SEANCE DU 15 JANVIER 1992
La séance est ouverte à 9 h 58, en présence de tous les conseillers.
Monsieur le Président : Bien alors, Messieurs, nous avons deux minutes d'avance, c'est très bien ; nous avons donc à examiner deux textes, nous devrions avoir terminé en fin de matinée : ils ne sont pas exceptionnellement difficiles ; on commence par le règlement du Sénat : c'est complexe, mais pas compliqué...
Monsieur FAURE : Monsieur le Président, mes chers collègues,
Les résolutions du Sénat visant à modifier son règlement - dont volens nolens je deviens un spécialiste - se suivent mais ne se ressemblent pas.
Le 7 novembre 1990, nous avions été saisis d'une réforme qui se voulait ambitieuse et qui du fait de notre censure n'a eu que des effets limités. Cette
fois-ci, nous avons à examiner un texte d'apparence plus modeste mais dont les enjeux ne sont pas négligeables compte tenu du contrôle que nous sommes amenés à exercer sur les règlements des assemblées au regard non seulement de la Constitution mais aussi des lois organiques et d'un texte ayant valeur de loi ordinaire relatif au fonctionnement des Assemblées.
C'est là que réside la difficulté juridique majeure que nous aurons à trancher.
En revanche, nous bénéficierons des enseignements de décisions récentes que j'ai eu l'honneur de rapporter devant vous sur le régime des procédures abrégées et les règles de dépôt des textes dans l'intervalle des sessions.
Enfin, nous aurons à nous pencher sur une disposition qui augmente l'effectif du bureau de la Haute assemblée.
Cette résolution émanait au départ d'une proposition déposée par les présidents des groupes de la majorité sénatoriale. Elle a été examinée sur le rapport de M. le sénateur DAILLY.
Les dispositions très éparses peuvent être ramenées à quatre idées principales ;
1° La résolution a pour effet d'augmenter l'effectif du Bureau du Sénat ;
2° Elle vise à adapter les prescriptions du règlement du Sénat relatives aux commissions d'enquête au régime juridique des Commissions d'enquête parlementaires, issu de la loi du 20 juillet 1991 ;
3° Elle modifie les règles de dépôt et d'examen des projets et propositions de loi ;
4° Elle traite des procédures abrégées.
Cet ordre correspondant à celui des articles, je vous invite à examiner dès à présent la question posée par l'augmentation de l'effectif du Bureau du Sénat.1° L'augmentation de l'effectif du Bureau du Sénat (article 1 de la résolution) :
Le dispositif adopté par le Sénat consiste à faire passer le nombre de
vice-présidents de 4 à 6 et celui des secrétaires de 8 à 12.
Il ne figurait pas à l'origine dans la proposition de résolution. Il résulte d'un amendement communiste, d'abord rejeté par la commission, puis adopté en séance publique à la suite d'une seconde délibération à 4 heures 30 du matin dans la nuit du 18 au 19 décembre dernier.
Quelles sont les raisons de l'adoption de cette disposition ?
Elle ne s'explique pas par un besoin soudain et impérieux d'aligner l'effectif du Bureau du Sénat sur celui de l'Assemblée nationale alors même que le nombre de sénateurs ne représente qu'un peu plus de la moitié de celui des députés.
A vrai dire, c'est moins l'augmentation du nombre des secrétaires que celle du nombre des vice-présidents qui doit retenir notre attention.
Fruit d'une démarche consensuelle, que certains parlementaires ont qualifiée de "tractations", cette disposition répond plutôt à des intérêts convergents de certains groupes parlementaires. Elle permet, en effet, aux communistes d'accéder à la vice-présidence et au groupe R.P.R. d'occuper un second siège de vice-président .
Si la nécessité réelle de cette mesure vous échappe, elle ne souffre pas néanmoins d'inconstitutionnalité pour deux raisons.
D'une part, l'article 40 de la Constitution n'est pas opposable à telles initiatives ;
D'autre part, nous avons estimé en 1961 (61-12 DC, 30 mai 1961) que la Constitution laissait aux assemblées parlementaires le soin de fixer les conditions de désignation des membres de leur bureau. Il en va de même à mon sens de leur nombre.
Je vous proposerai donc, Monsieur le Président, d'examiner, dès maintenant la partie du projet de décision consacrée à cette question.
Monsieur le Président : Oui, très bien, paragraphe par paragraphe, nous passerons directement à la lecture du projet.
Monsieur FAURE procède à la lecture de la partie correspondante du projet, puis, la rédaction n'appelant pas d'observation de la part des
conseillers :
J'en viens (2°) aux modifications des règles relatives aux commissions d'enquête (articles, 2, 3 et 4 de la résolution) :
Ces modifications sont de trois ordres. Je vous dirai d'abord quelques mots de deux nouvelles dispositions qui ne présentent pas de difficultés avant d'aborder ce qui devrait faire l'essentiel de nos débats.
Certaines de ces modifications sont rédactionnelles. Elles tirent les conséquences de l'adoption de la loi du 20 juillet 1991 qui unifie sous la même appellation de "commission d'enquête" les anciennes commissions d'enquête ou de contrôle. Il s'agit là des dispositions de l'article 2 de la résolution qui, au regard de la Constitution, n'appellent pas d'observations particulières.
Je pense que vous vous rallierez aussi à ma proposition de déclaration de conformité des dispositions de l'article 4, que j'examinerai dès à présent pour la commodité de notre discussion.
Elles concernent les sanctions applicables en cas d'inobservation de la règle du secret des travaux non publics des commissions d'enquête. Il faut savoir que la loi du 20 juillet 1991 a posé le principe de la publicité des auditions des commissions d'enquête sauf décision contraire de celles-ci.
En revanche, tous les autres travaux des commissions d'enquête, qu'il s'agisse par exemple de leur réunion constitutive, de la délibération sur le rapport, sont soumis au régime du secret.
La nouvelle rédaction de l'article 100 du règlement du Sénat limite les sanctions au cas où il y a divulgation des travaux secrets d'une commission d'enquête, cette violation étant sanctionnée par l'exclusion du sénateur de la commission.
Là encore, il n'y a pas de motif d'inconstitutionnalité.
Monsieur MAYER : Par quel moyen peut-on savoir que c'est celui-là et pas un autre qui a violé le secret ?
Monsieur le Président : Ne vous faites pas de souci à ce sujet. Dans la pratique, tout va très bien.
Monsieur MAYER : Oui, en réalité, tout cela est inopérant ?...
Monsieur le Président : Je ne me fais pas beaucoup d'illusions...
Monsieur FAURE : Chacun y allant de sa déclaration à la sortie, sauf à supprimer la commission, personne ne sera sanctionné...
La difficulté sur le plan juridique tient au mode de désignation des membres des commissions d'enquête.
L'article 3 de la résolution a été rédigé selon M. DAILLY pour mettre le règlement du Sénat en conformité avec le 4ème alinéa de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, tel qu'il résulte de la loi du 20 juillet 1991.
Or nous pouvons avoir quelques doutes sur la réalité de cette conformité.
En effet le 2ème alinéa de l'article 11 du règlement du Sénat introduit par l'article 3 de la résolution se contente de reprendre les règles applicables aux commissions spéciales. Il dispose :
"Pour la nomination des membres des commissions d'enquête dont la création est décidée par le Sénat, une liste des candidats est établie par les présidents des groupes et le délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, conformément à la règle de la proportionnalité. Il est ensuite procédé selon les modalités prévues à l'article 8, alinéas 3 à 11". Il s'agit là des règles qui régissent l'opposition aux candidatures affichées".
De son côté, le 4ème alinéa de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée affirme que "Les membres des commissions d'enquête sont désignés de façon à y assurer une représentation proportionnelle des groupes politiques".
Par conséquent la résolution ajoute aux sénateurs appartenant à un groupe, les non-inscrits.
La contrariété qui existe entre ces deux textes est d'autant plus embarrassante que les lois ordinaires prises en vertu de l'alinéa 1er de l'article 92 de la Constitution, au rang desquelles figure l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée, sont des normes de référence pour le contrôle de constitutionnalité des règlements des assemblées.
Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de l'affirmer à trois reprises (66-28 DC, 8 juillet 1966 ; 69-37 DC, 20 novembre 1969 ; 77-86 DC, 3 novembre 1977).
Je crois, pour ma part, qu'il est sage de maintenir cette jurisprudence pour au moins deux raisons.
Il me paraît justifié que les règlements des assemblées soient subordonnés à une loi prise pour la mise en place des institutions, qu'elle ait valeur organique ou ordinaire, lorsque cette norme est la seule qui fixe une règle que les règlements des assemblés appliquent. Aucune disposition constitutionnelle ou organique n'évoque en effet les commissions d'enquête. Seule l'ordonnance du 17 novembre 1958 modifiée définit entre autres leurs pouvoirs, leur durée et leur mode de désignation mais ce sont les règlements des assemblées qui définissent les modalités pratiques de cette désignation.
Une deuxième raison me conduit à rester fidèle à cette hiérarchie des normes entre les règlements des assemblées et les ordonnances même non organiques prises en vertu de l'article 92 de la Constitution. Je crois fondamentalement qu'une assemblée ne saurait remettre en cause par le seul biais de son règlement un texte adopté par le Parlement. J'en suis d'autant plus convaincu que l'ordonnance en question prise en vertu de l'article 92 de la Constitution est relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et qu'il est logique que les règles posées par cette ordonnance soient en principe appliquées de manière identique par les deux assemblées.
Une objection peut certes être adressée à notre jurisprudence. Ne serait-il pas paradoxal d'opposer à une assemblée, lorsqu'elle élabore son règlement, une disposition de loi organique ou de loi ordinaire qui serait elle-même inconstitutionnelle ?
Mais cette objection me paraît pouvoir être réfutée en fonction de deux ordres de considérations.
J'observe tout d'abord que si le texte organique ou la loi ordinaire a été en son temps soumis à notre contrôle, aucune difficulté ne se présente au regard de la hiérarchie des normes.
Et si tel n'est pas le cas nous avons pris l'habitude en pareille hypothèse de procéder à une interprétation neutralisante de la norme juridique prise pour l'application de la Constitution.
Nombreuses sont les hypothèses où l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 sur les lois de finances a été interprétée par nous dans un sens conforme à la Constitution. Cette technique d'interprétation étant d'autant plus indispensable à adopter que les ordonnances prises sur le fondement de l'article 92 de la Constitution entre le 4 octobre 1958 et le 4 février 1959 ont toutes échappé au contrôle de constitutionnalité. Elles ont été promulguées à une époque où le Conseil constitutionnel n'était pas encore installé.
Au cas présent, il me semble que l'article 4 de la loi du 20 juillet 1991 en posant le principe de la désignation des membres des commissions d'enquête "de façon à y assurer une représentation proportionnelle des groupes politiques" n'a pas édicté de norme inconstitutionnelle.
Nous pouvons donc veiller au respect de cette disposition pour chaque assemblée lorsqu'elle élabore ou modifie son règlement interne.
Ces explications étant données, devons-nous censurer le fait pour le Sénat de permettre au délégué des sénateurs n'appartenant à aucun groupe de participer à la désignation des membres d'une commission d'enquête créée par le Sénat ?
En droit strict, une solution de non-conformité pourrait fort bien être retenue. La lettre de l'article 4 de la loi du 20 juillet 1991 est plutôt en ce sens. Un des projets qui vous a été distribué illustre cette solution.
Mais mes préférences sont plutôt dans le sens d'une solution plus souple concrétisée dans le projet B.
Elle revient à ouvrir aux assemblées une marge de manoeuvre dans la mise en oeuvre de la disposition en cause.
Après tout, si le règlement d'une assemblée réserve une place spécifique à ceux de ses membres qui n'appartiennent à aucun groupe, on peut admettre que la structure administrative qui a été prévue pour eux soit équivalente à celle d'un groupe politique au sens de l'article 4 de la loi du 20 juillet 1991.
En ce sens on peut faire valoir des arguments tirés de la pratique sénatoriale. Ainsi un délégué représentant les non-inscrits siège à la conférence des présidents ; il est tenu compte de ces sénateurs non-inscrits dans les débats organisés au même titre que leurs collègues inscrits à un groupe ou apparentés.
J'ajoute que l'œcuménisme sénatorial part d'un bon sentiment et que l'on ne saurait se montrer trop sévère à l'égard du Sénat qui a tenu compte de nos observations dans la réforme des procédures abrégées, comme nous allons le voir.
Je crois vous avoir posé les termes de l'alternative et vous avoir suffisamment exposé mes sentiments pour que nous puissions engager la discussion
Monsieur le Président : Bien, Messieurs, qui veut intervenir sur cette question ?
Monsieur FABRE : J'incline moi aussi pour la compréhension à l'égard des non-inscrits. Je l'ai été assez longtemps pour savoir l'inconfort de cette position.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Je pense avec le rapporteur qu'il y a infiniment d'intérêt à ne pas censurer sur ce point. J'ai été pendant plus de douze ans à la conférence des Présidents, il y avait toujours un délégué des non-inscrits, assimilé à un président de groupe. Ce qu'il y a, c'est qu'à l'Assemblée nationale, il y a 20 à 25 non-inscrits, tandis qu'au Sénat, c'est
Monsieur FAURE : Il est bonapartiste : il n'a pas pu former un groupe !...
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Dans ces conditions, je crois qu'il faut suivre la tendance du rapporteur.
