SEANCE DU MARDI 7 AVRIL 1992
La séance est ouverte à 14 h 30, en présence de tous les
conseillers.
Monsieur le Président : pour commencer, je présente tous mes
voeux de bienvenue à nos trois nouveaux collègues qui, siégeant
aujourd'hui pour la première fois, vont avoir le privilège de
participer à l'élaboration d'une des décisions les plus
importantes de toutes celles rendues par notre Conseil. A cette
occasion, ils pourront voir la manière dont celui-ci délibère.
Ils constateront que cette maison présente certains charmes : on
y sert le thé (sourires) ! Mais un des privilèges de cette maison
c'est que le secret de nos délibérations garantit à chacun
d'entre nous la possibilité de se prononcer en toute liberté,
celle d'opiner dans un sens et de changer d'avis en fonction des
arguments échangés et de conserver jusqu'au bout une totale
liberté. Ils constateront également que nous sommes souvent
concis, tout en essayant d'être le plus précis possible. Il est
rare de voir ici des débordements et j'essaye moi-même de les
éviter, même s'il m'arrive d'y participer ! Je crois que nous
devons être animés du souci d'arriver ensemble à une solution qui
reflète le sentiment d'ensemble du Conseil et que la décision
traduise. Nous savons que toute décision fait toujours l'objet
des critiques attentives de la doctrine, aussi faut-il essayer,
et le Professeur ROBERT et moi-même nous le savons bien, de polir
et d'améliorer autant que faire se peut la rédaction des
décisions. Mais nos nouveaux collègues se rendront vite compte,
à l'usage, de tout ceci !
Nous sommes donc au début d'un parcours plus long que d'habitude,
puisque nous consacrerons à cette décision tout l'après-midi,
jusqu'à 18 heures, où nous devons nous rendre à un hommage à la
mémoire de Gaston MONNERVILLE, puis l'après-midi de demain et,
en fonction de la durée des débats, nous terminerons nos travaux
jeudi matin ou jeudi après-midi. L'ampleur de ce travail est
considérable. Elle justifie que deux rapporteurs aient été
désignés, et que.le service juridique ait oeuvré depuis fort
longtemps. Monsieur FAURE, c'est vous qui commencez ! Comment
comptez-vous organiser le travail ?
Monsieur FAURE : j'ai prévu un exposé général et puis des
interventions sur chacun des points concernés par la décision et
sur certains sujets qui peuvent poser un problème.
Monsieur le Président : d'accord !
Monsieur LATSCHA : je ne ferai pas, pour ma part, de présentation
générale de l'architecture du traité.
Monsieur le Président : bien ! Allez-y, Monsieur le Ministre
d'Etat.
Monsieur FAURE : Nous allons aborder un dossier particulièrement
lourd, dont je mesure toute l'importance. Nous nous sommes
souvent plaint du caractère confus des lois qui nous sont
déférées, et bien, nous allons être comblés ! Le texte du traité
est très difficile à analyser : c'est une modification
supplémentaire des traités institutifs des communautés. Le traité
n'est donc pas un ensemble homogène et clair mais un ensemble qui
modifie des dispositions antérieures complexes. C'est pourquoi,
je dois situer les accords dans leur contexte. Il y a plus de 40
ans que l'on a jeté les bases des traités, avec la création de
la C.E.C.A. en 1951. Je ne parle pas du projet de C.E.D. qui n'a
pas été ratifié. Mais il faut citer les 2 traités de Rome de
1957. Aucun de ces traités n'a été dénoncé sous la Vème
République, et les gouvernements successifs leur ont reconnu
pleine validité. Par la suite, la construction européenne a connu
plusieurs secteurs de développement privilégiés : l'agriculture -
depuis 1964- les aspects constitutionnels avec le traité de
fusion des exécutifs en 1965. Depuis lors, les communautés ont
toujours évolué vers un "plus", dans deux directions, de manière
parallèle.
Tout d'abord, il y a eu un accroissement des compétences et des
procédures de décision vers la règle de la majorité qualifiée.
Ensuite, il y a eu une extension des compétences communautaires
hors des institutions et du cadre des compétences qu'elles
définissent : c'est le cas en matière de coopération des pays
membres pour la politique étrangère et pour la sécurité. Lorsque
des plans dans ce domaine n'ont pas abouti -c'est le cas du plan
Fouchet- le fonctionnement concret des communautés, "de facto",
s'est rapproché de ce qu'ils prévoyaient de faire. L'évolution
s'est par ailleurs poursuivie en matière monétaire, qui, elle
aussi est devenue une des composantes de la dynamique
communautaire. Même si elles relèvent d'ordre juridique
distincts, la diplomatie et la monnaie sont des éléments de la
construction européenne. On a progressivement coiffé le tout sous
la forme d'une union européenne. Les symboles, dans l'histoire,
ne sont pas dénués de valeur !
Ces évolutions se sont poursuivies sous tous les Présidents de
la République. Pendant la présidence de Georges POMPIDOU, s'est
mis en place le système des ressources propres et la C.E.E. a été
élargie à la Grande Bretagne, à l'Irlande et au Danemark. Pendant
celle de Valéry GISCARD D'ESTAING, on a assisté à des avances
spectaculaires : l'élection du Parlement européen au suffrage
universel direct et la mise en place du système monétaire
européen. Tous ces éléments n'ont pas relevé de la même exigence
juridique : ils n'ont pas nécessité une révision préalable de la
Constitution. Pour la plupart, ces évolutions ont été précédées
d'une approbation du Parlement. C'est à la présidence de François
MITTERRAND que l'on doit la ratification de l'Acte unique dont
la portée est considérable, et la signature du traité de
Maastricht, dont la portée est plus forte encore.
Ce mouvement conduit, jusqu'ici, à une unité européenne
irréversible. Personnellement, j'espère que cette tendance ne va
pas s'inverser. Je constate que les crises ont toujours débouché
sur un plus. Je constate aussi que le modèle de la construction
européenne est une référence. L'Autriche, la Suisée, la Suède,
la Turquie, le Maroc, la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie,
les Pays baltes sont susceptibles de rejoindre les communautés :
certains de ces pays ont déjà fait des demandes en ce sens. La
construction communautaire a fait école : l'union USA-Canada-Mexique,
l'union des pays d'Amérique latine et la C.E.I.
témoignent du succès de ce modèle. Ceci mérite d'être souligné.
Je dois aussi souligner, au vu de cette évolution, que c'est la
première fois que notre Conseil va se prononcer sur un élément
d'une telle importance. L'Acte unique nous a échappé car,
signé en février 1986, sous le gouvernement FABIUS, il a été ratifié
pendant la cohabitation, et le nouveau premier ministre ne nous
l'a pas déféré, alors que ses amis avaient préparé la saisine !
Il les a freiné, les responsabilités du premier ministre l'ont
conduit à faire ratifier l'Acte unique. Les textes qui sont venus
devant le Conseil constitutionnel concernaient des problèmes
limités : en 1970, les ressources propres, en 1976 l'élection de
l'Assemblée au suffrage universel direct et, en 1985 un problème
qui n'est pas à proprement parler communautaire : celui du
protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l'homme, qui concernait la question de la peine de
mort. Mais c'est la première fois que le Conseil est saisi d'un
traité qui pose dans son ensemble la problématique de la
construction européenne.
Face à cela, il me semble que le Conseil doit refuser de remettre
en cause le passé : ce qui a été acquis antérieurement doit
fatalement demeurer valable. Même si le traité de Maastricht
n'était pas ratifié, le droit communautaire originaire et dérivé
demeurerait valable et, j'y reviendrai, je proposerai au Conseil
d'adopter cette position.
Il me semble que nous devons éviter deux autres écueils : d'abord
il faut éviter de.mélanger le politique et le juridique, quelles
que soient nos convictions personnelles. Nous n'avons pas à
indiquer si nous sommes ou non favorables à la construction
européenne, si l'on doit défendre ou non une conception fédérale
des institutions communautaires et quelles sont nos préférence.
Nous devons simplement répondre au Président de la République et
à la saisine qu'il a effectuée.
Ensuite, nous devons éviter de tenir la plume du constituant.
Bien sûr, le Conseil constitutionnel ne peut pas se contenter de
déclarer telle ou telle disposition du traité contraire à la
Constitution. Il faut qu’il justifie cette décision en l'étayant
par un raisonnement juridique. Mais le Conseil ne doit pas, selon
moi, aller jusqu'à indiquer quelle rédaction de la Constitution
doit être adoptée pour que celle-ci soit conforme au traité de
Maastricht. Il faut laisser au constituant sa responsabilité en
la matière. Bien sûr, la délimitation des compétences du Conseil
est difficile à établir : cette frontière est une zone grise :
le Conseil incite à adopter telle ou telle rédaction de la
Constitution en indiquant pourquoi une des stipulations du traité
lui est contraire. Mais n'allons pas trop loin dans ce domaine.
En ce qui concerne les considérations générales, je m'en tiendrai
là !
Monsieur le Président : bien ! Il me semble que le projet de
décision peut être délibéré, dans un premier temps, jusqu'à ce
que l'on aborde les problèmes de la citoyenneté européenne (p.
13). Si c'est possible, il faut commencer par ce bloc, puis on
prendra les éléments par blocs successifs. Je n'ouvre pas, pour
le moment, la discussion sur la manière de rédiger la décision,
mais j'indique d'ores et déjà que nous devons éviter que l'on
puisse ensuite gloser sur ce que le Conseil a voulu dire. Je
souhaiterais donc que l'on soit le plus clair possible. Monsieur
FAURE, sur ce premier ensemble, vous pouvez rapporter !
Monsieur FAURE : Je suivrais, dans la mesure du possible, l'ordre
de la décision, qui suit celui du traité : ce dernier modifie,
complète ou abroge des dispositions de tous les traités
antérieurs. Le champ d'application très large qu'il couvre
justifie que deux rapporteurs aient été désignés. Ceci est
d'autant plus logique que le traité final résulte en fait de deux
négociations séparées portant l'une sur l'Union politique,
l'autre sur l'Union économique et monétaire.
Monsieur Jacques LATSCHA rapportera la partie sur l'Union
économique et monétaire, dont il vous donnera le détail des
stipulations, et moi-même la partie sur l'Union politique. Avant
d'en arriver aux dispositions des traités proprement dites, je
souhaite évoquer, en "facteur commun", trois points :
- d'abord quel est le texte soumis au contrôle ?
- ensuite, le Conseil peut-il à l'occasion de ce
contrôle revenir sur des dispositions, déjà entrées
en vigueur, des traités précédents que le présent
traité abroge ou modifie ? Je répondrai par la
négative à cette question.
- enfin, quelles sont les normes auxquelles le Conseil
doit se référer lorsqu'il est saisi en application de
l'article 54 de la Constitution ?
J'aborderai successivement ces trois points :
Premièrement, quel est le texte soumis au contrôle ? Plus
précisément, la saisine opérée par le Président de la République
englobe-t-elle d'une manière indissociable :
- le Traité - articles A à S,
- les 17 protocoles additionnels annexés,
- les 33 déclarations mentionnées dans l'acte final ?
La réponse à cette question doit être positive. Je ne développe
pas cet aspect des choses. Puisque le Président de la République,
par lettre en date du 25 mars 1992, a précisé en ce sens
l'étendue de la saisine qu'il a effectuée, il n'y a pas
d'ambiguïté : l'ensemble forme donc un tout et la saisine doit
porter sur cet ensemble de textes, indissociables les uns des
autres.
La deuxième question est plus délicate : le Conseil peut-il
porter une appréciation sur la conformité à la Constitution des
dispositions déjà entrées en vigueur, que le présent traité
abroge ou modifie ? Cette question présente une portée pratique
considérable : il s'agit d'une éventuelle conformité à la
Constitution de dispositions de traités antérieurs à celle-ci,
et notamment du Traité de Rome. Cette solution m'apparaît
particulièrement extensive. La question posée pourrait aboutir,
si nous répondions affirmativement, à remettre en cause la
conformité de la construction européenne à la Constitution. Mais
outre l’inconvénient que représenterait cette solution, une telle
prise de position, qui n'est pas demandée au Conseil, serait
considérée comme une affirmation d'hostilité à la construction
européenne, alors que le Conseil se doit d'éviter tout jugement
de valeur.
Mais je m'en tiendrais à des considérations purement juridiques.
Elles concernent l'éventualité de savoir si on peut transposer
aux traités une jurisprudence en la matière, qui concerne les
lois. En effet, dans la décision (n° 85-187 DC, Rec. p. 43) du
25 janvier 1985, le Conseil a considéré que "...la régularité au
regard de la Constitution des termes d'une loi promulguée peut
être utilement contestée à l'occasion de l'examen de dispositions
législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son
domaine...". Cette jurisprudence, depuis lors confirmée
raisons qui tiennent à la nature spécifique des traités.
La question présente, ici encore, une grande portée pratique :
j'en cite deux exemples, sur lesquels je reviendrais lorsque nous
aborderons la question du droit de vote et de l'éligibilité aux
élections municipales pour les ressortissants communautaires. Par
exemple, si le Conseil se référait aux lois organiques, il
devrait aborder la question des compétences dévolues aux maires
pour la présentation des candidats à l'élection du Président de
la République, ou encore il devrait viser l'article L.O. 127 du
code électoral, qui dispose : "Tout citoyen qui a la qualité
d'électeur peut être élu à l'Assemblée nationale...".
A la lueur de ces deux exemples, on mesure bien la difficulté de
cette question. De toute évidence, il faut résoudre ce problème
avant d'aborder les dispositions du Traité. Or la réponse à
l'inclusion des lois organiques dans les normes de référence du
contrôle de constitutionnalité des traités me paraît devoir être
négative. Trois arguments doivent être évoqués :
- un argument tiré du texte de l'article 54,
- un argument de logique,
- un argument tiré de la distinction entre lois et lois
organiques.
J'examinerai ces trois points. Il me paraît clair, en effet, que
nous ne pouvons pas, pour des raisons de principe, inclure les
lois organiques dans les normes de référence du contrôle des
traités.
En effet, la loi organique est un "acte d'application" de la
Constitution. Or, la lettre même de l'article 54 exclut toute
référence aux lois organiques : elle ne fait référence qu'à la
seule Constitution et à une éventuelle révision de celle-ci. Si
on admettait une autre solution, cela aboutirait à faire dépendre
l'appréciation du Traité de normes votées par le Parlement,
susceptibles d'être modifiées par lui-même après l'entrée en
vigueur du Traité. A l'occasion de ces modifications des lois
organiques, le Conseil, saisi automatiquement en application des
articles 46 et 61 alinéa 1 de la Constitution soit refuserait
d'apprécier la portée des modifications au regard du Traité, soit
accepterait d'incorporer le Traité aux normes de référence de son
contrôle, remettant ainsi en cause la jurisprudence du
15 janvier 1975
la conformité de la loi à un Traité. Dans les deux cas, on
aboutit à un paradoxe. Et il faut ajouter que ceux des traités
qui auraient été. ratifiés après autorisation donnée par le
Parlement pourraient, en cas de modifications des lois organiques
auxquelles nous aurions fait référence, se trouver "désavoués"
par le législateur organique. On le voit, il est impossible de
faire rentrer la loi organique dans les normes de référence du
contrôle des traités, même si la solution est différente pour ce
qui est des lois ordinaires ou des règlements des assemblées.
Dans ce dernier cas prévaut une hiérarchie des normes impliquée
par le texte constitutionnel lui-même.
Le dernier argument qui justifierait un contrôle des traités par
rapport à des lois organiques tient à ce que ces dernières sont
visées dans la Constitution. Mais il faut observer que la
Constitution fait aussi référence à des lois pour l'appliquer.
Ainsi, à l'article 3, c'est la loi ordinaire qui détermine,
compte tenu des dispositions de cet article, les conditions
requises pour être électeur. Qu'est-ce qui justifierait qu'on ne
contrôle pas aussi la conformité du Traité à de telles lois ? Or,
c'est tout à fait impossible, car contraire à la lettre de
l'article 55 de la Constitution.
On le voit, tous ces arguments conduisent à apprécier la
conformité du Traité à la Constitution et aux principes qui en
sont indissociables et à exclure toute référence aux lois
organiques. Cette solution est au demeurant tout à fait conforme
à la position adoptée en août 1958 par l'assemblée générale du
Conseil d'Etat lors de l'élaboration de la Constitution.
En effet, celle-ci a obtenu la suppression d'une référence
aux lois organiques comme normes du contrôle dans le cadre de
l'article 54 de la Constitution (travaux préparatoires, Tome III,
p. 369). En outre notre position ne remet pas en cause la
jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de lois
organiques.
Une fois ces trois questions préalables résolues, je pourrai
aborder les problèmes liés à la souveraineté, à la citoyenneté
de l'Union, puis la question du transfert des compétences et du
respect de la souveraineté nationale pour la sécurité intérieure
et la P.E.S.C.
Monsieur le Président : bien ! Sur cet ensemble, Messieurs ?
Monsieur le professeur, sur les normes de référence ?
