SEANCE DU 23 JUILLET 1991
La séance est ouverte à dix heures en présence de tous les conseillers.
Monsieur le Président : Monsieur JOZEAU-MARIGNE, vous avez la parole sur le règlement du Sénat.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Monsieur le Président, mes chers collègues, si les réformes du règlement du Sénat se succèdent, elles ne se ressemblent pas.
Après avoir entrepris une profonde transformation des procédures abrégées de discussion qui s'est heurtée devant nous à l'obstacle constitutionnel de l'exercice du droit d'amendement, le Sénat a adopté le 29 juin dernier une résolution dont la portée est plus modeste.
Cette résolution modifie l'article 10 du règlement de la Haute Assemblée en augmentant le nombre des membres des commissions spéciales désignés à la proportionnelle des groupes et en les faisant passer de 24 à 37. Il s'agit, à l'origine, d'une proposition de résolution présentée par les membres de groupe socialiste, apparentés et rattachés administrativement.
La conformité à la Constitution de cette résolution ne fait pas problème mais je souhaiterais avant d'en arriver à cette conclusion replacer la résolution qui nous est soumise dans le contexte du droit applicable et de la pratique parlementaire.
Le droit applicable : Il faut distinguer la création des commissions spéciale de leur composition.
- Les règles relatives à la constitution des commissions :
Aux termes du premier alinéa de l'article 43 de la Constitution : "les projets et propositions de loi sont, à la demande du Gouvernement ou de l'Assemblée qui en est saisie, envoyés pour examen à des commissions spécialement désignées à cet effet".
Le second alinéa ajoute : "Les projets et propositions pour lesquels une telle demande n'a pas été faite sont envoyés à l'une des six commissions permanentes dont le nombre est limité à six dans chaque assemblée".
De ces dispositions, il ressort que la constitution d'une commission spéciale est le droit commun et que le renvoi à une des six commissions permanentes est l'exception. Cette interprétation est la plus conforme à la volonté du constituant qui souhaitait faire échec à la pratique de la IVe République où
les commissions permanentes à l'Assemblée nationale étaient au nombre de dix-neuf.
La création d'une commission spéciale obéit à des règles, strictement définies par le règlement du Sénat. Il convient de distinguer plusieurs hypothèses :
- la constitution de droit à la demande du gouvernement ;
- la constitution par décision du Sénat sur proposition de son président ;
- la constitution par décision du Sénat sur la demande soit du président d'une commission permanente, soit du président d'un groupe ;
- enfin, il y a lieu de mentionner les cas où une commission permanente se déclare incompétente et celui où il y a conflit de compétence entre deux ou plusieurs commissions permanentes.
- Les règles relatives à la composition des commissions spéciales.
Jusqu'à maintenant, les commissions spéciales sénatoriales se composaient de 24 membres désignés à la proportionnelle des groupes par les présidents de groupes et le délégué des sénateurs non inscrits après consultation préalable des présidents des commissions permanentes.
- La pratique parlementaire :
Dans la pratique, le recours aux commissions spéciales est demeuré cependant l'exception. 36 commissions spéciales ont été instituées au Sénat depuis 1958 (11 à la demande du gouvernement, 11 par décision du Sénat sur proposition de son président, 10 à la suite d'un conflit de compétences entre commissions permanentes et 4 en raison d'un déni de compétence de celles-ci).
La rareté du recours aux commissions spéciales s'explique pour diverses raisons :
- d'abord, les commissions permanentes éprouvent quelque difficulté
- ensuite, la formule de la commission spéciale attire l'attention sur les textes, ce qui n'est pas toujours opportun ;
- par ailleurs, la procédure de la saisine pour avis prévue à l'article 17 du règlement permet de faire appel aux compétences des différentes commissions permanentes intéressées ;
- enfin, la faiblesse des effectifs des commissions spéciales a
constitué un obstacle à leur création. Le chiffre de 24 membres ne permettait pas aux groupes de réunir les sénateurs concernés par un texte en assurant au mieux une répartition équilibrée entre les membres des commissions permanentes.
C'est cette dernière difficulté qui est à l'origine de la résolution qui nous est soumise.
En l'espèce, le Sénat n'a pas retenu le chiffre initial de 43 membres suggéré par la proposition de résolution mais s'est rallié au rapport de la commission des lois qui a fixé cet effectif à 37 membres.
La commission des lois a estimé que ce chiffre de 43 membres était trop élevé. Il lui est apparu qu'il convenait de maintenir comme à l'Assemblée nationale un certain écart d'effectif entre les commissions spéciales et les commissions permanentes puisque par définition l'objet des premières est strictement délimité par rapport à celui des secondes. Or ce chiffre de 43 membres était identique à celui de la commission permanente du Sénat la moins nombreuse, à savoir la commission des finances.
En outre, comme pour l'Assemblée nationale en 1989, il est apparu souhaitable de fixer l'effectif des commissions spéciales à un seuil aussi proche que possible du dixième de l'effectif total de la Haute Assemblée, soit 321 sièges.
Enfin, il fallait que chaque groupe puisse bénéficier de cette réforme et les différentes simulations réalisées par la commission des lois ont montré que l'effectif de 37 sièges était celui qui assurait à tous au moins un siège supplémentaire.
