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PV1991-06-04

Beaufrère Titouan

COMPTE RENDU DE LA SEANCE DU 4 JUIN 1991

(Lettre de Monsieur LE PEN demandant le "réexamen" du compte de campagne de Monsieur MITTERRAND pour l'élection présidentielle de 1988)

La séance est ouverte à 12 h 35 en présence de tous les membres, sauf MM. Maurice FAURE et Robert FABRE.

Monsieur le Président : J'ai souhaité recueillir votre avis sur la réponse à apporter à la lettre que j'ai reçue de Monsieur Le Pen, demandant au Conseil de procéder au "réexamen" du compte de campagne de Monsieur Mitterrand pour l'élection présidentielle de 1988. Comme je l'avais fait s'agissant de la lettre de Monsieur De Villiers<V. séance du 28 novembre 1990.>. Ce dernier a utilisé le texte de notre lettre en réponse, mais sans la citer. Mais Le Pen est un autre oiseau que De Villiers. C'est un politicien dangereux. Il ne nous a pas envoyé cette lettre à des fins innocentes. Notre réponse, cette fois, sera utilisée. Nous serons amenés à la rendre publique s'il y a une controverse. Je souhaite que ce ne soit pas le Président du Conseil constitutionnel qui réponde de lui-même, mais le Président mandaté à cette fin par le Conseil. Le projet de réponse qui est à votre dossier s'inspire de celle que nous avions apportée à De Villiers. Sauf que Le Pen est responsable d'une formation politique. Notre réponse comptera politiquement. Il faut l'envisager avec les yeux de nos adversaires.

Monsieur MAYER : Je voudrais entamer une petite discussion préalable sur l'orientation générale du projet de réponse. Je suis hostile à l'ensemble alors que si on la prend paragraphe par paragraphe, je m'apercevrai à la fin que je l'ai adoptée... On peut répondre à Le Pen sans reprendre la totalité des arguments contenus dans notre réponse à De Villiers : il n'y a pas de réelle analogie entre les deux ! Je vous fais remarquer en outre que sa lettre n'est pas datée : cela vaut bien un petit coup de patte... Permettez-moi enfin de n'être pas d'accord avec les "considérations distinguées" de la formule de politesse : nos "salutations distinguées" suffiraient amplement !...

Monsieur JOZEAU-MARIGNE : A Monsieur De Villiers, nous avions donné de la considération "très distinguée"...

Monsieur CABANNES : Il est ancien Secrétaire d'Etat...

Monsieur le Président : "Considération distinguée", c'est la formule minimale que nous puissions utiliser.

Monsieur MAYER : Au fond, je préférerais une réponse de trois lignes, disant que le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé et que les choses sont terminées. En tout état de cause, je suis

hostile au troisième paragraphe de la page deux. Il va sauter là-dessus pour dire : Le Conseil constitutionnel me donne raison. On lui fournit un argument !

Monsieur le Président : Oui, je crois que Monsieur Mayer a raison sur ce point. On peut réduire...

Monsieur MAYER : Plus généralement, je voudrais vous demander de retirer de votre esprit l'analogie avec Monsieur De Villiers. Il y a une différence sur les personnes. Que vous vouliez laver de tout soupçon le Conseil, je le conçois. Mais pas sous cette forme s’agissant de Le Pen. Je verrais bien les choses en trois points : j'ai reçu de vous une lettre non datée ; il n’est pas possible que le Conseil constitutionnel revienne sur des positions antérieures ; je vous envoie mes salutations distinguées.

Monsieur le Président : Je vois votre sentiment. Mais il faut faire preuve de prudence à l'égard de quelqu'un d'aussi retors... Il aurait pu faire un très bon avocat ! ... Cela dit, on peut restreindre le champ de nos explications...

Monsieur ROBERT : Je ne suis pas de l'avis de Monsieur Mayer : le problème qui nous est soumis est le même, même si les deux "lascars" ne sont pas les mêmes. . . Au demeurant, nous serons plus forts si nous conservons la même attitude face aux deux. Sinon, Le Pen dira : on me traite différemment.... Plus on répond de manière juridique, impartiale, plus on est forts. Je suis pour ma part pour le maintien du paragraphe trois : nous n'avons pas à en rougir... Adoptons la même position, sinon il dira : il y a deux poids et deux mesures...

Monsieur le Président : Ça n'est pas faire deux poids et deux mesures que d'adapter la réponse en fonction de la qualité des personnes : De Villiers n'a pas été candidat à l'élection présidentielle, Le Pen l'a été. Il connaît très bien les limites de la loi organique. Nous sommes donc fondés à souligner qu'il a été candidat. Cela dit, ne conservons que l'essentiel et enlevons l'accessoire sur le plan juridique...