Monsieur ROBERT : non ! Je n'aborderai pas les normes de
référence, mais plutôt un des aspects du projet de décision qui
me trouble : pourquoi donc doit-on consacrer deux pages à
rappeler des évidences ? Si on lit les pages 8 et 9 du projet de
décision, on se demande pourquoi il faut faire figurer ces
éléments. J'évoque cette question, car cet aspect du problème a
été soulevé par Monsieur FAURE au sujet de l'absence de mise en
cause des engagements antérieurs. Si le Conseil avait voulu aller
plus loin et apporter cette précision, il aurait pu le faire.
Mais, à quoi sert-il de rappeler qu'un traité s'apprécie en
tenant compte du cadre défini par les engagements antérieurs ?
C'est évident !
Monsieur le Président : vous anticipez sur la rédaction.
Monsieur CABANNES : oui ! Il y a un risque de confusion
méthodologique, on est en train de mélanger les genres !
Monsieur le Président : attendons la lecture du projet pour
aborder cette question. Sur ce qui a été dit par Monsieur FAURE,
et notamment sur les normes de référence, quelqu'un veut-il
intervenir ? Non ! Alors on peut passer à la lecture de la
décision, en faisant l'économie des visas.
Monsieur CABANNES : non ! Tout est capital et je souhait,
si ce n'est pas la coutume, qu'on procède à leur lecture.
Monsieur ROBERT : en effet, on a visé toutes les lois. Or il me
semble que l'adhésion de la Grèce et du Portugal pourraient être
passées sous silence !
Monsieur le Président interroge le secrétaire général à ce sujet.
Monsieur le Secrétaire général : ces adhésions modifient les
règles de majorité qualifiée et ont entraîné une modification de
l'article 148 paragraphe 2 du Traité instituant la C.E.E.
Monsieur CABANNES : vous voyez, Monsieur le Président, c'est
capital de procéder à la lecture des visas, dont nous nous
dispensons d'habitude.
Monsieur le Président : bon ! alors, allons-y.
Monsieur FAURE : oui ! Il est vrai que cette décision est rendue
sur la saisine du Président de la République, et que tout est,
plus encore que pour les autres décisions, particulièrement
important. Je lirais donc l'intégralité ! (il lit le projet de
la page 1 à la page 6 jusqu'à "entendus"). Voilà !
Monsieur le Président : merci pour ce tel effort, je suis certain
qu'aucun greffier n'aurait fait mieux et que ni Monsieur
CABANNES, ni moi-même, dans nos fonctions antérieures n'avons
entendu d'aussi belles lectures !
Monsieur FABRE : il me semble qu'il faudrait expliciter le
contenu de la lettre du Président de la République du 25 mars,
sinon ceux qui liront ce visa ne sauront pas de quoi nous sommes
saisis.
Monsieur le Président : oui, on peut en effet l'expliciter,
puisque cette lettre ne sera pas publiée.
Monsieur ROBERT : ne faut-il pas la mettre en tête de la
décision ?
Monsieur le Président : non ! Cette référence est bien à sa
place. Mais il vaut mieux expliciter le contenu de cette lettre
dans le visa. Monsieur FAURE, vous pouvez poursuivre.
Monsieur FAURE lit le projet jusqu'à la fin de la page 9.
Monsieur le Président : bien ! Qui désire parler sur ce point ?
Madame LENOIR : je suis tout à fait convaincue par
l'argumentation, mais je me pose juste une question sur le
considérant final qui pourrait donner l'impression d'un contrôle
sur les engagements antérieurs. Il me semble, dans la mesure où
le Conseil ne transpose pas sa jurisprudence en matière de lois,
qu'il vaudrait mieux marquer clairement qu'on ne remet pas en
cause les traités antérieurs et donc, je propose de modifier ce
considérant.
Monsieur FAURE : vous êtes d'accord avec la conclusion ?
Madame LENOIR : oui, mais je crains que le Conseil donne
l'impression qu'il revient sur sa décision de 1970. Je souhaite
qu'on reprenne la formulation de la décision de 1970 et qu'on
"enfonce le clou".
Monsieur FAURE : oui ! Il faut une précision supplémentaire dans
ce sens.
Monsieur ROBERT : je maintiens que tout cela est évident, et donc
inutile !
Monsieur CABANNES : moi qui suis partisan de la brièveté, en
général, je suis au contraire favorable au maintien de ce
considérant : je n'en changerais pas un iota !
Monsieur LATSCHA : ces considérants sont importants, car ils
correspondent à la réponse à des questions que nous avons
rencontrées. Je suis moi aussi pour le maintien en l'état.
Madame LENOIR (lit la décision de 1970) : je souhaite qu'on
s'inspire de ces formules !
Monsieur le Président interroge le secrétaire général
sur l'évolution de la jurisprudence.
Monsieur le Secrétaire général : le problème est né avec la
décision du 25 janvier 1985. Depuis lors, la doctrine
s'interroge. L'idée dont s'inspire le projet est que l'examen du
Conseil ne peut pas faire abstraction du contenu des anciens
traités, par exemple de la règle de la majorité qualifiée. C'est
à cela que la décision fait référence. Toutefois, il n'y a pas
remise en cause de la constitutionnalité d'un traité déjà
introduit dans l'ordre interne.
Monsieur FAURE : alors indiquons : "sans remettre en cause la
portée et la validité de ceux-ci".
Monsieur CABANNES : c'est clair et lapidaire !
Monsieur le Président : non ! Permettez moi de vous dire que ce
n’est ni clair, ni lapidaire ! En effet, l'article 55 rappelle
la valeur des traités et le dernier alinéa de la page 9 rappelle
les conditions d'interprétation d'un traité, en indiquant qu'elle
s'intégre en fonction du traité précédent. Mais faut-il ajouter
que le Conseil constitutionnel n'envisage pas de mettre en cause
les traités antérieurs ? Certains attendent que le Conseil
saisisse l'occasion pour juger de la conformité du traité de Rome
à la Constitution. C'est le cas de Monsieur GOGUEL. Or nous ne
nous prononçons pas sur le traité de Rome. Faut-il rappeler que
le Conseil ne revient pas sur les traités incorporés dans l'ordre
juridique interne et reprendre la formule de 1970 ? C'est ce que
Madame LENOIR souhaite. Mais cette formule, éclairante, me paraît
superfétatoire. Et puis, on ne maîtrise pas l'avenir ! L'acte
unique nous a filé sous le nez. Peut-être aurions nous eu des
choses à dire ! Mais, si on imagine qu'à la suite de certains
conflits, comme ceux qui ont lieu en Yougoslavie se produise une
vague terroriste et que certains pays signent une nouvelle convention
qui violerait -disons le carrément- des libertés
fondamentales et que cette convention ne nous soit pas soumise.
Et puis, il y aurait un protocole, qui, lui serait soumis au
Conseil. Celui-ci refuserait-il alors d'examiner la convention
parce qu'il se serait lié pour l'avenir en adoptant une clause
qui interdise une appréciation de traités antérieurs. Je ne suis
pas partisan de nous lier pour l'avenir. Une reprise de
la formule de 1970 ne me paraît pas indispensable.
Monsieur ROBERT : je suis en total accord avec vous, mais je ne
vois toujours pas la nécessité des trois considérants des pages
8 et 9. Ils sont inutiles !
Monsieur le Président : moi, je vois l'utilité de rappeler
l'article 55, puis de fixer la portée de l'engagement soumis à
notre contrôle. Ça peut paraître insuffisant, mais ça n'est pas
illogique !
Monsieur LATSCHA : deux précisions, Monsieur le Président ! Pour
l'U.E.M., tous les articles sont incorporés au traité de Rome.
Il faut donc s'y référer ! Ensuite, je partage votre point de vue
sur la nécessité de ne pas trop nous engager pour l'avenir.
Monsieur RUDLOFF : je m'inquiète un peu, car, par la suite, le
projet de décision retient-il la même approche ? Nous risquons
de dire là que le traité de Rome fait partie des normes de
référence du traité de Maastricht !
Monsieur le Président : non, on ne prend pas le traité de Rome
comme un élément d'appréciation de la constitutionnalité du
traité de Maastricht mais seulement comme un critère de
compréhension. Le deuxième considérant de la page 9 correspond
à cela.
Madame LENOIR : on définit l'étendue du contrôle, je le comprends
bien. Mais ce qui me gêne, c'est la formule négative :
"cependant". Je préférerais une formule positive.
Monsieur le Président : on peut en effet supprimer le "cependant
et la formulation négative.
Monsieur FAURE : en fait, on ne soulève que ce qui est nouveau
si Maastricht n'est pas ratifié, il n'y aura pas de mise en cause
de l'acquis.
Monsieur le Président : oui, je suis totalement d'accord sur ce
point.
Monsieur FAURE : le traité de Rome, ça n'est pas la loi des
prophètes. Rien ne s'oppose donc à une évolution future dans ce
domaine. Il y a bien "l'acquis communautaire" mais cette notion
n'est faite que pour les nouveaux entrants. En fait, la décision
n'envisage que les éléments nouveaux.
Monsieur le Président : ce qui gêne le professeur ROBERT, c'est
en fait le considérant de la page 8 et le premier de la page 9.
Est-ce qu'on pourrait directement passer deuxième considérant de
la page 9 ? Qu'en pense le Secrétaire général ?
Monsieur le Secrétaire général : je crains qu'on interprète alors
cette rédaction comme une transposition de la décision de 1985
en matière de loi ! Et le premier considérant de la page 9 est
le premier de ce type dans la jurisprudence du Conseil
constitutionnel.
Monsieur LATSCHA : oui, c'est une première de souligner
l'importance des traités et de cette méthode d'approche. Même si
cela paraît évident, il y a en fait un élément important.
Monsieur FAURE : moi je suis pour qu'on accumule les précisions !
Monsieur RUDLOFF : mais on risque d'aboutir à donner un label au
traité de Rome, alors que la saisine du Président de la
République ne porte pas sur ce point.
Monsieur FAURE : alors, ne faut-il pas restreindre la portée du
considérant, en supprimant la fin à partir de "détermine" ?
Monsieur le Président : non, car il faut juger les conditions
d'interprétation des traités et non leur contrôle.
Madame LENOIR : je suis convaincue par les arguments que je viens
d'entendre, mais ce qui me gêne dans le second considérant de la
page 9 c'est qu'on risque de l'interpréter comme un retour en
arrière de la part du Conseil.
Monsieur LATSCHA : il ne faut pas faire référence au "cadre"
défini par les traités antérieurs.
Monsieur RUDLOFF : le mot "portée" me gêne, car il ne précise pas
le sens de notre appréciation de traité de Rome.
Monsieur le Président : la formule "au regard" conviendra mieux.
Monsieur ROBERT : je me demande si nous sommes tenus de répondre
à la question de l'appréciation des traités antérieurs. Dans sa
lettre de saisine, le Président n'évoque que les engagements
signés : il ne s'agit pas des traités antérieurs.
Monsieur FAURE : oui, mais le Conseil peut, à cette occasion et
pour la première fois, affirmer qu'il ne remettra pas en cause
les traités antérieurs. Dans la lettre de saisine, c'est
effectivement le seul traité de Maastricht qui est visé, mais je
pense qu'il faut en profiter pour faire référence à la continuité
de ce traité avec les traités antérieurs.
Monsieur le Président : il est impossible d'affirmer que le
traité de Rome est conforme à la Constitution et il me paraît
dangereux, pour l'avenir, de lier le Conseil constitutionnel.
Notre marge d'action est étroite, d'où le recours à des formules
prudentes. Mais je suis d'accord pour qu'on supprime l'aspect
négatif de ce deuxième considérant.
Madame LENOIR : il me semble qu'il faut faire référence à
l'intégration communautaire. Ce considérant est important, et le
considérant précédent est indispensable par rapport à celui-ci.
Il faut donc le conserver. Ces références aux traités antérieurs
et à la valeur des traités sont heureuses et bienvenues et leur
aspect symbolique est important.
Monsieur le Président : il faut alors maintenir les trois
considérants des pages 8 et 9 et trouver une rédaction positive
pour le dernier.
Monsieur ABADIE : "en tenant compte" est approximatif, il vaut
mieux écrire "au regard de".
Monsieur le Secrétaire général (interrogé par Monsieur le
Président) : l'expression "en fonction de" permet de répondre à
l'objection soulevée par Monsieur RUDLOFF.
Monsieur FAURE lit la version définitive.
Monsieur le Président : je vais mettre cette rédaction aux voix.
(le vote est acquis à l'unanimité, sauf Monsieur ROBERT, qui vote
contre).
Monsieur FAURE lit la page 10 et le début de la page 11 (1er
considérant).
Monsieur CABANNES : il faut indiquer que l'article 27 de la
Constitution de 1946 n'a plus de valeur juridique. Il faut donc
mettre "tout comme le faisait".
Monsieur le Président : oui, je suis d'accord.
Monsieur FAURE lit la suite de la page 11 et le début de la page
12 (1er considérant).
Monsieur le Président : il me semble que les pouvoirs de décision
peuvent s'écrire avec décision au singulier.
Monsieur ROBERT : je souhaiterai qu'on enlève la fin du deuxième
considérant de la page 11, après "permanente".
Monsieur FAURE : non ! c'est essentiel, je souhaite pour ma part
qu'on maintienne l'intégralité !
Madame LENOIR : c'est parfaitement bien rédigé, et je souhaite
que l'on maintienne l'ensemble.
Monsieur ROBERT : je voudrais poser une simple question : les
"conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale"
c'est notre jurisprudence actuelle ?
Monsieur FAURE : oui, tout à fait. Je vais continuer la lecture du projet de décision.
Il lit la fin de la page 12 et le début de la page 13 (jusqu'à
"souveraineté nationale").
Monsieur le Président : il me semble qu'ensuite, si vous le
souhaitez, vous pourriez, Monsieur FAURE reprendre votre rapport
en ce qui concerne la citoyenneté de l'Union. Mais si vous le
souhaitez nous pourrions, comme je l'avais annoncé au début de
la séance, nous arrêter quelques minutes.
La séance est suspendue quelques minutes.
Monsieur FAURE : j'avais préparé un rapport beaucoup plus long,
mais compte tenu de la durée des débats, je souhaite m'en tenir
à l'essentiel et éviter une description trop longue du traité
lui-même. Dans la mesure où le projet ne retient que quelques
points, je préférerais m'en tenir à l'essentiel. Tout d'abord il
faut que je formule quelques remarques sur le titre I, puis je
vais aborder la question de la souveraineté. Le titre I
est constitué des articles A à F. Je souhaite faire plusieurs
observations.
- D'abord, par application de l'article L, les
articles du titre I n'entraînent pas en eux-mêmes
la compétence de la C.J.C.E. On doit les considérer
comme ayant une valeur juridique - ils doivent être
respectés par les Etats après la ratification -
mais ils ne pourront pas, pour autant, entraîner la
compétence de la C.J.C.E.
- Ensuite, l'article B doit retenir notre attention
pour deux raisons. D'abord, il réaffirme le
principe de subsidiarité, précisé dans le nouvel
article 3 B du traité sur la Communauté européenne.
Ce principe implique que la Communauté n'est
susceptible d'agir, dans certains domaines dont la
liste figure à l'article 3 de manière limitative,
que dans la mesure où les "objectifs de l'action
envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière
suffisante par les Etats membres". Ce principe est
bien connu même s'il n'y a pas forcément d'accord
de tous nos partenaires sur son interprétation.
Mais ce qui introduit une complexité plus grande
c'est que l'article 3 B vise également la
"compétence exclusive" de la Communauté. En fait,
cette compétence exclusive est très restreinte :
elle ne se présume pas mais se déduit du traité. Il
s'agit par exemple, au 1er janvier 1999, de la
monnaie. Mais cette notion n'est pas extensive :
c'est donc, en dépit de cette référence faite au
début de l'article 3 B, toujours, le principe de
subsidiarité qui trouvera à s'appliquer. Dès lors,
il faut se concentrer non pas sur l'article 3 B
mais sur l'article 3. Contrairement à ce qu'on
pourrait penser, cet article 3 n'est pas
nécessairement extensif. Si la liste des
compétences de la Communauté européenne est plus
longue que l'ancienne liste de l'article 3 il faut
considérer qu'elle a une vocation limitée. Elle
vise à limiter, en fait, la portée concrète de
l'article 235 du traité C.E.E., que le traité de
Maastricht ne modifie pas. Cet article permet au
Conseil, statuant à l'unanimité, de prendre des
dispositions pour permettre une action nécessaire
au fonctionnement du marché commun, pour réaliser
l'un des objets de la Communauté. On le voit, il y
a là une source d'extension des compétences
communautaire, ce qu'on appelle communément les
"zones grises". L'article 3 du traité sur la
Communauté européenne est destiné à encadrer
davantage ces compétences et doit donc être
considéré comme de portée limitative, même
si l'article 235 du traité C.E.E. n'est pas abrogé.
Je souhaiterais ensuite faire quelques remarques sur la manière
dont le projet de décision aborde la question de la souveraineté.
La décision de notre Conseil du
30 décembre 1976 était fondée sur la distinction entre
limitation de souveraineté - cette expression étant
issue du 15ème alinéa du préambule de la Constitution de
1946 - et les "transferts de tout ou partie de la
souveraineté nationale", qu'aucune disposition de
nature constitutionnelle n'autorise.
Cette approche mettait en cause la relation
entre l'Etat et une instance internationale, non pas en
fonction du domaine d'exercice des compétences, mais,
on le voit, en fonction d'un simple critère organique
: celui de l'autorité qui exerce la compétence.