Monsieur ROBERT : Le ministre d'Etat a fort bien exposé les deux approches, de droit strict ou celle nécessitant un effort. En droit strict, on ne peut pas ne pas adopter le projet A. Même avec le plus grand libéralisme d'interprétation, l'ordonnance de 1958 est violée. La notion de "groupe politique" est précise... Mais je me rallierai au projet B. Il y a déjà leur présence à la conférence des présidents, qui constitue un précédent... Et puis une censure aboutirait à faire une mauvaise manière au Sénat sur un point mineur.
Monsieur LATSCHA : Compte tenu des efforts faits par ailleurs par le Sénat pour s'aligner sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et de la tradition sénatoriale, il n'y a pas de raison de ne pas accepter la présence de ce délégué...
Monsieur CABANNES : B.
Monsieur MAYER : B.
Monsieur le Président : Quand il s'agit du règlement des Assemblées, nous ne devons aller contre qu'en cas d'excès possible de la majorité. Ici, c'est l'inverse : c'est un cadeau à la minorité. Ce n'est pas conforme à la lettre, mais l'essentiel est sauvegardé : il nous faut laisser passer. Je ne suis pas partisan d'un contrôle abstrait. Si le Sénat veut vivre comme ça...
Monsieur FAURE procède à la lecture de la partie correspondante du projet B.
Monsieur ROBERT : Je ne suis pas d'accord page 4. Ces dispositions impliquent "en principe", puis "que, toutefois..." : ne pourrait-on supprimer cela ?
Monsieur le Secrétaire général : C'est ce qui permet de faire l'effort d'interprétation sans condamner la solution adoptée par l'Assemblée nationale dans le cadre de son règlement...
Monsieur le Président : C'est là qu'on est "tordu", mais il faut bien l'être... Qu'est-ce que cela donnerait ?
Monsieur le Secrétaire général : Une suppression risque de faire naître une ambiguïté...
Monsieur le Président : Mieux vaut justement n'en pas sortir. Ça donne quoi ?
Monsieur FAURE procède à une nouvelle lecture en supprimant les deux dernières phrases du deuxième considérant de la page 4.
L'amendement est adopté à l'unanimité ainsi que le reste du projet sur ce point.
Monsieur FAURE : J'en arrive (3°) aux nouvelles règles afférentes au dépôt et à l'examen des projets et propositions de loi :
Il s'agit des articles 5, 6 et 7 de la résolution qui touchent respectivement au renvoi pour avis aux commissions permanentes ; au dépôt des projets et des propositions de loi dans l'intervalle des sessions et à la discussion des motions de procédure.
L'article 5 : Actuellement toute commission permanente qui désire être saisie pour avis en informe le Président du Sénat et cette demande est soumise à la décision du Sénat.
Il y a là une situation paradoxale dès lors qu'en vertu du 1er alinéa de l'article 16 du règlement les renvois au fond relèvent de la seule compétence du président du Sénat. On en arrive à cette situation où, comme le note M. DAILLY, le régime du principal (le renvoi au fond) est plus souple que le régime de l'accessoire (le renvoi pour avis).
Pour remédier à cette situation, la résolution distingue deux hypothèses :
- soit le Sénat n'est saisi que d'une demande d'avis et le Président renvoie le texte pour avis à la Commission permanente qui l'a formulée et en informe le Sénat ;
- soit le Sénat est saisi de plusieurs demandes d'avis, auquel cas le Président saisit la Conférence des Présidents. Celle-ci peut alors, soit ordonner le renvoi pour avis aux différentes commissions qui en ont formulé la demande, soit proposer au Sénat la création d'une commission spéciale.
Le dispositif suggéré ne me paraît pas contraire à l'article 43 de la Constitution dans la mesure où il respecte aussi bien l'autonomie des assemblées pour organiser le renvoi des textes aux commissions que la prérogative du gouvernement de demander la constitution d'une commission spéciale.
Je rappelle que dans une décision du 23 mai dernier, rendue à propos du règlement de l'Assemblée nationale, le Conseil
Les conditions de ce renvoi étant satisfaites par ailleurs par l'article 16 du règlement, je vous propose de déclarer les dispositions de l'article 5 de la résolution conformes à la Constitution.
Monsieur le Président : Messieurs ?... Personne ne souhaite intervenir ?... Alors on poursuit...
Monsieur FAURE : J'en arrive maintenant à l'article 6.
Il consacre une pratique relative au dépôt des projets, des propositions de loi et de résolution dans l'intervalle des sessions.
Le dépôt de ces textes fait l'objet d'une insertion au Journal officiel indiquant qu'il est rattaché pour ordre à la dernière séance que le Sénat a tenue antérieurement puis d'une annonce, lors de la 1ère séance publique qui suit.
La distribution des textes déposés fait également l'objet d'une insertion au Journal officiel. C'est elle qui fait courir les délais de procédure.
Sous réserve du rappel du respect des articles 40, 43 et 46 de la Constitution, nous pouvons déclarer ces dispositions conformes à la Constitution. Ces réserves m'ont été inspirées par celles que nous avions exprimées le 23 mai dernier également à propos du dépôt de textes dans l'intervalle des sessions de l'Assemblée nationale. J'y ai ajouté des réserves liées aux délais imposés par l'article 46 de la Constitution pour l'examen des textes de valeur organique.
Je pense que sous ces réserves d'interprétation vous me suivrez pour déclarer ces dispositions conformes à la Constitution.
Monsieur le Président : Poursuivez, Monsieur le rapporteur...
Monsieur FAURE : L'article 7 a trait aux notions de procédure.
Cet article poursuit trois objectifs :
- raccourcir la durée des interventions sur les motions de procédure tout en permettant à un représentant de chaque groupe de prendre la parole pour explication du vote ;
- faire discuter des exceptions d'irrecevabilité ou des questions préalables à la fin de la discussion générale ;
- redéfinir l'objet de la question préalable.
Je ne m'appesantirai pas sur les deux premiers points qui ne portent atteinte ni aux prérogatives du gouvernement ni aux droits des sénateurs dans le débat parlementaire.
Je souhaiterais m'attarder en revanche sur la question préalable. La définition classique de l'objet de la question préalable était de faire décider qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération. Mais nous savons depuis la période de cohabitation (de mars 1986 à mai 1988) que la question préalable peut revêtir une forme "positive" permettant ainsi à la majorité sénatoriale de gagner du temps en coupant court à l'examen et à la discussion de tout amendement.
L'éventualité d'une utilisation de la question préalable à cette fin m'a conduit à entourer l'usage de la question préalable de réserves qui apparaissent dans le projet. Encore que je vois mal comment on pourrait être saisis de la question.
Je vous invite à souligner dans notre décision que le recours de la question préalable ne doit pas avoir pour seule fin de faire obstacle à l'exercice du droit d'amendement garanti par la Constitution. Par là même nous défendrons les droits de la minorité auxquels nous sommes attachés.
Monsieur le Président : Je suis moins sûr que vous que l'on ne pourrait être saisi du problème...
Monsieur FAURE : Comment serions-nous saisis ? Il ne s'agit pas d'un texte de loi...
Monsieur le Président : Evidemment, c'est détourner la question préalable de son objet premier...
Monsieur FAURE : Le grand motif d'inconstitutionnalité, c'est que cela vide le droit d'amendement... Mais les députés pourraient-ils nous saisir d'une irrégularité commise au Sénat ?
Monsieur le Président : Est-il intéressant de mettre cette disposition interprétative à ce moment ?
Monsieur le Secrétaire général : Tout est là : faut-il mettre ou pas un clignotant, un signal d'alarme ? Le Conseil l'a déjà fait dans sa décision du 18 novembre 1986*.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Je vais me permettre de penser un peu tout haut... Le rapporteur a très bien dit ce qu'est le principe de la question préalable : il s'agit de montrer qu'on est résolument hostile, qu'on ne veut pas du principe même d'une discussion. Mais, si l'on garde ce dernier considérant dans cette rédaction, je crains que la possibilité soit ouverte à la minorité sénatoriale de venir dire systématiquement qu'on a empêché la discussion de ses amendements. Lors de toute question préalable on viendra dire : mon amendement a été déposé et pas discuté...
Monsieur LATSCHA : Je ne suis pas un spécialiste. Mais, de fait, il ne faudrait pas que cette rédaction empêche tout recours à la question préalable.
Monsieur FAURE : On précise : "n'ait pas pour seule fin". S'il s'agit de montrer une opposition résolue, la question préalable reste possible... Je reconnais que c'est sans sanction, mais il n'est pas mauvais de le dire...
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : On vous dira toujours que cela a été "à seule fin"... Je suis plutôt partisan de la suppression...
Monsieur MAYER : C'est une question "préalable" qui vient à la fin de la discussion générale, c'est déjà un peu particulier... Un bon orateur sait toujours glisser dans la discussion générale ce que sera son amendement ultérieur...
Monsieur FAURE : C'est tout de même un détournement de procédure...
Monsieur le Président : Je relis le considérant de 1986 ; on a dit : l'adoption par le Sénat de la question préalable dans des conditions qui n'affectent pas, "au cas présent", la régularité de la procédure... La mémoire infaillible de Monsieur GENEVOIS a encore une fois raison : il y avait un signal... Mais enfin qui n'était pas d'une grande limpidité : le message était plutôt codé... Faut-il aller plus loin ? Je ne le pense pas... Cela va engendrer une multitude de discussions... On va ressentir cela comme un corset et dire : ils se préparent à nous censurer... Nous ne serons pas pour autant désarmés si se présente un cas flagrant. Réservons-nous d'y aller en cas d'éclatant détournement de procédure.
Monsieur FAURE : Je n'insiste pas...
Monsieur le Président : Il n'est pas indispensable de créer des tumultes ex nihilo. Monsieur GENEVOIS livrera les pensées secrètes du sphinx dans ses écrits à l'usage de la doctrine...
Monsieur FAURE procède à la lecture de la partie correspondante du projet, puis, s'interrompant, page 12 : on ne se prononce pas sur ce point de départ du délai de réflexion de quinze jours.
Monsieur le Secrétaire général : C'est une question qui avait divisé le Conseil par le passé...*
Monsieur le Président : Ils auraient dû trancher cette équivoque...
Monsieur FAURE reprend la lecture du projet en ce qui concerne les motions de procédure ; puis, ayant achevé sur ce point : ... On maintient à propos de la question préalable l'équivoque... Cela a même l'air de dire qu'on valide l'interprétation mauvaise du Sénat...
Monsieur le Président : Faut-il maintenir : "qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération" ?
Monsieur FAURE : C'est le texte du règlement. Ce serait mieux de se borner à "traduire l'opposition du Sénat à l'ensemble du texte"...
Monsieur le Président : Il y a confusion entre l'objet (il n'y a pas lieu de poursuivre) et le motif (traduire l'opposition). Il n'y a pas d'alternative. Les deux plans sont différents.
Monsieur le Secrétaire général : Mais le Sénat dans sa résolution envisage deux hypothèses distinctes.
Monsieur FAURE : Il n'y a qu'à maintenir le texte.
Monsieur le Secrétaire général : S'agissant d'un contrôle de constitutionnalité obligatoire, il faut savoir à quoi le Conseil constitutionnel donne son aval.
Monsieur le Président : Laissons les choses ainsi, inutile de gloser davantage.
Monsieur MAYER : Mais cela sous-entend que nous sommes favorables au texte...
Monsieur le Président : Ce n'est pas la peine de perdre du temps
là-dessus ; ce que nous voulons, c'est interdire le détournement de pouvoir ; ce n'est pas le cas pour l'instant. Qui est pour l'adoption ?
(Tous les conseillers répondent favorablement, sauf Monsieur MAYER qui s'abstient).
Monsieur FAURE : J'en termine avec (4°) les procédures abrégées (article 8 de la résolution) :
Vous vous souvenez encore des débats auxquels avait donné lieu, le 7 novembre 1990 au sein du Conseil, l'examen de cette
S'agissant du vote sans débat, celui-ci était transféré de la séance publique à la séance de la Commission, le rôle de la séance publique étant limité à l'approbation ou au rejet des décisions de la commission.
Le Conseil constitutionnel avait censuré la procédure de vote sans débat. Il avait jugé que l'interdiction faite à tout sénateur de reprendre en séance plénière un amendement écarté par la commission saisie au fond, portait atteinte à l'exercice du droit d'amendement.
La procédure de vote après débat restreint ne souffrait pas de ces mêmes griefs d'inconstitutionnalité.
C'est en prenant en considération notre décision que le Sénat s'est remis à la tâche et s'est prononcé en faveur d'une nouvelle procédure de vote sans débat, celle-ci pouvant toujours être convertie en vote après débat restreint.
La procédure de vote sans débat qui nous est proposée comporte, une fois engagée, deux étapes : le passage en commission et le passage en séance publique.
Lors du passage en commission, la résolution respecte les droits des parlementaires Cela est vrai tant de leur information que du droit d'amendement ouvert à tous les sénateurs. De son côté, le gouvernement se voit autorisé à opposer à ce stade les articles 40 et 41 de la Constitution.
A l'issue de l'examen en commission, la résolution s'est attachée à garantir aussi bien les prérogatives du gouvernement que celles des parlementaires.
Ainsi il est procédé à une conversion en débat restreint lorsque le gouvernement le demande ou lorsqu'il a déposé des amendements. Toutefois, pour que le délai prévu pour l'expression de cette demande ne fasse pas obstacle aux prérogatives du gouvernement dans la fixation de l'ordre du jour prioritaire, il m'a paru utile de rappeler le pouvoir qu'il tient de l'article 48 de la Constitution.
Quant aux parlementaires, leurs droits d'amendement et de
sous-amendement sont respectés.
En effet, à la différence du système qui nous avait été soumis en novembre 1990, il faut savoir que les amendements rejetés par la commission pourront avant la clôture de la discussion générale être repris par leur auteur, qui disposera de cinq minutes pour les présenter.