- La conformité à la Constitution de la résolution :
Cette résolution ne soulève pas de problème de constitutionnalité. Il appartient aux assemblées parlementaires comme nous l'avions estimé en 1989 pour l'Assemblée nationale (1), d'apprécier elles-mêmes à partir de quel seuil tous les groupes peuvent bénéficier de l'accroissement des effectifs des commissions spéciales.
Je vous invite donc à déclarer cette résolution conforme à la Constitution.
Monsieur le Président : je vous remercie Monsieur le Président.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE
Monsieur MAYER : l'ancienne disposition du règlement disait "ne
peuvent". Elle fixait un plafond.
Monsieur le Président : le nouveau chiffre est de 37.
Monsieur MAYER : Dans un cas, c'est un butoir, dans l'autre, c'est ne varietur.
Monsieur le Secrétaire général : la rédaction du projet est assez claire. Peut-être faudrait-il dire "des membres" au lieu de "de membres".
Monsieur le Président : l'observation du Président MAYER a une certaine portée. Cela sera nécessairement 37 membres.
Monsieur le Secrétaire général : la rédaction pourrait être le suivante
Monsieur FAURE : on doit en désigner 37 pas 36 ni 38.
Monsieur CABANNES : il y avait une borne, maintenant il y a un chiffre.
Monsieur le Président : si l'on a cité la disposition en vigueur du règlement du Sénat, il faut citer après la nouvelle.
La fin de la première phrase du considérant du projet de décision est ainsi rédigée : "..., une prescription nouvelle selon laquelle "une commission spéciale comprend trente-sept membres" ; ".
Monsieur le Président : Monsieur FAURE, allez-y sur la fonction publique.
Monsieur FAURE: j'ai la charge de vous présenter un rapport qui n'a pas la simplicité biblique du précédent.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 juin dernier par Monsieur DAILLY et 72 de ses collègues d'un recours dirigé contre l'article 2 de la loi portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.
Si par sa portée, cet article est indéniablement le plus important de la loi, il faut savoir que celle-ci contient des règles très hétérogènes en raison de sa nature même. Certaines sont relatives au statut de la fonction publique, d'autres concernent le code des pensions civiles et militaires et l'introduction d'un troisième concours d'entrée aux instituts régionaux d'administration. Enfin, ce texte procède à une série de validations législatives de concours.
Je terminerai cette brève présentation en vous disant que ce recours a été déposé nonobstant un accord des deux assemblées sur
les dispositions restant en discussion en commission mixte paritaire. Il ne faut donc préjuger de rien lorsque les parlementaires des deux assemblées parviennent à élaborer un texte en commun.
Avant de vous présenter les termes de cet article 2 et les moyens invoqués par les sénateurs, permettez-moi de vous indiquer la genèse de cet article.
La genèse de l'article 2 :
Comme tous ses partenaires européens, la France se trouve confrontée à l'obligation de mettre son droit national en conformité avec les règles communautaires d'ici au 1er janvier 1993. En effet, à cette date fixée par l'Acte unique européen ratifié par la France, il devra exister "un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée ... " (article 8 A du traité de Rome, ajouté par l'article 13 de l'Acte unique européen).
De cette prescription communautaire résulte l'obligation pour les Etats membres de permettre notamment la libre circulation des travailleurs. Aux termes du deuxième paragraphe de l'article 48 du même traité, celle-ci implique "l'abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail" .
Cette disposition a vocation à s'appliquer à tous les travailleurs salariés. Cependant le cas des agents publics a été expressément réservé par les auteurs du traité puisque d'après l'article 48, paragraphe 4, du traité de Rome "les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l'Administration publique".
La Cour de Justice des Communautés européennes a interprété restrictivement la notion "d'emplois dans l'administration publique", en considérant que seuls certains de ces emplois peuvent échapper à la libre circulation des travailleurs.
De son côté, la Commission des Communautés européennes a tiré les conséquences de cette jurisprudence en affirmant, par une communication en janvier 1988, sa volonté d'intervenir pour que soient levées les restrictions fondées sur la nationalité pour l'accès aux emplois de certains secteurs publics.
A la fin de 1988, un rapport a été remis au ministre chargé de la fonction publique par M. PUISSOCHET, Directeur des Affaires juridiques au Ministère des affaires étrangères.
Ce rapport concluait à l'obligation faite au gouvernement de
supprimer l'application de la condition de nationalité pour l'accès aux emplois publics n'entrant pas dans le champ de la dérogation prévue par le paragraphe 4 de l'article 48. Il suggérait de modifier l'article 5 de la loi du 13 juillet 1983 portant
Ce projet s'est concrétisé et fait l'objet de l ' article 2 de la loi que nous examinons aujourd'hui.
L'économie de l'article 2 :
Cet article insère après l'article 5 de la loi que je viens de citer un article 5 bis ainsi rédigé :
Article 5 bis : Les ressortissants des Etats membres de la Communauté économique européenne autres que la France ont accès, dans les conditions prévues au statut général aux corps, cadres d'emplois et emplois dont les attributions, soit sont séparables de l'exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique de l'Etat ou des autres collectivités publiques.
Ils ne peuvent avoir la qualité de fonctionnaires :
1° s'ils ne jouissent de leurs droits civiques dans l'Etat dont ils sont ressortissants ;
2° s'ils ont subi une condamnation incompatible avec l'exercice de leurs fonctions ;
3° s'ils ne se trouvent en position régulière au regard des obligations de service national dont ils sont ressortissants ;
4° s'ils ne remplissent les conditions d'aptitude physique exigées pour l'exercice de la fonction.