Au contraire, la décision du Conseil
constitutionnel du 22 mai 1985 fait référence aux
éléments essentiels de la souveraineté nationale,
c'est-à-dire qu'elle retient un critère matériel :
celui du domaine d'exercice de la souveraineté
nationale. Cette décision vise (considérant 2) "le
devoir pour l'Etat d'assurer le respect des
institutions de la République, la continuité de la vie
de la Nation et la garantie des droits et des libertés
des citoyens".
Après m'être interrogé, il me semble que,
pour ce qui concerne le traité de Maastricht, c'est
cette approche, qui est la plus récente, qui doit
inspirer le Conseil constitutionnel. J'y vois en effet
deux avantages :
- le premier consiste à ne pas traiter de la même façon
la défense nationale et - pour prendre des exemples
extrêmes - la protection des consommateurs ou la
pêche. La décision de 1976, qui se fonde simplement
sur les modalités d'exercice des compétences, et non
sur le contenu de ces compétences, ne permet pas
d'opérer cette distinction. Elle rendrait quasiment
inapplicable le traité de Maastricht.
- le second avantage est de mieux prendre en compte
l'imbrication entre le droit communautaire et le
droit interne, en donnant sa pleine valeur à
l'article 55 de la Constitution et au 14ème alinéa
du préambule de la Constitution de 1946 selon
lequel la France se conforme aux règles du droit
public international. Mais en définissant le
domaine où le transfert de compétences s'opère, on
aboutit à réaffirmer, de la manière la plus nette,
l'importance de la souveraineté. Il me paraît bien
plus concret de retenir cette approche.
Dès lors, il convient d'affirmer que la
France peut conclure, sous réserve de réciprocité, des
engagements internationaux en transférant des
compétences à une organisation internationale investie
de pouvoirs de décision propres, à la condition que
cela n'affecte pas les conditions essentielles d'exercice
de notre souveraineté nationale.
Monsieur le Président : bien ! Ce rappel était important. La
décision de 1976 est la ligne de bataille des opposants à la
construction communautaire. La décision de 1985 avait jugé
bon d'énumérer des domaines d'exercice de la souveraineté nationale.
Cette liste est-elle ou non exhaustive ? La réponse à cette
question est négative. Il me semble, Monsieur FAURE, que vous
avez choisi l'approche la plus habile en ne retenant pas une
énumération.
Monsieur FAURE : j'ai tenu à rappeler la décision de 1985 et dans
le texte du projet de décision, j'ai fait supprimer
l'énumération. Il me semble que l'expression "conditions
essentielles" est suffisante.
Monsieur ABADIE : le professeur DUBOUIS
énumération. Mais c'est toujours dangereux d'énumérer.
Monsieur le Président : je suis partisan de n'indiquer que ce qui
est nécessaire. Gardons donc la référence aux "conditions
essentielles" et ne nous lançons pas dans une énumération.
Monsieur FAURE : je suis tout à fait d'accord.
Monsieur le Président : bon ! Alors on peut attaquer la suite de
la décision, c'est-à-dire l'exigence de réciprocité et la
garantie des droits et libertés des citoyens.
Monsieur FAURE : j'ai déjà lu par anticipation les pages
correspondantes du projet.
Monsieur le Président : lorsqu'on évoque la Cour de justice des
communautés, je me demande si on n'établit pas un lien trop
marqué entre celle-ci et les droits fondamentaux qu'elle
interprète et applique (il se tourne vers le Secrétaire général).
Monsieur le Secrétaire général : la formule retenue rend hommage
à la C.J.C.E. et vise à souligner le rôle des particuliers en
matière de protection des droits grâce au renvoi préjudiciel
organisé par l'article 177 du Traité de Rome.
Monsieur FAURE : ce deuxième point est important. Il s'agit de
montrer que les recours constituent une garantie pour les
particuliers.
Monsieur ABADIE : mais indiquer que ces principes sont ceux dont
la C.S.C.E constate l'existence nous rend serfs vis-à-vis de sa
jurisprudence.
Monsieur le Président : il faut viser le respect des principes.
Monsieur FAURE : oui.
Madame LENOIR : la Cour n'a pas un rôle prétorien en la matière.
Ne peut-on pas gommer la référence ?
Monsieur le Président : il me paraît normal de faire un sort à
la C.J.C.E. et d'indiquer que celle-ci se prononce notamment à
l'occasion des recours intentés par des particuliers. Il faut
également insister sur la garantie des droits et libertés des
citoyens, sans faire référence ici à l'exercice de la
souveraineté nationale.
Monsieur FAURE : d'accord !
Le rapporteur donne lecture du projet ainsi modifié.
Monsieur le Président : je suis tout à fait d'accord. Vous pouvez
maintenant rapporter sur la citoyenneté de l'Union.
Monsieur FAURE : je vais aborder, dans cette partie de mon
rapport, tous les problèmes liés à la citoyenneté de l'Union.
L'instauration de cette citoyenneté est prévue par l'article B
du traité et développé au titre II, article G, qui se traduit par
l'introduction des articles 8 à 8-E dans le traité instituant la
communauté européenne. Bien qu'ils ne fassent pas partie
formellement du même ensemble, j'y rattache l'article 138,§ 3
- qui porte sur la procédure d'élection au Parlement européen -
et on pourrait y inclure l'article 138-A, relatif aux partis
politiques, puisqu'il porte sur le même sujet. Mais sur cette
question, il me semble qu'il n'y a pas d'inconstitutionnalité.
Aussi, je ne l'aborderais pas.
La citoyenneté, dans le cadre de l'Union,
se distingue de la nationalité. Il n'est pas question
de conférer, à travers le traité de Maastricht, aux
instances communautaires un quelconque pouvoir en
matière de nationalité. C'est pour cette raison que
l'article 8 du traité instituant la Communauté
européenne peut faire référence à la "nationalité" des
Etats membres, celle-ci ayant été définie par le
C.J.C.E. comme "l'existence d'un rapport particulier de
solidarité à l'égard de l'Etat, ainsi que la
réciprocité des droits et devoirs "(17 décembre 1980,
commission c/Belgique). Les règles de nationalité
ressortissent toujours de la compétence des Etats. Le
traité vise à superposer à la citoyenneté nationale des
éléments de citoyenneté de l'Union ; cet objectif est
facile à comprendre. Il s'agit de cimenter les
relations entre les individus membres de l'Union. Sans
aller, comme le souhaite le Parlement européen, jusqu'à
définir un véritable statut du citoyen de l'Union, il
confère un droit à la protection diplomatique (article
8 C) et, surtout, des droits de vote et d'éligibilité.
Je vais aborder en premier lieu les
élections municipales - article 8 B-1 du traité
instituant la communauté européenne -, puis les
élections au Parlement européen - article 8 B-2.
L'article 8 B-1 est incontestablement l'un
des plus importants que nous ayons à aborder. A le lire
il ne pose pas de problèmes majeurs de compréhension ni
d'interprétation. Il constitue l'élément essentiel de
la citoyenneté de l'Union créée par l'article 8 du
Traité sur la Communauté européenne, tel qu'il résulte d
e l'article G du présent Traité.
Cet article 8 B-1 prévoit que "tout citoyen
de l'Union résidant dans un Etat membre dont il n'est
pas ressortissant a le droit de vote et d'éligibilité
aux élections municipales dans l'Etat membre où
il réside" ;
Il renvoie l'exercice de ce droit à des
modalités à arrêter avant 1995 par le Conseil, qui
pourront prévoir des dispositions dérogatoires" ; ces
dispositions ont été demandées par le seul Luxembourg,
compte tenu de la spécificité de la ville de
Luxembourg, qui comporte 40 % d'étrangers.
Je souhaite aborder quatre points :
1° Le Conseil doit-il se prononcer sur le
problème du principe même du droit de vote et
d'éligibilité dans la mesure où ses modalités
d'application ne sont pas encore fixées ?
2° Peut-il établir une distinction entre
droit de vote et éligibilité ?
3° Quelles seront les normes par rapport
auxquelles le contrôle doit être effectué ?
4° Comment formuler la solution ?
J'aborderais successivement ces quatre
points :
1⁰ Le Conseil doit-il se prononcer sur le
principe même, alors que les modalités, et
éventuellement les dérogations, ne sont pas, en
l'espèce, connues. Ces dérogations ont été prévues au
cours de la négociation pour ménager à certains Etats
(Luxembourg, Danemark...) la possibilité d'éviter, pour
certaines villes, l'élection de maires étrangers. Mais
il semblerait qu'en fait, aucun pays ne souhaitera
véritablement en demander. Il est donc probable qu'il
n'y aura pas de dérogations.
Quant à la réserve faite sur les "modalités
d'application", elle concerne les conditions classiques
de l'électorat : âge de la majorité, conditions de
résidence, de nationalité, la prohibition du double
vote et le droit à l'éligibilité. Les conditions à
fixer pourraient conduire à établir une distinction
entre le droit de vote et l'éligibilité dans certains
pays - dont le nôtre - où le maire joue un rôle d'agent
de l'Etat. J'y reviendrais dans un instant. Mais les
"modalités" ainsi définies, ont été prévues par le
texte du traité de Maastricht pour appliquer le
principe et non pour le remettre en cause.
Il est donc clair, en dépit des modalités
futures, qu'il appartient au Conseil constitutionnel de
se prononcer sur le principe de l'article 8 B et non
par rapport à un état futur - et hypothétique - du
droit, qui échapperait à son contrôle. Il nous
appartient donc de nous prononcer sur le principe, en
lui-même.
Toute autre solution apparaîtrait comme une
échappatoire. Le Traité affirme, de la manière la plus
nette, un principe, et il appartient au Conseil
constitutionnel de statuer sur celui-ci, puisqu'il est
prévu par le Traité. N'éludons pas le problème !
2° Dès lors qu'on accepte de statuer sur la
compatibilité entre la Constitution et l'article 8 B-1
du Traité de Maastricht, peut-on établir une
distinction entre élection et éligibilité ? La réponse
à cette interrogation est négative. En effet, une telle
distinction, contraire à tous nos principes juridiques,
conduirait à des modifications législatives
importantes, sur lesquelles le Conseil n'a pas à
statuer ici. Ceci est une incidente. L'essentiel est
ailleurs. Etablir une telle distinction aboutit à juger
de la possibilité - au regard de la Constitution - de
confier des fonctions de maire à un étranger. Statuer
en ce sens aboutirait à constitutionnaliser le rôle du
maire en tant qu'agent de l'Etat.
Ces fonctions peuvent être présentées de la
façon suivante :
- administration générale (par exemple la mission
d'exécution des lois : article L. 122-23 du code des
communes) ;
- police judiciaire (déclare les accidents du travail
et constate les infractions d'urbanisme) ;
- officier d'état civil ;
- légalisation des signatures ;
- publication des lois et décrets.
Nous sommes ici plusieurs maires ou anciens
maires et chacun d'eux comprend ce dont je parle.
Par ailleurs, il faut rappeler que les
maires parrainent les candidats à la Présidence de la
République (article 3 de la loi du 6 novembre 1962,
relative à l'élection du Président de la République au
suffrage universel, modifié par les lois organiques du
13 janvier 1988).
Tous ces facteurs font apparaître une
éventuelle contradiction entre l'article 8 B-1 et la
répartition des compétences entre l'Etat et les
collectivités locales.
Pour autant, touchent-elles à la
Constitution ?
La réponse à cette question est négative.
En effet, dès lors que le Conseil a décidé de juger de
la conformité du Traité à la Constitution et aux
principes de valeur constitutionnelle, il ne faut
prendre en compte que ces seuls éléments pour apprécier
la conformité du Traité de Maastricht à la
Constitution. Or, les pouvoirs du maire en tant
qu'agent de l'Etat n'ont aucun fondement
constitutionnel. En effet, l'article 72 de la
Constitution n'appréhende la commune qu'en tant que
"collectivité locale".
On peut également se demander si ces pouvoirs
peuvent se rattacher, d'une manière
quelconque, à un principe de valeur constitutionnelle,
ou aux principes de la souveraineté nationale tels
qu'ils sont mentionnés au premier alinéa du Préambule
de la Constitution de 1958. Or, ces pouvoirs du maire,
agent de l'Etat, n'apparaissent que d'une manière très
marginale dans la loi sur l'organisation municipale du
5 avril 1884. Il est donc clair qu'on ne peut pas
fonder sur cette loi un principe fondamental. Dès lors
que le Conseil, pour des raisons logiques, a choisi de
ne faire porter son contrôle que sur le texte de la
Constitution et sur ces principes, il est impossible de
faire un sort particulier, dans la décision, aux
pouvoirs du maire en tant qu'agent de l'Etat. Quant au
parrainage, il s'agit d'une loi organique, qui ne
fait pas partie des normes de référence du contrôle institué
par l'article 54, ainsi que nous l'avons vu au début de
notre séance.
Je vous suggère donc de ne pas séparer les problèmes
liés au droit de vote de ceux qui proviennent
de l'éligibilité. A partir de là, il faut aborder la
question essentielle : y-a-t-il une contrariété entre
l'article 8 B-1 et la Constitution ?
3° J'aborde donc la question de la
conformité au texte de la Constitution de
l'article 8 B-1. Trois articles doivent être évoqués : l'article
72, l'article 24 et l'article 3.
L'objection de l'article 72, alinéa 2,
serait, prise isolément, la moins forte. Les
collectivités territoriales, même élues partiellement
par des étrangers, continueraient à s'administrer
librement par des conseils élus. Mais cet alinéa,
combiné avec l'alinéa 1er de l'article 72 met en
évidence une difficulté que le Conseil a déjà
rencontrée. En effet, la décision du Conseil
constitutionnel du 7 juillet 1987, n° 87-277 DC, est à
cet égard éclairante. Elle établit un lien entre le
principe d'égalité du suffrage mentionné à l'article 3,
et les articles 72 et 24 de la Constitution.
De fait, il existe un lien constitutionnel
entre la notion de République et celle de peuple
français, concept juridique auquel le Conseil
constitutionnel confère une valeur constitutionnelle
(décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, cons. 11, 12 et
13). Et, dès lors qu'on relie l'article 72 et l'article
24, il existe une contrariété évidente à la
Constitution.
En effet, les dispositions de l'article 24,
2ème alinéa, prévoient que le Sénat, élu au suffrage
universel indirect, "assure la représentation des
collectivités territoriales de la République". Par ce
biais, les élections municipales participent à
l'expression de la souveraineté nationale. Sur ce
point, d'une manière indiscutable, il ne peut être
admis un droit de vote des étrangers sans modification
de la Constitution.
Reste enfin une contrariété, et sans doute
la plus forte, entre la lettre du dernier alinéa de
l'article 3, qui définit les fondements essentiels du
droit de.vote et renvoie à la loi le soin de déterminer
les conditions de son exercice, et l'article 8 B-1 du
Traité. Mais je vous propose de ne pas l'isoler et de
la relier aux articles 72, alinéas 1 et 2, et 24.
En la matière, le Conseil peut s'appuyer
sur une jurisprudence antérieure. En effet, dans une
décision ancienne n° 82-146 DC du 18 novembre 1982
(Rec. p. 66, cons. 6 et 7), le Conseil combine les
dispositions de l'article 6 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen et celles de l'article
3 de la Constitution pour juger :
- que le droit de vote est ouvert à tous ceux qui n'en
sont pas exclus pour une raison... de nationalité ;
- qu'il s'agit d'un principe de valeur
constitutionnelle ;
- que ces textes s'opposent à toute distinction des
électeurs par catégorie ;
- que l'élection des conseillers municipaux fait partie
des "suffrages politiques", ce qui permet de
distinguer ces élections d'autres types de votations.
Ainsi, les dispositions de l'article 3 ne
s'appliquent plus dès lors qu'il ne s'agit pas
d'élections politiques : les étrangers peuvent voter
aux élections universitaires (Conseil d'Etat,
12 mai 1978, élections au C.R.O.U.S. de Nancy-Metz),
l'initiative des candidatures peut être réservée à
certaines organisations pour les élections qui "ne se
rapportent ni à l'exercice de droits politiques, ni à
la désignation des juges" (décision n° 82-148 DC du
14 décembre 1982).
Mais le Conseil peut surtout s'appuyer sur
une jurisprudence plus récente et que j'ai évoquée.
Elle concerne le régime électoral de la ville de
Marseille (décision n° 87-277 DC du 7 juillet 1987,
Rec. p. 41). Cette décision a combiné l'article 72,
alinéas 1 et 2, l'article 24, troisième alinéa, et le
troisième alinéa de l'article 3 qui était concerné en
l'espèce, puisqu'il s'agissait d'une question d'égalité
de suffrage.
En procédant de la même manière, le Conseil
met en évidence les liens qui existent entre les
élections sénatoriales et les élections municipales, et
précise la contradiction qui existe entre l'article 8
B-1et l'ensemble des dispositions de la Constitution
qui concernent à la fois les élections municipales et
les conditions de citoyenneté.
Comme le Conseil l'a fait dans cette
décision, je vous propose de lier tout à la fois les
articles 72 et 24 et le dernier alinéa de l'article 3.
