonnement du volume d'activité" méconnaîtrait le principe d'égalité entre les établissements, de trois manières :
. en ce que, s'appliquant indifféremment à toutes les cliniques, il ne tiendrait pas compte de la réalité économique et sociale, qui est variable selon les spécialités et les disciplines pratiquées au sein des établissements ;
. en ce qu'il introduirait une discrimination injustifiée entre les cliniques, selon les possibilités d'extension et de diversification que leur aura accordées par ailleurs 1'autorité administrative ;
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en ce que, enfin, les préfets risqueraient d'exercer ce contrôle de l'activité de façon diverse et donc inégalitaire selon les régions. J'ajoute que d'après un article fort intéressant de Monsieur GUILLAUME, que m'a donné à lire Monsieur le secrétaire général, les tarifs sont très variables d'une région l'autre. Ma science est très récente : j'ai lu cela hier au soir(*).
. en quatrième lieu, le dispositif nouveau ne pourrait qu'aboutir à 1'"expulsion" du régime des conventions de nombreuses cliniques, et donc à l'instauration d'un système d'hospitalisation privé "à deux vitesses" ; il s'en suivrait une atteinte aux principes du libre choix par le malade de son établissement de santé et de l'égalité des patients dans l'accès aux soins. Est même invoquée de ce chef une régression des droits des malades par rapport à ceux qui leur sont reconnus par la loi portant réforme hospitalière du 31 décembre 1970. Semblable régression serait elle même constitutive d'une inconstitutionnalité ( **) .
Sur ce dernier point les députés qui nous ont saisis vont même jusqu'à prétendre que le législateur priverait de garanties légales des exigences constitutionnelles. Je rappelle que les cliniques ne sont évidemment pas obligées de se conventionner ; avec les avantages et les inconvénients que cela comporte...
C - Aucun de ces moyens ne me paraît devoir être retenu.
Avant de les reprendre, dans l'ordre où je les ai exposés, je voudrais faire une remarque générale préalable. Il n'est pas douteux que ce nouveau régime de conventionnement des cliniques privées est plus sévère que celui qui existait auparavant. Mais il faut garder présent à l'esprit que, comme j'y ai déjà fait allusion, il s'inscrit dans la politique d'ensemble de maîtrise des dépenses de santé. Vous connaissez les proportions atteintes par 1'augmentation continue de ces dépenses. Les honoraires médicaux ont augmenté de 40 % en trois ans dans les cliniques. Il y a une urgence manifeste à s'attaquer à ce problème sur tous les "fronts" possibles : les parlementaires n'ont cessé de le souligner au cours du débat sur la CSG. C'est donc au nom d'un intérêt général évident qu'ont été adoptées les dispositions litigieuses.
Bien entendu, la poursuite de cet intérêt général ne saurait aboutir à la violation de règles ou principes de valeur constitutionnelle, notamment ceux invoqués par les saisissants. Tel ne me paraît donc pas le cas :
(*) C C. n° 90-283 DC, 8 janvier 1991 (au rapport de Monsieur FABRE).
(**) - Est mentionnée la décision n° 86-210 DC du 29 juillet 1986, considérant 2.
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* En ce qui concerne le moyen tiré de 1'"incompétence négative" du législateur :
C'est le moyen qui, à la lecture du texte et des saisines, m'est apparu le plus délicat.
La possibilité pour le Préfet de suspendre les effets de 1'homologation antérieurement accordée par lui, n'est introduite par l'article 15 que par un détour : lorsqu'est prévue l'édiction d'un décret en Conseil d'Etat pour fixer les conditions d'application des différents alinéas de cet article.
Surtout, pour la suspension et la dénonciation des conventions par les caisses, il est précisé qu'elles pourront être prononcées "en cas de manquement grave des établissements aux obligations législatives, réglementaires ou conventionnelles", les modalités du régime devant être précisées par le décret en Conseil d'Etat, qui ménagera la possibilité d'exercice des droits de la défense.
Mais rien de tel en apparence pour la suspension de l'homologation de la convention par le Préfet : le texte se borne à renvoyer au décret la fixation des "cas et conditions" dans lesquels cette suspension pourra être prononcée.
Sommes-nous dans l'hypothèse où le législateur, compétent, en vertu de l'article 34 de la Constitution, pour déterminer les principes fondamentaux de la sécurité sociale, serait resté, en procédant à cette délégation, en deçà de sa compétence ?