Les corps, cadres d'emplois ou emplois remplissant les conditions définies au premier alinéa ci-dessus sont désignés par leurs statuts particuliers respectifs. Ces statuts particuliers précisent également, en tant que de besoin, les conditions dans lesquelles les fonctionnaires ne possédant pas la nationalité française peuvent être nommés dans les organes consultatifs dont les avis ou les propositions s'imposent à l'autorité investie du pouvoir de décision.
Les fonctionnaires qui bénéficient des dispositions du présent article ne peuvent en aucun cas se voir conférer de fonctions comportant l'exercice d'attributions autres que celles qui sont
mentionnées au premier alinéa.
Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat"
Les moyens soulevés par les sénateurs.
La constitutionnalité de ces dispositions est mise en doute par les sénateurs d'un double point de vue.
D'une part, elles seraient contraires à l'article 48 du traité de Rome et par là même à l'article 55 de la Constitution.
D'autre part, elles méconnaîtraient le principe constitutionnel, qui réserve l'accès aux emplois publics aux personnes ayant la nationalité française.
Sur la contrariété à l'article 48 du traité de Rome et à l'article 55 de la Constitution.
Les saisissants infèrent de l'article 48, paragraphe 4, du traité de Rome que l'article 2 de la loi, en autorisant l'accès aux emplois publics à des ressortissants de la Communauté économique européenne, porterait atteinte à l'article 55 de la Constitution qui consacre la supériorité de l'autorité des traités sur les lois.
Je vous rappelle les termes de cet article :
"Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie".
Or, selon une jurisprudence désormais solidement établie (75-54 DC, 15 janvier 1975 ; 77-83 DC, 20 juillet 1977 ; 77-92 DC, 18 janvier 1978 ; 89-268 DC, 29 décembre 1989), le Conseil constitutionnel, lorsqu'il est saisi en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution ne se reconnaît pas compétent pour examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international.
Je rappelle également que s'il a récusé sa compétence s'agissant du contrôle de la conformité de la loi au traité, le Conseil constitutionnel n'en a pas moins veillé à imposer le respect de l'article 55 de la Constitution.
Ainsi il s'est assuré que le législateur ne méconnaît pas de façon directe l'article 55. Par exemple, il s'est attaché à ce que le législateur ne restreigne pas le champ d'application du principe posé par cet article aux seuls traités ou accords dûment ratifiés et non dénoncés alors que cet article vise l'ensemble
des traités et engagements internationaux (86-216 DC, 3 septembre 1986).
Surtout, statuant en tant que juge électoral, il a estimé qu'il lui appartenait de ne pas faire application d'une loi contraire à un traité (21 octobre 1988, Assemblée nationale, Val d'Oise, 5ème circ.). Le Conseil a également admis de confronter son règlement de procédure à la Convention européenne des droits de l'homme (8 novembre 1988, Assemblée nationale, Seine-Saint-Denis, 6ème circ.).
Par là même, il a ouvert la voie au juge administratif pour donner plein effet à la hiérarchie des normes de l'article 55, ce qu'a fait ce dernier (CE. 20 octobre 1989, NICOLO) en reconnaissant la primauté du traité sur la loi postérieure à l'image de la chambre mixte de la Cour de Cassation en 1975, dans l'affaire Jacques VABRE.
Ce rappel m'a conduit à vous montrer que chaque juridiction veille au respect de la hiérarchie entre le traité et la loi en fonction des conditions d'exercice de ses compétences. Les solutions auxquelles on aboutit ont leur cohérence.
C'est la raison pour laquelle je vous invite à respecter ce statu quo et à vous proposer en conséquence une rédaction qui reprend les termes de notre décision du 29 décembre 1989, rendue au rapport de Monsieur JOZEAU-MARIGNE à propos de la loi de finances pour 1990.
Je ne prétends pas que cette réponse soit satisfaisante, d'un point de vue personnel. Si il
Monsieur le Président : votre propos final ouvre la discussion sur le terrain que le Conseil connaît bien. C'est une situation singulière car une énorme partie de la législation vient en réalité de Bruxelles et échappe au contrôle du Conseil constitutionnel.
Monsieur LATSCHA : on ne pourra pas se dérober au problème.
Monsieur CABANNES : l'argument pratique est certes capital mais juridiquement notre incompétence se justifie moins.
Monsieur le Président : il faudra un jour ouvrir la discussion. Monsieur FAURE lit les pages 2, 3 et 4 du projet de décision répondant à ce moyen.
Monsieur le Président : Messieurs, sur cette formulation ? C'est très bien.
Cette partie du projet de décision est adoptée.
Monsieur FAURE aborde les moyens tirés de la méconnaissance du principe constitutionnel qui réserve l'accès aux emplois publics aux personnes ayant la nationalité française.
Les sénateurs font valoir deux arguments sur ce terrain. D'une part, l'article 2 de la loi déférée serait contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme. D'autre part, il porterait atteinte aux prescriptions du Préambule de la Constitution de 1958 et à ses articles 2 et 3 qui attribuent aux seuls nationaux l'exercice des fonctions intéressant la souveraineté de la Nation.
