COMPTE-RENDU DE LA SEANCE DU 23 MAI 1991
La séance est ouverte à 10 heures. Tous les membres sont présents, ainsi que Monsieur Bernard STIRN, rapporteur adjoint.
Monsieur le Président : L'ordre du jour de notre séance appelle donc d'abord l'affaire de l'élection sénatoriale de Monsieur CABANA. Monsieur le rapporteur, allons-y.
Monsieur STIRN : Monsieur le Président, Messieurs les Conseillers, à la suite du décès de Monsieur Raymond BOURGINE, il a été procédé, le 10 février 1991, à une élection sénatoriale partielle, qui a vu l'élection de Monsieur Camille CABANA comme sénateur de Paris.
Monsieur Pierre LAVAURS, qui agit en tant que personne inscrite sur les listes électorales de la commune de Paris, demande au Conseil constitutionnel l'annulation de cette élection, en même temps que du jugement, en date du 25 janvier 1991, par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté la requête qu'il dirigeait contre l'élection, le 20 janvier précédent, par le Conseil de Paris, de ses délégués et suppléants au sein du collège électoral sénatorial.
Selon l'article L. 285 du code électoral, en effet, si dans les communes de 9 000 habitants et plus, les conseillers municipaux sont délégués de droit au collège appelé à élire les sénateurs, dans les communes de plus de 30 000 habitants, au nombre desquelles figure évidemment celle de Paris, les conseils municipaux élisent en outre des délégués supplémentaires, à raison de un pour 1 000 habitants en sus de 30 000.
Mais comme il avait fait devant le Tribunal administratif, ce que Monsieur LAVAURS conteste devant vous, pour obtenir l'invalidation de l'élection de Monsieur CABANA, n'est pas la régularité des opérations électorales du 20 janvier aux termes desquelles le Conseil de Paris a désigné ses délégués supplémentaires et suppléants ; mais la participation tant à ces opérations que, le 25 janvier, à l'élection sénatoriale proprement dite, en tant que membres de droit du collège électoral, des conseillers municipaux de Paris.
Il estime, en effet, - et c'est l'unique moyen qu'il articule -, que les dispositions combinées des articles L. 264 et L. 272 du code électoral, sur le fondement desquelles ont été élus, les 12 et 19 mars 1989, les conseillers de Paris seraient incompatibles avec les stipulations de l'article 3 du protocole n° 1 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Aux termes de ces stipulations, comme vous le savez, "les hautes parties contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corps législatif". Selon le demandeur, plus précisément, le système électoral en vigueur pour l'élection des conseillers municipaux dans les communes de plus de 3 500 habitants, ne satisferait pas à ces exigences, en ce qu'il favoriserait les listes des mouvements politiques de représentativité moyenne susceptibles de contracter des alliances avec les "grandes" listes.
La requête dont vous êtes saisis présente ainsi la double particularité de faire remonter la contestation vers les élections municipales de 1989, et de viser seulement des textes législatifs.
Votre section d'instruction
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Il était envisageable de suivre le requérant sur son propre terrain. Le Conseil constitutionnel a déjà été amené à contrôler, dans le cadre du contentieux électoral dont il a la charge, la compatibilité de dispositions législatives déterminant un mode de scrutin, avec les stipulations d'une convention internationale. Dans sa décision n° 88-1082, 1117 du 21 octobre 1988 (A.N., Val d'Oise, 5ème circonscription), confronté au même grief tiré de ce que la loi électorale aurait été contraire au même article 3 de la Convention européenne, il a jugé que les dispositions législatives en cause "prises dans leur ensemble" n'étaient pas incompatibles avec les stipulations du traité. Cette attitude a trouvé un prolongement important dans la jurisprudence administrative, puisque le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 20 octobre 1989 Nicolo, intervenu dans une affaire électorale, a, pour la première fois, admis l'éventualité d'écarter l'application d'une loi qui serait incompatible avec un traité, quoique lui étant postérieure.
De même, dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt du 21 décembre 1990 (Confédération nationale des associations familiales catholiques), le Conseil d'Etat, tout de même que le Conseil constitutionnel en 1975, a été interrogé sur la compatibilité de la loi relative à l'I.V.G. avec la convention européenne et s'engageant, lui, dans ce contrôle, a estimé que
la loi "prise dans son ensemble" était compatible avec cette convention internationale.
Je ne procède à ces rappels que pour situer le cadre du débat et souligner qu'il n'y aurait eu, pour votre section d'instruction, aucune difficulté de principe à faire de même et à constater, comme c'est le cas manifestement, que, prises dans leur ensemble, les dispositions législatives incriminées ne sont pas incompatibles avec l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Mais la difficulté véritable de l'affaire n'était pas là. Elle réside dans ce fait qu'il n'est pas possible de suivre Monsieur LAVAURS sur le terrain qu'il a choisi.
Certes, les sénateurs étant élus selon un scrutin à deux degrés, il n'est au premier abord pas impensable de contester, à l'occasion d'une requête tendant à l'annulation de l'élection sénatoriale, les opérations électorales du premier degré. D'autant plus que l'article L.O. 188 du code électoral prévoit que le Conseil constitutionnel a compétence pour "connaître de toute question et exception" posée à l'occasion de la requête. Il n'y aurait rien d'invraisemblable à estimer être en présence d'une exception, exception tirée par Monsieur Lavaurs de l'irrégularité de l'élection des conseillers municipaux de Paris. Mais il a paru à votre section d'instruction qu'accepter d'être entraîné dans cette voie présentait de grands risques, et n'était au surplus nullement nécessaire.
De grands risques, d'extension et de désordre. D'extension, parce que, étant donné la diversification de la composition du collège électoral sénatorial, rien n'empêcherait que, par le même biais, fussent contestées d'autres élections, comme celle des députés. On peut songer aussi à une possible extension du côté du parrainage des candidats à l'élection présidentielle. Les désordres qui pourraient en résulter sont évidents : si, statuant, vous étiez amenés à constater qu'effectivement tel maire ou tel député a été élu dans des conditions irrégulières, ou était inéligible, cette constatation ne trouverait pas son prolongement dans une solution véritable.
Mais au surplus il n'y a pas de réelle nécessité à s'engager dans cette voie. Il n'en irait autrement que si les diverses élections en question n'étaient pas soumises à contrôle. Or elles le sont, par la juridiction administrative ou le Conseil constitutionnel, chacun dans sa sphère de compétence. Et le législateur a enfermé le contentieux électoral dans des délais très brefs, au-delà desquels la stabilité des situations juridiques, si importante lorsqu'il s'agit d'élus, ne saurait être remise en cause.