Par ailleurs, le Sénat applique aux sous-amendements les mêmes règles de recevabilité et de discussion que celles qui concernent les amendements, conformément aux principes que nous avions dégagés le 18 juin 1986.
Dans ces conditions, je vous invite à déclarer l'article 8 de la résolution conforme à la Constitution.
Monsieur le Président : Bien, bien... Quelqu'un souhaite intervenir ?... Bon... Alors nous passons au projet.
Monsieur FAURE procède à la lecture correspondante du projet ; après avoir lu le dispositif : Des "réserves", il n'y en a plus ?...
Plusieurs conseillers : Si, plusieurs...
Monsieur le Secrétaire général : Le Conseil a adopté un article 1er de ce genre dans sa décision du 23 mai 1991*.
Monsieur le Président : On a dit "réserves d'interprétation" ou "réserves" tout court ?
Monsieur le Secrétaire général : "Réserves" tout court.
Monsieur le Président : Alors très bien... Nous passons au vote.
(Le projet est adopté à l'unanimité).
La séance est interrompue à 11 h 35.
La séance est reprise à 11 h 58.
Monsieur le Président : Eh bien, Monsieur le Bâtonnier, c'est à vous.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 décembre 1991 par plus de 60 députés de la loi renforçant la protection des consommateurs.
Les députés font porter leurs critiques sur un seul article de cette loi, l'article 10, relatif à la publicité comparative.
Depuis une trentaine d'années, d'assez nombreuses lois sont intervenues dans notre pays pour renforcer la protection des consommateurs.
Le souci d'assurer la protection des consommateurs est certes ancien. Il suffit à cet égard de rappeler les dispositions du Code civil relatives aux vices du consentement, à la garantie contre les vices cachés, à la garantie décennale en matière de
Mais les profonds changements qui ont affecté le domaine de la consommation ont rendu nécessaire le renforcement de cette protection. Le désir de consommer, sous les formes les plus diversifiées, est devenu une préoccupation et parfois une occupation essentielle des populations urbaines. L'essor de la publicité, la multiplication des grandes surfaces et des centres commerciaux, les facilités offertes par le crédit à la consommation ont favorisé cette tendance au point que l'homme moderne se veut autant consommateur que citoyen. Il cherche par ailleurs à retrouver dans le domaine de la consommation les garanties et les protections dont il bénéficie en sa qualité de citoyen.
Le déséquilibre entre professionnels et consommateurs s'est aggravé du fait de l'accroissement de la taille des entreprises et de la complexité des produits et des services mis sur le marché. Le développement économique s'accompagne de certains abus, spécialement en matière de transactions immobilières, de produits financiers et de services.
Pour lutter contre ces abus, les règles juridiques de droit commun se révèlent peu efficaces. En vertu du principe de l'autonomie de la volonté, une personne est engagée dès lors qu'elle a contracté et les dispositions protectrices du Code civil apparaissent insuffisantes, en raison notamment, de la difficulté de la preuve et du coût de l'action en justice.
Le législateur a dû poser des règles spécifiques nouvelles destinées à protéger les consommateurs. Il l'a fait de façon essentiellement ponctuelle, au hasard des besoins et des circonstances. Il en est résulté, depuis une trentaine d'années, une multiplicité de textes, chacun d'objet limité, se modifiant mutuellement mais dont l'ensemble a renforcé très sensiblement les droits et garanties des consommateurs. Dans le même temps ceux-ci ont renforcé leurs moyens d'action grâce à la constitution de puissantes associations "consuméristes". Parmi ces textes, je citerai :
- la loi du 5 décembre 1951 tendant à réglementer la pratique des arrhes ;
- la loi du 22 décembre 1972 relative à la protection des consommateurs en matière de démarchage et de vente à domicile ;
- deux lois du 10 janvier 1978 relatives, l'une à l'information et à la protection des consommateurs dans le domaine du crédit, l'autre à la protection
- la loi du 21 juillet 1983 relative à la sécurité des consommateurs et instituant la commission de la sécurité des consommateurs ;
- l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et imposant aux professionnels une obligation d'information ;
- la loi du 5 janvier 1988 relative aux actions en justice des associations agréées de consommateurs ;
- la loi du 23 juin 1989 relative à la protection des consommateurs ;
- la loi du 31 décembre 1989 tendant à prévenir et à régler les difficultés liées au surendettement des consommateurs.
La tendance au renforcement de la protection des consommateurs et au développement du "consumérisme" n'est pas propre à la France. On la constate dans toute l'Europe occidentale, spécialement dans les pays scandinaves (en Suède existe un ombudsman des consommateurs ainsi que des services municipaux mettant à la disposition de la population un véritable enseignement de la consommation). Enfin, au niveau de la Communauté économique européenne sont intervenues de nombreuses directives fixant les spécifications des produits ainsi que des normes de qualité que les Etats membres introduisent peu à peu dans leur droit interne.
La loi qui nous est déférée se situe dans notre tradition législative en la matière qui est de procéder par touches successives : elle ajoute de nouvelles dispositions à l'arsenal législatif existant, de façon tout aussi fragmentaire et disparate ; par son contenu, c'est en quelque sorte un "D.M.O.S." de la consommation.
Les dispositions qu'elle contient, d'inégale importance peuvent être réparties en deux catégories. En premier lieu, on y trouve un ensemble de dispositions ponctuelles, de portée souvent très limitée, qui ne sont pas critiquées par les auteurs de la saisine et qui, sauf en ce qui concerne l'article 13, n'appellent pas d'observation sur le plan constitutionnel. En second lieu, figure à l'article 10 une disposition essentielle qui constitue une innovation : c'est celle autorisant le recours à la publicité comparative ; les auteurs de la saisine en contestent la conformité à la Constitution.
Je rappellerai brièvement le contenu des dispositions non contestées avant de consacrer l'essentiel de mon propos à l'article 10.
I - Dispositions de la loi autres que celles de l'article 10.
En raison de leur caractère fragmentaire, j'analyserai ces dispositions dans l'ordre des articles qui leur sont consacrés.
- Article 1er :
Cet article a pour objet d'étendre le champ d'application de délit d'abus de faiblesse institué par la loi du 22 décembre 1972 et qui réside dans le fait d'abuser de la faiblesse ou de l'ignorance d'une personne pour lui vendre des objets. Actuellement limité au seul cas du démarchage à domicile, le champ d'application de ce délit est étendu à de nouveaux cas : démarchage par téléphone ou télécopie, sollicitation à se rendre sur un lieu de vente, assortie de l'offre d'avantages particuliers, réunions ou excursions organisées par un professionnel, etc...
- Article 2 :
Cet article prévoit une obligation générale d'information par le professionnel sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service offert et impose au vendeur de biens meubles l'obligation d'indiquer au consommateur la période pendant laquelle il est prévisible que les pièces indispensables à l'utilisation du bien seront disponibles sur le marché.
- Article 3 :
L'article 3, relatif à l'information contractuelle en cas d'exécution différée du contrat, prévoit que, dans tout contrat ayant pour objet la vente d'un bien meuble ou la fourniture d'une prestation de services, le professionnel doit, lorsque la livraison du bien ou la fourniture de la prestation n'est pas immédiate et si le prix convenu excède des seuils fixés par décret, indiquer la date limite à laquelle il s'engage à livrer le bien ou fournir la prestation. Le consommateur pourra dénoncer le contrat en cas de dépassement de cette date. Les sommes versées d'avance sont présumées être des arrhes.
- Article 4 :
L'objet de cette disposition est de prolonger la garantie contractuelle en cas de retard dans la réparation d'un bien meuble pendant le cours de la garantie.
- Article 5 :
Cet article fait obligation au professionnel, dans toute offre de vente d'un bien ou de fourniture d'une prestation faite à distance, d'indiquer le nom, l'adresse et les coordonnées téléphoniques de l'entreprise.
- Article 6 :
L'article 6 étend le champ d'application de l'interdiction de la publicité pour le crédit gratuit ou pour le crédit-report aux prêts, contrats et opérations de crédit passés en la forme authentique ou à ceux d'un montant excédant un seuil déterminé.
- Article 7 :
L'article 7 étend aux prestataires de services l'interdiction de la vente forcée, c'est-à-dire l'interdiction d'envois de produit qui n'ont pas fait l'objet d'une commande préalable.
- Article 8 :
Cet article est relatif à l'action en représentation conjointe exercée par les associations agréées de consommateurs.
Trop souvent des consommateurs hésitent à intenter une action en justice pour obtenir réparation d'un préjudice d'un montant peu élevé alors que cette pratique entraîne pour le professionnel qui en est l'auteur un profit substantiel du fait de sa répétition sur de nombreux produits.
Le droit d'agir en justice reconnu aux associations de consommateurs par la loi du 27 décembre 1973 et celle du 5 janvier 1988 en vue de défendre les intérêts collectifs qu'elles représentent ne leur permet pas de représenter l'intérêt individuel des consommateurs lésés. L'article 8 de la loi tend à combler cette lacune en permettant à une association de consommateurs agréée et reconnue représentative sur le plan national d'agir en réparation devant toute juridiction civile ou pénale si elle a été mandatée par au moins deux consommateurs lésés du fait d'un même professionnel ; l'association agit alors comme mandataire de ces consommateurs
- Article 9 :
L'objet de cet article est d'accomplir le régime de fermeture des établissements. Actuellement, lorsqu'un préfet ordonne, en vertu des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 221-17 du Code du travail, la fermeture au public d'une catégorie d'établissements pendant le repos hebdomadaire, spécialement le dimanche, cette mesure s'impose à tous les établissements, même à ceux n'employant pas des salariés et fonctionnant de manière entièrement automatique. C'est ainsi que des stations service de distribution d'essence entièrement automatisées, même pour le paiement, doivent rester fermées, ce qui peut constituer une gêne sérieuse dans des zones peu peuplées. L'article 9 porte remède à cet inconvénient.
- Article 11 :
En vertu de cet article et à compter du 1er janvier 1992 toute référence à un indice des prix à la consommation pour la détermination d'une prestation, d'une rémunération, d'une dotation ou de tout autre avantage s'entend d'un indice ne prenant pas en compte le prix du tabac.
Cette disposition revient partiellement sur l'article 1er de la loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme dont le Conseil avait eu à connaître sur le rapport de notre collègue Robert FABRE.
- Article 12 :
Cet article prescrit l'élaboration d'un code de la consommation qui rassemblera les textes législatifs et réglementaires relatifs aux relations entre consommateurs et professionnels, portant ainsi remède à la multiplicité et à la complexité des textes en vigueur.
- Article 13 :
L'objet de cet article est très limité. Il consiste à interdire toute mention indiquant, suggérant ou laissant croire que les édulcorants de synthèse possèdent des propriétés semblables à celles du sucre alors qu'ils ne les possèdent pas.
L'article précise in fine que les dispositions de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications sont applicables à la recherche, à la constatation et à la régression des infractions aux prescriptions dudit article. Cette dernière mention pourrait appeler des objections d'ordre constitutionnel. Les auteurs de la saisine n'en soulèvent pas. J'examinerai ce point à la fin de mon rapport.
II - Article 10 relatif à la publicité comparative.
Cet article est le seul article de la loi que contestent les auteurs de la saisine.
Aucune loi n'interdit en France la publicité comparative. Cependant, la Cour de Cassation, se fondant notamment sur l'article 1382 du Code civil et sur l'article 422 du Code pénal prohibant l'usage d'une marque sans l'autorisation du propriétaire, estime illicite comme constituant un acte de concurrence déloyale toute comparaison de marques à des fins publicitaires, même si cette comparaison repose sur des affirmations exactes. Selon cette jurisprudence, le propriétaire d'une marque déposée a, en effet, un droit exclusif sur celle-ci et peut agir contre quiconque y porte atteinte de quelque manière que ce soit, même si la marque est mentionnée sur de simples documents publicitaires et si aucune confusion n'est possible pour les acheteurs (Cassation, ch. commerciale, 19 juillet 1973, 29 octobre 1975, 20 mars 1989).
Depuis un arrêt du 22 juillet 1986 la chambre commerciale admet toutefois la licéité de la publicité comparative lorsqu'elle se borne à comparer des prix auxquels des produits identiques sont vendus dans les mêmes conditions. Elle subordonne cette licéité à des conditions strictes : la comparaison doit porter sur des produits identiques qui doivent être disponibles en quantité suffisante et être vendus dans les mêmes conditions ; le message publicitaire doit se borner à la comparaison des prix et les indications données ne doivent pas être inexactes.
La méconnaissance des interdictions et conditions ci-dessus mentionnées expose leurs auteurs à des actions civiles pour concurrence déloyale et dénigrement et à des poursuites pénales, notamment pour usage de marque sans autorisation ou publicité mensongère.
Tel est l'état du droit en France en matière de publicité comparative avant l'intervention de l'article 10 du texte qui nous est déféré.
J'en viens maintenant à l'analyse des dispositions de l'article 10. Il comporte trois paragraphes.