Je n'aurai guère de peine à vous inviter à écarter le premier argument.
L'article 6 de la Déclaration des Droits de l'homme dispose : "La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents".
Les auteurs de la saisine pensent pouvoir déduire de ce texte que l'accès aux emplois publics est l'apanage des citoyens et donc des seuls nationaux.
L'interprétation qu'ils donnent de l'article 6 de la Déclaration n'emporte nullement la conviction et ceci pour deux raisons :
- en droit, il me semble que l'article 6 se borne à poser un principe d'égal accès aux emplois publics en fonction des vertus et des talents.
Ce principe général n'implique pas l'exclusion des étrangers de tous les emplois publics.
- Sur le plan de l'opportunité, la thèse préconisée par les saisissants conduirait à des conséquences pratiques aberrantes... Il suffit de songer à certains emplois publics... comme celui d'éboueurs dans nos villes. Exiger en la matière, en se plaçant sur le terrain constitutionnel, une condition de nationalité serait sidérant.
- Les sénateurs auteurs de la saisine soutiennent par ailleurs que le législateur aurait méconnu les dispositions constitutionnelles qui réservent aux nationaux l'exercice des fonctions intéressant la souveraineté de la Nation et cela pour deux séries de motifs.
D'une part, l'article 2 suppprimerait le principe général selon lequel nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire s'il ne possède la nationalité française. Cette première branche du moyen ne résiste pas plus à l'analyse que l'argumentation tirée de la violation de l'article 6 de la Déclaration de 1789.
D'autre part, l'article 2 ne prévoierait pas de garantie suffisante pour assurer le respect de l'interdiction de l'accès des ressortissants communautaires aux corps, cadres d'emplois ou emplois dont les attributions sont inséparables de l'exercice de la souveraineté.
Il y a d'ailleurs une certaine contradiction. D'un côté, les saisissants soutiennent qu'il y a une brèche dans le monopole de l'exclusivité française et de l'autre côté, ils font valoir qu'à supposer que cette brèche soit contestable, le législateur n'en fixe pas les frontières.
Cette seconde branche du moyen mérite de retenir quelque peu l'attention.
Elle soulève en fait deux questions :
- l'une de portée générale : existe-t-il des dispositions de valeur constitutionnelle qui impliquent que certaines fonctions publiques électives ou non, soient nécessairement réservées aux nationaux ?
- une fois définies les exigences constitutionnelles dans le domaine considéré, il s'agit de savoir si l'article 2 de la loi y contrevient.
C'est là que se situe le vrai choix. Le raccourci consisterait à estimer que la loi est très claire. La voie la plus savante consisterait à se fonder sur des principes constitutionnels. J'observe que cette question a déjà fait l'objet de plusieurs prises de position de la part du Conseil constitutionnel qui, pour intéressantes qu'elles soient, n'épuisent cependant pas le débat.
L'article 3 de la Constitution a été interprété jusqu'ici par notre jurisprudence comme réservant aux citoyens français qui ont seuls la qualité d'électeurs, le droit de désigner leurs représentants.
Cela vaut très certainement pour l'élection des députés et pour celle des sénateurs. Cela vaut également pour l'élection du Président de la République.
La lettre de l'article 3 de la Constitution commande une semblable solution. Il suffit de se référer aux alinéas 1, 3 et 4 de l'article 3.
alinéa 1 : "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum"
alinéa 3 : "Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret".
alinéa 4 : "Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques".
En deux circonstances au moins le Conseil constitutionnel a jugé que l'article 3 s'appliquait à l'élection de l'organe délibérant d'une collectivité territoriale de la République :
On peut se référer à la décision 82-146 DC du 18 nov. 1982, Rec. p. 66 et également à la décision n° 87-227 DC du 7 juillet 1987, relative au régime électoral de la ville de Marseille.
En ce qui concerne les fonctions publiques non électives, je n'ai pu retrouver qu'une seule décision de notre Conseil. Il s'agit de la décision n° 80-116 DC du 17 juillet 1980.
Monsieur le Président : à propos des autorités judiciaires ?
Monsieur FAURE : oui, le raisonnement du Conseil a été le suivant : découle du principe de la souveraineté nationale le principe selon lequel "les autorités judiciaires françaises, telles qu'elles sont définies par la loi française, sont seules compétentes pour accomplir en France, dans les formes prescrites par cette loi, les actes qui peuvent être demandés par une autorité étrangère au titre de l'entraide judiciaire en matière pénale".
Dans la ligne de cette dernière jurisprudence, je pense que l'on pourrait soutenir qu'au niveau le plus élevé de l'Etat, l'exercice de responsabilités essentielles doit être réservé aux nationaux pour des raisons touchant à la notion même de souveraineté nationale.
J'imagine mal pour ma part qu'un membre du Gouvernement de la République française puisse ne pas être de nationalité française. De même, il me semble que ce qui a été jugé par le Conseil constitutionnel en 1980 à propos de la fonction juridictionnelle vaut également pour l'exercice de responsabilités essentielles dans les domaines tels que ceux relevant de la défense nationale, de la politique extérieure, de la sûreté de l'Etat ou de la sécurité publique
C'est une solution possible, qui a été transcrite dans un projet afin d'en mesurer l'intérêt et la portée.