Aussi votre section d'instruction s'est-elle située bien en amont de l'argumentation de Monsieur LAVAURS, en s'opposant à ce que
ce dernier puisse utilement discuter des élections revêtant un caractère définitif.
Encore faut-il rappeler ce qu'aurait pu faire le requérant. L'article L. 292 du code électoral comporte deux alinéas. Le premier ouvre la possibilité à tout membre du collège électoral sénatorial du département d'intenter un recours contre le tableau des électeurs sénatoriaux établi par le Préfet, devant le tribunal administratif ; la décision de ce dernier ne peut être contestée que devant le Conseil constitutionnel saisi de l'élection. Le second alinéa autorise la contestation dans les mêmes conditions, par le Préfet ou par les électeurs d'une commune, de la régularité de l'élection des délégués et suppléants de cette commune.
Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de préciser à plusieurs reprises qu'un requérant n'était pas recevable à articuler un moyen tiré d'irrégularités commises dans l'établissement du tableau des électeurs sénatoriaux ou dans l'élection des délégués et suppléants, si ce moyen était présenté par lui pour la première fois devant le Conseil constitutionnel, sans avoir été au préalable invoqué devant le Tribunal administratif. En une occasion (N° 71-573, 27 janvier 1972, Sénat, Guyane), il a toutefois précisé que cette irrecevabilité ne pouvait être opposée à une personne qui, n'étant ni membre du collège électoral sénatorial ni électeur dans la commune concernée par une prétendue irrégularité dans la désignation de ses délégués, ne pouvait exercer aucun des deux recours préalables devant le tribunal administratif, ouverts par l'article L. 292 du code électoral.
Pour revenir à notre affaire, qu'était autorisé à faire M. Lavaurs ? Il aurait pu devant le Tribunal administratif de Paris, puis devant le Conseil constitutionnel, contester les conditions de désignation des délégués supplémentaires du Conseil de Paris, en se prévalant d'irrégularités inhérentes aux modalités de cette désignation. Mais ainsi qu'a jugé le Tribunal administratif de Paris, il n'était pas recevable à mettre en cause, à l'occasion de son recours, la composition du Conseil de Paris telle qu'elle résulte des élections municipales des 12 et 19 mars 1989 dont les résultats sont aujourd'hui définitifs. C'est cette même solution que votre section vous propose de retenir à votre niveau Tel est le sens du projet qui vous est soumis.
Monsieur le Président : Merci, Monsieur STIRN, de cet excellent rapport très complet. C'est donc l'irrecevabilité. On voit où le reste nous entraînerait. Ce ne serait pas raisonnable d'ouvrir une pareille voie à ceux qui ont délaissé les voies de recours en temps utile. Nous passons à la lecture du projet.
Le rapporteur procède à la lecture du projet.
Monsieur le Président : Juste une précision : comme me le fait remarquer Monsieur le Secrétaire général, à la suite de la loi
sur la Corse, l'article L. 280 du code électoral est désormais rédigé différemment : il faut en tenir compte page 2 du projet, en visant l'ancienne rédaction.
Le projet est amendé en ce sens. A la demande du Président, le Conseil constitutionnel passe au vote du projet, qui est adopté à l'unanimité. Après que les conseillers et notamment Monsieur FAURE se furent associés au félicitations
Monsieur le Président : Eh bien, Monsieur FAURE, je vous donne la parole pour l'affaire relative au règlement de l'Assemblée nationale.
Monsieur FAURE : Monsieur le Président, mes chers collègues, la caractéristique sur le plan de la forme de ce dossier est d'être passablement complexe parce qu'on s'y réfère de façon enchevêtrée tantôt à la Constitution, tantôt à des lois, tantôt aux dispositions du règlement de l'Assemblée, en sorte qu'il n'est pas toujours très aisé de s'y repérer. Au fond, il suffit de lire la qualité des signataires de la proposition de résolution - certains ont parlé de proposition "oecuménique"- pour se rendre compte immédiatement que ce texte ne peut être relatif qu'à un plus petit dénominateur qui puisse leur être commun : pareil consensus ne peut par définition pas générer une réforme de grande portée. Les effets ne seront probablement pas négligeables, mais il ne faut pas en exagérer la portée.
Comme c'était le cas pour la réforme du règlement du Sénat que nous avons examinée récemment à mon rapport(
D'abord il s'agit de réactiver les travaux des commissions pendant les intersessions. En travaillant en janvier, février ou mars, les rapports des commissions pourraient être prêts dès le début des sessions. Comme vous le savez, les deux ou trois premières semaines de la session sont un peu gaspillées parce que les rapports ne sont précisément pas prêts. Cet objectif me paraît très louable. J'ajoute que le fameux argument selon lequel on ne pouvait être présent à la séance parce qu'on était retenu en commission sera un peu moins facile à développer...
Le deuxième objectif consiste à instaurer une procédure simplifiée d'adoption des textes. Vous vous souvenez que tel avait été également le souci du Sénat, mais que nous nous y
étions dans une certaine mesure opposés, parce que le droit d'amendement n'était pas respecté, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Enfin, il y a un troisième et dernier but, enfermé dans le dernier article de la proposition : l'élargissement des bases du contrôle budgétaire du Parlement.
Je reprends plus en détail ces trois points dans cet ordre.
I - L'intensification du travail législatif en intersession :
Le souci commun des trois premiers articles de la résolution est de supprimer certaines des limites imposées, par le règlement de l'Assemblée nationale dans sa rédaction actuelle, à la possibilité de l'exercice du travail législatif en commission lors des intersessions.
Je vous en décris sommairement l'objet, avant d'entrer plus avant dans le détail quand je m'interrogerai sur la constitutionnalité de chacun d'entre eux :
- l'article 1er supprime l'exigence d'un quorum pour la tenue des réunions des commissions permanentes en intersession ;
- l'article 2 élargit la possibilité de renvoyer projets et propositions à l'examen d'une commission dans l'intervalle des sessions ;
- l'article 3 permet la saisine pour avis d'une commission permanente au cours des périodes où l'Assemblée ne siège pas.
Comme je l'ai dit, je crois qu'on ne peut qu'applaudir à l'intention - d'étalement dans le temps du travail du législateur - qui inspire ces trois réformes.
Mais l'un de ces articles paraît contraire aux exigences de la Constitution. Ou comment l'oecuménisme parlementaire ne préserve pas absolument de l'hérésie constitutionnelle ...