4° Dès lors, la solution est claire : il
existe une contradiction entre le dispositif de
l'article 8 B-1 et les dispositions constitutionnelles
que j'ai citées.
j'observe également, mais cela n'entre pas
en ligne de compte pour l'appréciation de la
constitutionnalité, gu'il faudra pour incorporer cette
disposition dans notre droit que soient modifiées de
nombreuses dispositions du droit électoral. Je citerai,
à titre d'exemple, l'article L.O. 127 du code
électoral, qui, je le rappelle, dispose que : "Tout
citoyen qui a la qualité d'électeur peut être élu à
l'Assemblée nationale". Mais ceci n'est qu'une
incidente.
En conclusion, je voudrais insister sur la
continuité de la jurisprudence et du raisonnement suivi
par le Conseil. La combinaison de ces dispositions
donne plus de pertinence au raisonnement. Il faut que
j'ajoute un mot ici. J'ai appris qu'une "modalité
particulière", tendant à régler le problème des grands
électeurs aux élections sénatoriales était demandée par
la France et qu'elle aurait des chances d'aboutir. Mais
il me semble que ceci ne peut en rien interférer sur
notre décision ; au moment où nous sommes saisis, ce
texte en droit n'existe pas, et je ne peux rien dire
d'autre, en tant que rapporteur, que d'inviter le
Conseil à se prononcer au vu du texte du traité.
Monsieur le Président : bien ! J'ouvre le débat.
Monsieur ROBERT : je partage totalement la position et la logique
du remarquable exposé juridique du rapporteur. Mais sa remarque
finale m'incite à m'interroger. Faut-il motiver notre décision
sur l'ensemble des articles 72, 24 et 3, ou faut-il mettre en
avant ce dernier ? Si on retenait la contradiction avec
l'article 3, ça réglerait l'ensemble du problème !
Monsieur le Président : oui. Qui d'autre souhaite s'exprimer ?
Monsieur ABADIE : je suis tout à fait d'accord avec lerapporteur, la doctrine est constante et, avec des nuances, va
dans le même sens. Je me pose pourtant une question. Le traité
affirme, certes, un principe, mais il prévoit aussi que ce
principe s'applique en fonction de modalités. Ce principe
comporte une virtualité de contradiction avec la Constitution,
qui est liée aux élections sénatoriales. Mais si les modalités
permettent de résoudre ce problème, que ferait-on ? On n'a cité
un précédent, celui de la taxe départementale sur le revenu, où
le Conseil a statué sur le principe sans connaître les
modalités
contradiction.
Monsieur CABANNES : je suis en total accord avec le rapporteur,
qui a rédigé un projet que je trouve, quant à moi, remarquable,
sous réserve d'éventuelles observations purement rédactionnelles.
Madame LENOIR : moi aussi, je suis totalement d'accord, mais je
suis intéressée par la proposition du professeur ROBERT de faire
référence à l'article 3 : c'est une piste intéressante.
Monsieur RUDLOFF : malheureusement, je suis, moi aussi, en total
accord avec le rapporteur. On peut dire que l'importance concrète
de tout cela sera réduite, mais, en fait, il y a sur ce thème un
blocage de l'opinion publique, puisqu'on touche à quelque chose
de fort : la souveraineté nationale. Personnellement, je n'en ai pas peur.
Je voudrais observer que le dernier alinéa de l'article
3 vise, en fait, la suppression du cens. Si on ne vise que cette
disposition, l'impact de la décision risque d'être négatif.
Aussi, je souhaite qu'on retienne l'approche du rapporteur et que
l'on vise les sénatoriales, ça fera moins peur que si on vise la
souveraineté isolément. Quant aux pages 8 et 9, c'est plus de la
pédagogie que du droit, mais pour ma part je souhaite que l'on
retienne l'ensemble du texte du projet de décision.
Monsieur FAURE : je suis gêné, en fonction de considérations
politiques et matérielles de rapporter dans ce sens : il y a en
France environ un million deux cent mille ressortissants
communautaires dont huit cent mille portugais. Très peu
d'entr'eux demanderont à bénéficier du droit de vote en France :
ils sont très attachés à leur pays. Mais on ne peut pas
subordonner notre décision à ces considérations de fait :
l'incidence sur le Sénat est certaine.
Monsieur LATSCHA : dans la mesure où les modalités ne relèveront
pas du traité lui même, il faut que le Conseil se prononce.
Monsieur FABRE : oui, n'occultons pas la difficulté, ce serait
reproché au Conseil. Mais il faudra bien qu'on vise les
dérogations. Enfin il me semble qu'une assimilation va être faite
entre l'ensemble des étrangers et les ressortissants
communautaires, ce qui ne pourra que renforcer la
xénophobie générale.
présence de dispositions qui ne peuvent qu'appeler une révision
de la Constitution. On ne peut pas y échapper ! Il me semble
impossible d'anticiper sur les dérogations. Tout au plus peut on
noter que les modalités relèveront de l'unanimité et qu'elles
seront très importantes. Concernant les pouvoirs de police du
maire, il est évident qu'on pourra recourir aux réserves. Il faut
donc évoquer la règle de l'unanimité en matière de modalités.
Monsieur ABADIE : en même temps, cela va à l'encontre de la
sécurité juridique, puisqu'il faudra un accord des autres Etats
membres de la Communauté pour prévoir des dérogations.
Monsieur le Président : la France maîtrise les applications du
principe. Reste la question essentielle, celle des motivations
de notre décision. En l'état actuel du projet, on vise la
contrariété par rapport aux sénatoriales, et puis, comme
résultat, la souveraineté nationale. Mais, pour des raisons
diverses, les modalités futures pourront résorber ce chef
d'inconstitutionnalité. Je me demande, pour ma part, si le traité
ne va pas beaucoup plus loin et si l'article 8 B 1 ne change pas,
tout simplement, la République française. La France est une
République. L'article 2 de la Constitution fait référence au
peuple français. La valeur juridique de cette notion a été
précisée dans notre décision sur la Corse
confrontés à un changement radical de la conception de la
République. Celle-ci "appartient" au peuple. Le débat sur le
Sénat n'est qu'une conséquence, l'essentiel c'est l'article 3.
Mais il demeure que si des modalités excluaient le Sénat, est-ce
que le fait même d'avoir reconnu le droit de vote aux municipales
à des non-nationaux ne serait pas en lui-même, dans ce cas,
contraire à la Constitution ? Moi, je réponds oui à cette
question !
Monsieur RUDLOFF : moi, Monsieur le Président, je n'en suis pas
convaincu. Si on admet l'hypothèse que le Sénat est élu
autrement, je me demande si le fait de faire élire des Conseils
municipaux, dont l'activité ne démembrerait pas la souveraineté
nationale, en partie par des étrangers serait contraire à la
Constitution. Le Conseil se rattache au fait que les Conseils
municipaux participent à l'élection des sénateurs. Mais si on met
à part le maire et ses pouvoirs de police et de contrainte, je
constate alors que les Conseils municipaux gèrent des intérêts
locaux et je me demande s'ils font partie de l'expression de la
souveraineté nationale. Car les communes ne sont pas un
démembrement de l'Etat. Puisque j'aboutis à un résultat
indiscutable par le biais de l'article 24, je propose qu'on s'en
tienne là.
Monsieur le Président : mais en dehors de la référence au Sénat,
que ferions-nous ? La question est de première grandeur.
Monsieur FAURE : même en dehors des sénatoriales, nous serions
confrontés à des problèmes inextricables. Mais je ne suis pas,
quant à moi, partisan de nous limiter à l'article 3.
Monsieur le Président : mais sur cet article, en lui-même, je
pose la question : est-ce qu’une fois "décrochés" des
sénatoriales, les Conseils municipaux seraient, en eux-même,
susceptibles d'être élus par des non-nationaux sans une
contrariété à la Constitution ?
Monsieur CABANNES : se poserait alors la question du bloc de
constitutionnalité et du préambule.
Monsieur FABRE : je crois que l'article 3 serait, à lui seul, un
butoir. Mais je suis d'avis qu'on ne soulève pas la question.
Monsieur LATSCHA : votre question, Monsieur le Président, est
essentielle. Dans notre décision sur la Corse, nous avons rappelé
que la souveraineté nationale appartient au peuple et que cela
implique que, pour les élections politiques, sont électeurs les
français.
Monsieur ROBERT : je ne dis pas, quant à moi, que notre décision
ne doit pas faire allusion au Sénat. Mais je souhaite que l'on
édulcore pas l'article 3, indépendamment de la référence au
Sénat. Il n'y a qu'un seul électorat pour toutes les élections
politiques. Nous sommes confrontés au même problème que celui du
peuple Corse. Il faut dire que ce principe s'applique.
Madame LENOIR : je constate qu'on s'interroge, en fait, sur la
"lisibilité" de notre décision. Mais dans les deux cas, l'impact
politique est le même.
Monsieur le Président : oublions l'impact politique. Ce qui est
en jeu c'est le fondement de la décision.
Madame LENOIR : si on modifie la loi organique, existerait-il
tout de même une contradiction avec l'article 24 ? Si on répond
par l'affirmative, il faut mentionner cet article. Sinon, on ne
mentionne que l'article 3.
Monsieur le Président : il y a le Sénat, il y a le reste ! De
toutes les manières, on ne va pas trancher la question ce soir.
Il est acquis qu'il faut, sur ce point, modifier la Constitution.
Mais le Sénat ne me paraît pas être le fondement exclusif.
Monsieur CABANNES : je suis d'accord avec le Professeur ROBERT.
Monsieur ROBERT : il faut aller plus loin en ce qui concerne
l'article 3.
Monsieur le Président : retenons, bien sûr, le biais des
élections sénatoriales. Le maire, c'est entendu, ne participe pas
à la souveraineté nationale. Mais, indépendamment de cela, la
Constitution doit-elle être modifiée si on admet un vote des
étrangers ?
Monsieur ABADIE : le peuple français s'exprime au titre de la
souveraineté nationale. Une fraction de l'électorat, étrangère
au peuple, ne peut exprimer la souveraineté nationale. Mais elle
peut tout de même s'exprimer.
Monsieur le Président : bien ! Nous reprendrons ce débat demain.
Je n'ai pas besoin d'insister sur le fait que chacun doit garder
le plus absolu silence !
La séance est levée à 18 h 15.
SEANCE DU MERCREDI 8 AVRIL 1992
La séance est ouverte à 14 h 30, en présence de tous les
conseillers.
Monsieur le Président : bien ! Reprenons en fonction de ce que
nous avons dit hier, et en recherchant si une synthèse est
possible. Il me semble d'abord qu'il y a des principes
indiscutables sur lesquels nous sommes tous d'accord.
J'en vois quatre. D'abord, dans notre Constitution, le droit de
vote est réservé aux citoyens français dès lors que la
souveraineté nationale se trouve en jeu. C'est ce qui permet, a
contrario, d'admettre un vote des étrangers aux élections
syndicales, par exemple. Deuxièmement, le Sénat participe à
l'expression de la souveraineté. Troisièmement, le Sénat est élu
au suffrage universel indirect par des délégués des collectivités
locales. Quatrièmement, les élections municipales finissent par
toucher la souveraineté nationale, d'où la nécessité de réviser
la Constitution.
Maintenant, voyons comment on va exprimer ces principes. Il faut
partir de la souveraineté nationale plutôt que de faire
l'inverse. Recomposons la décision en ce sens. Rien ne peut
contenir ces difficultés : même si on réservait à des délégués
nationaux le soin d'élire des sénateurs, il faudrait, dans une
matière de cette importance, modifier la Constitution. Après en
avoir parlé avec Monsieur le Secrétaire général, il me semble
qu'on peut inverser l'ordre des considérants et prendre le
considérant du haut de la page 16 pour l'amener avant celui du
bas de la page 15, et faire, en outre, un ajout relatif aux
modalités de mise en oeuvre prévues par l'article 8 B 1 du
traité.
Monsieur FAURE : ce dernier point est secondaire par rapport au
précédent.
Madame LENOIR : moi, je voudrais insister sur le "détour" que
constitue l'article 24 de la Constitution : c'est par ce biais
que les communes participent à la souveraineté nationale. Mais,
en dehors de cela, il est clair que les collectivités locales
n'expriment par la souveraineté nationale.
Monsieur le Président : l'argument tiré de l'élection sénatoriale
est clair.
Madame LENOIR : je maintiens que les collectivités locales ne
participent pas à la souveraineté nationale.
Monsieur le Président : gardons nous de la dire ! Monsieur le
rapporteur, pouvez-vous lire le projet ?
Monsieur FAURE lit le projet, s'interrompt page 14 (après
"européen"). Jusqu'ici c'est descriptif ! (Il poursuit jusqu'à
la page 15). Ah ! On en arrive à la variante. Je lis le premier
texte d'abord, puis la variante ?
Monsieur le Président : oui, oui !
Monsieur FAURE lit le projet de décision (jusqu'à la page 17
avant d'aborder la question du Parlement européen), puis lit le
texte compte tenu de la variante.
Monsieur le Président : je crois qu'il est possible d'alléger.
Le rappel introduit par la variante des modalités a une valeur
pédagogique : il est fait pour rassurer l'opinion publique. Les
modalités sont essentielles, notamment le délai de résidence ;
et le fait qu'il y ait un commun accord pour les arrêter est
important. Mais on doit pouvoir revoir la formulation. Ces
modalités "auront pour objet" ?...
Monsieur ABADIE : notamment.
Monsieur le Président : ça figure !
Monsieur RUDLOFF : faut-il mettre "réserves" ou "conditions" ?
Monsieur le Secrétaire général (interrogé par Monsieur le
Président) : la formule traduit l'idée qu'il n'y a pas en la
matière de "self-executing".
Madame LENOIR : le "cependant" me gêne !
Monsieur le Président : alors supprimons-le.
Monsieur ABADIE : oui ! Ce n'est pas un "a contrario".
Monsieur FAURE : la variante est elle adoptée ?
Monsieur le Président : oui ! Reprenons maintenant l'idée qu'il
faut commencer par l'article 3, puis revenir à la page 15.
Je préfère que l'on inverse l'ordre des considérants.
Monsieur RUDLOFF : il est essentiel, dans le raisonnement, que
l'argument tiré des élections sénatoriales apparaisse le premier.
Mais, cela dit, on peut en effet faire figurer l'article 3
d'abord.
Monsieur ROBERT : à la lecture de l'ensemble, on resterait sur
la lancée de la logique précédente. Or je préfère que la décision
soit centrée sur l'article 3 : il ne faut pas donner une
impression inverse au lecteur. De toutes manières, il me paraît
clair qu'il faudra réviser l'article 3.
Monsieur le Président : ce qui tombe sous le coup de la censure,
c'est le fait qu'il s'agit des élections municipales.
Monsieur FAURE : l'article 24 vient, logiquement, après l'article
72, dont il est une modalité d'application.
Madame LENOIR : mais il n'y a pas 38.000 détenteurs de la
souveraineté nationale ! Il faut donc passer par le biais des
élections sénatoriales.
Monsieur FAURE : mais il faut bien faire référence au dernier
alinéa de l'article 3 !
Monsieur le Président : bien ! Il existe, me semble-t-il, une
règle d'or : il ne faut dire que ce qui est indispensable, sauf
lorsque le Conseil souhaite, pour diverses raisons, laisser
passer le bout de l'oreille. Ce n'est pas le cas aujourd'hui.
Aussi, je suggère qu'on fasse un sort particulier à l'article 3,
en faisant figurer d'abord le considérant de la page 16, puis,
d'une manière autonome, le dernier considérant de la page 15, sur
lequel repose clairement le raisonnement. Le dernier considérant
de la page 16, et la conclusion, restent à leur place. Voyons ce
que cela donne !
Monsieur FAURE reprend à partir du 2ème considérant de la page
16.
Monsieur LATSCHA : il faut supprimer la "vocation à assurer"
(page 16) : le Sénat "assure".
Monsieur le Président : oui, oui.
Monsieur FAURE : il vaudrait mieux commencer par l'article 72.
(Après quelques modifications rédactionnelles, les conseillers
arrêtent la version définitive).
Monsieur ABADIE : j'observe que, dans le reste du projet, il y
a, en fonction du message que l'on adresse au constituant, deux
variantes, alors qu'ici le Conseil retient plutôt la variante que
se borne à constater la contrariété à la Constitution. On risque
d'avoir des interprétations curieuses sur ce point.
Monsieur le Président : conservons cela en réserve et, s'il le
faut, on reviendra sur la question. Bien, je mets aux voix.
(Le dispositif est adopté à l'unanimité).
Bien ! Monsieur FAURE, vous pouvez maintenant rapporter sur
l'article 8 B 2, s'il vous plaît.
Monsieur FAURE : on va retrouver, avec cet article, l'harmonie
avec la rédaction de l'article 8 B 1. Mais nous avons, ici,
derrière nous la jurisprudence du 30 décembre 1976. Même si nous
ne nous référons plus à certains principes posés par cette
décision, pour ma part, je conclus à l'absence de contrariété de
ce dispositif à la Constitution. La question est ici plus
complexe que celle des municipales.
En effet, le Traité est le fruit d'un compromis hybride en ce qui
concerne les pouvoirs du Parlement européen. Sur ce point, le
texte est issu de positions contraires : la Grande-Bretaqne, la
France sont favorables à la limitation, la Hollande ou le
Danemark souhaitent une augmentation des pouvoirs du Parlement.