Je ne dissimule pas que l'énumération est un exercice périlleux. Si l'on incluait dans cette liste la monnaie, compte tenu des négociations en cours sur le traité de l'union économique et monétaire, la création d'une Banque centrale indépendante serait inconstitutionnelle. Son omission n'est donc pas sans portée. Il y a de quoi hésiter et comme on ne peut pas utiliser les pointillés... Avons-nous intérêt à entrer dans les détails ?
L'autre moyen revient à souligner l'imprécision de la loi mais je vois mal comment le législateur aurait pu être plus précis.
Le texte même de l'article 2 n'ouvre l'accès des "communautaires" autres que les Français qu'aux emplois publics "séparables de l'exercice de la souveraineté".
On peut donc dire que le moyen invoqué manque en fait. Certes, les saisissants estiment que le critère retenu par la loi est imprécis et que le législateur n'aurait pas exercé dans sa plénitude la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.
Mais ce dernier reproche ne me paraît pas fondé :
- d'une part, lorsqu'on lit l'intégralité de l'article 2, on constate que le législateur a fixé les "garanties fondamentales" qui ressortissent à sa compétence ;
- d'autre part, il ne faut pas s'arrêter au caractère assez général des formules adoptées :
"emplois dont les attributions soit sont séparables de l'exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique de l'Etat ou des autres collectivités publiques".
Cette formulation se veut respectueuse de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes. Le législateur peut difficilement s'en écarter.
Et il est logique que ce soit un décret en Conseil d'Etat qui, pour chaque statut particulier applicable à un corps de fonctionnaires tire les conséquences de la loi.
Le dernier moyen invoqué manque donc en fait. Cela me paraît si évident que je me suis demandé s'il ne serait pas plus expédient pour le Conseil d'écarter l'argumentation de M. DAILLY et des autres saisissants, sans même prendre position sur la valeur juridique du principe qu'ils invoquent.
En définitive, votre rapporteur est sûr d'une chose : la saisine doit être rejetée.
J'aimerais vous écouter sur les options que j'ai ouvertes.
Monsieur le Président : j'ouvre le débat. Il y a d'abord le problème de la conformité ou de la non conformité à la Constitution et ensuite la question du choix de la voie à emprunter.
Monsieur ROBERT : je suis d'accord sur la solution finale...
Monsieur le Président : d'autres termes seraient peut-être préférables.
Monsieur ROBERT : Pardonnez-moi, sur la solution définitive, je suis d'accord. Cependant, je ne suis pas convaincu de l'interprétation de l'article 6 de la Déclaration de 1789. Vous dites que cela ne s'applique pas qu'aux citoyens. Si les 3ème et 4ème phrases s'appliquent à tout le monde, cela n'est pas le cas des deux premières phrases et on ne peut les escamoter. Il faut donc faire une ventilation entre les dispositions de cet article.
Reste ensuite la question du choix entre l'option courte et l'option longue. La voie courte expédie le problème un peu rapidement. Comment dire que la dire
Je suis donc partisan de la voie longue avec des corrections en ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l'article 6 de la Déclaration.
Monsieur FAURE : Il est clair que l'article 3 de la Constitution réserve la qualité d'électeurs aux citoyens français. S’agissant de l'article 6 de la Déclaration de 1789, je voudrais attirer votre attention sur l'emploi du mot "notamment" dans le second considérant de la page 6 du projet de décision.
Je répondrai ultérieurement sur le second point.
Monsieur le Président s'adressant aux conseillers : Sur le fond, vous êtes tous d'accord ?
Monsieur CABANNES : Sur le fond, je suis d'accord avec notre rapporteur mais le mot "notamment" est-il suffisant pour répondre à l'objection du professeur ROBERT ?
Pour ce qui est de l'option, je serais partisan d'une décision de principe à l'occasion d'un arrêt d'espèce. D'ailleurs il arrive souvent à la Cour de cassation que dans les arrêts d'espèce, on mette des "chapeaux intérieurs". Reste à savoir si la solution noble tient la plume, il faut le voir à la lecture.
Monsieur FABRE : Au-delà même de la question la conformité à la Constitution, cette loi a une connotation politique. J'ai observé qu'il avait eu une fracture entre les parlementaires favorables à l'Europe et les autres. Mais ce n'est pas à nous à entrer dans ce débat. Je me ménage la possibilité de prendre une position souple et de suivre l'option B en revoyant la rédaction des considérants pp. 7 et 8. On pourrait même gommer ce qui fait problème.
Monsieur CABANNES : Il faut répondre au moyen.
Monsieur FABRE : Il faut être plus concis.
Monsieur LATSCHA : Je vais reprendre ces deux questions. Je suis gêné par la lecture de l'article 6 de la Déclaration car on ne peut pas dire qu'il fonde l'égalité d'accès à la fonction publique et l'égalité devant la loi pour tous. Je reconnais par ailleurs la difficulté à établir une liste de compétences de l'Etat qui relèvent de la souveraineté nationale et note au passage que le secrétariat général du gouvernement ajoute dans cette liste la fiscalité et la monnaie. Par conséquent j'adhère à la décision de principe en souhaitant toutefois une nouvelle rédaction.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Sur le fond je souscris à la proposition de notre rapporteur. En revanche, j'estime qu'il faut être très prudent quant au choix de l’option. Il faut être ouvert et ne pas être enfermé dans une position.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Je serai bref sans conclure cependant. Je suis d'accord avec les deux options. Je rejoins le professeur ROBERT dans ses observations. Pour me résumer je suis partisan d'une variante A allégée ou de la variante B amplifiée. Je suis en désaccord avec Monsieur FABRE qui suggère d'alléger encore la version B. Quant au considérant de la p. 7 de la version B, où il est dit qu'il n'est pas besoin pour le Conseil constitutionnel de prendre parti sur le point de savoir si le principe a valeur constitutionnelle, je suis réservé sur sa rédaction.