1° Je ne vise pas par là l'article 1er, qui a pour objet d'abroger l'article 43 actuel du règlement, et de constituer les deux premiers alinéas de l'article 44 en un article 43 nouveau.L'article 43, dans sa rédaction actuelle, exige la présence de la majorité des membres en exercice d'une commission permanente pour que soit possible la tenue de sa réunion dans l'intervalle des sessions - sauf si cette réunion a lieu à la demande du gouvernement. Cette exigence de quorum, regardée comme une entrave à l'activité des commissions permanentes en intersession, sera donc désormais supprimée.
L'article 43 nouveau résulte de la substitution à son ancienne rédaction des deux premiers alinéas de l'article 44, lesquels ne sont pas modifiés.
Je vous rappelle que le premier de ces deux alinéas indique que le même quorum (la majorité des membres en exercice) est nécessaire à la validité des votes d'une commission, si le tiers des membres présents le demande. Le second alinéa précise qu'en cas de défaut de quorum interdisant un vote, celui-ci a néanmoins valablement lieu, quel que soit le nombre des membres présents, lors de la séance suivante qui doit être tenue au moins trois heures après.
Il ne me semble pas que cette première modification du règlement soit inconstitutionnelle. Elle ne m'en paraît pas moins à la fois paradoxale et passablement dangereuse.
Paradoxale, parce qu'il n'est peut-être pas d'excellente méthode, quand on veut lutter contre l'absentéisme des députés, de commencer par ne plus interdire la réunion d'instances auxquelles un minimum d'entre eux ne participerait pas ...
Passablement dangereuse, surtout, au regard de l'importance de la fonction constitutionnelle des commissions permanentes dans le processus législatif. Verra-t-on la tenue de commissions permanentes entre les sessions ne réunissant en catimini gu'une poignée de députés négociant leurs amendements respectifs ? ...
Aussi ai-je cru nécessaire de faire figurer dans le projet un certain nombre de précisions :
- d'abord, j'y rappelle les termes des deux premiers alinéas de l'article 44 ancien, qui deviennent l'article 43 nouveau, et donc, en particulier, la nécessité du quorum pour pouvoir adopter un texte, au moins en un premier temps et pour peu qu'un tiers des présents le demande.
- ensuite, je fais référence à l'alinéa 3 de l'article 40 du même règlement, qui prévoit le mode de convocation des commissions en dehors des sessions et ouvre la possibilité d'une annulation ou d'un report de la réunion, en cas de demande en ce sens de la moitié des membres.
- je précise, enfin, qu'aux termes du 1er alinéa de l'article 42, la présence des commissaires aux réunions des commissions est en principe obligatoire ; et que, selon l'alinéa 2, la publication est assurée, par le Journal officiel, des noms des commissaires présents, excusés et suppléés, ainsi que du report d'un vote faute de quorum.
Dans ce contexte de dispositions que la résolution qui nous occupe ne modifie pas, et qui sont autant de garde-fous vis-à-vis des risques que j'évoquais à l'instant, il m'apparaît quel'article 1er n'est pas contraire à la Constitution. Je vous propose par suite de ne pas le censurer.
Peut-être, Monsieur le Président, souhaitez-vous que nous discutions d'abord de ce premier point.
Monsieur le Président : Oui, nous ferons morceau par morceau... Messieurs, qui souhaite intervenir sur ce point ?... (Ça n'est le cas d'aucun des conseillers). Bien, alors nous passons à la lecture.. .
Monsieur FAURE procède à la lecture de la partie correspondante du projet de décision.
Monsieur le Président : Je souhaite une précision : les "règles de quorum", ce sont celles du deuxième alinéa de l'article 44 devenu 43. Mais trois heures après, le vote peut être effectué. . . sans quorum.
Monsieur le Secrétaire général : Cela demeure une "règle de quorum"...
C'est la même chose pour le conseil d'administration des établissements publics, où l'on ne peut prendre de décision qu'avec tel quorum, mais où on le peut à la prochaine réunion sans quorum. Ce sont des règles de quorum, alors même qu'il n'y a plus de quorum exigé après une première réunion qui n'a pu se tenir.
Monsieur LATSCHA : Une règle analogue existe en droit des sociétés.
Monsieur le Président : Mieux vaut tout de même dire : règles "concernant" le quorum. (L'amendement est adopté)... Il est, en effet, admirable de lutter contre l'absentéisme... en supprimant le quorum.
Monsieur ROBERT : Est-il nécessaire de citer l'article 44 dans le détail ?
MM. LATSCHA et CABANNES : Oui, sinon on ne comprend pas !
Monsieur le Président : Nous poursuivons.
Monsieur FAURE : C'est la solution inverse, de censure, que je vous invite à adopter en ce qui concerne l'article 2, après m'être beaucoup interrogé.
En son paragraphe I, il ajoute à l'article 81 du règlement, qui est relatif au dépôt des projets et propositions de loi, un alinéa prévoyant que "dans l'intervalle des sessions, le dépôt fait l'objet d'une annonce au Journal officiel".Le paragraphe II, quant à lui, a pour objet de supprimer l'alinéa 2 de l'article 83 du même règlement, lequel dispose que, dans l'intervalle des sessions, seuls les projets de loi peuvent être, à la seule demande du gouvernement, renvoyés à l'examen d'une commission, permanente ou spéciale.
L'objet de ces deux modifications combinées est de permettre qu'à l'avenir l'ensemble des projets ou propositions de lois puissent être, après impression et distribution, envoyés à l'examen d'une commission en période d'intersession, et ce, dès leur enregistrement à la présidence de l'Assemblée nationale, lequel vaudra dépôt après annonce au Journal officiel.
En bref, l'article 1er de la résolution ayant facilité la réunion des commissions en intersession, l'article 2 vise à ce que puisse leur être plus facilement donné de la tâche.
Je me suis interrogé sur la constitutionnalité de cet article à un double point de vue :
- d abord, au regard de l'article 40 de la Constitution, qui, je vous le rappelle, pose le principe de l'irrecevabilité des propositions des membres du Parlement dont l'adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique.
Dans sa décision n° 78-94 DC du 14 juin 1978, le Conseil constitutionnel a estimé que le respect de l'article 40 nécessite qu'il soit procédé à un examen systématique de la recevabilité financière des propositions antérieurement à l'annonce de leur dépôt, et donc avant qu'elles ne puissent être imprimées, distribuées et renvoyées en commission, afin que ne soit annoncé que le dépôt des propositions qui, à l'issue de cet examen, n'auront pas été déclarées irrecevables.