D'où le système complexe qui tend à l'extension des compétences
du Parlement. Il y a un changement fondamental : les compétences
du Parlement, y compris après l'Acte unique, qui établissait une
procédure de coopération dans les relations entre la Commission
et le Conseil, d'une part, et le Parlement, d'autre part,
n'allaient jamais jusqu'à lui conférer le pouvoir de dire le
"dernier mot". Le traité de Maastricht lui donne un tel pouvoir,
par l'avis conforme et la procédure de codécision.
L'avis conforme est, par exemple, requis pour les projets en vue
d'harmoniser les procédures de vote pour l'élection du Parlement
au suffraqe universel direct. Je rappelle que le principe de
cette élection a été introduit à l'article 138 du traité
instituant la C.E.E. et mis en oeuvre par l'acte portant élection
des représentants à l'Assemblée au suffrage universel direct du
20 septembre 1976, jugé conforme à la Constitution par la
décision n° 76-71 DC du 30 décembre 1976. La procédure prévue par
l'article 138, § 3, était que le Conseil arrêtait à l'unanimité
des dispositions visant à instituer une procédure électorale
uniforme dont il recommandait ensuite l'adoption aux Etats
membres, compte tenu de leurs règles constitutionnelles
respectives. La nouvelle procédure issue du présent traité
consiste à prévoir un avis conforme du Parlement sur ces
dispositions. Mais, en fait, cette procédure, créée en 1957, n'a
jamais fonctionnée. Comment voulez-vous, sur ce point, trouver
une harmonisation entre la pratique hollandaise et celle de la
Grande-Bretaqne ? En 1957, l'idée était moins saugrenue, car les
pays membres, à l'époque, fonctionnaient tous à la représentation
proportionnelle, sauf la R.F.A., dont le système était légèrement
différent. Avec l'augmentation du nombre de pays membres et la
diversité de leurs modes de scrutin, l'harmonisation est
aujourd'hui hors de portée. Mais, de toutes les façons, cela ne
pose pas de problèmes puisqu'il s'agit de simples propositions
aux Etats membres et que la référence à leurs "règles
constitutionnelles respectives" demeure. Cette question est donc
sans influence sur l'appréciation de la constitutionnalité du
traité.
Mise à part cette référence à l'article 138, § 3,
le texte retenu pour les élections européennes est donc identique
à celui qui est prévu pour les élections municipales.
Tout d'abord, je crois que l'obstacle portant sur
le caractère aléatoire des modalités d'application doit faire,
naturellement, l'objet de la même solution que celle que le
Conseil a adoptée pour les élections municipales. C'est-à-dire
qu'il convient de statuer sur le principe même qui nous est
soumis.
Pour aborder ce principe, je voudrais détailler
trois aspects :
1⁰ la jurisprudence du 30 décembre 1976 ;
2° le problème de la représentation du peuple
français ;
3° le problème du vote des ressortissants
communautaires et de sa conformité à la Constitution.
1 ° Dans la décision n° 76-71 DC du 30 décembre 1976
(cons. 6), le Conseil constitutionnel a jugé que la souveraineté
définie à l'article 3 : "Ne peut être que nationale et que seuls
peuvent être regardées comme participant à l'exercice de cette
souveraineté les représentants du peuple français élus dans le
cadre des institutions de la République". Ce raisonnement a
permis de faire échapper à ces règles constitutionnelles celles
des institutions qui ne participent pas à l'exercice de la
souveraineté nationale, c'est-à-dire à l'époque "l'Assemblée des
communautés européennes". Si le Conseil confirme cette position
et s'il juge que le Parlement européen échappe à l'ordre
juridique interne, il est clair que l'article 8 B-2, qui
reconnaît aux ressortissants de la Communauté dans l'Etat où ils
résident le droit de vote et d'éligibilité aux élections au
Parlement européen n'est pas contraire à la Constitution puisque
ce Parlement est étranger à l'exercice de la souveraineté
nationale.
2° Le problème qui se pose à nous est toutefois un
peu différent de celui de 1976 sur un premier point : il s'agit
de savoir si les étrangers qui participent à ces élections, qui
ne font pas partie, par définition, du "peuple français" peuvent
désigner des représentants élus et si, dans ces conditions, ces
représentants continuent à représenter le peuple français. La
réponse est, à l'évidence, négative. Les élus ne peuvent plus
représenter exclusivement le "peuple français".
Or, l'article 137 du traité de Rome instituant la
communauté européenne, modifié par l'article G du traité de
Maastricht indique - et cela ne change pas - que le Parlement
européen est composé de représentants des peuples des Etats".
Rien n'empêche donc, au vu du traité, qu'au sein du même pays
soient désignés des représentants de peuples de plusieurs Etats.
Quelques pays, en fonction de leur législation interne, l'ont
déjà prévu Irlande ou Pays-Bas par exemple.
La décision de 1976, dans son troisième considérant,
indique que "cette Assemblée demeure composée de représentants
de chacun des peuples de ces Etats". Le Conseil, à l'époque,
s'était-il fondé sur les faits ? Il me semble que non. Il est
allé au-delà du traité, et, puisqu'en 1976, ce considérant était
une extrapolation, liée à la volonté de représenter la France,
on peut aujourd'hui passer cette question sous silence.
3° J'en arrive maintenant à l'essentiel : devons-
nous estimer contraire à la Constitution le dispositif de
l'article 8 B-2 lorsqu'il pose le principe même du vote des
ressortissants communautaires ?
Je dois avouer que j'ai été hésitant. Deux types
d'arguments incitent plutôt à répondre par l'affirmative. Tout
d'abord, le parallèle avec les élections municipales, qui ne
manquera pas d'être fait - notamment par une partie de l'opinion
publique. Mais ce parallèle ne vaudrait que pour autant qu'on
mette en évidence une contradiction entre les articles de la
Constitution et le principe du droit de vote des étrangers. Or,
en ce qui concerne les élections européennes, ni l'article 72,
ni l'article 24 ne sont susceptibles de s'appliquer. Reste alors
l'objection tirée de l'article 3 pris isolément. Il faut
s'interroger pour savoir si le Parlement européen est susceptible
d'entrer dans le cadre de la souveraineté nationale. C'est le
deuxième type d'argument qui pourrait inciter à déclarer non
conforme cette disposition. En ces matières, Maastricht est, en
fait, le résultat d'un compromis. Mais le Parlement avait déjà,
dans les faits, un certain pouvoir d'empêcher, par exemple pour
les dépenses non obligatoires, où son accord était nécessaire,
puisque, depuis l'origine, c'est le Président qui signe le
budget. Et puis, le Parlement pouvait refuser de donner son avis.
L'Acte unique européen n'allait pas plus loin en matière de
blocage, mais Maastricht, lui, confère au Parlement un véritable
pouvoir de blocage. La question est de savoir si les novations
modifient la nature juridique du Parlement. Il y a tout d'abord
l'avis conforme. Celui-ci est requis dans certains cas :
- A l'article 158, le Parlement est consulté pour la
désignation du Président de la Commission. Il
approuve la nomination des membres de la Commission,
d'une manière collégiale. Cette disposition aboutit
à faire contrôler par le Parlement une décision de
nomination des Gouvernements nationaux. On notera
cependant que le Parlement n'est pas consulté en cas
de remplacement suite à une démission volontaire ou
d'office.
- A l'article 228, il est prévu l'avis conforme du
Parlement pour certains traités :
- accords visés à l'article 238, dits
"d'association", pour lesquels l'avis conforme est
toujours exigé (il l'était déjà dans l'Acte
unique), accords ayant des "implications
budgétaires notables". Cette notion, un peu floue,
rappelle celle de l'article 53 de la Constitution
de 1958 qui vise les traités qui "engagent les
finances de l'Etat", accords qui créent un cadre
institutionnel spécifique en organisant des
procédures de coopération
- et accords impliquant une modification d'un acte
pris selon la procédure de "codécision". L'avis
conforme est également requis pour l'exercice de la
liberté de circulation et de séjour (article 8 A),
la définition des missions des objectifs
prioritaires et l'organisation des fonds à finalité
structurelle (article 130 D) ou l'adhésion de
nouveaux Etats membres (article 0).
Mais dans les domaines de la P.E.S.C. et de
la justice, le Parlement est simplement consulté et
peut exercer des pouvoirs de contrôle, non de blocage
(articles J-7 et K-6 du traité). On le voit, les
pouvoirs du Parlement concernés par la procédure d'avis
conforme ne touchent que de très loin l'exercice des
conditions essentielles de la souveraineté. Par ce
biais, le Parlement européen ne se voit donc pas
attribuer un véritable pouvoir qui lui permettrait de
peser sur les conditions essentielles de l'exercice de
la souveraineté nationale.
Il nous reste à évoquer le processus de
codécision. Le mécanisme est d'une complexité terrible.
Si on organisait un concours du mécanisme le moins
simple, c'est à coup sûr celui là qui gagnerait !
(sourires). Pour ce qui nous préoccupe, il faut retenir
l'idée que le Parlement doit désormais donner son
accord. Si le comité de conciliation aboutit à un texte
commun, celui-ci est soumis au Parlement européen et au
Conseil, si l'un des deux ne l'approuve pas, il est
réputé non adopté.
Si le comité n'aboutit pas à un texte
commun, le Conseil peut confirmer sa position
antérieure. Le Parlement européen doit alors la rejeter
à la majorité absolue de ses membres, faute de quoi le
texte est arrêté définitivement.
On observera qu'il y a trois changements
fondamentaux :
- le Parlement dispose désormais d'un pouvoir de
blocage : il est mis en situation, en dernière phase,
d'empêcher l'entrée en vigueur d'un acte. Mais ceci
n'est rien d'autre que l'extension d'un pouvoir de
refus que le Parlement a déjà la possibilité de
manifester soit, dans le cadre de ses pouvoirs
budgétaires, en matière de dépenses non obligatoires,
soit d'une manière plus brutale, en refusant de
donner son avis,
- la procédure est plus lourde, et plus longue, que la
procédure antérieure,
- dans tous les cas, le Conseil statue à la majorité
qualifiée, sauf, comme antérieurement, pour se
prononcer sur les amendements ayant fait l'objet d'un
avis négatif de la Commission. En revanche, le
Parlement intervient dans tous les cas à la majorité
absolue.
Enfin, il y a la procédure de l'article
189 C.
Elle est totalement identique à l'ancienne
procédure de coopération instituée par l'Acte unique.
Seul son champ d'application change. Mais elle ne
permet pas au Parlement de bloquer le processus. Bon !
Que faut-il penser de tout cela ? Depuis notre réunion
d'hier, il est clair que nous avons décidé de retenir
une approche par domaines d'exercice de la
souveraineté : le problème n'est donc plus le même
qu'en 1976, sauf sur le fait qu'il faut savoir ce qui
échappe, par l'effet du traité, au droit interne. On
peut hésiter. Pour ma part, je réponds par la
négative : il n'y a pas, dans ces domaines, de motifs
d'inconstitutionnalité.
Monsieur le Président : merci, Monsieur FAURE, pour votre exposé
très clair. Qui souhaite intervenir ?
Monsieur ROBERT : dès lors qu'on se place dans la logique du
rapporteur, il n'y a pas de doute possible. Mais je voudrais me
situer dans une approche différente. Je me demande en effet, s'il
n'y a pas une atteinte à la notion de peuple français. En effet,
y a-t-il au Parlement européen des représentants de peuples des
Etats et non des peuples des Etats ? Cette question est
importante, car le Conseil constitutionnel a considéré qu'il
n'était pas possible de fractionner le peuple : il n'y a pas de
peuple Corse ou alsacien. Mais on va considérer qu'il y a
désormais, dans le même processus de représentation, un groupe
de personnes représentées qui n'appartient pas au peuple
français. Si on l'accepte, on va vers la reconnaissance de
l'existence d'un peuple européen et on admet qu'il existe une
citoyenneté européenne qui se superpose à la citoyenneté
française.
Monsieur le Président : c'est, en effet, la question essentielle.
Monsieur FAURE : oui, ceci est décisif, car admettre cette
approche revient à inverser le sens de la décision au sujet de
l'article 8 B 2.
Monsieur ABADIE : ce serait un véritable cataclysme, qui
conduirait à remettre en cause la souveraineté nationale qui est
une notion disparate, en insistant sur le fait que, dès lors
qu'on vote avec les ressortissants communautaires, celle-ci ne
peut plus s'exercer.
Monsieur le Président : en effet, ce serait alors contraire à
l'article 3 de la Constitution. Mais le Parlement européen
incarne-t-il la souveraineté nationale ? Je dois faire plusieurs
remarques. D'abord, la décision de 1976, en visant "chacun" des
peuples, interprète le traité - s'agit-il de représentants de la
France ? S'ils ne participent pas à l'exercice de la souveraineté
nationale on résout le problème assez facilement.
Madame LENOIR : je suis d'accord avec cette idée : les pays sont
réunis dans la Communauté, l'article 137 du traité de Rome est
clair. Mais les représentants participent-ils à l'expression de
la souveraineté nationale ? Si on répond par la négative, il me
semble que le problème est résolu. Or, retenir l'autre solution,
c'est nous éloigner de notre logique. En fait, en retenant les
conditions essentielles d'exercice de la souveraineté, on a déjà,
en grande partie, répondu à cette question : ce qui compte c'est
le domaine où il y a transfert, et non la nature juridique du
Parlement européen. Dès lors, peu importe le pays où les
communautaires votent : le projet n'a pas retenu cette approche.
Le problème ne se pose donc pas.
Monsieur LATSCHA : j'observe qu'à l'article 4, le traité de Rome
cite le Parlement parmi les institutions communautaires. Si on
abordait le Parlement sous l'angle des pouvoirs, il faudrait
faire de même pour le Conseil des membres des Communautés.
Monsieur CABANNES : je serais bref : le Parlement européen
appartient à un ordre juridique propre, distinct de l'ordre
interne. Et mon seul regret quant au projet de décision, c'est
de ne l'avoir pas rédigé moi-même !
Monsieur RUDLOFF : moi aussi, je suis d'accord. Si nous suivions
le professeur ROBERT, il faudrait envisager les autres instances
susceptibles, elles aussi, de porter atteinte à la souveraineté
nationale. En 1976, le Conseil s'est un peu "braqué" sur le
Parlement européén. Alors, moi aussi, je souhaite que l'on
n'aille pas plus loin que le rapporteur.
Monsieur FABRE : cette question n'a en effet aucune incidence
interne, je suis favorable au texte tel qu'il est.
Monsieur ROBERT : mais moi aussi, et je l'ai dit, je reconnais
la pleine valeur de l'approche du rapporteur. Simplement, je me
demande : le peuple français, c'est quoi ? Si on ne retient pas
le lien avec la souveraineté nationale, on peut tout faire, dans
ce domaine. Dès que cette décision sera prise, la question qui
se posera à nous ce sera de savoir où nous en sommes sur la
question du peuple français.
Monsieur le Président : mais nous l'avons déjà dit. Le problème
est ici différent : il s'agit de la question de la citoyenneté
et du droit de vote. En réalité, la seule difficulté provient de
la façon dont la décision de 1976 a été motivée. Le Parlement
européen est composé de représentants des peuples et ceci relève
du traité. En ajoutant le mot "chacun", les rédacteurs de
l'époque ont dénaturé ce texte. Que dirait-on si on ajoutait un
mot à la Constitution ? Si on laisse de côté cette adjonction et
si on fait référence à l'élection, on rencontre alors notre
deuxième question : jusqu'où faut-il admettre que les compétences
soient dévorées par une institution ? Mais le rapporteur y a
répondu : le Parlement n'appartient pas à l'ordre juridique
interne. Laissons donc aux européens ce qui leur revient.
Monsieur LATSCHA : d'ailleurs, en 1976, cette décision a fait
hurler.
Monsieur FAURE : si le mot "chacun" avait figuré dans les
traités, j'aurais, moi aussi, demandé l'inconstitutionnalité.
Mais en 1976, le Conseil a fait un abus de droit.
Monsieur CABANNES (ironique) : un faux en écriture publique !
Monsieur FAURE : le traité est clair, et il n'y a qu'à faire
évoluer la jurisprudence pour qu'elle soit conforme à celui-ci.
Monsieur le Président : bien ! Alors lisez.
Monsieur FAURE lit les pages 17 à 21.
Monsieur le Président : à la fin de la page 20, il me semble que
la référence à la nécessité de réviser la Constitution ne
s'impose pas, pas plus que celle du transfert de compétences :
on dévoile ici la logique de la décision alors alors qu'à ce
stade, ce n'est pas indispensable. Ne l'évoquons pas !
Monsieur LATSCHA : Faut-il mentionner, au premier considérant de
la page 21, les institutions de la République française ?
Monsieur le Secrétaire général (interrogé sur ce point par
Monsieur le Président) : c'est le point de rencontre entre la
décision et la jurisprudence de la Cour de justice des
Communautés européennes, tel qu'elle s'exprime dans l'arrêt Costa
c/Enel. du 15 juillet 1964.
Monsieur FAURE : oui ! Je suis d'avis de laisser cette référence.
Monsieur le Président : oui ! La référence s’impose également par
rapport à la décision de 1976.
Monsieur CABANNES : je suis d'accord !
Monsieur le Président : mais l'autre question est plus
importante, on doit simplement ici se contenter d'évoquer
le droit de vote et pas la question des transferts de compétence.