Le paragraphe I dispose tout d'abord que la publicité qui met en comparaison des biens ou services en utilisant, soit la citation ou la représentation de la marque de fabrique, de commerce ou de service d'autrui, soit la citation ou la représentation de la raison ou de la dénomination sociale, du nom commercial ou de l'enseigne d'autrui n'est autorisée que si elle est loyale, véridique et si elle n'est pas de nature à induire en erreur le consommateur. Cette publicité doit être limitée à une comparaison objective, qui ne doit porter que sur des caractéristiques essentielles, significatives, pertinentes et vérifiables de biens ou services de même nature et disponibles sur le marché. Lorsque
Ce même paragraphe I comporte d'autres conditions : interdiction de toute comparaison ayant pour objet principal de tirer avantage de la notoriété attachée à une marque et de toute comparaison présentant des produits ou services comme l'imitation ou la réplique de produits ou services revêtus d'une marque ; s'agissant des produits bénéficiant d'une appellation d'origine contrôlée, il y a interdiction de la comparaison entre produits ne bénéficiant pas de la même appellation ; obligation est faite à l'annonceur d'être en mesure de prouver l'exactitude de ses indications et de communiquer l'annonce comparative aux professionnels visés.
Le paragraphe II dispose que, indépendamment d'une action en réparation civile en cas de faute, la méconnaissance des prescriptions du paragraphe I est passible des peines sanctionnant, soit le délit de contrefaçon, soit les publicités mensongères ou de nature à induire en erreur.
Enfin le paragraphe III fait obligation au Gouvernement de déposer, au plus tard le 2 avril 1994, sur le bureau des Assemblées un rapport évaluant les conséquences de l'application du présent article 10 en proposant les modifications législatives ou réglementaires nécessaires.
Selon les députés auteurs de la saisine, l'article 10 porte atteinte au droit de propriété sur une marque de fabrique, de commerce ou de service, en méconnaissance des articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Ils estiment, en effet que tant la loi du 4 janvier 1991 relative aux marques de fabrique, de commerce ou de service que la directive du conseil de la Communauté européenne du 21 décembre 1988 confèrent au titulaire d'une marque un droit de propriété exclusif lui donnant la possibilité d'interdire l'usage de celle-ci par des tiers, notamment dans la publicité. Ils estiment en outre qu'aucun intérêt général ne justifie qu'il soit porté atteinte à ce droit.
Le Conseil constitutionnel a eu à statuer il y a un an sur une affaire qui, tout comme la présente affaire, mettait en cause le régime des marques de fabrique, de commerce ou de service.
Saisi de la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme qui contenait des dispositions prohibant la publicité en faveur du tabac, le Conseil, par une décision du 8 janvier 1991 a déterminé les conditions dans lesquelles il pouvait être apporté des limitations au droit des marques et, de façon général, au droit de propriété.
Nous avons constaté que le champ d'application du droit de propriété s'était étendu à des domaines nouveaux au nombre desquels figure le droit pour le propriétaire d'une marque de fabrique, de commerce ou de service d'utiliser
celle-ci et de la
Mais nous avons constaté que l'évolution qu'a connu le droit de propriété s'était également caractérisée par des limitations à son exercice exigées au nom de l'intérêt général ; un intérêt général, alors surtout qu'il a un fondement constitutionnel est de nature à justifier que soient apportées des limitations à l'exercice du droit de propriété, sous réserve que ce droit ne soit pas affecté dans son existence ou ne soit pas transféré, auxquels cas l'article 17 de la Déclaration de 1789 trouverait à s'appliquer.
S'agissant de la loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, nous avons estimé que la protection de la santé, qui trouve un fondement dans le Préambule de 1946, justifiait les restrictions de publicité contenues dans la loi, constituant autant de limitations à l'exercice du droit de propriété.
Il vient à l'esprit de faire application de cette jurisprudence à la présente affaire et c'est ce que finalement je vous proposerai.
Certes, il résulte tant de la jurisprudence de la Cour de Cassation citée précédemment que de la législation en vigueur que l'usage d'une marque par un tiers sans l'autorisation du propriétaire apporte une atteinte à l'exercice du droit de propriété sur cette marque. Mais, dans l'intention du législateur, l'atteinte est apportée par l'article 10 de la présente loi au nom de l'intérêt général, à savoir l'amélioration de l'information des consommateurs et la stimulation de la concurrence. Dans ces conditions, la limitation ainsi apportée au droit de propriété n'apparaît pas contraire à la Constitution. Notre décision du 8 janvier 1991 semble bien transposable à la présente affaire.
L'hésitation qu'on peut avoir sur cette transposition repose sur deux motifs.
Tout d'abord, alors que s'agissant de la lutte contre le tabagisme, il existait un intérêt général indiscutable, l'intérêt de la santé publique - cet intérêt général est moins marqué dans la présente affaire - on peut faire valoir à cet égard que les limitations que la loi déférée apportent à l'exercice du droit de propriété ont pour objet essentiel de permettre la promotion d'intérêts économiques particuliers en utilisant la marque d'autrui ; l'argument, il est vrai, n'est pas décisif, car la poursuite d'intérêts économiques particuliers peut concourir au développement économique général, donc à la réalisation d'un objectif d'intérêt général. Il reste que l'intérêt général qui peut être invoqué dans la présente affaire est plus incertain, plus aléatoire, en un mot moins substantiel que lorsqu'il
Le second motif d'hésitation tient à ce que, contrairement à l'affaire qui a donné lieu à notre décision du 8 janvier 1991, l'intérêt général qu'on peut invoquer à propos de la présente loi n'a pas de fondement constitutionnel. Alors que la décision du 8 janvier 1991 relève que la protection de la santé a un fondement dans le Préambule de 1946, on s'aperçoit pas quelle disposition constitutionnelle pourrait servir de point d'ancrage à l'intérêt général que constitue la stimulation de la concurrence et l'amélioration de l'information des consommateurs.
Ainsi la transposition pure et simple de notre décision de janvier 1991 représente un certain infléchissement du raisonnement qui fonde cette décision.
Cependant, je n'ai pas le sentiment que les atteintes apportées à certains attributs de la propriété des marques par l'article 10 en ce qu'il autorise la citation de la marque d'autrui dans le cadre de la publicité comparative soient indiscutablement contraires à la Constitution.
En effet, l'article 10 comporte un ensemble de limitations de réserves et de conditions qui atténuent très substantiellement les atteintes pouvant être portées à l'exercice de la propriété des marques : la publicité doit être loyale et véridique ; elle ne doit pas induire le consommateur en erreur ; la comparaison doit être objective et être limitée aux caractéristiques essentielles des biens ; aucune comparaison ne peut avoir pour objet principal de tirer avantage de la notoriété d'une marque ; l'annonceur doit être en mesure de prouver l'exactitude de ses allégations ; l'annonce comparative doit être communiquée avant diffusion aux professionnels visés ; s'agissant de la publicité comparative sur les prix, doivent être respectées des conditions qui sont exactement celles qui ont été posées par la Cour de Cassation.
Compte tenu de cet ensemble de conditions et garanties, je ne crois pas devoir vous proposer de déclarer l'article 10 contraire à la Constitution.
Avant de terminer, je dirai quelques mots d'un problème qui se pose au sujet de l'article 13.
Cet article donne une nouvelle rédaction du I de l'article 10 de la loi du 5 janvier 1988. Dans cette nouvelle rédaction, le premier alinéa de ce paragraphe interdit de faire figurer dans les étiquetages et les procédés et modes de vente, de
Or il apparaît que certaines dispositions de la loi de 1905 ne satisfont pas en tous points aux exigences constitutionnelles, telles que notre Conseil a été amené à les énoncer : la loi ne détermine pas elle-même les catégories de personnes compétentes pour constater les infractions à celles de ses dispositions qui sont pénalement sanctionnées ; elle autorise des perquisitions au domicile des particuliers sans prévoir des mesures conférant à l'autorité judiciaire la responsabilité et le pouvoir de contrôle qui lui reviennent lorsqu'est en cause la liberté individuelle. Il en résulte que l'article 13 de la loi présentement examinée, en tant qu'il étend le champ d'application de dispositions de la loi de 1905 d'une constitutionnalité plus que douteuse pourrait être déclaré contraire à la Constitution.
Ce point n'est pas soulevé par les auteurs de la saisine. Je ne vous propose pas de le soulever d'office. Une déclaration de non conformité de l'article 13 de la présente loi créerait d'ailleurs un "porte à faux" : nous ne pouvons censurer la loi de 1905, qui demeurerait applicable y compris dans ses dispositions que nous critiquons et la seule portée juridique de notre censure concernerait les édulcorants.
En conclusion, j'ai l'honneur de proposer au Conseil de déclarer la présente loi non contraire à la Constitution.
Mais je ne voudrais pas terminer mon dernier rapport sans dire - au-delà de la clause de style - mes remerciements au service juridique, à Monsieur GENEVOIS et à Monsieur PAOLI. Il est certain que c'est grâce à eux si j'ai pu vous paraître très calé. Il faudra rendre à César, ou plutôt à Bruno et à Lucien ce qui leur revient. J'ai envers eux une reconnaissance profonde, ainsi qu'envers vous, Monsieur le Président et mes chers collègues, qui, à quelques reprises au cours de ces années, avez eu la patience de m'écouter.
Monsieur le Président : Merci, Monsieur le Bâtonnier, de ce brillant chant du cygne, mais, vous savez, il y a encore la session extraordinaire... J'ouvre la discussion... Ce texte est typique des productions des bureaux avalisées par le Parlement... Bien sûr il y a la possibilité de théoriser sur la loi de 1905, mais cela conduirait à une escalade vertigineuse du contrôle de constitutionnalité...
Monsieur ROBERT : Je ne suis pas pour la censure du texte. Je voudrais simplement intervenir au niveau de la motivation. Je me demande quel est le plan le plus opportun. Il y a une distinction
Monsieur le Président : Votre remarque est juste. Il faut prendre les deux termes : l'atteinte est légère et l'intérêt existe, donc l'atteinte est supportable. L'intérêt des consommateurs, ce n'est pas un principe constitutionnel, mais cela correspond à un certain intérêt général dans une société de consommation. Pour moi, l'économie juridique du projet est bonne.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : L'atteinte au droit de propriété est légère. Depuis des décennies, combien n'y a-t-il pas eu d'atteintes à la propriété... Je pense à la loi de 1946 sur le fermage... Ici, il est bien certain que nous avons affaire à une somme d'intérêts particuliers qui constitue un intérêt général pouvant justifier une atteinte légère. Monsieur le Président, je suis sur la même ligne que vous...
Monsieur ROBERT : La seule chose qui nous sépare, c'est que je ne suis pas sûr que le souci d'une meilleure information du consommateur, cela relève de l'intérêt général...
Monsieur FABRE : On pourrait s'appuyer sur le principe de l'égalité de l'information pour justifier l'intérêt général.
Monsieur le Président : Il n'est pas besoin d'aller chercher le principe d'égalité. Simplement cette atteinte au droit de propriété est assez motivée...
Monsieur LATSCHA : Lorsque la rédaction du projet parle de "dispositif d'ensemble", cela va beaucoup plus loin. J'ai une question à poser au rapporteur : la rédaction du cinquième alinéa de l'article 10 signifie-t-elle que le "professionnel visé" peut bloquer le processus ?
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : J'ai évoqué la question devant les représentants du Gouvernement. J'ai appris que les usages étaient bien établis en matière d'annulation d'ordres de publicité... Les conditions varient selon que l'on est en matière de presse écrite, d'affichage, de cinéma, de télévision... Les choses se déroulent de telle manière que le professionnel visé, à qui l'on a fait la transmission, a le temps de saisir le juge des référés. De sorte que si la publicité en cause ne correspond pas aux critères de l'article 10, le juge peut prononcer une interdiction, sans pour autant préjudicier aux publicités déjà sous presse ou en voie d'affichage... C'est imprécis, mais souple... Il y a certainement des sources possibles de procès...
Monsieur le Président : Si le consommateur n'est pas protégé, du moins l'homme de loi sera-t-il bien nourri.
Monsieur FAURE (avec malice) : On voyait bien que le rapporteur se régalait au fur et à mesure de son exposé...
Monsieur MOLLET-VIEVILLE (avec une pointe d'humeur) : Que voulez-vous, je prépare ma retraite !...
Monsieur FAURE : Au total, l'atteinte est faible et l'intérêt général est faible ; mais les deux sont en proportion...
Monsieur le Président : Oui... Je me demande pourquoi en fait nous avons été saisis... On passe au projet.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE commence de procéder à la lecture du projet.
Monsieur le Président (après la lecture des motifs) : Tout est donc dans cette page 7.
Monsieur CABANNES : C'est volontairement que l'on considère qu'il n'y a pas un moyen, mais seulement un argument dans le développement sur la directive communautaire ?
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Oui, on n'en parle pas...
Monsieur CABANNES : Et le considérant-balai ?
Monsieur le Président : Parlons d'abord des motifs.
Monsieur ROBERT : Page 6, est-il indispensable de faire référence à la loyauté des transactions ?
Monsieur le Président : Il s'agit de savoir s'il n'y a pas "détournement" d'une marque par la publicité comparative. Il faut un faisceau d'éléments : conservons celui-ci...
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : C'est en plus une allusion à la jurisprudence des communautés européennes.
Monsieur le Président : A propos des sanctions fixées par la loi, pourquoi citer un exemple particulier ?
Monsieur LATSCHA : Il faut éviter les références particulières... La communication à la partie adverse est très importante également...
Monsieur le Président : Ce qui m'ennuie c'est que ce que nous évoquons, c'est seulement l'avantage lié à la notoriété... Pourquoi seulement
cela ?
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : C'est une réponse directe à un argument de Monsieur MAZEAUD...
Monsieur le Président : J'étais réservé et me demandais s'il fallait aller au-delà de "sanctions visées par la loi". Je n'aime pas beaucoup les "notamment". Quand on met en exergue un élément, on affaiblit les autres... Mais enfin s'il s'agit de la réponse à un point précis, je veux bien vous suivre... Avec Monsieur LATSCHA, je pense que la communication à "l'adversaire", c'est fondamental... Si l'on complète d'exemples, il ne serait pas mauvais de mentionner cette communication...