La question des conditions au vu desquelles les établissements privés de soins peuvent ou non bénéficier d'un conventionnement ou de ses effets (et donc dans les faits de la clientèle des assurés sociaux) doit certainement, selon moi, être rangée au nombre de ces principes fondamentaux.
Mais le secrétariat général du gouvernement m'a apporté tout apaisement sur ce point. Il nous a répondu sans hésitation que, malgré la rédaction finale quelque peu défectueuse du texte, l'expression "en cas de manquement grave des établissements aux obligations législatives, réglementaires ou conventionnelles" devait en quelque sorte être mise en facteur commun et s'appliquer aussi à la suspension de l'homologation par le Préfet. C'est ainsi qu'il se présentait dans l'état qui était le sien lorsqu'il a été soumis pour avis au Conseil d'Etat.
Je vous propose, dans ces conditions, de préciser dans notre décision que le texte doit ainsi être interprété, puis de rejeter le moyen.
* En ce qui concerne le contenu du pouvoir d'homologation des conventions par le Préfet, au regard de la liberté d'entreprendre et du droit de propriété :
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Sur ce point, les saisissants ont fait converger l'essentiel de leur critique sur la référence faite par le texte au "volume d¹ activité" des établissements.
Mais d'abord ils ont indéniablement beaucoup sollicité le sens de cette référence. Il est seulement dit que le Préfet décidera de l'homologation ou de la non-homologation au vu de certains éléments d'ordre global (1'évolution générale des dépenses hospitalières) d'une part, et d'autre part des "caractéristiques propres de chaque établissement, notamment du volume de son activité".
On ne peut aller jusqu'à faire dire au texte qu'il s'agit d'un "contrôle permanent" par le Préfet du volume d'activité de la clinique, encore moins d'une "fixation à l'avance" ou d'un "plafonnement" de ce volume. Simplement, il sera loisible à l'autorité administrative, compte tenu de l'évolution des dépenses hospitalières au plan national, de prendre en considération, pour prendre sa décision d'homologation, l'évolution de la progression de l'activité au sein de chaque établissement considéré. On imagine qu'il s'agira de faire en sorte que cette progression ne soit pas plus forte que celle envisagée au plan national, compte-tenu de la politique du gouvernement de maîtrise des dépenses de santé.
Ensuite ce système n'est pas si nouveau qu'il paraît. D'ores et déjà les préfets sont guidés dans leurs choix relatifs aux homologations par des circulaires ministérielles,le plus souvent annuelles, leur indiquant des "taux directeurs" par rapport à quoi ils se déterminent : il ne s'agit, en somme, au moins pour partie, que de reprendre sur le terrain législatif et du décret du Conseil d'Etat, avec les garanties meilleures que cela implique, ce qui ne relevait jusqu'à présent que de l'instruction administrative...
Monsieur FAURE : oui, cela existe déjà...
Monsieur LATSCHA : par ailleurs, cette prise en compte du "volume d'activité" des praticiens ou entreprises est pareillement prévue par d'autres textes, par exemple l'article L.162.38 du code de la sécurité sociale, pour la fixation par arrêté interministériel des tarifs des honoraires des auxiliaires médicaux, des direc- teurs de laboratoire, des tarifs des établissements thermaux, des ambulances... etc... Dans un arrêt récent (31 octobre 1990) le Conseil d'Etat a admis cette prise en compte du volume d'activité pour la modification de la nomenclature des actes professionnels.
J'ajoute enfin que, comme nous le rappelions lors de notre délibéré récent sur la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, ni la liberté d'entreprendre ni le droit de propriété n'ont un caractère général et absolu. D'après notre jurisprudence, il faut juger des atteintes éventuelles gui y sont portées dans la perspective de celles que le législateur leur a déjà fait subir par le passé au nom de l'intérêt général.
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A cet égard, un système de convention entre la sécurité sociale et les cliniques privées existe déjà. Il représente pour ces dernières un avantage autant qu'une contrainte. Il ne faut pas se dissimuler que le système nouveau accentue cet aspect de contrainte : la pression de l'autorité administrative pour cantonner dans certaines limites le développement quantitatif des cliniques, par la menace du refus de l'homologation, se fera sans doute grandissante. Mais, comme je l'ai dit, c'est pour des motifs d'intérêt général : qu'adviendrait-il du principe constitutionnel de protection de la santé publique, si l'équilibre financier de la sécurité sociale et notamment de sa branche maladie, ne pouvait plus être assuré ? Et puis, après tout, le conventionnement demeure une simple faculté : les cliniques et leurs propriétaires restent libres d'exercer leur activité professionnelle hors du cadre d'une convention, comme font un nombre substantiel d'entre elles. Quant au droit de propriété, il n'est en rien question ici d'un transfert à l'Etat, qui appellerait, comme on le réclame, une indemnisation.