La conformité à la Constitution du dispositif mis en place par l'article 2 de la résolution ne peut être admise que sous la réserve du respect de ces exigences. Il faudra donc que les propositions de loi déposées en intersession n'échappent pas à la règle générale de contrôle posée par ailleurs par l'alinéa 3 de 1'article 81, lequel exige la transmission des propositions présentées par les députés au Bureau de l'Assemblée (ou à certains de ses membres délégués par lui à cet effet) et prévoit que leur dépôt est refusé par le Bureau "lorsque leur irrecevabilité au sens de l'article 40 de la Constitution est évidente".
Ainsi combinées avec celles de l'article 81, alinéa 3, du règlement, les dispositions de l'article 2 de la résolution, et notamment son paragraphe I, me paraissent pouvoir être admises au regard de l'article 40 de la Constitution.
- Mais je ne pense pas qu'on puisse "s'en sortir" pareillement avec une "interprétation constructive", si l'on envisage la constitutionnalité de l'article 2 au regard de l'article 43 de la Constitution.
Cet article dispose que "les projets ou propositions de loi sont, à la demande du gouvernement ou de l'assemblée qui en est saisie, envoyés pour examen à des commissions spécialement désignées à cet effet" et que "les projets ou propositions pour lesquels une telle demande n'a pas été faite sont envoyés à l'une des commissions permanentes dont le nombre est limité à six dans chaque assemblée".
Le texte constitutionnel invitait sans nul doute à faire de l'examen par une commission spéciale, la règle, et de l'examen par une commission permanente, l'exception. On sait que, dans la pratique, c'est l'inverse qui s'est produit
Quoi qu'il en soit, l'important ici est de souligner le droit constitutionnel de l'assemblée saisie, autant que du gouvernement, de demander l'examen du projet ou de la proposition par une commission spéciale. Il s'ensuit l'obligation que le règlement organique des assemblées parlementaires prévoie les modalités selon lesquelles chacune d'elles est effectivement mise à même d'exercer en temps utile ce droit.
Or, quel est l'effet, de ce point de vue, de l'article 2 de la résolution ?
En abrogeant l'alinéa 2 de l'article 83 (qui réserve au gouvernement la possibilité de demander le renvoi d'un projet en commission dans l'intervalle des sessions), il a pour effet d'ouvrir la possibilité de ce renvoi en commission (permanente ou spéciale) pour tous les projets et propositions, à l'initiative tant du gouvernement que de l'assemblée.
En soi, cette abrogation ne me parait pas inconstitutionnelle; elle corrigerait plutôt une inégalité, tenant à ce que seul le gouvernement (pour ses projets) pouvait provoguer l'examen par une commission quand l'Assemblée nationale ne siège pas. Mais elle le devient, dès lors que l'on s'interroge sur la question de savoir si cette abrogation préserve le droit qui est celui tant du gouvernement que de l'Assemblée d'être mis à même de demander en temps utile, utilement, la création d'une commission spéciale plutôt que le renvoi en commission permanente.
Certes, s'agissant du gouvernement, demeure l'article 30 du règlement qui, dans son alinéa 1, préserve le principe de la constitution d'une commission spéciale à son initiative, et qui, dans son alinéa 2, précise que cette constitution est de droit, pour peu qu'aient été respectés certaines modalités et certains délais de formulation de la demande.
Dans tous les cas de renvoi en commission en intersession le gouvernement pourra donc demander et obtenir la réunion, pour l'examen du texte en cause, d'une commission spéciale.
Mais, s'agissant de l'Assemblée, ses droits ne seront, au contraire, pas respectés.
Certes, comme pour le gouvernement, l'article 30, alinéa 1 du règlement pose le principe de la possible constitution d'une commission spéciale à son initiative.
Mais les modalités en vertu desquelles cette constitution peut devenir effective, telles qu'elles sont prévues par l'article 31 du règlement, vident de son contenu réel le droit de l'Assemblée.
En effet, la demande de constitution de la commission spéciale par l'Assemblée est considérée comme adoptée si "avant la deuxième séance" qui suit son affichage, aucune opposition n'a été formulée, auquel dernier cas "un débat est inscrit d'office à la suite de l'ordre du jour du premier jour de séance suivant l'annonce faite à l'Assemblée de l'opposition".
C'est dire suffisamment qu'en l'état actuel du règlement, les modalités permettant gue la demande de l'Assemblée tendant à la constitution d'une commission spéciale soit suivie d'effet, ne sont prévues que pour le cas où l'Assemblée est en session.
Or, le paragraphe I de l'article 2 de la résolution se borne à prévoir les modalités du dépôt des textes dans l'intervalle des sessions (afin de permettre, après impression, leur distribution, à partir de laquelle est ouvert le délai dans lequel l'Assemblée nationale peut demander leur examen en commission spéciale). Il ne précise pas dans le même temps les voies et moyens par lesquels cette demande pourrait effectivement aboutir, et l'article 31, qui, ne vaut que pour la session, n'est pas davantage modifié dans cette perspective.
Le droit de l'Assemblée nationale à demander la réunion d'une commission spéciale, constitutionnellement reconnu par l'article 43, restera donc théorique. L'Assemblée se trouvera placée devant le fait accompli : sauf demande de renvoi à une commission spéciale par le gouvernement, c'est la commission permanente compétente qui, dans l'intervalle des sessions, sera toujours saisie de l'examen de tous les textes déposés, nonobstant la demande contraire éventuelle de l'Assemblée.
Il m'apparaît, dans ces conditions, que l'Assemblée nationale est, en quelque sorte, restée en deçà de sa compétence, et qu'elle n'a pas satisfait pleinement aux exigences constitutionnelles.
Le paragraphe I de l'article 2 doit donc être censuré.
Quant au paragraphe II, certes la possibilité pour le gouvernement de demander et d'obtenir la constitution d'une commission spéciale continue de lui être par ailleurs acquise, comme je vous l'ai déjà dit, par l'article 30, alinéa 2, du règlement. Mais il me paraît clairement résulter tant du rapport de M. Migaud que des débats qui ont précédé l'adoption de l'article 2 que, dans l'esprit de ses rédacteurs, ce dernier ne faisait qu'un tout, sans qu'on puisse dissocier son II de son I.
Je vous propose donc de censurer également le paragraphe II, pour inséparabilité.