Monsieur FAURE : Il faut mettre les deux, ou ne rien mettre...
Monsieur le Président : Si l'on fait un choix, on donne l'impression de négliger le reste... Il est évidemment meilleur de répondre à la saisine... S'il n'y avait pas cela, on continuerait à dire que ce n'est pas inconstitutionnel... Voilà pourquoi je m'interroge... Passons cela au "gueuloir", comme disait Flaubert.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE procède à une nouvelle lecture des considérants en cause et s'interrompt une fois parvenu à "sanctions fixées par la loi".
Monsieur le Président : Non, ça fait trop bref ; alors, on le laisse.
Monsieur LATSCHA : On pourrait enlever le mot "sanctions", qui est repris après... et passer directement aux "manquements".
Monsieur le Président : Oui, votre observation est très fine.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE relit le considérant ainsi amendé.
Monsieur le Président : Pourquoi "s'il y a lieu" ?
Monsieur le Secrétaire général : Le Gouvernement y tenait beaucoup.
Monsieur le Président : Bien entendu c'est s'il y a lieu !...
L'expression est supprimée du projet.
Monsieur FAURE : On continue à répondre un peu à Monsieur MAZEAUD, elliptiquement...
Monsieur le Président : Oui, et puis rien n'oblige à ce dialogue direct.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE procède à la lecture du dispositif.
Monsieur le Président : Il faut ne viser que l'article 10...
Monsieur le Secrétaire général : Vous feriez pousser les hauts cris au Doyen VEDEL... Il vous dirait qu'il n'y a plus de
Monsieur le Président : Nous verrons la chose plus calmement après avoir déjeuné...
Monsieur CABANNES : Ou alors on met le considérant-balai...
Monsieur le Secrétaire général : La doctrine ne comprendra plus... Le Conseil a décidé le 16 janvier 1991 de faire l'économie du Considérant-balai. Il n'y est revenu que pour la convention de Schengen en raison du caractère indivisible des stipulations d'une convention internationale.
Monsieur le Président : Non, pas de considérant-balai, mais seulement l'article visé...
Monsieur le Secrétaire général : Il faut réfléchir à la portée de ce changement...
Monsieur le Président : Oui... Non, il n'est pas bon d'introduire cette innovation à cette occasion... On va se demander pourquoi ce changement... L'occasion n'est pas la meilleure... Je vous propose d'adopter le dispositif en l'état.
Ce qui est fait à l'unanimité des conseillers.
Monsieur le Président : Il me semble que le voeu unanime serait que l'on prenne la loi sur la communication dès cet après-midi, sans attendre demain... Mais c'est vers le rapporteur que je me tourne en premier...
Monsieur MAYER : Je suis à la disposition de l'assemblée qui dans sa sagesse décidera souverainement sous votre autorité...
Monsieur le Président : Sérieusement, vous êtes prêt ?
Monsieur MAYER : Oui.
Monsieur le Président : Et vous autres ?
Monsieur ROBERT : Il faudrait que je sois libre vers 17 h 45.
Monsieur le Président : Vous le serez. Alors, nous nous retrouvons à 15 heures.
La séance est suspendue à 13 h 15.
La séance est reprise à 15 heures.
Monsieur le Président : OK, on y va...
Monsieur MAYER : Monsieur le Président, mes chers collègues,
I - Lorsque m'a été confiée l'étude de ce dossier dont je vais vous exposer aujourd'hui le contenu, je me suis avisé que, par je ne sais quel hasard, l'honneur m'incombait de rapporter devant le Conseil constitutionnel sur une loi relative à la liberté de communication selon une périodicité régulière qui m'a laissé songeur : 1986, 1989, 1992.
Une première approche des questions qui se posent à nous cette fois-ci, m'a ensuite amené à constater que ce hasard n'avait pas seulement le sens du rythme, mais aussi la délicatesse d'alléger chaque fois un peu davantage le poids de ma tâche.
La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, qui a fait l'objet, à mon rapport, de la décision du Conseil n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, comportait 111 articles et constituait, après la loi du 29 juillet 1982, un des grands "temps forts" de l'histoire législative mouvementée qu'a connue la communication audiovisuelle sous la Vème République. Le remplacement, auquel elle a procédé, de la Haute Autorité de la communication par la CNCL, dotée de pouvoirs renforcés, ne représentait qu'un élément d'un dispositif d'ensemble qui a amené le Conseil à trancher, outre celle-là, de nombreuses questions de natures variées.
L'objet de la loi, de trente articles, venue le 17 janvier 1989 modifier celle de 1986, était déjà de moindre ampleur. Il ne s'agissait, dans l'esprit du Gouvernement de l'époque, que de tirer les conséquences des expériences passées et non d'une réorganisation d'ensemble du système. Mais c'est sur cette question de l'"instance de régulation", qu'elle baptisait désormais "Conseil supérieur de l'audiovisuel" (C.S.A.), et de l'importance de ses attributions, que la loi resserrait son propos. J'ai été amené à cette occasion à proposer au Conseil constitutionnel de préciser sa jurisprudence sur les pouvoirs, notamment réglementaire et répressif, de cette "autorité administrative indépendante" de l'audiovisuel : ce qu'il fit dans sa décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, dont cette question constitue l'essentiel.
(Je mentionne rapidement notre décision du 26 juillet 1989, par laquelle nous avons admis la constitutionnalité d'une autre loi modifiant celle du 30 septembre 1986, loi relative à la création d'une présidence commune à Antenne 2 et FR3).
La loi soumise à notre examen en ce mois de janvier 1992 poursuit un objectif lui aussi limité. Le ministre de la culture et de la communication, introduisant le débat en première lecture devant le Sénat, a parlé d'un projet de loi à l'objet "modeste". Ce projet ne comportait que quatre articles, dont le dernier précisait simplement l'applicabilité de la loi aux territoires d'outre-mer et à Mayotte. La loi définitive n'en comprend qu'un de plus, et s'intitule, modestement en effet, "loi modifiant les
II - L'exposé des motifs du projet de loi présente ce texte comme tendant seulement à résoudre deux difficultés d'ordre juridique nées de la contrariété existant entre la loi du 30 septembre 1986 et les règles communautaires - Traité de Rome et directive du Conseil des communautés du 3 octobre 1989 dite "Télévision sans frontières".
Il faut s'appesantir un peu davantage sur le contexte qui explique l'intervention de cette loi.
Elle trouve en fait son origine dans ce que l'on a appelé le "compromis de Bruxelles", c'est-à-dire un accord conclu entre les autorités communautaires et la France à la suite du litige né de critiques formulées par la Commission de Bruxelles contre les décrets "Tasca", c'est-à-dire les deux décrets du 17 janvier 1990 pris pour l'application des articles 27 et 70 de la loi modifiée en 1989 du 30 septembre 1986. Ces articles, nous y reviendrons, sont notamment relatifs aux obligations des chaînes de télévision en matière, d'une part, de quotas minimum de diffusion d'oeuvres communautaires et françaises, d'autre part, de contribution au développement de la production.
Je n'entre pas dans le détail des divers points faisant l'objet de ce litige et me borne à dire l'essentiel du compromis qui a permis de le résoudre.
Dans ce compromis, la France a fait prévaloir sa position dans la définition du concept d'"oeuvre audiovisuelle", entendue comme se limitant aux fictions (autres que cinématographiques), aux oeuvres d'animation et aux documentaires, à l'exclusion des variétés et des émissions de plateau : notre législation ni notre réglementation n'a donc à être modifiée sur ce point.
En revanche, la France a du faire quatre concessions, dont je ne mentionne que les deux qui trouvent leur traduction dans la loi nouvelle - les deux autres n'entraîneront qu'une modification des décrets :
- la loi de 1986 telle que modifiée en 1989 prévoyait la diffusion "en majorité" d ' oeuvres cinématographiques et audiovisuelles originaires de la C.E.E. et d'expression originale française. Elle précisait que cette obligation portait en particulier sur les "heures de grande écoute" : le Conseil d'Etat, dans des arrêts du 20 janvier 1989, avait, en effet, regardé comme une fraude à la loi la pratique
L'un des décrets "Tasca" avait fait application de ces principes en fixant à
60 % le quota minimum d'oeuvres originaires de la C.E.E., dont
50 % pour les oeuvres d'expression originale française. Bruxelles a estimé que cet écart de 10 % ne laissait pas une marge suffisante aux oeuvres communautaires autres que françaises, Paris a accepté de faire passer cet écart à 20 %, en abaissant à 40 % le quota d'oeuvres françaises.
- la deuxième concession à laquelle a consenti la France est relative à la substitution de la notion d'"oeuvre européenne" à celle, moins large, existant jusqu'alors dans la loi française, d'oeuvre "originaire de la C.E.E.". Cela aura pour effet notamment de prendre en compte les oeuvres des pays de l'Est.
Voilà ce qui explique les modifications législatives introduites par la loi qui nous est déférée. À quoi s'ajoute l'occasion saisie d'apporter en outre quelques retouches à la loi précédente, que je vous indiquerai en vous exposant le contenu de chacun des articles.
Mais je vous signale d'ores et déjà gue le problème gui est soulevé par la saisine - relatif, comme je vous l'ai dit, aux pouvoirs du C.S.A. - prend sa source dans une disposition du texte qui ne figurait pas dans le projet de loi initial. Elle est le fruit de l'un des deux amendements apportés au projet par l'Assemblée nationale ; celui qui a modifié l'article 1er de la loi.
III - Je me propose d'abord de vous exposer sommairement le contenu des quatre articles suivant l'article 1er, qui ne sont pas critiqués et ne sont pas, à mon sens, critiquables.
- l'article 2 est le fruit du second des deux amendements adoptés par l'Assemblée nationale auxquels je faisais allusion à l'instant. Il a pour objet de prévoir que les conventions passées par les radios privées avec le C.S.A., en application de l'article 28 de la loi de 1986, pourront comporter l'obligation de diffuser une certaine proportion d'oeuvres musicales créées ou interprétées par des auteurs ou artistes français ou francophones, en particulier contemporains. Il n'appelle de ma part aucune objection sur le plan constitutionnel, ni d'ailleurs sur aucun autre...
- l'article 3, voté conforme à la rédaction qui était la sienne dans le projet de loi, modifie le dernier alinéa de l'article 31 de la loi du 30 septembre 1986.
L'avant-dernier alinéa de cet article dispense des obligations de l'article 27 (quotas de diffusion) les services privés de communication audiovisuelle diffusés par satellite en langue étrangère sans sous-titrage. Le dernier alinéa prévoyait que, toutefois, dans un délai de cinq ans, ils devraient diffuser annuellement des oeuvres audiovisuelles et cinématographiques "originaires de la Communauté économique européenne". Le seul objet de l'article 3 est de substituer à cette expression celle d'"oeuvres européennes", conformément au "compromis de Bruxelles". Cela n'a à soi seul rien de contraire à la Constitution.
- l'article 4, qui a fait l'objet d'amendements gouvernementaux en précisant la portée, modifie l'article 70 de la loi de 1986.
Cet article est relatif à la contribution des services publics et privés de communication au développement de la création cinématographique. Il prévoit à cet effet : un volume maximal autorisé de diffusion de films, une diffusion "majoritaire" d'oeuvres "d'origine communautaire" et d'expression originale française, enfin des obligations relatives aux horaires de programmation et au délai écoulé depuis le début de l'exploitation en salle.
L'article 4 apporte deux types de modifications à ce dispositif :
* d'abord il prévoit qu'il ne s'appliquera qu'aux oeuvres cinématographiques "de longue durée" : le but poursuivi est de favoriser l'accès des
courts-métrages à la télévision ;
* ensuite, par pure coordination avec les dispositions de l'article 1er, auquel je vais en venir dans un instant, il substitue au concept de "pourcentage majoritaire" de films européens (et non plus, ici encore, originaires de la C.E.E.) et de films d'expression originale française qui doivent être diffusés par les chaînes, des quotas chiffrés fixés respectivement à 60 et 40 %.
Nihil obstat, encore une fois, sur le plan constitutionnel.
- Reste l'article 5 et dernier, qui rend applicable la loi aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte. Renseignement pris auprès du gouvernement, la consultation des assemblées territoriales des T.O.M., requise par l'article 74 de la Constitution, qui s'applique aux textes
Les articles 2 à 5 de la loi déférée ne me paraissent ainsi recéler aucune inconstitutionnalité, qu'il nous aurait fallu soulever d'office.
IV - Mais j'en viens à l'essentiel, c'est-à-dire l'article 1er de la loi.
L'objet de cet article est de modifier sur plusieurs points l'article 27 de la loi du 30 septembre 1986.
La rédaction de cet article 27 a été renouvelée par l'article 11 de la loi du 17 janvier 1989. Ledit article 11 a été lui-même censuré, en plusieurs de ces dispositions, par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 88-248 DC. L'article 1er de la loi qui nous est aujourd'hui soumise apporte au texte cinq modifications. En sorte que les choses sont devenues très compliquées et qu'il faut faire beaucoup d'efforts pour rétablir la rédaction dans son état actuel. Aussi ai-je pris l'initiative de faire insérer dans notre dossier de séance le texte reconstitué de cet article 27 tel que résultant en dernier lieu la loi déférée. J'ai fait souligner en jaune les dispositions nouvellement introduites par la loi, et en bleu celles de ces dispositions nouvelles dont on nous demande la censure.