Monsieur MAYER : Je suivrai Monsieur JOZEAU-MARIGNE en estimant qu'il convient de réserver pour l'avenir nos possibilités d'appréciation et je serais d'avis de supprimer aussi le début de ce considérant de la page 7 qui vient d'être évoqué.
Monsieur le Président : Les choses s'éclaircissent. Il n'y a pas de problème de conformité mais seulement une question de motivation. Pour répondre à Monsieur ROBERT, je crois que le mot "citoyens" à l'article 6 de la Déclaration de 1789 a une valeur politique mais pas nationale. Cette notion, lorsqu'elle fut introduite, devait s'apprécier non pas par rapport aux étrangers mais par rapport aux ordres. D'ailleurs, les étrangers étaient appelés à concourir à l'expression du suffrage en participant à
la première élection à la convention.
Notre problème aujourd'hui n'est pas celui du droit de vote des étrangers. Le droit de vote est réglé par des dispositions constitutionnelles. Il n'est pas besoin d'y revenir.
On peut avoir une nouvelle rédaction du deuxième considérant de la page 6 pour ce qui est de l'égalité d'accès aux emplois publics.
Je comprends que l'on soit tenté par l'affirmation d'une position de principe. C'est le satisfecit de l'universitaire mais lorsqu'il a soulevé cette question, je pense que Monsieur DAILLY nourrissait d'autres pensées.
Je suis donc partisan d'être prudent sur ce terrain car il s'agit de la construction européenne. Alors que l'on parle du traité de l'union économique et monétaire, on ensserrerait le législateur dans des barrières ? On verra arriver ce traité mais le Conseil constitutionnel ne peut par avance en fixer les limites. Lorsque je lis le deuxième considérant de la page 8 du projet A, je vois que nous définissons la souveraineté nationale par une liste de domaines dans lesquels figure la défense nationale. Mais qu'est-ce qui nous prouve que la défense sera nationale, demain ? De par sa très forte technicité, elle sera peut-être européenne. La même chose est concevable pour la justice. Pourquoi dans un certain nombre d'années ne peut-on pas imaginer que des magistrats italiens siègent à côté de leurs collèges française
Nous définirions nous-mêmes ce qui est interdit aux étrangers. Je crois qu'il est dangereux pour le Conseil constitutionnel d'arrêter une position a priori. Ne préjugeons pas de l'avenir. Nos successeurs statueront là-dessus. Je suis donc partisan de la solution courte sans garder toutefois le dernier considérant de la page 7. Comme page 8 on explique pourquoi le texte n'est pas inconstitutionnel, on répond aux saisissants.
N'anticipons donc pas dans des matières aussi périlleuses car nous pourrions mettre la France dans une situation difficile par rapport à ses partenaires.
Monsieur FAURE : J'ai exposé les deux voies qui s'offraient à nous mais au fur et à mesure que j'ai avancé dans ma réflexion, j'ai mesuré les difficultés de la voie longue. Le seul domaine où il est irréfutable que l'exercice de la souveraineté nationale soit réservé aux citoyens est le domaine électoral tel qu'il est défini par l'article 3 de la Constitution. Pour le reste nous faisons une innovation et l'énumération des matières où il y a une exclusion de la souveraineté nationale est dangereuse. J'ai parlé de la monnaie mais on pourrait songer aussi à la coopération politique. Je suis acquis à l'opinion générale qui
a été exprimée mais je tenais à présenter les deux solutions qui s'offrent à nous. Ou nous faillirions à notre devoir en ne répondant pas à la saisine ou nous rajouterions quelque chose. Je crois finalement que nous avons avantage à nous rallier à l'option B en la modifiant.
Les trois autres points de la loi sur lesquels je m'étais interrogé ont fait l'objet de réponses satisfaisantes de la part du secrétariat général du Gouvernement.
Il reste qu'il est de la plus haute importance de ne pas s'en tenir au considérant balai. Mais alors se pose la question de savoir si l'on ne répond qu'aux moyens soulevés à l'encontre de l'article 2. Si l'on ne répond que sur le terrain de l'article 2, ne se montre-t-on pas alors complice de restrictions à l'exercice de notre propre responsabilité ? Nous n'avons pas décidé de renoncer à soulever des moyens d'office, nous l'avons fait seulement quelque fois.
Ne contrôler que le seul article 2 reviendrait à restreindre notre contrôle. C'est la raison pour laquelle je ne suis pas partisan de se borner à dire que l'article 2 n'est pas contraire à la Constitution.
Monsieur le Président : Nous allons examiner les considérants les uns après les autres en partant du projet B.
Monsieur FAURE lit les pages 5 et 6 de la variante B du projet de décision.
Monsieur le Président : Je voudrais vous rappeler que la reconnaissance à chaque citoyen du droit à concourir à l'exercice de la souveraineté pour présenter les droits des autres a été réalisée après la nuit du 4 août.