Monsieur FAURE : mais on les frôle ! Si un pouvoir d'avis
conforme avait été conféré au Parlement en matière de défense,
nous ne considérerions sûrement pas la question de droit de vote
sous le même angle. Il s'agit donc bien d'apprécier le transfert.
Monsieur RUDLOFF : même si Strasbourg est une ville agréable
(sourires) il me semble possible de faire abstraction des
pouvoirs nouveaux du Parlement européen.
Monsieur le Président : bien !
(Après quelques modifications, les conseillers arrêtent la version définitive).
Monsieur FAURE : sur les partis politiques, je crois qu'on peut
garder le silence. Je vais donc passer la parole à Monsieur
LATSCHA.
Monsieur le Président : Monsieur LATSCHA, vous souhaitez
commencer avant que nous ne prenions le thé ?
Monsieur LATSCHA : je pourrais dire quelques mots d'introduction
à mon propos...
Monsieur le Président : très bien...
Monsieur LATSCHA : nous allons changer de niveau de débat ; il
va devenir plus technigue. Mais pour situer l'enjeu des questions
que nous allons aborder, je voudrais citer un mot de Jacques
Rueff, prononcé il y a plus de quarante ans : "L'Europe se fera
par la monnaie, ou ne se fera pas". L'ambition affichée par le
traité soumis à notre examen est contenue dans son article B, qui
dispose que l'Union se donne notamment pour objectif de
promouvoir un progrès économique et social équilibré et durable,
par l'établissement en particulier d'"une union économique et
monétaire comportant, à terme, une monnaie unique". Comme nous
le verrons, trois étapes sont prévues pour la réalisation de
cette U.E.M., qui interviendra au plus tard le 1er janvier 1999.
La première étape a débuté le 1er juillet 1990, la deuxième
commencera le 1er janvier 1994 : ce seront des phases
préparatoires. Ce qu'il faut d'emblée souligner, c'est la forte
volonté de rendre irréversible le processus mis en place, et
d'aboutir à cette troisième phase dont nous verrons que c'est
elle qui met en jeu des questions constitutionnelles, puisque
prévoyant des transferts de compétences décisifs.
Je voudrais souligner l'abondance et la complexité de la matière.
Je précise le rôle très efficace qu'on joué Monsieur le
Secrétaire général et le service juridique : sans eux nous ne
nous en serions pas sortis... Le rapport que je vais vous
présenter a été écrit en commun avec Paul GIRO. Nous avons eu
une réunion très enrichissante avec ceux qui ont été les négociateurs
"de base" du traité : les directeurs TRICHET
"fonctionnait", en fait. Mais c'est de droit que nous allons
parler aujourd'hui. Je voudrais présenter les choses en quatre
temps d'analyse : après un bref rappel historique (I), je dirais
un mot du droit communautaire actuel en matière économique et
monétaire (II), puis nous décrirons l'U.E.M. telle qu'elle est
prévue par le traité de Maastricht (III), avant d'envisager les
questions constitutionnelles qu'elle pose (IV).
I • Une brève histoire de la coopération économique et
monétaire européenne depuis la seconde guerre mondiale.
Il ne s'agit que de relever les temps forts de cette histoire,
afin de mettre en perspective l'Union
économique et monétaire projetée dans le Traité de Maastricht.
1 . Années cinquante : la loi commune de Bretton-Woods :
Les Six réunis au sein de la C.E.C.A. (1951)
sont, comme la plupart des pays d'Europe occidentale, membres
du F.M.I. et vivent sous le régime des Accords signés
à Bretton-Woods (1944). On sait que le S.M.I. issu de
ces accords fonctionnera dans sa pureté originelle
jusqu'à la fin des années cinquante, puis subira une
lente dégradation, avant de s'effondrer au début des
années 70.
Des cette époque pourtant se manifestent les premiers
signes d'une solidarité européenne. En 1950, les pays
de l'Europe occidentale instituent une Union européenne
des paiements (comportant des accords de facilités de
crédit) et l'accord monétaire qui lui succède en 1958
(lors du rétablissement de la convertibilité externe de
la plupart des monnaies européennes) prévoit une
réduction de la marge de fluctuation de chacune de ces
dernières par rapport au dollar (plus ou moins 0,75 %
contre plus ou moins 1 % dans le système de
Bretton-Woods).
2. La modestie du Traité de Rome et les années
soixante :
Lorsque le Traité de Rome fut conclu (1957) et
jusqu'à la fin des années 60, l'Europe est donc soumise
au système commun de parités fixes mais ajustables. Les
modifications de parité étaient alors rares, les taux
d'inflation relativement modérés.
Le souci premier des rédacteurs du Traité est le
démantèlement des obstacles qui entravent les échanges
entre les Etats membres, dans la perspective d'un
"marché commun" ; la nécessité de règles de coopération
économique et monétaire spécifiques se fait peu sentir.
Aussi le Traité de Rome se borne-t-il, en matière
macro-économique et de monnaie, à des formulations très
générales ou à des principes, invitant à une
coopération respectueuse des souverainetés nationales.
Du moins certains articles indiquent-ils la prise de
conscience de ce qu'une totale liberté de décision des
autorités nationales en matière monétaire pourrait
devenir contradictoire avec le développement de la
construction européenne (ex. : article 109, s'efforçant
d'encadrer dans des limites étroites les mesures
de sauvegarde qu'un Etat membre peut prendre en cas de
crise soudaine des paiements extérieurs).
3. Vie et mort de la première U.E.M. (1970-1973) :
Or, à la fin des années 60, plusieurs éléments
convergent à souligner l'insuffisance du Traité de Rome
en matière économique et monétaire : accroissement des l
iquidités internationales, accélération de l'inflation
à des rythmes très inégaux, crises politico-sociales de
1968... La vulnérabilité des parités européennes est
illustrée par les manipulations de taux qui s'imposent
en 1969 (dévaluation française, réévaluations
allemandes).
La Conférence de La Haye (1969) met en place
des mécanismes de soutien à court terme, et décide surtout
d'"établir un plan par étapes en vue de la création
d'une union économique et monétaire à réaliser dans les
dix ans".
Un comité d'experts présidé par Monsieur Pierre
Werner remet en octobre 1970 son rapport sur les
modalités de cette création, entériné par une
résolution du Conseil du 22 mars 1971.
Il faut dire un mot de ces documents, parce que leur
approche n'a pas vieilli et que la logique les
inspirant a été largement reprise par le rapport
Delors, qui est lui-même à l'origine de l'actuel projet
d'U.E.M. On trouve déjà : la libre circulation des
capitaux, l'échange des monnaies à des parités
irrévocablement fixées en attendant la monnaie unique,
la gestion de l'union par des organes communautaires
disposant de pouvoirs transférés par les Etats membres,
la fixation au niveau communautaire des données
essentielles des budgets publics (ce qui allait au delà
du projet actuel). La démarche est globale
(l'économique et monétaire doit marcher de pair avec le
politique), conçue par étapes, et implique une révision
du Traité préparée par une conférence
intergouvemementale.
Des mesures significatives furent prises au cours de
la première étape (1971-1974) : renforcement de la
coordination des politiques économiques, des
disciplines monétaires (accord des banques centrales de
1972 sur le rétrécissement des marges de fluctuation :
le "serpent dans le tunnel"), de la coopération
monétaire internationale (création en 1973 du Fonds
européen de coopération monétaire - F.E.C.O.M. - qui
existe toujours, conçu comme la première étape d'une
future "organisation communautaire des banques
centrales").
Mais le système de grippe bientôt et, en 1974, le
passage à la deuxième phase ne se fait pas.
4. Le temps des succédanés : le S.M.E. :
C'est qu'entre-temps, l'environnement monétaire
international a été bouleversé. Le S.M.I. existant
s’effondre en deux temps : août 1971 (flottement
et inconvertibilité totale du dollar) ; mars 1973
(généralisation des taux de change flottants). A quoi
s'ajoute la crise financière suivant l'augmentation
brutale du prix des produits pétroliers en 1973.
Et l'absence de volonté politique suffisante face aux
transferts de compétences impliqués par l'Union
économique et monétaire projetée.
Dès lors, et pour de longues années, l'objectif, plus
modeste, n'est plus que de créer une zone de stabilité
monétaire entre les Etats membres.
Le système des "serpents monétaires" ira en
s'étiolant jusqu'en 1978, date à laquelle il aura perdu
la majorité de ses participants. Mais une initiative
franco-allemande au sommet de Brème (1978) aboutit à la
création du système monétaire européen (S.M.E.), qui
entre en vigueur en mars 1979. Il comporte trois volets
principaux : la création d'une unité monétaire
européenne nouvelle (l'Ecu) ; un système contraignant
de stabilisation des taux de change ; l'institution de
mécanismes de crédit ou d'assistance. La création d'un
Fonds monétaire européen (F.M.E.), se substituant au
F.E.C.O.M., est envisagée, pour gérer des écus devenus
de véritables actifs de réserve commun.
Cette ambition d'évolution vers l'utilisation de l'Ecu
comme embryon d'actif de réserve commun a tourné
court : le F.M.E. ne verra pas le jour. Du moins le
S.M.E. a bien joué son rôle de stabilisation des
relations monétaires entre pays de la Communauté y
participant (aujourd'hui tous sauf le Portugal et la
Grèce) : de 1979 à 1983, période de tensions
inflationnistes très fortes, il a permis de limiter les
mouvements trop erratiques des monnaies ; à partir de
1983, il a contribué à la convergence vers le bas des
rythmes d'inflation.
Mais ce succès a une contrepartie : l'exigence du
maintien de la stabilité monétaire se ramène en fait
pour les Etats participants à la nécessité de soutenir
la parité de leur monnaie avec le Deutsche Mark. En
pratique, le mark s'est substitué à l'Ecu comme pivot
du système. La politique de la Bundesbank exerce une
influence prédominante sur celle des autres autorités
monétaires nationales. Veillant strictement à la
stabilité monétaire allemande, elle contribue au
maintien, voire à la hausse des taux d'intérêt réels.
De même, dans les rapports avec les monnaies tierces
(dollar ou yen), le poids de l'Allemagne, dans le jeu
d'influence entre les pays participant au S.M.E., est
prédominant.
D’où l'idée de sortir de cette logique de
"coopération compétitive" et de s'engager dans la voie
d'une coopération complète, impliquant la définition
d'une stratégie commune de politique monétaire.
5. La relance de 1'Union économigue et monétaire :
Le thème de l'U.E.M. a été relancé pour la première
fois dans le débat communautaire en 1985, lors de la
négociation de l'Acte unique européen (A.U.E.). Il fut
envisagé de lier la réalisation progressive de l'U.E.M.
à l'achèvement du marché intérieur. Mais rien de tel
ne se retrouvera dans l'article 102 A introduit par
l'A.U.E. dans le Traité de Rome. L'Acte unique européen
fut un acte mangué au regard de l'objectif pourtant
affiché d'U.E.M.
C'est le Conseil Européen de Hanovre (27 et
28 juin 1988) qui a véritablement relancé l'Union
économigue et monétaire, considérée à la fois comme un
complément naturel du grand marché (l'engagement a été
pris le 13 juin de libérer totalement les mouvements de
capitaux au 1er juillet 1990) et comme un progrès
décisif de l'identité communautaire, via une politique
monétaire commune. La mission est confiée à un Comité
présidé par Monsieur Delors d'étudier et de proposer
les étapes concrètes devant mener à cette union.
Le Conseil Européen de Madrid (26 et 27 juin 1989),
sur la base du rapport Delors (avril 1989), fixe le
début de la première étape de l'U.E.M. au
1er juillet 1990, et arrête le principe de travaux
préparatoires en vue de la réunion d'une conférence
intergouvemementale.
Le Conseil Européen de Strasbourg (8 et 9
décembre 1989) décide de la convocation pour la fin d
e l'année 1990 d'une Conférence sur l'Union économique
et monétaire, et celui de Dublin (25 et 26 juin 1990)
de la réunion parallèle d'une Conférence sur l'Union
politique. L'objectif est que les réformes sur l'Union
économique et monétaire et sur l'Union politique
entrent en vigueur le 1er janvier 1993, après
ratification par les Etats membres.
Les conférences des représentants des gouvernements
des Etats membres sur l'Union politique d'une part et
sur l'U.E.M. d'autre part se sont déroulées de
décembre 1990 à décembre 1991. Les fruits de leurs
travaux ont été fusionnés en un seul Traité sur l'Union
Européenne, adopté le 11 décembre 1991 par les Chefs
d'Etat et de gouvernement, puis officiellement signé
par eux à Maastricht le 7 février 1992.
II.Le droit positif communautaire en matière économique et
monétaire.
L'expression "Union économique et monétaire" n'est
pas une nouveauté qu'apporterait le Traité sur l'Union.
Elle a fait une première apparition au sein des traités
communautaires avec l'article 20 de l'Acte Unique
européen.
Cet article a eu pour effet d'introduire dans le
Traité de Rome un article 102 A, article unique d'un
nouveau chapitre I du titre II de la 3ème partie,
intitulé : "La coopération en matière de politique
économique et monétaire (Union économique et
monétaire)". Mais, significativement, les mots "Union
économique et monétaire" sont, dans cet intitulé, mis
entre parenthèses : ruinant certaines ambitions
apparues lors de la négociation de l'Acte Unique, le
texte de ce dernier reconnaît certes le concept
d'U.E.M., en affiche l'objectif, mais demeure
silencieux sur son contenu...
Or comme l'ont souligné aussi bien en son temps le
rapport Werner (1970) que le rapport Delors (1989),
une union économique et monétaire suppose principalement :
- un marché unique, à l'intérieur duquel les mouvements
de capitaux sont complètement libérés ;
- la coordination des politiques macro-économiques,
comprenant des règles contraignantes en matière
budgétaire ;
la conduite d'une politique monétaire et d'une
politique de change uniques.
Mesurer la portée du Traité sur l'Union européenne,
en ce qu'il est relatif à l'U.E.M., nécessite une brève
analyse préalable du contenu actuel des traités
communautaires de ce triple point de vue : mouvements
de capitaux ( A ), politiques économiques (B), monnaie
(C) .
Force est de constater la grande timidité du droit
communautaire positif sur ces trois plans, qui fait
ressortir par comparaison l'ampleur de la construction
entérinée à Maastricht.
A. La libération tardive des mouvements de capitaux :
Certes, les auteurs du Traité de Rome ont fait dès
l'origine de la liberté de circulation des capitaux
l'une des quatre libertés cardinales (avec celle des
personnes, des marchandises et des services) régissant
le marché commun.
Mais la rédaction des articles correspondants a,
derrière parfois de vigoureuses déclarations de
principe, à tel point permis de donner prise aux
réticences des souverainetés monétaires nationales, que
trente ans après la signature du Traité de Rome, cette
liberté n'était pas totalement assurée. Ce n'est que
par l'effet d'une importante directive du Conseil du
24 juin 1988 (avec effet au 1er juillet 1990) qu'elle
est devenue largement effective.
1 . Le Traité de Rome et la liberté de circulation
des capitaux :
Les articles concernés sont les articles : 3 c, 67 à
73 et 106.
Il me faut d'autant plus dire un mot de l'essentiel
de leur contenu que, nous y reviendrons, le Traité sur
l'Union européenne prévoit leur maintien en vigueur, de
façon permanente pour le premier (sous une forme
légèrement modifiée) et, pour les autres, jusqu'au
1er janvier 1994, date de démarrage de la "deuxième
phase" de l'U.E.M.
* L'article 3 c pose le principe de l'abolition entre l
es Etats membres des obstacles à la libre
circulation des capitaux.
* Les articles 67 à 73 constituent le chapitre IV du
titre III de la deuxième partie du Traité, intitulé :
"Les capitaux". Il convient de distinguer entre le
régime relatif aux mouvements intra-communautaires et
celui applicable au mouvements de capitaux avec les
pays tiers.
S'agissant du premier de ces régimes, l'article 67
reprend le principe posé à l'article 3 c en stipulant
que les Etats membres suppriment "progressivement" les
restrictions au mouvements de capitaux appartenant à
des personnes résidant sur leur territoire, mais
seulement "dans la mesure nécessaire au bon
fonctionnement du marché commun"... Selon l’article 71,
les Etats membres "s'efforcent" de n'introduire aucune
nouvelle restriction de change à l'intérieur de la
Communauté affectant les mouvements de capitaux, et de
ne pas rendre plus restrictives les réglementations
existantes ; et ils "se déclarent disposés" à dépasser
le niveau de la libération des capitaux prévu aux
articles précédents "dans la mesure où leur situation
économique... le leur permet"...
S'agissant des mouvements avec les pays tiers, le
régime prévu est peut-être moins contraignant encore.
L'article 70-1 prévoit la "coordination progressive"
des politiques des Etats membres en ce qui concerne les
mouvements de capitaux entre ces Etats et les pays
tiers ; le Conseil, certes depuis une disposition
introduite par l'Acte Unique arrête en la matière des
directives à la majorité qualifiée, mais uniquement
pour "s'efforce[r] d'atteindre le plus haut degré de
libération possible"...