J'estime donc, au total, que, même cumulé avec le régime d'autorisation administrative mis en place par la loi hospitalière du 31 décembre 1970, l'article 15, notamment en ses dispositions relatives au contenu du pouvoir d'homologation des préfets, ne porte pas atteinte à la liberté d'entreprendre ou au droit de propriété, du moins dans des conditions telles que seraient dénaturés le sens ou la portée de ces principes.
* en ce qui concerne, en troisième lieu, la triple violation prétendue du principe d'égalité entre les clinigues, du fait du "plafonnement" de leur volume d'acitivité :
Je rappelle d'abord gu'on ne peut parler de "plafonnement" là où il ne s'agit gue d'une prise en considération.
Ensuite, il m'apparaît que les critiques des saisissants ne reposent que sur des présupposés quant à la façon dont la loi sera appliquée :
. s'agissant de tenir compte de la variété des cas en fonction des spécialités et des disciplines pratiquées par les établissements, la loi ne prévoit la référence au volume d'activité que parmi d¹ autres caractéristiques propres à l'entreprise, au nombre desquelles pourra entrer la nature des activités.
. s'agissant de la discrimination au regard des autorisations d'extension ou de diversification par ailleurs accordées par l'autorité administrative, on ne voit pas que cette dernière (qui est la même : le préfet) pourrait se déterminer sur l’homologation, en prenant en considération un autre volume d'activité que celui circonscrit par les autorisations administratives précédemment accordées.
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Cela n'empêchera pas, contrairement à ce qui est soutenu, la prise en compte de la qualité des soins ou de la gestion.
. s'agissant des risques d'inégalités entre régions suivant la façon dont les préfets exerceront ce contrôle de l'activité, il me semble qu'il s'agit d'une pure question d'application de la loi, dans laquelle il ne nous appartient pas d'entrer.
Je précise, pour toutes ces questions de mise en oeuvre de la loi par l'autorité administrative, qu'en vertu des articles R. 162-35 et 36 du code de la sécurité sociale, l'homologation ou pas de la convention ne se fait qu'après avis d'une commission paritaire régionale ; que la décision du préfet de région peut faire l'objet d'un recours auprès du ministre chargé de la sécurité sociale, lequel recueille pareillement l'avis d'une commission paritaire nationale. Evidemment, ces décisions sont, au surplus, prises sous le contrôle du juge administratif.
Je crois par conséquent qu'il faut également rejeter le groupe de moyens relatifs à l'égalité entre les établissements.
* en ce qui concerne, enfin, les atteintes qui seraient portées, par l'article 15, au principe du libre choix par le malade de son établissement de santé et de l'égalité des patients dans l'accès aux soins.
Je parlais à l'instant de présupposé. C'est ici à une véritable projection dans l'avenir que se livrent les saisissants. Rien ne permet de dire avec certitude que le nouveau régime entraînera, comme ils le soutiennent, une "expulsion" massive de cliniques privées hors du système du conventionnement, aboutissant à l'instauration dans notre pays d'un système d'hospitalisation privée "à deux vitesses".
Quoiqu'il en soit, le principe de la liberté du choix du médecin et de l'établissement demeure posé, par l'article L.162-2 du code de la sécurité sociale et l'article 1er de la loi hospitalière du 31 décembre 1970, articles que la loi déférée n'a pas pour objet de modifier.
Au demeurant, la jurisprudence n'a jamais conféré valeur constitutionnelle à ces principes. Elle a observé à leur sujet la plus grande prudence (cf. les décisions n° 77-92 DC du 18 janvier 1978 et n° 89-269 DC du 22 janvier 1990).
Quant à l'égalité des patients, dans l'accès aux soins sans pénalisation financière, elle est préservée dans les faits, dans la mesure où le remboursement des prestations des établissements non-conventionnés se fait sur la base d'un tarif proche de celui applicable aux établissements conventionnés. Et rien ne permet de penser qu'il en ira différemment après l'entrée en vigueur de la loi déférée.