Monsieur CABANNES : On peut enlever le troisième alinéa de la page deux... Cela dit, je ne comprends pas la différence vis-à-vis de l'opinion...

Monsieur MAYER : J'essaye de me contenir... Hindenburg lui non plus n'a pas fait la différence entre Von Papen et Hitler !

Monsieur le Président : Si Le Pen avait été élu en 1988, j'aurais dû le proclamer et le féliciter... Je ne suis pas sûr que je l'aurais félicité...

Monsieur ROBERT : Ça s'appelle la démocratie...

Monsieur MAYER : Il faut aussi tenir compte de ce qu'il fera de la réponse...

Monsieur LATSCHA : De Villiers ne s'était pas appuyé de façon aussi étendue sur Gaudino...

Monsieur le Secrétaire général : Sa lettre y faisait allusion.

Monsieur le Président : Au total, en effet, je crains que l'ensemble ne soit un peu long... Je suis partisan de faire remarquer que la lettre n'était pas datée... On peut supprimer "en votre qualité de responsable politique".

Ces amendements sont adoptés.

Monsieur ROBERT : A l'alinéa 4, au lieu de "vous savez", on pourrait mettre "vous n'êtes pas sans savoir que la loi organique..." etc. Puis après les références au contenu de la loi : "ce texte ne donnait pas compétence au Conseil constitutionnel...", le reste sans changement.

Le projet est modifié en ce sens.

Monsieur le Président : Monsieur Le Pen n'a pas protesté contre les lacunes de la loi qui lui permettaient de recevoir des fonds étrangers ! ... Et il faut conclure : le Conseil constitutionnel ne peut donc procéder au réexamen d'un compte déposé par un candidat à l'élection.

Monsieur CABANNES : Ce n'est pas très gracieux pour le Président de la République...

Monsieur LATSCHA : Il faut dire "les" comptes déposés par "les" candidats à l'élection ; il faut les mettre tous sur le même plan...

Monsieur le Président : Je partage ce point de vue. On s'est payé notre tête en 1988. Comme vous le savez, nous avons envoyé une lettre à Monsieur Rocard<Lettre du 15 juillet 1988.>, en lui disant : on nous communique des comptes, mais on ne peut les vérifier !

Monsieur ROBERT : Moi, je préférais la première rédaction, qui était très cohérente, imparable. On procède par affirmation, il n'y a plus de texte. Enlevons la référence à la mission générale du Conseil, mais conservons le texte de la loi. A la lecture des textes, cela coule de source que le Conseil n'était pas compétent...

Monsieur le Président : Je suivrais volontiers l'observation de Monsieur Robert. C'est vrai que les journalistes ne connaissent pas les textes...

Monsieur MAYER : C’est de la complicité entre nous et Le Pen ! ...

Monsieur le Président : Pourquoi ?

Monsieur MAYER : Il suffit de dire que le texte n'a pas d'effet rétroactif et que donc le Conseil ne saurait procéder à un réexamen des comptes... Il faut enlever "votre requête"...

Monsieur ROBERT : D'"aucun" des comptes ?

Monsieur le Président : Nous le mettons au pluriel. C'est clair. Il s'agit de tous les comptes. A commencer par le sien.

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : En tête du deuxième alinéa, il faut dire "ce" texte...

L'amendement est adopté.

Monsieur le Président : Reste à savoir comment appeler Le Pen : président ou monsieur ?

Les conseillers s'accordent à conserver la forme du projet sur ce point : "Monsieur le Président" pour l'incipit, "Monsieur Jean-Marie Le Pen" au pied de la lettre.

Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Il faut écrire sur du papier à en-tête "Président".

Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Que fait-on pour la "pièce jointe"... qui ne l'était pas ? ...

Monsieur le Président : Faut-il, après "lettre non datée", ajouter : "et à laquelle aucune pièce jointe n'était annexée" ? ...

Les conseillers s'accordent pour ne pas faire allusion à cette question.

La séance est levée à 13 h 15.

Je ne sais pas s'il faut retranscire le nota bene

N.B. : Après la séance, Monsieur Mayer a fait part au Secrétaire général

de son hostilité au texte qui a été adopté, selon lui beaucoup trop courtois à l'égard de Monsieur Le Pen. Le Secrétaire général a fait savoir à Monsieur Mayer qu'en annexe au compte rendu de la séance, il serait fait état de cette prise de position.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.