Monsieur le Président : Bien, bien... J'ouvre la discussion... Je me permets de vous rappeler toutefois au préalable que, s'agissant du règlement des assemblées, il ne faut pas nous présenter en ayant à la main la férule du magister. Il convient de pratiquer le plus possible l'interprétation neutralisante. Il s'agit de la vie interne des assemblées : il nous faut être prudents.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Je veux dire que je suis tout à fait d'accord avec le rapport de Monsieur FAURE. Ma première observation sera pour préciser que les premiers opposants à la création d'une commission spéciale, ce sont les membres des bureaux des commissions permanentes, qui ne voient dans cette création qu'une manière élégante de les désaisir d'un texte. Aussi ne voit-on se constituer des commissions spéciales que dans des cas anormaux ou extraordinaires. Mon deuxième point consiste à confirmer qu'en effet propositions et projets ne sont pas de ce point de vue sur un pied d'égalité : on a voulu résorber cette discordance. Troisièmement, je souscris à ce qui a été dit sur la question des délais : en effet, au niveau du dépôt de la demande, l'article 31 fait déjà état du "compte rendu intégral" ; on aurait pu sur ce point faire une interprétation neutralisante, le compte rendu se bornant à être un rappel de l'ordre du jour... Mais aucun doute ne subsiste plus pour la suite, avec la référence, à l'alinéa 3, à la "deuxième séance". Je me rallie donc tout à fait aux propositions du rapporteur.
Monsieur FABRE : Une difficulté me semble surgir de ce que l'article 31 envisage la constitution d'une commission spéciale, alors que l'article 83 vise la simple réunion de cette instance, ce qui suppose qu'elle est déjà constituée...
Monsieur le Président : Je ne vois pas où vous voulez en venir par cette distinction entre la création et la réunion...
Monsieur LATSCHA : Est-ce qu'une commission spéciale peut exister sans être saisie d'un projet ?...
Monsieur FAURE : L'hypothèse au vu de laquelle je propose la censure est celle où une proposition de loi est déposée en intersession et pour laquelle est demandée la constitution d'une commission spéciale. Comme on ne peut saisir la commission
permanente qu'une fois levée l'hypothèque de la commission spéciale, en attendant personne n'aurait de grain à moudre Bien entendu, c'est une hypothèse d'école, puisque dans 90 % des cas il n'y a pas de demande de commission spéciale. Mais quelqu'un qui voudrait saboter les choses pourrait ainsi condamner à l'immobilité pendant deux mois.
Monsieur le Président : Est-ce que c'est par là-même inconstitutionnel ? Il n'est dit nulle part que c'est dans un délai de tant que la commission spéciale doit être créée. Il est clair qu'ils ont mal tourné leur affaire. Mais d'inconstitutionnalité, je n'en vois pas.
Monsieur le Secrétaire général : On peut dire qu'il y a carence du règlement, de même que le Conseil sanctionne parfois la carence du législateur. L'Assemblée est restée en deçà de sa compétence.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Il y a création d'un temps mort. Pendant lequel l'action en auto-défense de la commission permanente peut s'organiser.
Monsieur le Président : Mais encore une fois il n'est dit nulle part dans la Constitution qu'un délai doive être respecté.
Monsieur MAYER : J'ai une petite gêne : c'est inapplicable, soit, mais pourquoi censurer ? Nous irions leur dire : vous n'êtes pas capables de savoir comment doit fonctionner votre assemblée ?...
Monsieur CABANNES : Est-ce que ce qui est inopérant est inconstitutionnel par là-même ?
Monsieur le Président : Il n'entre pas dans notre rôle de leur dire : vous vous prenez les pieds dans votre règlement. On ne peut que leur dire, si c'est le cas, que c'est contraire à la Constitution. Mais, pour l'instant, je ne vois pas... Il n'y a pas de délai !
Monsieur le Secrétaire général : L'idée du projet est que, dès lors que l'Assemblée doit mettre en oeuvre l'article 43 de la Constitution, elle doit le faire correctement et de façon équilibrée. Pour le Gouvernement, ses droits sont sauvegardés par l'article 30. Mais ça n'est pas le cas pour l'Assemblée.
Monsieur ROBERT : Une entrave au texte constitutionnel, c'est contraire à la Constitution. Le ministre d'Etat l'a fort bien dit : on peut saboter.
Monsieur le Président : Une perte de temps de trois mois serait inconstitutionnelle ?
Monsieur FAURE : Toute mon argumentation est dans le mot "utilement". L'article 43 de la Constitution met Gouvernement et
Parlement sur un même plan. Le seul argument contre ma thèse, c'est que ça se passe déjà comme ça.
Monsieur le Président : Inutile de vous rappeler les raisons profondes au nom desquelles les règlements organiques des assemblées ont été soumis au contrôle systématique du Conseil constitutionnel. Ce dernier a déjà vu ce règlement et n'a pas dit qu'il y avait discrimination au détriment de l'Assemblée. S'il y a discrimination non constitutionnelle, il faut motiver autrement... Mais surtout c'est déjà admis depuis des décennies. Il faut réfléchir un peu là-dessus avant de s'aventurer.
Monsieur LATSCHA : En somme on dit que c'est inconstitutionnel parce que n'ont pas été prévues les règles corrélatives permettant la création effective de la commission spéciale.
Monsieur le Président : Certes on s'aperçoit que cela ne fonctionnera pas. Mais de là à leur dire : vous avez violé la Constitution... En quoi est-ce que la situation est nouvelle par rapport à ce qui est accepté depuis 20 ans ? Certes le Conseil a été complaisant. Mais après une méconnaissance de 1'égalité pendant si longtemps, repartir d'un pied nouveau...
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : La rédaction actuelle de l'article 43 date de 1958 ?
Monsieur le Président : Oui, oui, il est d'origine.
Monsieur FAURE : Nos collaborateurs en sont témoins, dans cette affaire je marchais sur des oeufs. Ça ne me gêne pas de faire éventuellement la leçon aux députés. Mais c'est le fondement qui fait problème : c'est vrai que nous ne sommes qu'à la limite de l'inconstitutionnel. Le Gouvernement pourra toujours à sa demande faire ce qu'il veut. Pour l'Assemblée, il faudra attendre deux mois.
Monsieur le Secrétaire général : Si le Conseil constitutionnel souhaite éviter l'inconstitutionnalité...
Monsieur le Président : N'allons pas trop vite en besogne. Il ne s'agit pas de souhaiter... Je dis seulement : nous sommes sur un terrain dangereux.