* Encore est-ce sans compter avec la possibilité de
recourir, pour les Etats membres, qu'il s'agisse de
mouvements intra (article 73) ou extra-communautaires
(article 70-2), à des procédures de sauvegarde,
permettant de prendre les mesures de protection
nécessaires. Et il faut enfin rappeler les articles
108 et 109 (que le Traité sur l'Union maintient en
vigueur sous les numéros 109 H et 109 I) qui
permettent aux Etats membres confrontés à des
difficultés ou à une crise soudaine de leur balance
des paiements d'adopter des mesures d'urgence, parmi
lesquelles peuvent être décidées des restrictions aux
sorties de capitaux.
* Il n'y a pas lieu de s'étonner, dans ces
conditions, que de toutes les libertés fondamentales,
ce soit celle relative à la circulation des capitaux
qui ait rencontré le plus de difficultés à entrer
dans les faits. L'élément le plus dynamique a été
peut-être représenté par l'article 106 qui oblige à
la liberté corrélative des transferts monétaires
nécessaires (paiements courants) au fur et à mesure
de la libération progressive tant des capitaux
que des marchandises, services et personnes.
A titre d'exemple, en France. le décret du
15 avril 1947 portant codification des obligations et
prohibitions édictées pour la réglementation des
changes est resté en vigueur jusgu'au 31 janvier 1967 ;
et ce n'est que par un décret du 4 août 1980 que notre
pays a fait disparaître les contrariétés les plus
flagrantes entre le droit communautaire et le droit
français des relations financières avec l'étranger.
2. La directive du Conseil des Communautés en date du 24 juin 1988 :
C'est le droit dérivé qui a donné en la matière les
impulsions décisives. Plusieurs directives se sont
succédé de 1960 à 1986, surtout relatives aux
mouvements de capitaux intra-communautaires. Elles ont
procédé à une réduction progressive du champ de
compétence des Etats membres.
Mais c'est la directive du Conseil du 24 juin 1988
qui doit surtout retenir l'attention. Elle constitue
une véritable charte de la libre circulation des
capitaux de l'Europe communautaire. Elle réalise en la
matière le passage de la notion de marché commun à
celle de "marché intérieur", introduite par l'Acte
Unique.
En vertu de son article 1er, les Etats membres
"suppriment" les restrictions aux mouvements de
capitaux intervenant entre les personnes résidant dans
les Etats membres. Selon l'article 6, les Etats membres
mettent en vigueur les mesures nécessaires pour se
conformer à la présente directive au plus tard le
1er juillet 1990 . Quant aux mouvements
extra-communautaires, les Etats membres, d'après
l'article 7, s'efforcent d'atteindre le même degré de
libération que celui des opérations intervenant avec
les résidents des autres Etats membres.
Les procédures de sauvegarde contenues dans le Traité
continuent certes d'exister ; et la directive autorise
quatre Etats membres (Espagne, Grèce, Irlande et
Portugal) à maintenir certaines restrictions jusqu'à
fin 1992. Mais on peut dire que, sur le fondement de ce
texte, les mouvements de capitaux sont aujourd'hui
complètement libérés entre huit des douze pays de la
Communauté.
B. La coordination sans contrainte des politiques
économiques :
Je serai plus bref sur les deux points suivants
(politiques économiques et monétaires), car le Traité
sur l'Union a bouleversé les dispositions
correspondantes du Traité de Rome (tel que modifié par
l'Acte Unique).
Ce dernier avait mis un accent prioritaire sur le
grand marché - avec des consignes précises et datées
pour sa réalisation - et sur le développement d'un
certain nombre de politiques communes de secteur. Par
contraste, on ne peut qu'être frappé de la faiblesse de
ses dispositions en ce qui concerne d'éventuelles
politiques macro-économiques communes susceptibles de
fonder une véritable intégration économique.
Que relève-t-on à cet égard ?
* D'une part, dans la première partie du Traité ("Les
Principes"), trois articles en forme de postulations
de principe un peu redondantes :
- l'article 2 fait du "rapprochement progressif des
politiques économiques" un "instrument" de la mission
de la Communauté ;
- selon l'article 3 g, l'action de celle-ci comporte
"l'application de procédures permettant de coordonner
les politiques économigues des Etats membres" ;
- enfin, en vertu de l'article 6-1 , "Les Etats membres,
en étroite collaboration avec les institutions de la
Communauté, coordonnent leurs politiques économiques
respectives dans la mesure nécessaire pour atteindre
les objectifs du présent Traité".
* C'est à peine si, d'autre part, les articles des
chapitres 1er, II et III du titre II ("La politique
économique") de la deuxième partie ("Les fondements
de la Communauté), viennent, même dans leur rédaction
modifiée par l'Acte Unique, donner du corps aux
principes précédemment énoncés. Ils ne détruisent pas
tout à fait le sentiment que la convergence des
politiques économiques est plutôt envisagée comme un
instrument que comme un objectif en soi.
- L'article 102 A, constitutif à soi seul du chapitre
1er (dont l'intitulé mentionne l'union économique et
monétaire entre parenthèses...) dispose qu'en vue
d’assurer la "convergence" des politiques notamment
économiques nécessaire pour le développement ultérieur
de la Communauté, les Etats membres "coopèrent"
conformément aux objectifs de l'article 104... Mais
celui-ci rappelle que "chaque" Etat membre pratique
"la" politique économique nécessaire à ses grands
équilibres...
- L'article 103 (article unique du chapitre II : "La
politique de conjoncture") présente un caractère un peu
plus opératoire. Il dispose d'abord généralement que
les Etats membres "considèrent leur politique de
conjoncture comme une question d'intérêt commun" et "se
consultent mutuellement" et avec la Commission "sur les
mesures à prendre en fonction des circonstances". Mais
il est prévu que le Conseil, sur proposition de la
Commission, peut décider à l'unanimité des "mesures
appropriées à la situation" et, à la majorité
qualifiée, arrête les directives nécessaires sur les
modalités d'application de ces mesures.
- L'article 105, enfin, redit que pour faciliter la
réalisation des objectifs énoncés dans l'article 104
(ces deux articles constituent les deux premiers du
chapitre III : "La balance des paiements"), les Etats
membres "coordonnent leurs politiques économiques".
On voit que cet ensemble constitue au total un
dispositif peu contraignant. Comme nous le verrons, le
Traité sur l'Union européenne a, sur un aspect au moins
de la politique économique (la politique budgétaire),
introduit des éléments de contrainte susceptibles de
peser sur les Etats.
C. L'"absence" de la monnaie :
On a pu dire à juste titre que la monnaie était la
"grande absente" des textes communautaires fondateurs.
Nous serons amenés à voir qu'au contraire le Traité
soumis à notre examen en fait une manière de fer de
lance de l'Union européenne.
* Le traitement de la politique monétaire et de
change au sein du Traité de Rome se ramène pour
l'essentiel à quelques dispositions constituant une
espèce de code de bonne conduite monétaire :
- il faut reciter les articles 102 A (coopération
en vue d'assurer la "convergence" des politiques
monétaires autant qu'économiques) et 103 (la
politique de conjoncture, donc y compris monétaire,
considérée comme une "question d'intérêt commun"),
- l'article 107 reprend cette dernière expression
s'agissant de la façon dont chaque Etat membre
"traite sa politique en matière de taux de change".
* Le souci de l'équilibre de la balance des paiements
de chacun des Etats, déjà présent dans l'article 3 g,
est repris à l'article 104 et conduit, à
l'article 108, à une amorce de coopération monétaire
par l'institution d'une procédure de "concours
mutuel", pouvant prendre la forme "d'octroi de
crédits limités", destinée à venir en aide aux Etats
confrontés à des difficultés dans leurs paiements
extérieurs.
Un paradoxe veut que l'avancée la plus décisive
de celles réalisées dans le sens de la construction
européenne par le Traité sur l'Union l'est peut-être
dans le domaine où la Communauté avait été jusqu'à ce
jour le plus timoré.
La séance est interrompue à 16 h 30. Elle est reprise à 16 h 50.
III. L'Union économigue et monétaire.
A. Les stipulations du Traité sur l'Union européenne qui
concernent l'Union économique et monétaire se présentent
sous la forme de groupe d'articles relativement
homogènes.
L'article B du Traité désigne au nombre des objectifs
de l'Union la promotion d'un progrès économique et
social équilibré et durable par, notamment,
"l'établissement d'une union économique et monétaire
comportant, à terme, une monnaie unique".
* Mises à part certaines de ses annexes (protocoles et
déclarations), toutes les stipulations du Traité
ensuite relatives à cette U.E.M. sont incluses dans
son article G, qui a pour objet de modifier de
nombreux articles du Traité de Rome, instituant
désormais la "Communauté européenne" (et non plus la
Communauté économique européenne).
Les nouveaux articles du Traité de Rome qui nous
intéressent peuvent être regroupés de la manière
suivante :
- les articles 2, 3 A et 4 A posent les principes de
l'U. E. M. ;
- les articles 73 A à 73 H sont relatifs aux capitaux
et aux paiements ;
- les articles 102 A à 104 A traitent de la politique
économique ;
- les articles 105 à 109 concernent les
politiques monétaire et de change ;
- les articles 109 A à 109 M contiennent des
dispositions institutionnelles et transitoires
touchant la politique économique et monétaire.
* Un certain nombre des points abordés dans
ces articles sont développés et précisés dans des
protocoles annexés au Traité, auxquels celui-ci
renvoyé ; les protocoles qui sont relatifs à l'U.E.M.
sont les suivants :
- protocoles n° 3, 4 et 7, qui traitent tous trois des
statuts des institutions communautaires qui seront
successivement en charge des politiques monétaire
et de change ;
- protocole n° 5, à rattacher à la politique
économique, car relatif à la procédure concernant
les déficits excessifs ;
- protocoles n° 6 et 10 apportant des précisions sur
le passage à la troisième phase de l'U.E.M.
- Certains protocoles enfin sont particuliers à
certains Etats membres : n° 13 (France : émission
de monnaie dans les T.O.M.), n° 9 (Portugal :
crédits de sa banque centrale aux régions autonomes), n° 1, 8 et 12 (Danemark : régime
d'acquisition des résidences secondaires, statut
des territoires du Royaume hors communauté,
modalités de passage à la troisième phase), n° 11
enfin ( Royaume-Uni, auquel est fait un sort
particulier quant à son éventuel passage à la
troisième phase).
* Restent un certain nombre de déclarations qui doivent
être rattachées à l'U.E.M. (je les cite pour ne plus
y revenir, sauf exception) : n° 3 sur le "Conseil
Ecofin", n° 4 sur la composition du Conseil Européen
délibérant sur des questions économiques et
monétaires, n° 5 sur les relatives monétaires
internationales, n° 6 sur les relations monétaires
entre Italie, Saint-Marin et le Vatican et entre la
France et Monaco, n° 7 sur la législation fiscale et
les mouvements de capitaux, n° 8 sur les accords
formels de systèmes de taux de change entre l'Ecu et
des monnaies tierces, n° 10 sur la jurisprudence de
la Cour de Justice relative au parallélisme des
compétences interne et externe de la Communauté (en
tant qu'elle s'applique au domaine économique et
monétaire), enfin n° 33 sur les litiges entre les
institutions financières communautaires et leurs
agents.
B. La difficulté d'exposer le contenu de ce dispositif
d'ensemble tient à ce qu'il ne se propose pas de
réaliser l'Union économique et monétaire dès l'entrée en
vigueur du Traité (c'est-à-dire en principe, sous
réserve de sa ratification par toutes les Parties
contractantes, le 1er janvier 1993). L'U.E.M. sera
établie au terme d'un processus évolutif se décomposant
en trois phases, auxquelles correspondent trois temps de
mise en application successive (et souvent cumulative)
de trois groupes de stipulations nouvelles.
Le calendrier prévu pour les trois phases est le
suivant :
* la première phase a d'ores et déjà commencé : le
1er juillet 1990, date d'effet de la directive du
24 juin 1988 portant libération complète des
mouvements de capitaux au sein de la Communauté.
Elle sera donc en cours au moment où devrait entrer
en vigueur le Traité sur l'Union (1er janvier 1993,
qui est aussi la date prévue d'achèvement du marché
intérieur). Elle se poursuivra jusqu'au
1er janvier 1994.
* la deuxième phase, dite "phase de transition" se
déroulera donc à partir du 1er janvier 1994. On
peut dire qu'elle sera l'étape de la réunion des
conditions d'entrée en union économique et
monétaire européenne. Elle se déroulera jusqu'à...
l'entrée dans la troisième phase.
* la date de démarrage de cette troisième phase, et
donc de réalisation de l'U.E.M., n'est pas en effet
fixée à un jour précis par le traité. Plus
précisément, celui-ci prévoit à cet égard une
alternative, en distinguant ce que j'appellerais
une hypothèse volontariste et une hypothèse
automatique. Ce système est décrit aux § 2, 3 et 4
de l'article 109 J
lignes.
Au cours des deux premières phases, les Etats membres
s'efforceront de satisfaire sur le plan économique un
certain nombre de critères (de stabilité des prix, de
situation des finances publiques, de solidité de la
monnaie, etc...), que l'on appelle "critères de
convergence", car ils permettront d'évaluer dans
quelle mesure les Etats sont dans des situations
économiques assez comparables pour pouvoir créer
entre eux l'union économique et monétaire.
Au terme d'une procédure faisant intervenir diverses
institutions communautaires, le Conseil réuni au niveau
des Chefs d'Etat ou de gouvernement, prenant en
considération des rapports décrivant la situation de
chaque Etat membre au regard des critères de
convergence, décidera à la majorité qualifiée, au plus
tard le 31 décembre 1996, si une majorité des Etats
membres remplit les conditions nécessaires pour
l'adoption d'une monnaie unique et s'il convient que la
Communauté entre dans la troisième phase. En cas de
réponse affirmative a ces deux questions, il fixe la
date d'entrée en vigueur de la troisième phase. C'est la
première branche de l'alternative, l'hypothèse
volontariste. On le voit, en ce cas, le début de la
troisième phase interviendra au plus tôt le
1er janvier 1997, et concernera au moins sept Etats
membres.
Mais - et c'est l'hypothèse "automatique" - si à la
fin de 1997, la date du début de la troisième phase
n'a pas été fixée (donc si le premier mécanisme n'a
pas abouti), "la troisième phase commence le
1er janvier 1999", donc bel et bien automatiquement.
Le Conseil réuni au même niveau, avant le
1er juillet 1998, après reprise de la procédure
faisant intervenir rapports, recommandations ou avis
de diverses institutions communautaires, confirme, à
la majorité qualifiée, quels sont les Etats membres
qui remplissent les conditions nécessaires pour
l'adoption d'une monnaie unique. Dans cette hypothèse
donc, la troisième phase débutera (et en tout état de
cause) le 1er janvier 1999, mais il pourra se faire
qu'une minorité d'Etats membres seulement entre alors
en union économique et monétaire.
Monsieur le Président : en 1999, quoi qu'il arrive, ceux qui sont bon
pour le service, qu'ils le veuillent ou non, en seront...
C'est un aller sans retour...
Monsieur LATSCHA : tout à fait. Sauf pour les anglais...
Il faut donc retenir ceci :
première phase : 1er juillet 1990 - 1er janvier 1994 ;
deuxième phase : 1er janvier 1994 - 1er janvier 1997
au plus tôt et 1er janvier 1999 au plus tard ;
troisième phase : à partir du 1er janvier 1997 au plus
tôt et du 1er janvier 1999 au plus tard.
Il nous faudra avoir présente à l'esprit cette
périodisation (je la rappellerai en tant que de besoin),
lors de notre étude du contenu des stipulations du
Traité relatives à l’U.E.M., à laquelle j'en viens à
présent. Après avoir dit un mot des principes (C),
j'aborderai successivement, dans l'ordre que j'ai déjà
suivi pour exposer l'état actuel du droit dans ces
matières, la liberté des mouvements de capitaux et des
paiements (D), les politiques économiques (E ), les
politiques monétaire (F) et de change (G) uniques.
C. Les principes de l'U.E.M.
Ils sont exposés dans les articles 2, 3 A et 4 A.
* Au nombre des instruments de la mission de la
Communauté, l'article 2 range, à côté du marché
commun et des politiques et actions communes, "une
union économigue et monétaire" ;
* L'article 3 A comprend trois paragraphes :
- le § 1 stipule que l'action des Etats membres et de
la Communauté comporte l'instauration d'une
politique économique fondée sur l'étroite
coordination des politiques économiques des Etats
membres, sur le marché intérieur et sur la
définition d'objectifs communs ;
- selon le § 2, cette action comporte, parallèlement,
la fixation irrévocable des taux de change
conduisant à l'instauration d'une monnaie unique,
l'Ecu, ainsi que la définition et la conduite d'une
politique monétaire et d'une politique de change
uniques ;
- étant précisé que ces politiques sont conduites
"conformément au principe d'une économie de marché
ouverte où la concurrence est libre", le § 3 fixe
à l'action des Etats membres et de la Communauté
des principes directeurs : prix stables, finances
publiques et conditions monétaires saines, balance
des paiements stables.
L'union économique et monétaire s'appuyera donc, et
nous retrouvons le plan qui est le mien, sur
trois pôles :
- le marché intérieur sur lequel les capitaux
notamment pourront librement circuler ;
- l'étroite coordination des (notez ce pluriel)
politiques économiques des Etats membres poursuivant des objectifs communs ;
- la conduite d'une politique monétaire et d'une
(notez au contraire ces singuliers) politique de
change uniques s'appuyant sur une monnaie unique.