Monsieur LATSCHA : Il faut effectivement replacer les dispositions de l'article 6 dans leur contexte.
Monsieur le Président : Inversement les régiments de l'armée royale étaient composés d'étrangers.
Monsieur FAURE : Dans le considérant du bas de la page 6 il conviendrait de s'en tenir au principe d'égal accès de tous aux emplois publics.
Cette modification est adoptée.
Monsieur le Secrétaire général : En conséquence il faut substituer à la phrase suivante aux mots "des principes" les mots "du principe".
Cette modification est adoptée.
Monsieur FAURE lit la suite du projet de décision en s'arrêtant au dernier considérant de la page 7.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Si l'on adopte le projet B, il faut enlever les mots "d'abord" et "ensuite" car cela correspondait à deux chapitres dans la variante A alors que nous n'en avons plus qu'un dans cette version.
Monsieur le Président : Il est difficile de ne pas reprendre les moyens de la saisine.
Monsieur MAYER : Dans le considérant du milieu de la page 7, je propose de substituer aux mots : "Ne comporte pas de précisions et de garanties suffisantes" les mots "pas de précisions ni de garanties suffisantes".
Cette modification est adoptée.
Monsieur le Président : Nous en arrivons à l'obstacle et nous avons plusieurs possibilités dont celle qui reviendrait à dire : "Considérant que l'article 2 ne méconnaît pas le principe invoqué par le requérant".
Monsieur CABANNES : On reconnaît qu'il existe.
Monsieur le Président : L'autre solution consiste à passer à l'argumentation.
Monsieur ROBERT : Je me demande si en supprimant le considérant du bas de la page 7, on ne pourrait pas reprendre le premier considérant de la variante A.
Monsieur le Secrétaire général : Le considérant est inséparable du projet A lui-même qui se veut ambitieux à la différence du projet B volontairement plus évasif.
Monsieur le Président : Soyons clair : Le moyen manque en fait.
Monsieur LATSCHA : Sautons alors ce considérant.
Monsieur FAURE : Je relis la page 8. Les auteurs de la saisine soutiennent qu'il existe un principe constitutionnel. J'ai montré qu'il existait mais que sa portée est réduite.
Monsieur le Président : Le Conseil constitutionnel souhaite-t-il se prononcer ? Car ce n'est peut-être pas la peine d'en parler.
Monsieur FAURE : Je reconnais la faiblesse de notre argumentation dans le premier considérant de la page 8.
Monsieur FABRE : Nous pourrions joindre les deux considérants de la page 8 en ne gardant du premier que la première phrase et en
passant au suivant. On répondrait ainsi à l'objection de notre rapporteur. J'ajoute que cette idée de tempérament n'est peut-être pas très glorieuse.
Monsieur le Président : On n'a pas supprimé une règle générale. On a fait une exception. Je voterai donc le premier amendement portant sur la page 7 mais j'ai peur que l'on ait mal répondu au premier moyen. (Il se tourne vers le Secrétaire général).
Monsieur le Secrétaire général : Le Conseil constitutionnel a déjà réservé des questions embarrassantes. Je pense par exemple au principe de l'individualisation des peines dans la décision des 19 et 20 janvier 1981 rendue à propos de la loi "sécurité et liberté" au rapport du Doyen VEDEL. Cela est vrai aussi de la question de l'inaliénabilité du domaine public dans la décision du 18 septembre 1986 sur la liberté de communication, au rapport du Président MAYER (1). Il est des cas où le Conseil constitutionnel se réserve donc une marge de manoeuvre.
Monsieur le Président : C'est une question de présentation. Je prendrai les considérants qui font apparaître que les moyens manquent en fait.
Monsieur FAURE : Où dites-vous que le moyen manque en fait ?
Monsieur le Président : Je crois que page 8 dans le deuxième considérant, le Conseil ne se dérobe pas mais son raisonnement revient à dire que le moyen manque en fait.
Monsieur FAURE : Je reprends le haut de la page 8. Monsieur FAURE lit le premier considérant.
Monsieur le Président : On peut s'en tenir là. Sur ce tempérament ?
Monsieur FAURE : Admettez qu'il s'agit d'un "sacré" tempérament !
Monsieur FABRE : Je propose de supprimer la seconde phrase.
Monsieur le Président lit la première phrase du considérant.
Monsieur le Secrétaire général : Monsieur DAILLY se situe par rapport à plusieurs principes, c'est ce qui rend la rédaction délicate à élaborer même dans la perspective du projet B.
Monsieur FAURE : Employons le mot "dérogation".
Monsieur le Président : "Que n'abroge pas la règle...".
Monsieur CABANNES : "Que ne supprime pas la condition...".
Monsieur le Président : Sans guillemets.
Monsieur FAURE : On garderait "apportée". On pourrait dire "qu'il lui est uniquement apporté une dérogation au profit de...".
Cette modification est adoptée.
Monsieur FAURE lit le deuxième considérant de la page 8.
Monsieur LATSCHA : Si on cite une partie de l'article 2, pourquoi ne pas aller jusqu'au bout ?
Monsieur le Secrétaire général : C'est volontaire. Est seule en cause ici la souveraineté alors que pour le surplus la loi a trait aux prérogatives de puissance publique sans exercice de la souveraineté. Le moyen invoqué porte uniquement sur la souveraineté. La projet se borne à répondre sur ce point sans évoquer les prérogatives de la puissance publique.