Monsieur le Secrétaire général : Ce qui est proposé, c'est la transposition au contrôle des règlements, de la théorie de l'incompétence négative. L'article 43 de la Constitution ne sera pas pleinement mis en oeuvre. Il y aura une paralysie. Et au vue des ambitions des auteurs de la réforme, il y a une difficulté.
Monsieur le Président : Vous avez bien interrogé Monsieur Colliard(
Monsieur le Secrétaire général : Il admet que si la demande de constitution d'une commission spéciale est possible, son aboutissement fait problème.
Monsieur le Président : Est-ce inconstitutionnel ? "Utilement" est une adjonction purement prétorienne...
Monsieur le Secrétaire général : Un droit doit être effectif... Au fond, il y a trois temps dans le raisonnement adopté par le projet : qu'ont-ils voulu ? C'est le 2ème considérant de la page cinq qui l'indique ; le Conseil peut ignorer ces voeux, mais c'est le premier choix qu'il doit effectuer. Deuxièmement, quelles sont les exigences constitutionnelles ? C'est le 1er considérant de la page 8. Dès lors que le Conseil adhérerait à ces deux premiers points, il est plutôt conduit à dire, troisièmement : non, vous n'avez pas respecté effectivement l'article 43. Mais sur ces deux premiers points, le Conseil conserve évidemment toute sa latitude. S'il veut éviter l'idée de l'incompétence négative, c'est sur eux qu'il doit intervenir. Mais dès lors que les prémices seraient admises, la conclusion vient tout logiquement.
Monsieur le Président : On dirait : vous avez fabriqué un système tel qu'il n'est opérant que dès lors que l'Assemblée est en session...
Monsieur FABRE : En réalité déjà par le passé le Conseil aurait du déclarer inapplicables ces dispositions mêmes dont nous nous demandons si leur suppression n'est pas inconstitutionnelle...
Monsieur JOZEAU-MARIGNE (lisant un passage du projet) : "Qu'ainsi le fait de fixer les modalités du dépôt d'un projet ou d^(:) une proposition de loi dans l'intervalle des sessions, sans que soient aménagées corrélativement les règles suivant lesquelles l'Assemblée nationale peut être amenée à décider de son examen par une commission spéciale..." Voilà où se situe le problème, de l'inconstitutionnalité ou pas par rapport à l'article 43.
Monsieur MAYER : En quoi le Conseil serait-il hostile à l'envoi d'une lettre par exemple aux présidents de groupe concernés, pour leur dire...
Monsieur le Président : Pour leur dire : vous vous êtes pris les pieds dans le tapis... Pour moi, c'est mal fait, mais pas inconstitutionnel.
Monsieur FAURE : Il faut d'abord décider du principe de notre décision.
Monsieur le Président : Je crois que nous n'avons plus guère de divergences de fond et qu'il faut travailler la motivation... Je vous propose une suspension de quelques minutes.
La séance est suspendue à 11 h 50.
La séance est reprise à 12 h 03.
Monsieur FAURE : J'ai cru comprendre de notre discussion que la majorité du Conseil s'orientait vers une solution évitant la censure. Je m'y rallie. Il n'est en effet peut-être pas évident que ce soit anticonstitutionnel. Peut-être puis-je dès lors procéder à la lecture du projet, en vous proposant une rédaction de substitution au moment idoine.
Monsieur Faure procède à la lecture du projet dans une version remaniée.
Monsieur le Président : Et bien oui...
Monsieur FAURE : Je lis directement le projet en ce qui concerne l'article 3 de la résolution, car c'est si clair que...
Monsieur le Président : Oui...
Monsieur Faure procède à la lecture du projet relatif à l'article 3 de la résolution.
Monsieur le Président : C'est l'auto-saisine...
Monsieur FAURE : Oui, il s'agit de permettre désormais l'activité pour avis des commissions permanentes hors session, et de la faciliter en session.
Monsieur le Président : Pas d'objections ? Très bien... Nous poursuivons.
Monsieur FAURE : Le deuxième volet de la réforme du règlement est représenté par des mesures tendant à améliorer l'organisation des débats.
Sous ce thème général, la résolution soumise à notre examen comporte deux séries de dispositions d'inégale importance :
- d'une part, des aménagements sont apportés aux modalités de discussion des motions de procédure ;
- d'autre part et surtout, est créée une procédure d'adoption simplifiée des textes.
A. L'aménagement des modalités de discussion des motions de procédure n'appelle guère de commentaires sur le plan constitutionnel.
L'article 4 de la résolution modifie l'article 91 du règlement à l'effet de permettre à un orateur de chaque groupe de prendre la parole pendant cinq minutes lors de la discussion de chacune des motions de procédure qui tirent leur origine du règlement de l'Assemblée :
- exception d'irrecevabilité ;
- question préalable ;
- renvoi en commission.
L'article 4 de la résolution est celui qui fait le mieux apparaître pourquoi la réforme du règlement à une origine oecuménique.
Sur le plan constitutionnel, aucune objection ne peut être faite.
Plus importantes sont les dispositions des articles 5 et 13 de la résolution. Elles concernent l'institution d'une procédure d'adoption simplifiée des textes.
B. La procédure d'adoption simplifiée :
Nous retrouvons avec ces dispositions la préoccupation du Parlement d'accélérer la procédure législative. Ceci nous est familier puisque nous avions eu à nous pencher sur la constitutionnalité des procédures de vote sans débat et de vote avec débat restreint au Sénat, le 8 novembre dernier.
S'il vise à assouplir une procédure existante jugée trop lourde, le mécanisme mis au point par l'Assemblée nationale diffère de celui imaginé en son temps par le Sénat.
La procédure de vote sans débat prévue jusqu'à maintenant au chapitre V du règlement de l'Assemblée nationale est pratiquement tombée en désuétude. On constate en effet que depuis 10 ans, elle n'a porté sans exception que sur des projets de loi autorisant la ratification ou l'approbation des conventions internationales.
Dans la réglementation actuelle, la commission ne peut décider de présenter une demande de vote sans débat qu'après s'être prononcée sur l'ensemble du texte concerné et non dès le moment où elle est saisie. Sa demande ou celle du Gouvernement ne peut être communiquée à la conférence des présidents qu'au cours de sa première réunion suivant la distribution du rapport de la commission. Ce n'est que lors de la prochaine réunion hebdomadaire de la conférence des présidents que le Gouvernement, la commission saisie au fond ou le président d'un groupe peuvent faire opposition au vote sans débat. Comme le souligne le rapport Migaud, "il ne peut s'écouler moins d'une dizaine de jours entre la décision initiale de la commission et l'examen du texte en séance publique."