Ce texte, comme l'indique son alinéa 1er qui demeure inchangé, a pour objet principal de renvoyer à des décrets en Conseil d'Etat la fixation des principes définissant les obligations des organismes tant publics que privés de communication audiovisuelle dans trois domaines, visés dans ses alinéas 2, 3 et 5 :
* d'abord (alinéa 2), la publicité, à laquelle la loi déférée ajoute le parrainage ;
* ensuite (alinéa 3), la diffusion dans des proportions minimales de certains types de programmes. La loi procède à une rédaction partiellement nouvelle de cet alinéa. J'ai indiqué dans un nota bene quelle était la rédaction ancienne de cet alinéa ;
* l'alinéa 4 nouveau complète l'alinéa précédent, en confiant, en matière de quotas, des pouvoirs nouveaux au C.S.A. C'est l'alinéa contesté.
* l'alinéa 5, inchangé, vise le troisième domaine concerné par les obligations des opérateurs. Il
Les deux derniers alinéas du texte, quant à eux, apportent des précisions sur le contenu comme sur la procédure d'adoption des décrets en Conseil d'Etat à intervenir pour fixer les obligations des chaînes dans les trois domaines que je viens d'examiner :
* l'alinéa 6, qui est nouveau, dispose que ces décrets pourront fixer des règles différentes selon que les services de communication audiovisuelle présenteront certaines caractéristiques : diffusion par voie hertzienne terrestre ou par satellite, en clair ou moyennant paiement, sur une étendue géographique plus ou moins importante.
* enfin l'alinéa 7 et dernier, qui existait déjà, précise notamment que les décrets en Conseil d'Etat seront pris après avis motivé et publié du C.S.A.
Quatre alinéas sur sept sont donc concernés par la loi déférée : les alinéas 2, 3, 4 et 6. Je me bornerai à dire un mot supplémentaire des alinéas 2 et 6, réservant l'essentiel de mon analyse aux alinéas 3 et 4, dans la combinaison desquels se loge le problème qui nous est posé.
a) L'alinéa 2 ajoute au champ d'application des décrets en Conseil d'Etat la réglementation des obligations relatives, outre la publicité, au parrainage. Il s'agit simplement de combler un vide juridique découlant de ce que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 17 janvier 1989, a déclaré non conforme à la Constitution les dispositions de la loi du même jour qui habilitaient le C.S.A. à fixer seul par voie réglementaire les règles relatives notamment "au parrainage et aux pratiques analogues à celui-ci". La matière sera donc désormais réglementée par le décret en Conseil d'Etat.
b) L'alinéa 6 a pour objectif de tenir compte de l'existence de situations très diverses dans le paysage audiovisuel français (PAF). Il prévoit la possibilité pour le décret de moduler les règles qu'il édictera en application de l'article 27, en fonction de certaines caractéristiques présentées par les différents services. L'utilité des critères retenus a été critiquée au Parlement, notamment par Monsieur GOUTEYRON, rapporteur de la Commission des affaires culturelles du Sénat. Mais personne ne s'est élevé contre le principe de cette modulation, et n'a soutenu qu'elle était de nature à porter atteinte au principe d'égalité. Il y a lieu, à cet égard, de remarquer, comme le font les saisissants
eux-mêmes, que les critères retenus, quelle qu'en soit l'opportunité, présentent un caractère objectif. Leur mise en oeuvre par le pouvoir
c) C'est encore à une modulation de règles que nous avons affaire avec la disposition contenue à l'alinéa 4. Mais celle-là, contestée. Pour en comprendre toute la portée, il faut au préalable exposer le contenu de l'alinéa 3.
- Cet alinéa 3 était précédemment rédigé comme indiqué dans mon nota bene : "La diffusion, en particulier aux heures de grande écoute (ce début reste donc inchangé) d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles en majorité d'expression originale française et originaires de la Communauté économique européenne". Vous voyez que deux aménagements sont apportés par le texte nouveau :
* l'un est d'ordre terminologique ; nous l'avons déjà rencontré à deux reprises en examinant les articles 3 et 4 de la loi : on ne parle plus d'oeuvres "originaires de la Communauté européenne", mais désormais d'oeuvres "européennes", conformément au "compromis de Bruxelles".
* le second changement est plus important ; il consiste à substituer à l'obligation d'une diffusion majoritaire (sans plus de précision) des oeuvres en cause, l'obligation de respecter des pourcentages précis, ou plutôt des pourcentages minimaux, fixés à 60 % pour les oeuvres européennes et à 40 % pour les oeuvres d'expression française. La loi ancienne s'en tenait à l'exigence d'une diffusion "en majorité", en renvoyant, pour le détail, au décret ; désormais la loi prévoit elle-même des quotas chiffrés, ou tout du moins des planchers de quotas. Mais, et j'attire votre attention sur ce point, la loi reste inchangée en ce que le début de l'alinéa oblige toujours à ce que ces exigences soient respectées "en particulier aux heures de grande écoute" (c'est-à-dire, en l'état actuel de la réglementation, les heures comprises entre 18 h et 23 h, plus le mercredi de 14 h à 18 h).
- Le texte du Gouvernement s'en tenait là. L'alinéa 4 est le fruit d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, à l'initiative de Messieurs SCHREINER et QUEYRANNE, après sous-amendement apporté par M. BARROT. C'est l'adoption de cet alinéa qui est à l'origine de la saisine. Que dit-il ?
Que pour les "oeuvres audiovisuelles" (donc à l'exclusion des oeuvres cinématographiques), le C.S.A. pourra décider que les "services autorisés" (ce qui exclut les sociétés nationales de programme) ne seront tenus par leurs obligations légales en matière de quotas qu'au regard d' "heures d'écoute significatives"
On a appelé cela l' "amendement modulation", puisqu'il sera loisible au C.S.A. de permettre des dérogations au principe du respect des quotas aux heures de grande écoute (qui sont les mêmes pour tous les opérateurs) et de moduler la contrainte qui pèsera sur les dérogataires, en fixant des heures d'écoute significatives qui pourront varier de l'un à l'autre et à l'intérieur desquelles seulement chacun devra respecter les quotas.
V - Ces dispositions ont éveillé en moi des sentiments mêlés.
- D'abord, j'ai éprouvé quelque agacement devant ce qu'il faut bien appeler l'inconséquence du législateur en l'espèce.
Avec l'alinéa 3 du texte, on commence par parader, par "bomber le torse", en affichant des ambitions mirifiques. Nous autres Français ne ferons pas moins qu'au minimum 60 % pour les oeuvres européennes dont 40 % pour les oeuvres françaises - alors que la directive "Télévision sans frontière" n'en demande pas tant, qui, en son article 4, invite seulement les Etats à "veiller, chaque fois que cela est réalisable et par des moyens appropriés, à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent à des oeuvres européennes une proportion majoritaire de leur diffusion", étant entendu que cette proportion "devra être obtenue progressivement sur la base de critères appropriés". Mais "mieux disant" culturel oblige...
Et puis, et puis, il faut tout de suite en rabattre - dans l'alinéa qui suit immédiatement... Pourquoi ? Simplement parce que les faits sont là. Parce que comme le dit le C S.A., et avec lui le milieu professionnel unanime depuis plusieurs mois, cela ne marchera pas ; parce que seule une chaîne au mieux sur les cinq concernées (FR3), d'après les projections effectuées, sera en mesure de respecter les obligations faites lorsqu'elles devront l'être aux heures de grande écoute, c'est-à-dire à partir du 1er avril 1992. Par exemple la chaîne M6, pour ne citer qu'elle, a "fait" aux heures de grande écoute, lors du premier semestre 1991, oeuvres cinématographiques et audiovisuelles confondues, 7,8 % pour les oeuvres européennes et 4 % pour les oeuvres françaises... On est bien loin des 60 % et 40 % ambitionnés... Alors tout le monde tombe d'accord - un peu tard - sur le principe d'une modulation, mais on l'introduit à la hâte, par voie d'amendement, et dans des conditions qui suscitent des interrogations constitutionnelles...
- Ensuite, je me suis demandé si cet "amendement modulation" n'allait pas au-delà de la simple modulation et n'introduisait pas dans le système une logique nouvelle à laquelle les chaînes commerciales auraient tout à gagner. Je m'explique.
De quoi s'agit-il lorsqu'on parle "d'heures d'écoute significatives" ? Je précise d'abord que le mot "significatives" prend un "s". Ce sont les heures qui sont "significatives" et non point l'écoute. On n'a pas voulu dire qu'on retiendrait des heures où l'écoute est importante, substantielle, sans être pour autant des heures de "grande écoute". Mais alors "significatives" par rapport à quoi ? Ce sera au C.S.A. de le dire. Mais la loi fixe la marche à suivre, en indiquant que devront, notamment, être prises en compte les caractéristiques de l'audience et de la programmation de la chaîne concernée.
Prenons un ou deux exemples propres à illustrer les choses. Ce qui caractérise M6, fait sa spécialité, c'est surtout la diffusion de "vidéoclips" à l'intention de la jeunesse. Les heures auxquelles les jeunes regardent ces émissions, c'est en fin d'après-midi à la sortie des collèges - sauf le dimanche et à un degré moindre le samedi, jours où les parents, n'étant pas au travail, retrouvent la commande - ou plutôt la télé-commande - du bouton de télévision. Les heures d'écoute "significatives" pour M6 sont donc un peu différentes des "heures de grande écoute". Autre exemple : TF1, chaîne qui vise, elle, à passionner la "ménagère", comme nous a dit le S.G.G., en début et milieu d'après-midi, avant précisément que les enfants ne rentrent de l'école... Je note au passage que la conciliation des ambitions de ces deux chaînes suppose que l'autorité parentale est encore dans notre société plutôt ancrée du côté du père... Quoi qu'il en soit, les heures d'écoute "significatives" ont ainsi une autre spécificité pour TF1... Et ainsi de suite...
L'ennui, c'est qu'il me semble qu'en faisant ainsi du "sur mesure", on s'engage dans une logique où c'est la stratégie commerciale des chaînes qui commandera le système. Je reste sceptique quand le gouvernement soutient que la "modulation" permettra de mieux atteindre, après une période transitoire, les objectifs du législateur qui demeureraient ce qu'ils sont. J'ai l'impression qu'on adapte les obligations aux vocations, plutôt que d'infléchir les vocations de sorte que soient respectées des obligations minimales.
VI - Quoi qu'il en soit, ces dispositions ont suscité les critiques de 63 sénateurs saisissants, conduits par le Président de la Commission des Affaires culturelles du Sénat, Monsieur Maurice SCHUMANN. Vous avez constaté que nous avons aussi reçu un "mémoire en opportunité" rédigé par l'Union syndicale de la production audiovisuelle.
Ces critiques se déploient sur un double terrain : l'alinéa en question, en premier lieu, violerait les règles constitutionnelles de compétence ; en second lieu, il porterait une atteinte inconstitutionnelle au principe d'égalité.
La première série de critiques comporte, dans l'argumentation des saisissants, deux branches :
- la disposition en cause serait d'abord contraire à l'article 34 de la Constitution, en tant qu'elle ne définirait pas avec une précision suffisante la portée des mesures d'application de la loi que le Conseil supérieur de l'audiovisuel sera amené à prendre ;
- deuxièmement, elle méconnaîtrait l'article 21 de la Constitution, en tant qu'elle aurait pour effet de dessaisir le Premier ministre de sa compétence générale d'exécution des lois.
Le principe d'égalité serait, de son côté, méconnu, du fait de l'imprécision de l'habilitation donnée au Conseil supérieur de l'audiovisuel et notamment de la notion d' "heures d'écoute significatives".
VII - Au terme d'une première analyse de ces moyens, c'est celui qui est relatif à la violation de l'article 21 de la Constitution qui m'a paru le plus sérieux.
Je me souviens que le Doyen VEDEL, lors de notre délibéré du 17 janvier 1989, avait dit, à propos des rapports existant entre la loi, le décret en Conseil d'Etat et les pouvoirs attribués au C.S.A., qu'il s'agissait d'un système de "poupées russes".
L'image était particulièrement heureuse, qui illustre parfaitement le sens de notre jurisprudence passée sur la situation des "autorités administratives indépendantes" au regard du pouvoir réglementaire. Je crois qu'elle pourrait nous servir de guide dans la recherche d'une solution éventuelle du problème qui nous est ainsi posé. Je m'explique.
a) Plusieurs textes de lois avaient, avant 1986, conféré à des autorités administratives indépendantes le pouvoir d'édicter des normes réglementaires. Je songe, en particulier, à la loi du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, qui n'a pas été soumise au Conseil constitutionnel, et dont l'article 6 attribue à la CNIL un pouvoir réglementaire lui permettant de veiller au respect des dispositions de la loi. De même, un pouvoir de réglementation a été attribué par la loi, que vous connaissez bien, Monsieur le Président, du 24 janvier 1984, relative à l'activité et au contrôle des établissements de crédit, au Comité de la réglementation bancaire ; sans que le Conseil, cette fois saisi,
b) Mais c'est à propos de l'attribution à la C.N.C.L. d'un pouvoir en matière de communication que le Conseil, dans sa décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, a posé les fondements de sa jurisprudence relative à l'intervention d'une autorité publique autre que le Premier ministre dans la mise en oeuvre d'une loi.
Il a décidé que l'article 21 de la Constitution, s'il confère au Chef du gouvernement, sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République par l'article 13, l'exercice du pouvoir réglementaire, ne fait pas par principe obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l'Etat autre que le Premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en oeuvre une loi. Mais cette reconnaissance d'un pouvoir réglementaire au profit de l'autorité administrative indépendante est aussitôt assortie d'une réserve : ce pouvoir ne peut s'exercer que "dans un domaine déterminé et dans le cadre défini par les lois et les règlements". C'est-à-dire qu'il est à la fois spécialisé, car circonscrit dans une sphère de compétence délimitée, et subordonné, car inclus dans le cadre constitué par les lois et les règlements.