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Enfin, et pour faire reste de droit aux saisissants, je ne pense pas que nous nous trouvions dans une hypothèse où la loi aurait pour effet de priver de garanties légales un droit constitutionnellement reconnu.
Il me semble donc, finalement, gu'il faut rejeter les saisines sur l'article 15. Peut-être, M. le Président, pourrions-nous en débattre, avant gue je n'aborde l'article 16, gui d'ailleurs nous retiendra moins longtemps.
Monsieur le Président : Messieurs ?
Monsieur FABRE : Cet article 15 se situe dans le cadre de la politique générale de réduction des dépenses de santé, dont un volet est constitué par la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme que nous avons examinée(*).Il s'agit de restreindre les abus. Les hôpitaux publics ont un prix de journée, c'est encadré. Il y a aussi un encadrement pour les établissements privés conventionnés : mais ici, c'est au niveau du prix des prestations médicales qu'il peut y avoir des abus, au niveau des suppléments à payer en fonction de la notoriété. Et puis il y a les cliniques qui sont totalement libres : y vont ceux qui le peuvent, pour jouir de chambres luxueuses... où ils ne sont ni mieux ni plus mal soignés qu'ailleurs. Dans ces conditions, donner un peu plus de pouvoirs aux préfets et de droit de regard aux organismes de sécurité sociale, me paraît de bonne règle, et ne porter atteinte ni à la propriété privée, ni à la liberté d'entreprendre... Il y a toujours eu une main mise des pouvoirs publics...
Monsieur FAURE : Je vis cette affaire tous les jours dans mes fonctions, ou dans ce qu'il m'en reste. La plupart des mesures dont il s'agit ici, sont déjà appliquées dans les faits : on se borne à passer du règlement à la législation. Le fond de l'affaire, c'est le désir de surveiller de plus près les budgets, et notamment les tarifs... La journée d'hospitalisation privée paraît plus faible qu'à l'hôpital public, mais ce qu'on oublie de dire, c'est qu'à l'hôpital public, elle comprend tout, c'est-à-dire la chirurgie plus la pharmacopée... Il y a des médecins qui possèdent des cliniques privées et qui assurent en même temps un temps partiel à l'hôpital : quand ils voient qu'un malade va coûter trop cher à la clinique en médicaments, ils le renvoyent à l'hôpital ! J'ai vu cette chose extraordinaire qu'on envoyait un vieux, hospitalisé à l'hôpital public, à la clinique pour se faire poser un "pace-maker", avant de lui faire faire retour à l'hôpital... Il y a là une guéguerre qui ne cessera jamais... Il est vrai que la grande majorité des cliniques se comportent très bien. Mais il y a quelques cas scandaleux . Et je crois qu'il faut laisser alors la possibilité à l'autorité publique de sévir... Quant aux cliniques non conventionnées, elles échappent complètement au problème... Il y a quatre
(*) C.C. n° 90-283 DC, 8 janvier 1991 (au rapport de Monsieur FABRE).
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partenaires : les malades, les cliniques, la sécurité sociale, le préfet (c'est diree la DDASS), et chacun d'entre eux joue son rôle dans le problème de la maîtrise des dépenses... Ici, je le répète, il n'y a rien de révolutionnaire : on codifie ce qui existe déjà à 90 %.
Monsieur le Président : qui d'autre ? Il n'y a pas atteinte au droit de propriété, mais atteinte aux intérêts des propriétaires - ce qui est une autre affaire...
Monsieur LATSCHA lit la partie du projet relative à l'article 15.
Monsieur le Président : page 17, "condition" ou "modalités" d'application ?
Monsieur le secrétaire général : l'an dernier, dans la décision du 22 janvier 1990(*), il est fait mention des "modalités". Il serait préférable de reprendre ce mot, même si la loi déférée évoque les "conditions".
Monsieur le Président : entendu.
La séance est suspendue à 16s h ss45.
La séance est reprise à 17 heures.
Monsieur le Président : allons-y, avec l'article 16.