Avant de décrire le cheminement de la procédure d'adoption simplifiée proposée, je ferai trois remarques préliminaires.
Je tiens d'abord à souligner que la procédure d'adoption simplifiée se substitue aux procédures de vote sans débat et de débat restreint existantes. Il n'y aura plus désormais qu'une seule procédure, la procédure d'adoption simplifiée.
Ma seconde observation portera sur le champ d'application de la procédure proposée. Compte tenu des dispositions spécifiques de dépôt, de discussion et de vote qui s'attachent à ces textes, les projets ou propositions de révision constitutionnelle, d'une part et de loi organique, d'autre part sont exclus du champ d'application de la réforme. On retrouvait d'ailleurs une même inspiration dans la modification du règlement du Sénat, la liste des textes non soumis à cette procédure par la Haute assemblée étant toutefois beaucoup plus longue.
Enfin, je tiens à préciser que cette procédure ne s'applique pas seulement à la première lecture mais aux deuxièmes lectures et aux lectures ultérieures, ce qui ne soulève pas de problème de constitutionnalité particulier.
J'en arrive maintenant à la procédure proprement dite qui peut se diviser en quatre étapes :
- la demande d'adoption ;
- l'opposition à celle-ci ;
- le dépôt d'amendement ;
- la discussion et le vote.
1° La demande d'adoption de la procédure d'adoption simplifiée :
L'initiative de la demande d'adoption revient au Président de l'Assemblée nationale, au Gouvernement, au président de la commission saisie au fond ou au président d'un groupe et non plus seulement au Gouvernement et à la commission saisie au fond .
Des demandes s'exprimeront en conférence des présidents. Elles ne seront recevables que si la discussion intervient après un délai d'un jour franc. L'unanimité est requise au sein de la conférence des présidents pour que la procédure puisse être engagée.
Je me suis interrogé sur cette nouvelle rédaction de l'article 103 du règlement de l'Assemblée à un double titre.
D'abord, au regard de notre décision des 7 novembre 1990. A cette occasion, nous avons rappelé qu'aux termes de l'article 43 de la Constitution, les projets et propositions de loi sont, à défaut de création d'une commission spéciale, envoyés pour examen à
l'une des six commissions permanentes et que l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi sur la commission saisie au fond constitue une phase de la procédure législative.
Or le texte qui nous est proposé revient à autoriser le Président de la commission saisie au fond à demander l'application de la procédure d'adoption simplifiée pour un texte dont la commission n'a pas délibéré. Il y a là un pouvoir conféré au président de commission qui préjuge des conclusions de celle-ci. Ceci m'a amené à vous proposer une interprétation neutralisante tendant à bien préciser que le recours à la procédure d'adoption simplifiée d'un texte n'est conforme à la Constitution que "pour autant que la commission saisie au fond ait été au préalable mise à même de procéder à l'examen du texte".
Ma seconde observation est plus une précision que je tiens à vous apporter pour la compréhension du texte qu'une interrogation. L'article 6 parle de "président de la commission saisie au fond". Ce peut être un président de commission spéciale. Or je tiens à vous indiquer que les présidents de commissions spéciales ne sont pas de droit membres de la conférence des présidents mais peuvent, en vertu de l'article 48, alinéa 2, du règlement être convoqués à celle-ci sur leur demande.
On peut en déduire que le président d'une commission spéciale sera associé à toute décision visant à appliquer la procédure simplifiée au texte qui a été renvoyé à sa commission.
Il ne s'agit bien entendu que d'une hypothèse d'école. En effet, la création d'une commission spéciale est, en pratique, antinomique de l'idée de procédure simplifiée.
2° L'opposition à la demande de procédure d'adoption simplifiée :
Aucune opposition n'ayant été formulée à ce stade, la demande d'adoption simplifiée est affichée, annoncée à l'Assemblée et notifiée au Gouvernement.
Reprenant une disposition qui existait jusqu'à maintenant pour le vote sans débat, la résolution prévoit que les projets et propositions pour lesquels la procédure d'adoption simplifiée est demandée ne peuvent être l'objet de motions de procédure.
La nouveauté du dispositif réside dans la possibilité ouverte au Gouvernement, au président de la commission saisie au fond ou au président d'une groupe de faire opposition à la procédure d'adoption simplifiée, au plus tard la veille de la discussion à dix-huit heures. Cette opposition est adressée au Président de l'Assemblée, à charge pour lui de la notifier au Gouvernement, à la commission saisie au fond ainsi qu'aux présidents de groupe, de la faire afficher et de l'annoncer à l'Assemblée.
A la différence du système en vigueur jusqu'à maintenant, qui voulait que la formulation d'une opposition n'entraînât pas l'inscription à l'ordre du jour du vote sans débat, l'expression d'une opposition a pour effet de faire examiner le texte selon les règles de droit commun.
Dans la mesure où les exigences constitutionnelles de pluralisme sont ainsi préservées, cette procédure à ce stade n'appelle pas de commentaire constitutionnel particulier. Qu'en est-il de l'exercice du droit d'amendement qui avait retenu toute notre attention, le 7 novembre dernier ?
3° Le dépôt d'amendements :
Il convient de distinguer deux cas de figure : celui des amendements parlementaires et celui des amendements du Gouvernement.
Dans la première hypothèse, le délai de dépôt des amendements expire en même temps que le délai d'opposition, soit la veille de la discussion à dix-huit heures. J'ai noté à ce propos que le texte de la résolution, pour désigner les amendements parlementaires évoguait les amendements des députés et des commissions intéressées -ce qui recouvre les commissions saisies au fond et les commissions saisies pour avis-. Il s'agit d'une commodité de langage, d'un usage que l'on trouve déjà à l'article 98, alinéa 1er, du règlement. On parle de l'amendement de la commission et non de l'amendement du rapporteur, adopté par la commission. Mais constitutionnellement le droit d'amendement est ouvert aux membres du Parlement et non à ses organes que sont, parmi d'autres, les commissions. C'est la raison pour laquelle le projet de décision vise les amendements d'origine parlementaire, dans leur globalité.
S'agissant du droit d'amendement du Gouvernement, le dépôt d'un amendement postérieurement à l'expiration du délai d'opposition entraîne le retrait du texte de l'ordre du jour. Mais le Gouvernement peut l'inscrire à l'ordre du jour de la séance suivante en recourant à la procédure de droit commun.