Monsieur le Président : Cela n'est pas nécessaire.
Monsieur FAURE : Le terrain de la souveraineté est plus fort.
Monsieur FAURE lit le troisième considérant de la page 8.
Monsieur le Président : Premièrement, on n'a pas supprimé la règle et deuxièmement, l'article 2 est suffisamment clair donc le législateur n'a pas méconnu le principe de valeur constitutionnelle, ce qui en sous-entend l'existence.
Monsieur le Secrétaire général : Ce que vous aviez envisagé pour le début peut-être mis à la fin en commençant par la formule "En tout état de cause".
Monsieur le Président : Il n'y a qu'à reprendre la formule de la décision du 18 septembre 1986.
Monsieur LATSCHA : Il ne s'agit pas d'inaliénabilité du domaine public mais de souveraineté.
Monsieur FAURE : Qu'en tout état de cause...
Monsieur le Président : Imaginez que si un jour on veut nommer un étranger à l'état-major, on dira que cela n'est pas possible à cause de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La question est de savoir si la fonction en cause est liée à l'exercice de la souveraineté. Des membres de juridiction peuvent ne pas être français sous réserve de réciprocité.
Par conséquent si on met aujourd'hui la formule "ne méconnaît pas le principe...", où s'arrêtent exactement les fonctions intéressant la souveraineté ? Je crois que moins on en dit, mieux cela vaut.
Monsieur le Président lit alors le considérant 88 de la décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 sur la loi relative à la liberté de communication.
Monsieur le Président : Cette formulation laisse le débat ouvert.
Monsieur ROBERT : Dès l'instant qu'il y a une incertitude sur le principe invoqué on ne se prononce pas sur sa valeur.
Monsieur le Président : On ne bride pas ainsi la construction européenne. On met une formulation in fine.
Monsieur le Secrétaire général : La rédaction serait la suivante : "Considérant ainsi qu'en tout état de cause, l'article 2 de la loi déférée ne méconnaît pas le principe invoqué".
Le Conseil prendrait ainsi ses distances.
Monsieur CABANNES : On prend parti.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Ne mettons pas les guillemets.
Monsieur FAURE : A ce stade, la présence de l’absence de guillemets est neutre.
Les considérants ainsi rédigés sont adoptés.
Monsieur FAURE donne lecture du projet de dispositif de la décision et de sa variante.
Monsieur FAURE : Je suis partisan de la variante.
Monsieur LATSCHA : Cela suppose que l'on ait balayé toutes les dispositions de la loi.
Monsieur FABRE : Y-a-t-il des précédents ?
Monsieur le Secrétaire général : Le Conseil constitutionnel n'a jamais dit qu'un article était conforme à la Constitution en faisant silence sur le reste de la loi. Pour le Doyen VEDEL, une telle attitude risquait a contrario de jeter la suspicion sur le reste de la loi.
Monsieur le Président : Notre décision entraîne la promulgation de la loi.
Monsieur CABANNES : Si l'on reconnaît que l'on contrôle toute la loi, on risque un déni de justice.
Monsieur ROBERT : On autorise la promulgation de la loi. Je partage l'opinion de Monsieur FABRE.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Je suis partisan de viser l'ensemble de la loi dans le dispositif car dans le premier considérant nous disons bien que c'est la loi qui est déférée devant le Conseil constitutionnel par les sénateurs.
Monsieur le Président : Jusqu'à présent lorsque l'on censure certaines dispositions d'une loi, on se tait sur le reste. Là, on vient dire que la localité de la loi est conforme à la Constitution, c'est une nouvelle étape.
Monsieur FAURE : Mais nous ne sommes saisis que des articles incriminés.
Monsieur le Président : La question qui se pose est celle de la conformité de l'ensemble de la loi.
Monsieur LATSCHA : Y-a-t-il des risques d'inconstitutionnalité ailleurs ?
Monsieur FAURE : Comme je l'ai dit, les réponses du secrétariat général du Gouvernement aux questions que je m'étais posé sont satisfaisantes.
Monsieur le Président : Il faudrait dire :
- premièrement, que l'article 2 n'est pas contraire à la Constitution ;
- deuxièmement, que le Conseil constitutionnel n'a relevé aucun autre motif d'inconstitutionnalité.
Monsieur FAURE : Il faudrait éviter de faire cela car cela crée une jurisprudence.
Monsieur le Président : Restons-en à la loi.
Monsieur FAURE : S'il y avait la phrase balai ?
Monsieur ROBERT : Nous ne sommes pas sûrs de la constitutionnalité du reste de la loi.
Monsieur le Président : Qu'en est-il pour le D.D.O.E.F. ?
Monsieur le Secrétaire général : Pour la
ma part que le débat qui est ouvert aujourd'hui illustre une fois encore la difficulté qu'éprouve le Conseil à trouver une formule qui traduise le contrôle qu'il a pu réellement effectuer.
Monsieur MAYER : Disons qu'aucune disposition n'est déclaré
Monsieur le Président : Je vous propose d'adopter la variante du dispositif proposée par notre rapporteur qui vise l'ensemble de la loi conformément à de nombreux précédents.
Cette rédaction est adoptée à l'unanimité.
La séance est levée à 12 heures 24.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.