Monsieur LATSCHA : l'article 16(2) concerne les dispensaires, qu'il rebaptise "centres de santé agréés". Il a pour objet d'établir une nouvelle rédaction de l'article L. 162-32 du code de la sécurité sociale. De cette nouvelle rédaction, les sénateurs saisissants ne contestent que les deux premières phrases du premier alinéa. Ces deux phrases ont pour objet de donner à nouveau une base légale (qui avait été supprimée en 1983) à la possibilité ouverte à ces établissements de passer convention avec les caisses primaires d'assurance-maladie. (La fin du 1er alinéa est relatif à la procédure d'agrément auxquels ils sont par ailleurs soumis depuis un décret de 1946. Le second alinéa prévoit l'octroi de subventions de la part des caisses primaires).
Le système mis en place paraît un peu curieux à première lecture. On distingue deux branches dans une alternative qui ne paraît pas en être une véritablement. Ou bien le centre passe avec la caisse cette convention, et sont alors applicables les tarifs d'honoraires fixés par les conventions nationales pour chaque catégorie de praticiens ou d'auxiliaires médicaux, ou bien cette convention n'est pas conclue ... et lesdits tarifs conventionnels s'appliquent encore "de plein droit dans des conditions fixées par décret" (ce qui voudrait dire, d'après ce que nous a expliqué
(*) C.C. n° 89-269 DC, 22 janvier 1990, cons. 20.
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le S.G.G., pour tenir compte de ce que les médecins de ces centres sont des salariés). Il s'agit, nous a-t-on dit, dans le cas, qui n'est pas théorique, de refus des caisses de passer convention, d'appliquer néanmoins des tarifs conventionnels à des établissements qui ont pour vocation de soigner les plus défavorisés.
Nous ne sommes donc pas, avec ce texte, en présence d'un modèle de logique et de rédaction juridique. Quoiqu'il en soit, la critique dont il fait l'objet ne me semble pas devoir être retenue. Elle fait doublement référence au principe d'égalité :
- il y aurait, en premier lieu, rupture d'égalité entre ces centres de santé agréés et les cliniques privées : le système de conventionnement ainsi remis en vigueur pour les centres est, disent les sénateurs, beaucoup moins contraignant que celui issu de l'article 15 pour les cliniques. Le fait ne me paraît pas douteux. Mais je crois qu'on peut s'en "sortir", si je puis dire, en prenant en considération la différence de situations : sans même parler de leur vocation particulière que j'évoquais à l'instant, les dispensaires ne sont pas, comme les cliniques, des établissements d'hospitalisation et ne disposent pas des moyens - coûteux - nécessaires à cet effet. Par suite, la différence de traitement opérée au détriment des cliniques parait justifiée. Et dès lors qu'elle est en rapport avec l'objet de la loi (la maîtrise des dépenses de santé), il n'y a pas violation du principe d'égalité.
- en second lieu, il y aurait rupture d'égalité entre ces centres et les praticiens libéraux. Plus précisément, les obligations auxquelles ces derniers sont tenus de se soumettre en contrepartie de la prise en charge des actes, ne se retrouveraient pas pour les praticiens pratiquant au sein des centres de santé agréés. Ces derniers ont une activité qui se rapproche de celle d'un cabinet libéral. Je ne crois donc pas que l'on puisse à nouveau plaider ici la différence de situation. Mais le moyen me paraît manquer en fait. L'article 16 a au contraire
pour conséquence d'aligner la situation des praticiens sur un même régime : libéraux ou salariés par les centres de santé agréés, auxquels s'appliquent en tout état de cause l'ensemble des dispositions des conventions nationales, ils auront les mêmes droits et seront soumis aux mêmes obligations.
Je vous suggère donc de rejeter encore les moyens dirigés contre l'article 16 de la loi déférée.
Monsieur le Président : Messieurs, sur cet article ? Rien ? Bien, nous lisons le projet.
Monsieur LATSCHA lit la partie du projet relative à l'article 16.
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Monsieur le Président : "Etablissements privés de soins", formule étrange... Mais enfin c'est la loi.
Monsieur LATSCHA : on ajoute même : "de toutes natures" !
Monsieur LATSCHA poursuit sa lecture sur le point en cause.
Monsieur le Président : Messieurs... ? Très bien... Alors, nous achevons avec l'article 40.
J'en arrive, à l'article 40(IV), au dernier des articles critiqués dans les saisines.
Une loi du 19 janvier 1983, codifiée aux articles L 245-1 à L 245-6 du code de la sécurité sociale, a institué au profit de la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, une contribution des entreprises pharmaceutiques assise sur les frais de prospection et d'information des praticiens, exposés par ces entreprises.