On voit qu'il s'agit bien d'un système d'application de la loi en forme de poupées russes, dans lequel la norme édictée par l'autorité administrative indépendante constitue la plus petite, ayant un volume délimité et venant s'encastrer à l'intérieur de la poupée qui la précède et l'englobe : le règlement édicté par l'autorité constitutionnellement compétente.
c) Depuis lors, le Conseil constitutionnel a été amené à préciser sa jurisprudence quant au caractère spécialisé du pouvoir réglementaire pouvant être dévolu à une autorité administrative indépendante.
Selon les domaines d'application, il a entendu de façon plus ou moins stricte cette exigence de la spécialité de l'habilitation. Plutôt plus stricte en ce qui concerne le cas, qui est encore aujourd'hui le nôtre, du C.S.A. : la décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 a précisé que cette spécialité ne s'entendait pas seulement, sur le plan quantitatif, du caractère étroitement limité de l'habilitation ; sur un plan qualitatif en outre, les mesures faisant l'objet de l'habilitation ne doivent pas concerner une matière revêtant une importance particulière. D'où la censure des dispositions de la loi du 17 janvier 1989 portant habilitation "de portée trop étendue" permettant au C.S.A. de fixer les règles déontologiques concernant la publicité et celles applicables à la communication institutionnelle, au parrainage et aux pratiques analogues à celui-ci.
Au contraire, la décision n° 89-260 DC du 28 juillet 1989 a admis une extension, jugée notamment "limitée dans son champ
Le Conseil constitutionnel a ainsi fait preuve de nuances dans l'appréciation du caractère spécialisé de la norme édictée par une autorité administrative indépendante - ce qui correspond, dans ma métaphore des poupées russes, en somme au volume et à la couleur de la plus petite d'entre elles que constitue cette autorité.
d) Il a, en revanche, été beaucoup plus net lorsque le cas s'est présenté à lui d'une législation ne respectant pas le caractère subordonné que doit, d'autre part, revêtir le pouvoir réglementaire attribué à une autorité administrative indépendante : c'est que, dans cette hypothèse, le principe même des poupées russes est remis en cause. La question du volume ou de la couleur de chacune d'entre elles peut être appréciée relativement ; mais il n'y a pas à balancer sur ce que des poupées russes ne peuvent s'emboîter les unes dans les autres que dans un ordre décroissant et qu'on ne peut intervertir leurs places respectives. Le pouvoir réglementaire des autorités administratives indépendantes est subordonné, c'est-à-dire que les normes qu'il génère doivent respecter les normes édictées par l'autorité réglementaire constitutionnelle, le Chef du gouvernement.
Or, la loi examinée par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 18 septembre 1986, loin de se conformer à cette régle, subordonnait au contraire les normes fixées par le décret en Conseil d'Etat, pour l'établissement du cahier des charges servant à la cession de TF1 aux règles générales établies par la C.N.C.L. pour les services de télévision diffusées par voie hertzienne. Le législateur prétendait à l'impossible : emboîter la poupée plus importante (le décret en Conseil d'Etat) dans la moins importante (la règle posée par l'autorité administrative indépendante). La censure du Conseil n'a pas manqué d'intervenir.
e) Sommes-nous, cette fois-ci, en présence également d'une remise en cause du principe des poupées russes, qui devrait conduire à la censure ? Il est permis d'hésiter, à cause notamment de la rédaction incertaine du texte de loi.
Je vous rappelle l'essentiel qui nous intéresse ici du dispositif mis en place par l'article 27 de la loi, dans sa rédaction résultant de la loi déférée.
En premier lieu, le législateur pose le principe que les opérateurs tant publics que privés seront astreints à la diffusion d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes et d'expression originale française, dans des proportions dont il fixe les minima à, respectivement, 60 et 40 %. La loi précise, en outre, que ces exigences vaudront en particulier pour les heures de grande écoute.
En deuxième lieu, le législateur renvoie au décret en Conseil d'Etat les mesures d'application de ces principes, en permettant que les règles édictées puissent être différentes, suivant un certain nombre de caractéristiques objectives présentées par les organismes de communication audiovisuelle.
Mais, en troisième lieu, et c'est là que naît la difficulté, le législateur autorise par ailleurs la prise par le C.S.A. de décisions annuelles qui auront pour effet de permettre de regarder telle ou telle chaîne privée, voire toutes, comme étant quitte des obligations faites par la loi en matière de quotas, dès lors qu'elle respecterait ces obligations non plus pour les heures de grande écoute, mais seulement pour des heures d'écoute significatives.
A partir de là deux questions juridiques se posent.
- Premièrement, les décisions que prendra le C.S.A. seront-elles des décisions à caractère individuel ou à caractère réglementaire ? Vous voyez l'enjeu de la question : si ce sont des décisions individuelles, le moyen tiré de la violation de l'article 21, et de la hiérarchie des normes réglementaires, devient inopérant ; si ce sont des normes à caractère réglementaire, l'étude doit être poussée plus avant. C'est un premier point délicat. La jurisprudence du Conseil d'Etat en la matière est très nuancée et l'on y recense de nombreux cas-limite. Du moins peut-on noter quelle a une certaine propension à regarder comme réglementaires des règles touchant à l'organisation d'un service ou aux obligations de service public dont est investi un organisme comme c'est le cas en l'espèce. Après consultation de nos collaborateurs du Secrétariat général sur ce point, je suis plutôt d'avis que nous sommes en présence de règles à caractère réglementaire. Au fond, ce dont le C.S.A. pourra décider, c'est du régime des obligations de diffusion de chaque chaîne commerciale pendant un an, en ce qui concerne les heures de programmation des oeuvres audiovisuelles.
- En admettant - mais le doute est permis - que le C S.A. édictera des normes réglementaires, comment est-ce que la loi combine ce pouvoir réglementaire avec celui, qui doit primer, dont est investi le Premier Ministre ? La lecture du texte de la loi permet deux interprétations différentes.
Ce qu'il y a, du moins, de sûr, c'est que la règle adoptée par le C.S.A. pourra déroger à la loi. En effet, le texte législatif impose lui-même que les quotas soient respectés aux heures de grande écoute. Or la décision du C.S.A. pourra avoir pour effet qu'il n'en soit pas ainsi. Nous sommes dans un système oû la loi organise sa propre négation sur ce point, par le biais des décisions prises par l'autorité administrative indépendante. C'est pour le moins curieux, mais pas inconstitutionnel. Nous connaissons la compétence "négative" du législateur, lorsqu'il ne va pas jusqu'au bout de la tâche qui lui incombe en vertu de l'article 34 de la Constitution. Mais nous ne connaissons pas ce
Mais - voici le plus délicat - quelles seront les compétences respectives du décret et de la norme du C.S.A. ? Celle-ci va-t-elle empiéter, fût-ce partiellement, sur celle-là ? Ou, pour poser la question autrement, la loi met-elle le C.S.A. en position de déroger au décret en Conseil d'Etat, ce qui ne serait pas possible sans méconnaître l'article 21 ?
Une certaine lecture du texte pourrait donner à penser qu'il en sera bien ainsi. Il nous faudrait alors décider que la loi ne saurait permettre ainsi qu'une autorité administrative indépendante puisse déroger, par une règle de portée générale, aux mesures d'application de la loi prise par le chef du Gouvernement. Le caractère nécessairement subordonné du pouvoir normatif du C.S.A. ne serait pas respecté. Le principe même des poupées russes serait remis en cause : en voulant, en quelque sorte, emboîter en même temps, dans la poupée "loi", la poupée "décret" et la poupée "norme du C.S.A.", on tenterait de faire s'interpénétrer leurs carapaces, ce qui ne serait pas possible, même partiellement, sans brisure constitutionnelle.
Mais une autre interprétation du texte est envisageable, si l'on veut bien passer sur quelques maladresses de rédaction de l'amendement. On peut estimer, en effet, que la loi a réservé au seul C.S.A. le soin de réglementer dans un domaine très circonscrit : celui des heures de programmation au cours desquelles les chaînes commerciales devront satisfaire à leurs obligations légales en matière de diffusion minimale d'oeuvres audiovisuelles européennes et françaises. Et, sur ce point précis, il n'y aurait pas passage par le décret, lequel réglementera tout le reste. Nous serions alors en présence de deux pouvoirs réglementaires d'application de la loi parallèles, ayant chacun leurs sphères de compétences d'importance inégale mais distinctes. La possibilité ne serait pas ouverte que le C.S A. vînt déroger au décret, lequel ne traitera en rien de la question, ce que d'ailleurs la loi ne l'oblige pas à faire. Ce serait une façon de jouer avec les poupées russes un peu particulière, mais qui n'est pas matériellement impossible : pour peu qu'on choisisse celle dont la robe, la concavité est la plus vaste, elle peut venir recouvrir les deux plus petites, se tenant sous elle côte à côte, sans qu'il faille forcer le passage et provoquer une brisure constitutionnelle.
VIII - Ce premier moyen des saisissants m'a donc laissé dans l'expectative. J'ai alors essayé de m'en "tirer", si je puis dire, sur un autre terrain juridique, celui-là non invoqué par la saisine. Malheureusement, ici encore, mon raisonnement m'a conduit à l'incertitude.
Je n'y ai pas insisté jusqu'alors en mentionnant le fait à plusieurs reprises : la loi prévoit que la modulation par le C.S.A. ne sera possible qu'en faveur des "services autorisés", c'est-à-dire des chaînes privées, commerciales, à l'exclusion des sociétés nationales de programme, c'est-à-dire Antenne 2 et FR3.
La chose peut paraître choquante. Alors que la loi impose les quotas aussi bien aux deux chaînes publiques qu'aux chaînes privées (TF1, la Cinq et M6), seules ces trois dernières pourront bénéficier d'un régime plus favorable en ce qui concerne les oeuvres audiovisuelles... Il y a là certainement une discrimination : pourquoi traiter différemment de ce point de vue par exemple Antenne 2 et TF1 , chaînes généralistes toutes deux ?
L'inconvénient est que je ne suis pas sûr que l'on puisse voir là une violation du principe d'égalité au sens de notre jurisprudence. Le contre-argument avancé sur ce point par le Gouvernement ne manque pas de force. La différence de traitement s'appuie sur une différence de situation : secteur public, donc particulièrement en charge de missions d'intérêt général ou statut privé, qui justifie une moindre exigence de ce point de vue.
Or, cette différence de traitement est pleinement en rapport avec l'objet de la loi, qui est précisément, sur ce point, de traiter des obligations d'intérêt général des opérateurs. On peut donc admettre qu'il y a quelque légitimité juridique à pratiquer cette discrimination, même si l'on peut estimer qu'il y en a moins sur d'autres terrains.
IX - Si je me suis ainsi retourné d'abord vers ce terrain où nous aurions pu nous situer d'office -mais avec le maigre succès que vous voyez-, c'est que je ne crois pas possible d'accueillir les deux autres moyens développés par les sénateurs saisissants.
- En premier lieu, en ce qui concerne l'étendue de la compétence du législateur, et la prétendue violation de l'article 34 de la Constitution, je crois qu'il n'y a rien à redire au texte. Le législateur doit fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, au nombre desquelles figure la liberté de communication audiovisuelle. Le pouvoir réglementaire, lui, doit prendre des mesures d'application des règles posées par le législateur. En l'espèce, la loi détermine elle-même désormais les proportions minimales d'oeuvres européennes et d'expression originale française dont le respect s'imposera à l'autorité réglementaire. En se référant, pour la mise en oeuvre pratique de ces proportions, aux concepts d' "heures de grande écoute" et "d'écoute significatives", le législateur a entendu exclure toute fraude à la loi et toute dénaturation des principes qu'il a
- Reste le dernier moyen des saisissants, tiré de la violation du principe d'égalité qui découlerait de l'imprécision de l'habilitation donnée au C.S.A., et en particulier de la notion d' "heures d'écoute significatives". Compte tenu des explications fournies sur cette notion par le Gouvernement, ce moyen ne m'a pas davantage convaincu. Je crois que nous pourrions faire sur ce point une interprétation neutralisante. En disant que la loi doit être interprétée comme permettant au C.S.A. d'assurer le respect des règles essentielles posées par elle en tenant compte de la diversité des situations des différents services de communication audiovisuelle. Et en précisant que toute différence de traitement qui ne serait pas justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi se trouve en conséquence prohibée, étant entendu que le C.S.A. est, comme toute autorité administrative, soumis à un contrôle de légalité.
X - Monsieur le Président, mes chers collègues, peut-être, dans ces conditions, voudrez-vous bien comprendre les hésitations qui ont été les miennes au fur et à mesure que j'ai avancé dans l'étude de ce dossier. Je ne doute pas que de notre débat jaillisse la lumière aveuglante qui n'est pas venue m'éclairer complètement...
Je ne voudrais toutefois pas terminer sans vous livrer quelques éléments d'information supplémentaires, que j'ai obtenus du gouvernement, et qui plaident dans le sens de la solution la moins formaliste, c'est-à-dire de rejet de la saisine, que je vous propose finalement.