En d'autres termes, à l'inverse de ce que nous avions constaté pour le vote sans débat au Sénat qui interdisait tout dépôt d'amendement par des parlementaires en séance plénière, l'exercice du droit d'amendement des parlementaires, fût-il enfermé dans des délais, est préservé. Les droits des parlementaires sont aussi garantis par les règles qui encadrent le dépôt des amendements du Gouvernement hors délai.
Le recours dans ce cas à la procédure de droit commun est une garantie pour tous.
Quant aux prérogatives du Gouvernement pour la fixation de l'ordre du jour prioritaire fixées par l'article 48 de la
Constitution, elle n'apparaissent pas touchées par ces dispositions mais encore m'a-t-il semblé utile de l'indiquer.
Comment sont organisées la discussion et la mise aux voix du texte qui fait l'objet de la procédure d'adoption simplifiée ?
4° La discussion et la mise aux voix :
La encore deux cas de figure peuvent se présenter.
Lorsque le texte soumis à la procédure d'adoption simplifiée n'a fait l'objet d'aucun amendement, le Président met aux voix l'ensemble du texte.
Lorsque ce même texte a fait l'objet d'amendements d'origine parlementaire en temps voulu, le Président n'appelle que les articles qui font l'objet d'amendements. La discussion est encadrée. Seuls peuvent intervenir l'auteur de l'amendement ou un membre de son groupe, le Gouvernement, le président et le rapporteur de la commission saisie au fond et un orateur contre.
Je note au passage, que le fait d'admettre qu'un membre du groupe parlementaire puisse défendre l'amendement à la place de son auteur n'est peut-être pas le meilleur moyen de lutter contre l'absentéisme mais cette pratique est courante et n'a rien d'inconstitutionnelle
Sont mis aux voix les amendements et les articles auxquels ils se rapportent et l'ensemble du texte sous réserve de la possibilité du recours au vote bloqué qui est toujours offerte au Gouvernement. Par conséquent les prérogatives du Gouvernement sont là encore respectées.
Vous avez noté aussi que j'ai cru utile de devoir préciser que ces dispositions ne faisaient pas obstacle à l'exercice par le Gouvernement des prérogatives qu'il tient de l'article 44, alinéa 2, de la Constitution. Celles-ci autorisent le Gouvernement, après l'ouverture du débat à s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission.
En fin de compte, je vous ai proposé au total quatre interprétations neutralisantes. En dehors de celle que je viens de mentionner, il s'agit du droit donné à la commission saisie au fond de procéder à l'examen du texte préalablement au choix du recours à la procédure simplifiée. J'ai jugé nécessaire également de préciser l'exercice du droit d'amendement par les parlementaires et de rappeler les prérogatives du Gouvernement en matière de fixation de l'ordre du jour prioritaire.
Ce n'est qu'au prix de ces interprétations que je vous invite à déclarer cette partie de la résolution conforme à la Constitution.
Monsieur le Président : Qu'est-ce que tout cela change ?
Monsieur FAURE : Pas grand chose, vous avez raison, mais il ont été heureux de le dire... Il n'y a en tous cas rien d'inconstitutionnel.
Monsieur le Président : Ni de révolutionnaire...
Monsieur LATSCHA : Une question : à ce que je comprends a priori, le texte tient bien compte de nos observations sur celui du Sénat
Monsieur FAURE : Oui, c'est exact.
Monsieur le Président : Nous allons lire le projet.
Monsieur Faure procède à la lecture de la partie correspondante du projet.
Monsieur CABANNES (l'interrompant après le deuxième considérant de la page 12). Est-ce que "pour cinq minutes" est réellement utile ?
Monsieur FAURE : Ce n'est pas moi qui l'ai inventé, c'est le texte.
Monsieur le Président : Qui "respectent" ou qui "satisfont" ?
Monsieur MAYER : "Ne sont pas contraires" ou "sont conformes" ?
Monsieur le Président : Le mieux est de simplifier et de dire : que ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution.
Monsieur Faure termine la lecture de la partie en cause du projet, laquelle ne soulève d'objection de la part d'aucun conseiller.
Monsieur FAURE : Même chose, je lis directement le projet pour la fin (modification de l'article 146 du règlement).
Monsieur le Président : Oui, bien sûr.
Monsieur Faure lit la fin du projet.
Monsieur le Président : Messieurs sur ce dernier point ? Pas de réactions ? Très bien...
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Ce "par le biais" du règlement ne me plaît guère.
L'expression "par la voie" est substituée à " par le biais".
Monsieur CABANNES propose de supprimer page 12 "qu'il est spécifié". L'amendement est adopté.
Monsieur Faure procède à la lecture du dispositif.
Monsieur le Président : Pourquoi après "dispositions" ajoute-t-on "soumises à l'examen du Conseil constitutionnel" ? C'est inutile.
Monsieur le Secrétaire général : C'est la pratique dans les précédents.
Monsieur le Président : Bon. Cela me paraît bizarre, mais enfin... Nous passons au vote d'ensemble.
Le projet est adopté à l'unanimité.
Monsieur le Président s'interroge sur la date des prochaines séances.
Monsieur le Secrétaire général : Il conviendrait de fixer la date d'une séance pour une demande de déclassement d'un article du code du travail. Elle doit se situer an plus tard le 15 juin.
Monsieur le Président : Pourquoi ne pas profiter du déjeuner des membres du 4 juin ?
Monsieur le Secrétaire général : Le 4 juin coïncide avec la date retenue pour la visite de M. Ziertein, Secrétaire général de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe...
Monsieur le Président : Alors le 11 au matin... Monsieur le Bâtonnier, si vous voulez bien prendre cette affaire...
Monsieur CABANNES : En principe, il n'y aura rien d'autre à l'ordre du jour ?
Monsieur le Président : Le 12, nous aurons la réunion de section pour l'affaire de M. Galy-Dejean... (Puis, après avoir consulté son carnet) Ah ! le 11 je ne peux pas...
Finalement les conseillers s'accordent sur la date du 13 juin, 15 heures.
Monsieur le Président : Monsieur le Bâtonnier, vous voudrez bien prendre en charge cette affaire ?
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Volontiers, Monsieur le Président.
Monsieur FAURE : Je voudrais remercier Monsieur Genevois et ses collaborateurs pour l'aide qu'ils m'ont apportée dans cette affaire juridiquement délicate. Et leur mettre un peu de baume au coeur : si leur travail a été remis en cause, c'est qu'ils n'ont pas trouvé en moi un bon avocat.
Monsieur le Président : Nul ne doit avoir d'orgueil d'auteur. C'est la loi de cette maison.
La séance est levée à 12 h 55.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.