L'assiette de cette contribution, dont le taux est de 5% et qui doit être versée au plus tard le 1er décembre de chaque année, est constituée par le total des frais de prospection et d'information des praticiens comptabilisés au cours du dernier exercice clos avant le 1er décembre.
La loi de 1983 ne concernait que les frais de prospection et d'information afférents à l'exploitation des spécialités pharmaceutiques remboursables, mais un décret du 19 mars 1983 a étendu cette assiette aux médicaments destinés aux collectivités.
Par une décision du 26 septembre 1986, le Conseil d'Etat a annulé les dispositions de ce décret prévoyant l'extension de la contribution aux médicaments destinés aux collectivités.
L'article 40 de la loi qui nous est déférée prévoit, comme le faisait le décret annulé, que la contribution porte, non seulement sur les spécialités pharmaceutiques remboursables, mais aussi sur les "médicaments agréés à l'usage des collectivités". Il élève en outre le taux de la contribution de 5 % à 7 % et contient diverses dispositions concernant le recouvrement de cet impôt. Il prévoit, enfin, que ses dispositions entrent en vigueur pour la détermination de la contribution due le 1er décembre 1991.
Cet article est critiqué par les députés auteurs de l'une des deux saisines essentiellement en tant qu'il étend l'assiette de la contribution aux médicaments agréés à l'usage des collectivités. Plus précisément, les députés contestent, non le
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Deux moyens sont invoqués :
- violation du principe de non-rétroactivité par des dispositions remettant en cause les droits d'un contribuable reconnu par une décision de justice passée en force de chose jugée ;
- violation du principe d'égalité.
1° Violation du principe de non rétroactivité :
Les dispositions de l'article 40 - qu'il s'agisse de l'élargissement de l'assiette, de l'augmentation du taux ou du recouvrement de la contribution - comportent bien un effet rétroactif. En effet, dès lors qu'elles entrent en vigueur pour la détermination de la contribution due le 1er décembre 1991, elles porteront, en vertu de l'article L 245-2 du code de la sécurité sociale, sur les frais de prospection et d'information comptabilisés au cours du dernier exercice clos avant cette date du 1er décembre 1991. Or, pour les entreprises dont l'exercice correspond à l'année civile, ce dernier exercice clos sera celui correspondant à l'année 1990. Tous les frais de prospection et d'information exposés en 1990, soit avant la publication de la présente loi, seront, pour ces entreprises, soumis aux nouvelles dispositions de l'article 40.
Selon les auteurs de la saisine, cette rétroactivité est contraire au principe constitutionnel de "non-rétroactivité des dispositions remettant en cause les droits d'un contribuable reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée".
Cette argumentation repose sur un amalgame entre les notions de non rétroactivité, d'autorité de la chose jugée et de droits acquis. Elle introduit une confusion entre ces notions que, conformément à notre jurisprudence, il convient de distinguer .
En premier lieu, il n'existe pas de principe constitutionnel de non-rétroactivité des lois non pénales (cf. notamment, en matière fiscale, nos décisions 86-223 DC du 29 décembre 1986, rec. p. 184 ; 88-250 DC du 29 décembre 1988, rec. p. 267). Les dispositions en cause, n'ayant pas un caractère pénal, pouvaient donc avoir un effet rétroactif.
En deuxième lieu - et c'est là une exception à la règle précédente - l'application rétroactive de la loi, notamment de la loi fiscale, se heurte à une limite touchant à la sauvegarde des droits nés des décisions de justice passées en force de chose jugée (cf. nos deux décisions précitées).
Autrement dit, il ne saurait y avoir de validation rétroactive d'un acte annulé par une décision de justice. S'il en était autrement, cette validation équivaudrait à une censure du juge
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et il en résulterait une atteinte au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.
En l'espèce, on ne se trouve pas dans cette hypothèse, puisque l'article 40 ne valide pas le décret annulé du 26 septembre 1986.
En troisième lieu, les droits que les justiciables tiennent d'une décision de justice ne doivent pas être méconnus puisque, s'ils l'étaient, c'est l'autorité de la décision de justice qui serait elle-même méconnue. Cette règle découle de la précédente.
Mais à partir du moment où il n'est aucunement porté atteinte à l'autorité de la chose jugée par le Conseil d’Etat, quels sont les droits que les contribuables tiennent de la décision d'annulation du 26 septembre 1986, qui se trouveraient méconnus en 1'espèce ?