- D'abord le système des quotas tel qu'il existe à ce jour, c'est-à-dire sans la modulation par le C.S.A., génère des effets pervers. Il n'y a pas seulement le fait que les chaînes tournent la loi en diffusant les oeuvres européennes et françaises pendant la nuit (malgré les contentieux introduits par le C.S.A.) et qu'évidemment elles choisissent les moins coûteuses de ces oeuvres, ce qui est souvent synonyme de médiocre qualité. Il y a plus : le système aboutit à faire disparaître presque totalement des écrans les "oeuvres" audiovisuelles au profit des variétés ou des jeux par exemple. Pourquoi ? Parce que l'appréciation du respect du pourcentage obligatoire d'oeuvres de la C.E.E. se fait au regard du nombre total d'oeuvres audiovisuelles diffusées. Alors, évidemment, si vous ne diffusez pas du tout ou presque pas d'oeuvres audiovisuelles, votre pourcentage est très vite conforme à la norme, et vous vous en tirez, comme TF1 par exemple, en vous bornant à diffuser un seul téléfilm français un soir de la semaine. Peut-être une réglementation appréhendant mieux la réalité dans sa diversité,
- Il y a plus grave que ces effets pervers, même si je dois à la vérité de dire que les représentants du gouvernement ont été, sur ce point, moins "alarmistes" que ce à quoi je m'attendais. J'ai dit tout à l'heure que la plupart des chaînes ne pourraient pas respecter leurs obligations en ce qui concerne les heures de grande écoute. Mais pourquoi ne le pourraient-elles pas ? En grande partie pour des raisons économiques. Les oeuvres, surtout audiovisuelles, européennes, cela coûte beaucoup plus cher - ne serait-ce que parce qu'elles sont beaucoup plus rares- que les téléfilms américains ou japonais qui nous arrivent alors qu'ils sont déjà totalement amortis sur leurs marchés intérieurs. Le C.S.A. est ici encore très net : l'imposition des quotas aux heures de grande écoute représenterait une charge supplémentaire difficilement supportable, qui risquerait de compromettre l'équilibre financier des producteurs et de la plupart des diffuseurs. Je n'ai pas besoin de vous rappeler dans quel contexte -je songe évidemment au dépôt de bilan de la Cinq- vient d'intervenir le vote de cette loi qui nous est aujourd'hui déférée.
XI - Je mesure l'importance et la variété des implications de la décision que nous avons à prendre. Elle sera probablement le signe d'une certaine conception de l'unité de l'action administrative
laissez-moi seulement vous dire, mes chers collègues, le plaisir secret - et un peu nostalgique - qui a été le mien de consacrer mon dernier rapport au Conseil constitutionnel à un domaine lié à ma vieille formation de journaliste. Mais je veux réserver le dernier mot à l'anecdote. Un Ministre de la Illème République était assis à un banquet à côté du Bâtonnier FOURCADE, qui était connu pour son esprit. Après avoir fait son discours, le ministre, se rasseyant, se tourne vers son voisin, quêtant des compliments : "J'ai été bien mauvais..." ; et son voisin d'ajouter : " - Et long..." (Rires). J'en terminerai véritablement en disant tous mes remerciements au service juridique ; je voudrais citer en particulier Monsieur Paul GIRO, qui m'a aidé à rédiger ce rapport - on ne m'en voudra pas de rompre ainsi, une fois n'est pas coutume, l'égalité.
Monsieur le Président : Merci, Monsieur le rapporteur, il y a donc un aspect très juridique sur le respect des compétences... Le contexte est particulier. Cet amendement est mal ficelé. Il n'est pas d'origine, sinon d'inspiration gouvernementale... Comme vous l'avez dit, Monsieur le rapporteur, on a finalement voulu
Monsieur ROBERT : J'ai apprécié la subtilité de l'analyse et de la démarche du rapporteur. Je partage ses incertitudes. Comme souvent, il y a un aspect d'opportunité et un aspect juridique... Si nous ne vous suivons pas, ce qu'il est proposé de faire faire au C.S.A., le sera par décret du Premier ministre. Le vrai problème - car je vous rejoins pour l'article 34 et pour le principe d'égalité -, l'argument difficile à rejeter, c'est le dessaisissement du Premier ministre... J'ai bien suivi votre dessaisissement du Premier ministre... J'ai bien suivi votre raisonnement sur les poupées russes, mais il ne m'a pas convaincu. Le décret déterminera des principes fixés pour tout le monde. Dans le cadre de ces quotas, des aménagements pourront être apportés par le C.S.A. en fonction de certaines différences. On confie au C.S.A. un pouvoir de substitution totale. Il pourra mettre de côté les heures de grande écoute, et y substituer des heures d'écoute significatives, qu'il fixera lui-même chaque année en fonction de critères qui ne sont pas d'une grande précision. Voilà ce qui me gêne. Il ne s'agit pas de prises de décision individuelles s'intégrant dans le règlement ; mais d'un pouvoir réglementaire propre - et qui est même le premier : ce qui est subordonné, c'est la compétence du Premier ministre. Ce n'est que dans le cas où rien n'aura été fait par le C.S.A., que s'appliquera le décret...
Monsieur le Président : On peut faire du neutralisant, quitte à renforcer le projet... Le décret fixe les principes généraux... S'agissant des heures d'écoute significatives, pour les chaînes privées, la compétence repasse au C.S.A., qui fait du coup par coup... On pourrait interpréter en disant que l'écoute significative pourra s'intégrer dans le décret... Moi, je n'ai pas encore forgé mon opinion...
Monsieur le Secrétaire général : Je voudrais apporter au Conseil deux précisions. D'une part, les représentants du Gouvernement ont souligné que les heures d'écoute significatives pouvaient, le cas échéant, coïncider avec les heures de grande écoute. D'autre part, l' "amendement modulation" doit, dans l'esprit de ses rédacteurs, conduire à ce qu'à terme les objectifs du législateur soient satisfaits. Si l'on prend en compte ces deux éléments, il semble possible d'estimer que ce pouvoir confié au C.S.A. est limité tant dans son objet que dans sa portée.
Monsieur le Président : C'est là quelque chose qui n'est pas dans le texte, où nulle part il n'est mentionné que c'est à titre temporaire... En fait, les choses seront fixées annuellement par
Monsieur ROBERT : On peut interpréter en disant : l'heure d'écoute significative, c'est l'heure de grande écoute dans la spécificité de chaque chaîne privée...
Monsieur le Président : Il s'agit de l'un de ces amendements en forme de bateaux qui prennent l'eau...
Monsieur LATSCHA : J'ai été impressionné par l'exposé du rapporteur... J'ai beaucoup cherché de mon côté... Je ne vois pas en quoi il pourrait s'agir de pouvoirs parallèles... Je n'ai encore aucune position arrêtée...
Monsieur le Président : En termes politiques, si nous censurons, on entendrait dire : le Conseil constitutionnel enfonce les chaînes privées... Ce texte est fichu comme l'as de pique.
Monsieur FAURE : Pour moi, je n'ai aucune compétence sur ces questions. J'ai trouvé lumineux l'exposé qui nous a été fait. Sur le problème de principe, la répartition du pouvoir réglementaire, si je comprends bien, il est insoluble... Est- il envisageable, par ailleurs, de traiter différemment des chaînes publiques et des chaînes privées ? Il est relativement normal, à mon sens, d'exiger un peu moins de ces dernières que des sociétés nationales qui reçoivent la redevance... Je suis perplexe ! Le rapporteur lui-même ne nous propose que du bout des lèvres l'interprétation neutralisante. Je suis plutôt de ce côté-là. Je nous vois mal censurer ces dispositions...
Monsieur le Président : La commodité consistant à passer par des autorités administratives indépendantes a suscité de notre part dans le passé un coup d'arrêt... On nous ressort ce processus... La censure serait certainement une mauvaise affaire...
Monsieur Faure : Le domaine est très sensible... C'est présenté avec des variantes, mais, sur un plan général, il s'agit de mettre une autorité en dehors de la tutelle du pouvoir gouvernemental... Evidemment, par rapport à l'époque, que j'ai connue, où l'information se faisait sur un simple coup de fil du ministre, c'est un progrès...
Monsieur le Président : Ces autorités sont dotées de plus en plus de pouvoirs, et soumises à de moins en moins de contrôle... Ce texte est en fait invraisemblable... Il a été arraché dans les couloirs du Parlement à la faveur du naufrage de la Cinq... Le sentiment général est donc qu'il faut plutôt aller à l'interprétation neutralisante... Je suggère une suspension de séance pour tenter de mettre au point une rédaction avec le rapporteur, Monsieur ROBERT, Monsieur LATSCHA, Monsieur GENEVOIS, le service juridique...
Monsieur CABANNES : On va sauver une loi en violant les principes...
Monsieur le Président : Il ne s'agit pas d'une violation des principes, mais de donner le maximum de correction juridique à notre position.
Monsieur JOZEAU-MARIGNE : Il faut voir le nombre et la nature des difficultés soulevées par cet amendement de séance ; puisque nous préférons, par opportunité, l'interprétation neutralisante, il faut parvenir à une rédaction aboutissant au minimum de reproche juridique.
La séance plénière est suspendue à 16 h 17. Elle est reprise, à 16 h 48, après la réunion de travail des personnes mentionnées plus haut par Monsieur le Président.
Monsieur le Président : Nous avons tenté de redonner au texte un équilibre qui lui faisait défaut... Et rappelé le contrôle de la juridiction administrative. Je ne sais pas si nous méritons pour autant la mention magna cum laude...
Monsieur MAYER : Il ne nous faut pas en tout état de cause censurer, parce que les choses retomberaient sur nous...
Monsieur le Président : La censure aurait surtout pour effet de renvoyer la question au décret, ce qui implique une emprise plus grande sur les chaînes privées, et ne serait pas un progrès des libertés...
Monsieur MAYER : Le Doyen VEDEL, qui connaît bien ces questions, m'a dit qu'à son avis le projet "tenait la route"...
Monsieur le Président : Oui, enfin, si on est pas en "formule 1", si on va doucement...
Monsieur MAYER procède à la lecture du projet.
Monsieur le Président (l'interrompant au bas de la page 6) : Il faut supprimer "pratique", "mise en oeuvre" suffit... Et pourquoi "n'a pas pour autant voulu permettre" ?...
Monsieur le Secrétaire général : Monsieur le rapporteur avait initialement envisagé la rédaction suivante : "le législateur a entendu exclure toute fraude à la loi et plus généralement toute dénaturation des principes qu'il a posés".
Monsieur le Président : Voilà qui est bien meilleur... J'ai une question : les heures de grande écoute, elles seront fixées comment ?
Monsieur le Secrétaire général : Par le décret.
Monsieur le Président : Il y a distinction des deux concepts : le concept d'heures significatives sera personnalisé...
Monsieur FAURE : Je trouve qu'il y a quelque audace à présenter les choses ainsi ; j'aime mieux la formule négative du projet ; sinon, c'est un peu culloté...
Monsieur le Président : Il faut dire : le législateur "a exclu" toute fraude à la loi, et non pas "a entendu exclure"...
Ces deux amendements sont adoptés.
Monsieur MAYER reprend la lecture du projet.
Monsieur le Président (intervenant en haut de la page 8) : Il faut supprimer ce considérant, car c'est l'inverse qui se passe immédiatement après...
Cette suppression est décidée.
Monsieur le rapporteur poursuit, en donnant à partir d'ici lecture du projet de considérant élaboré par le groupe de travail mentionné ci-dessus.Monsieur le Président (l'interrompant après lecture de la deuxième phrase) : C'est la nouveauté. Nous redonnons un semblant de logique, celle des poupées russes. Il y a d'abord un coup de chapeau aux principes généraux...
Monsieur MAYER : Il serait meilleur d'en dire qu'ils sont "fixés" par décret en Conseil d'Etat.
L'amendement est adopté.
Monsieur MAYER reprend sa lecture.
Monsieur le Président (l'interrompant) : "Uniquement" !
Monsieur LATSCHA : On restreint le plus possible.
Monsieur le Président : Il faut mettre entre guillemets "heures de grande écoute" et "heures d'écoute significatives"...
Monsieur MAYER achève la lecture du considérant.
Monsieur le Président : Nous sommes bien d'accord là-dessus ?
Après une nouvelle lecture en commun, les conseillers adoptent la rédaction de ce considérant.
Monsieur MAYER reprend la lecture du projet et la poursuit jusqu'à la fin des motifs.
Monsieur MOLLET-VIEVILLE : Quatrième ligne du dernier considérant, nous écrivons "doivent", parce que c'est nous qui faisons l'interprétation...
Monsieur MAYER procède à la lecture du dispositif.
Monsieur ROBERT : Dans le dernier considérant, il ne serait pas mauvais de rappeler les principes généraux fixés par décret en Conseil d'Etat...
Monsieur le Président : Ne serait-ce que pour l'harmonie...
Monsieur FAURE : Mieux vaux au cas particulier insister, quitte à sacrifier l'élégance...
L'amendement est adopté.
Monsieur CABANNES : Est-ce qu'en l'espèce il ne faudrait pas mentionner les réserves d'interprétation dans le dispositif ?
Monsieur le Secrétaire général : Dans les décisions juridictionnelles, les motifs, qui sont le support du dispositif, s'imposent. Mais il n'est pas inenvisageable, en cas d'effort particulier d'interprétation de sa part, que le Conseil mentionne les réserves dans le dispositif.
Monsieur le Président : Oui, indiquons, "Sous les réserves ci-dessus mentionnées", mais pas "d'interprétation".
Le dispositif est modifié en ce sens.
Monsieur le Président : Nous passons au vote d'ensemble.
Le projet est adopté à l'unanimité.
Monsieur le Président : Je tiens à remercier vivement Monsieur MAYER... Je ne crois pas qu'avec ce texte la législation en matière d'audiovisuel va vraiment progresser... Nous en aurons un autre dans trois ans !
La séance est levée à 17 h 20.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.