On n'en aperçoit point. Ce ne peut être le droit au maintien de la législation dans son état antérieur ; d'ailleurs, les députés reconnaissent que l'élargissement de l'assiette de la contribution ne pose pas problème.
Ce serait seulement le droit à la non-rétroactivité. Mais ainsi qu'il a été dit, aucun principe constitutionnel ne s'opposait à cette rétroactivité, dès lors que la rétroactivité, d'ailleurs très réduite, décidée par le législateur, ne porte aucune atteinte à la chose jugée par le Conseil d'Etat.
Le moyen ne peut donc qu'être écarté.
Monsieur le Président : Bien, qui veut s'exprimer ?
Monsieur CABANNES : S'il y avait eu atteinte à l'autorité de la chose jugée, quelle aurait été la solution ?
Monsieur le secrétaire général : La censure. C'est le sens de la jurisprudence depuis la décision du 22 juillet 1980(*).
Monsieur le Président : Nous poursuivons.
Monsieur LATSCHA : Avec la violation prétendue du principe d'égalité(2). Les auteurs de la saisine constatent que, en vertu de l'article L 245-2, le montant de la contribution à payer est assis sur les frais de prospection et d'information comptabilisés au cours du dernier exercice clos.
Or, selon eux, cette clôture n'est pas uniforme. S'il est usuel que les entreprises de tradition comptable française aient un exercice correspondant à l'année civile, il existe des entreprises installées en France dont l'exercice court d'un automne à l'automne suivant. Les premières supporteront une
(*) C.C. n’ 80-119 DC du 22 juillet 1980, p. 46.
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contribution calculée sur des dépenses déjà totalement engagées lorsque la loi sera publiée, et ne pourront donc en intégrer le surcoût dans leur stratégie, alors que les secondes pourront, d'ici à la clôture de leur exercice, à l'automne prochain, modifier leur stratégie pour tenir compte de ce nouveau contexte.
Les députés auteurs de la saisine voient là une différence de traitement, d'autant plus grave que la nouvelle taxe représen- tera, selon eux, une charge d'un milliard de francs pour les laboratoires, soit plus de 1 % du chiffre d'affaires de l'indus- trie pharmaceutique.
Ce moyen ne paraît pas pouvoir être accueilli.
Outre que le principe d'égalité n'exige pas, semble-t-il, qu'à des différences de situations doivent correspondre des différences de traitements, on constatera que la loi a retenu, pour la détermination de l'assiette de la contribution des critères objectifs et rationnels. Le principe d'égalité devant la loi n'exigeait pas que le législateur dût moduler la date d'entrée en vigueur de ses dispositions en fonction des straté- gies envisagées par les entreprises pour tenir compte de la modification de la législation.
Monsieur le Président : Sur ce point ? Bien, on passe à la lecture.
Monsieur LATSCHA entreprend la lecture de la fin du projet.
Monsieur ROBERT (l'interrompant avant, page 23, la lecture du moyen tiré du principe d'égalité) : Pourquoi expliquer que malgré tout c'est rétroactif ?
Monsieur le Président : Oui, vous avez raison, ça ne sert à rien, ça affaiblit.
Monsieur le secrétaire général : C'est une précision qui n'est pas indispensable au raisonnement. Il est possible de passer directement de "qu'ainsi" à "la date d'effet" etc...
Monsieur FAURE : Il est peu contestable que c'est rétroactif : du 1er décembre 1990 à la date de la promulgation de la loi, c'est-à-dire dans quelques jours.
Monsieur le Président : Oui, mais il est déjà jugé que cela n'est pas inconstitutionnel.
Monsieur LATSCHA reprend sa lecture, page 23.
Monsieur le Président (1'interrompant avant la lecture du dernier considérant) : Leur argumentation est tout à fait bizarre... Ils ont suggéré une solution ?
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Monsieur FAURE : Hélas, la saisine n'est que critique, et pas construtive !
Monsieur le Président : Quel système aurait échappé à la saisine ? Bon, allez !
Monsieur LATSCHA : Pour la première année de son application, la loi de 1983 avait fixé le premier mars.
Monsieur le Président : Reste le problème du considérant-balai.
Monsieur FAURE : On s'est auto-saisis.
Tous les autres membres : Non !
Monsieur le Président (auquel s'associent les autres membres). Alors, il faut le supprimer. Voilà, je vous remercie.
La séance est levée à 17 h 30.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.