* Avant de voir comment le Traité détaille ces trois
chapitres, je dis un mot de l'article 4 A : il
institue un système européen de banques centrales
(S.E.B.C.) et une banque centrale européenne
(B.C.E.), renvoyant au Traité et à l'un de ses
protocoles pour la définition plus avant de leurs
statuts et de leurs pouvoirs. Nous le verrons, il
s'agit des institutions communautaires qui, au cours
de la troisième phase auront en charge la politique
monétaire unique et partiellement la politique de
change unique de la Communauté.
D. Les capitaux et les paiements.
Cette rubrique est traitée par les articles 3 c et73 A à 73 H. La chronologie en ce qui la concerne est
relativement simple, une fois précisées deux choses :
l'article 3 c n'est qu'une nouvelle rédaction légèrement
modifiée de l'article 3 c existant (il pose le principe
que le marché intérieur est caractérisé par l'abolition,
entre les Etats membres, des obstacles à la libre
circulation entre autres des capitaux) ; l'article 73 H
n'est qu'une nouvelle codification de l'actuel article
106 (libération concomitante des paiements courants
attachés aux mouvements de biens, services, capitaux ou
personnes).
On peut, dans ces conditions, dire que le Traité
prévoit le maintien en vigueur du régime des capitaux
tel que résultant du Traité de Rome jusqu'au
31 décembre 1993. A compter du 1er janvier 1994, donc du
démarrage de la deuxième phase, s'y substituera un
régime nouveau, contenu dans les articles 73 B à 73 G
(seuls les actuels articles 108 et 109 subsisteront,
sous les nouveaux numéros 109 H et 109 I, jusqu'au début
de la troisième phase, et même au-delà pour les Etats
faisant l'objet d'une dérogation ; je rappelle qu'ils
prévoient des mesures de sauvegarde en cas de
difficultés et de crise soudaine dans la balance des
paiements).
Quelle sera la portée de ce régime nouveau, compte
tenu du point de libération des mouvements de capitaux
auquel est parvenu le droit communautaire existant, du
fait surtout, comme nous l'avons vu, de la directive du
24 juin 1988 ?
Cette dernière a permis la libération des mouvements de
capitaux intra-communautaires entre au moins huit
pays membres depuis le 1er juillet 1990. S'agissant des
mouvements extra-communautaires, toutefois, elle se
bornait à demander aux Etats membres de s'efforcer
d'atteindre le même degré de libération que pour les
mouvements intra-communautaires.
C'est sur ce dernier point qu'innove surtout
l'article 73 B : il reprend le principe de
l'interdiction de toute restriction aux mouvements de
capitaux intra-communautaires (la règle est donc
exhaussée du niveau du droit dérivé à celui du droit
originaire) ; mais surtout il affirme la même
interdiction de principe pour les mouvements
extra-communautaires.
Mais pour ces derniers, le principe est assorti de
nombreux tempéraments, pour l'introduction desquels la
France, lors de la négociation du Traité, a beaucoup
insisté :
l'article 73 C permet le maintien des restrictions
existantes pour notamment les investissements directs
et l'admission de titres sur les marchés de capitaux.
Les pas en arrière seront même possibles, il est vrai
à l'unanimité ;
membres de continuer d'appliquer leur législation
fiscale ou de prendre "des mesures justifiées par des
motifs liés à l'ordre public ou à la sécurité
publique". pourvu qu'il ne s'agisse pas de moyens
détournés de discrimination ou de restrictions
déguisées ;
l'article 73 E permet aux Etats bénéficiant de
dérogations (notamment la Grèce et le Portugal) de
les proroger jusqu'au 31 décembre 1995 ;
l'article 73 F autorise des mesures de sauvegarde,
prises pour six mois au maximum par le Conseil
statuant à la majorité qualifiée, en cas de
circonstances exceptionnelles causant des difficultés
graves à l'U.E.M. ;
enfin l'article 73 G réserve l'hypothèse de la guerre
économique, dans le cadre d'une position ou d'une
action de l'Union dans le cadre de la P.E.S.C. : le
Conseil pourra prendre les mesures urgentes
nécessaires, ou même avant lui un Etat membre de
manière unilatérale.
Ainsi est parachevé par le Traité sur l'Union du côté
des mouvements de capitaux avec les pays tiers, l
e dispositif qui avait trouvé son aboutissement,
s'agissant des mouvements au sein de la Communauté, avec
la directive du 24 juin 1988.
E. Les politiques économiques.
J'attirais tout à l'heure votre attention sur ce
pluriel : "les" politiques économiques des Etats
membres. Il montre clairement - j'y insiste tout de
suite - que chacun des Etats gardera pour l'essentiel la
maîtrise de sa politique économique nationale (hors
gestion des instruments monétaires), même une fois
réalisée l'U.E.M. Nous verrons ultérieurement qu'il n'en
est pas de même pour la politique monétaire, intérieure
et extérieure.
Pour autant, le Traité ne se borne pas sur ce point
à maintenir le statu quo : à l'actuelle coopération sans
contrainte des Etats membres, l'article 2, nous l'avons
vu, substitue une étroite coordination des politiques
économiques et la poursuite d'objectifs communs.
Il me semble qu'un même souci principal se manifeste
dans ce domaine : mettre le maximum d'Etats membres en
situation de pouvoir entrer dans l'union économique et
monétaire, puis une fois celle-ci créée, éviter que les
particularismes des politiques économiques ne viennent
contrarier son bon fonctionnement.
Les stipulations du Traité sur l’Union touchant aux
politiques économiques sont les suivantes : 102 A à
104 C, 109 E 2 et 4, 109 J 1, à quoi il faut ajouter les
protocoles n° 5 relatif à la procédure concernant les
déficits excessifs et n° 6 sur les critères de
convergence.
La question de la périodisation, des étapes se
complique un peu ici. Aussi me paraît-il préférable
d'adopter, pour exposer l'essentiel du contenu de ces
stipulations, une démarche chronologique en distinguant
entre les trois phases que nous connaissons désormais.
1. Première phase : jusqu'au 31 décembre 1993.
* L'objectif de favoriser la création de l'U.E.M. la
plus large me paraît dominer dans les règles qui
seront applicables dès l'entrée en vigueur du
Traité :
- en vertu de l'article 109 E.2.a.tiret 2, les Etats
membres, si nécessaire, arrêtent des "programmes
pluriannuels destinés à assurer la convergence
durable nécessaire à la réalisation de l'Union
économique et monétaire". en ce qui concerne
notamment la stabilité des prix et la situation
saine des finances publiques. Il s'agit d'inciter
ceux des douze Etats membres dont tel ou tel des
grands équilibres sont sérieusement détériorés à
s'engager dans des politiques globales de
redressement, leur permettant de rejoindre le
"peloton" des Etats dont les performances
économiques sont comparables ;
plus généralement, les articles 102 A et 103
mettent en place un système de "coordination des
politiques économiques" nationales, en fonction de
"grandes orientations" sous "surveillance
multilatérale". Le Conseil élabore à la majorité
qualifiée un projet pour les grandes orientations
des politiques économiques des Etats membres et de
la Communauté. Le Conseil européen débat d'une
conclusion sur ces grandes orientations. Sur la
base de cette conclusion, le Conseil à la majorité
qualifiée fixe par voie de recommandation ces
grandes orientations. Par la suite, le Conseil
surveille l'évolution économique dans chacun des
Etats et la conformité de leurs politiques
économiques avec les grandes orientations arrêtées.
En cas de non conformité ou de risque que le bon
fonctionnement de l'U.E.M. ne soit compromis, le
Conseil, statuant à la majorité qualifiée peut
adresser les recommandations nécessaires à l'Etat
membre concerné, et le cas échéant rendre publiques
ces recommandations.
* Il y a là un système permanent qui vaudra avant comme
après l'accès à l'U.E.M. en troisième phase. Vous
avez noté la référence au bon fonctionnement de cette
dernière. C'est l'idée que, pour autonomes qu'elles
seront, les politiques économiques nationales ne
devront pas risquer de perturber l'U.E.M. On retrouve
cette préoccupation dans d'autres stipulations qui
s'appliqueront dès la première phase :
- l'article 103 A § 1 permet au Conseil de décider à
l'unanimité "des mesures appropriées à la situation
économique", notamment si de graves difficultés
surviennent dans l'approvisionnement en certains
produits.
- surtout, en vertu de l'article 109 E.2.a.tiret 1,
les Etats, dès avant le 1er janvier 1994, prendront
les mesures appropriées de façon à pouvoir se
conformer, lors du démarrage de la deuxième phase,
aux prohibitions faites par les articles 104 et
104 A. Il s'agit de se préparer à l'adoption des
interdictions de politique économique de base,
destinées à préserver le bon fonctionnement de
l'union monétaire à venir, et qui constituent la
principale nouveauté de la deuxième phase en
matière de politique économique.
2. Deuxième phase : à partir du 1er janvier 1994
* A la veille de cette date, le Conseil
(article 109 E.2.b.) aura fait le point sur les
progrès réalisés par les Etats membres en matière de
convergence économique (par suite de la coordination
sous surveillance multilatérale et le cas échéant des
programmes pluriannuels, qui l'une et les autres se
poursuivront) et en matière de législation
communautaire relative au marché intérieur (je
rappelle que c'est au 1er janvier 1994 qu'entrera en
vigueur le nouveau régime des mouvements de capitaux,
assurant, sous les réserves que nous avons vues, la
liberté complète intra comme extra-communautaire).
* Sur ces bases d'un marché parachevé et de
performances économiques allant en se rapprochant, la
deuxième phase dite de "transition" se caractérisera
par :
- la mise en place d'un embryon de structures
monétaires communes (nous y reviendrons en étudiant
la politique monétaire) ;
- et, dans la matière qui nous occupe pour l'instant,
la politique économique, par l'instauration d'ores
et déjà de trois prohibitions de principe qui ont
pour philosophie commune d'éliminer par avance des
causes possibles de conflit entre la politique
monétaire unique qui sera instaurée en troisième
phase et les politiques économiques nationales.
les articles 104 et 104 A (dont la mise en
application, nous l'avons vu aura été préparée dès
avant la fin de la première phase) prohibent le
financement monétaire des déficits publics. La banque
centrale européenne (à créer lors de la troisième
phase) ni les banques centrales nationales (d'ores et
déjà) ne pourront octroyer aucune facilité de crédit
aux autorités ou entreprises publiques,
communautaires ou nationales, ni acheter directement
les instruments de leur dette ( sauf en ce qui
concerne les établissements publics de crédit). Est
également prohibé, sauf pour les besoins du contrôle
des établissements de crédit, tout accès privilégié
des autorités et entreprises publiques aux crédits
des institutions financières et bancaires : les
titres publics ne doivent pas jouir d'avantages
particuliers. Je signale que ce dernier point étant
déjà largement acquis chez nous, cette première
prohibition n'entraînera que peu de conséquences pour
la France : du moins devrons nous supprimer
l'archaïsme que constituent les concours de la banque
de France au Trésor public.
L'article 104 B fixe la règle selon laquelle la
Communauté ne répond pas des engagements financiers
contractés par les personnes publiques ou les
entreprises publiques des Etats membres. Les Etats
membres ne répondent pas non plus des engagements
contractés par les personnes publiques ou les
entreprises d'autres Etats membres. Il s'agit (sans
préjudicier à la possibilité de garanties financières
mutuelles en ce qui concerne des projets communs)
d'ôter aux Etats membres tout espoir qu'il pourront
compter sur la solidarité européenne au cas où ils
auraient la tentation de s'engager dans une politique
financière et de la dette aventureuse.
L'article 104 C, enfin, précisé par les stipulations
du protocole n° 5, met en place un mécanisme tendant
à éviter les "déficits publics excessifs". Il est
normal, sinon nécessaire, en effet, d'éviter que le
laxisme d'un Etat membre en la matière ne soit, par
le truchement de la monnaie et de taux d'intérêt
uniques, supporté par tous.
La discipline budgétaire des Etats est contrôlée par
la Commission sur la base de deux critères : un
rapport maximal de 3 % entre le déficit public et le
produit intérieur brut ; un rapport maximal de 60 %
entre la dette publique et le produit intérieur brut.
Je signale que le déficit visé n'est pas seulement
celui de l'Etat mais aussi des "autorités régionales
et locales et les fonds de sécurité sociale". Si la
Commission (qui doit examiner les choses en tendance)
estime qu'il y a un déficit excessif, elle élabore un
rapport et adresse un avis au Conseil. Celui-ci,
après avoir recueilli les observations de l'Etat
concerné, décide à la majorité qualifiée s'il y a ou
non déficit excessif. Si oui, à la majorité des deux
tiers, il adresse des recommandations à l'Etat qui,
si elles ne sont pas suivies d'effet, peuvent être
rendues publiques. Si l'Etat persiste à ne pas s'y
conformer, le Conseil peut le mettre en demeure de
prendre, dans un délai donné, des mesures visant à la
réductions du déficit, en lui demandant de présenter
des rapports d'exécution selon un calendrier précis.
Monsieur le Président : c'est un F.M.I. européen...
Monsieur LATSCHA : tout à fait...
Mais les choses s'arrêtent là pour ce qui est de la
deuxième phase, au cours de laquelle, en effet, il
est seulement prescrit aux Etats membres de
"s'efforcer" d'éviter les déficits excessifs
(article 109.E.4). Nous verrons que la contrainte
exercée sur ce point pourra être intensifiée au cours
de la troisième phase.
* Mouvements de capitaux complètement libérés, embryon
d'institutions monétaires communes préparant la
création du Système européen de banques centrales et
de la Banque centrale européenne, édiction des
prohibitions de base en matière de politique
économique, le socle sera en place dès l'année 1994
à partir duquel pourra être lancée la procédure
d'appréciation d'une convergence des Etats suffisante
pour que le Conseil réuni, au plus tard le
31 décembre 1996 au niveau des Chefs d'Etat et de
Gouvernement fixe éventuellement la date d'entrée en
vigueur de la troisième phase, c'est-à-dire en Union
économigue et monétaire. C'est l'article 109.J.1,
complété par le protocole n° 6, qui précise les
critères permettant de juger du "degré de convergence
durable" atteint par les douze Etats membres. Il y
quatre critères principaux :
- critère de stabilité des prix : il est atteint si
le taux d'inflation de l'Etat ne dépasse pas de
plus de 1,5% celui des trois Etats membres
présentant les meilleurs résultats en matière de
stabilité des prix ;
- critère de situation des finances publiques :
l’Etat concerné ne doit pas accuser de "déficit
public" au sens que nous avons vu à l'instant ;
- critère de participation au mécanisme de change du
système monétaire européen (S.M.E.) : il faudra
avoir respecté les marges de fluctuation de la
"bande étroite" du S.M.E. sans dévaluation au cours
des deux années précédentes ;
- critère de convergence des taux d'intérêt, qui ne
devront pas avoir excédé de plus de 2 % le taux
d'intérêt moyen à long terme des trois Etats
membres présentant les meilleurs résultats en
matière de stabilité des prix.
Examinant ces critères principaux et un certain
nombre d'autres, la Commission, prenant en
considération les tendances au-delà des paramètres
techniques, fera rapport, puis recommandation au
Conseil. Celui-ci à la majorité qualifiée évaluera si
chacun des Etats remplit ou non les conditions
nécessaires pour l'adoption d'une monnaie unique, et
s'ils sont majoritaires dans ce cas. Il recommandera
ses conclusions au Conseil réuni au niveau des Chefs
d'Etat et de Gouvernement, lequel, après avoir recueilli
l'avis du Parlement, pourra, selon les
modalités que j’ai déjà décrites, décider du passage
à la troisième phase au plus tôt le 1er janvier 1997.
3. Troisième phase : à partir du 1er janvier 1997 (au
plus tôt) ou du 1er janvier 1999 (au plus tard).
Les politiques économiques des Etats membres se
déploieront au cours de la troisième phase dans un
environnement monétaire qui, dès le premier jour aura
été bouleversé - je le montrerais en parlant des
politiques monétaire et de change. La coordination des
politiques économiques en fonction de grandes
orientations sous surveillance multilatérale, qui se
poursuivra, et les prohibitions de politique économique
de base, qui perdureront, prendront tout le sens que
nous leur avons vu : la maîtrise essentielle de leur
politique économique est conservée aux Etats membres,
mais un certain nombre de garde fous sont mis en place
pour éviter qu'elle viennent compromettre la politique
monétaire intérieure et extérieure unique, définie et
conduite au niveau communautaire.
La nécessité s'est même fait sentir à cet égard
d'aller un peu plus loin qu'il n'est prévu pour la
deuxième phase, dans le domaine où cette contrariété
éventuelle serait le plus préjudiciable : la politique
budgétaire. Aussi l'article 104 C prescrit-il en son § 1
qu'en troisième phase les Etats membres "évitent" les déficits
publics (ils devaient seulement s'y efforcer
jusque là) et, en son § 11, intensifie-t-il la
contrainte susceptible d'être exercée sur un Etat
s'étant refusé, malgré recommandations publiques et
mises en demeure qui lui ont été jusque là adressées, à
prendre les mesures propres à résorber son déficit
excessif (étant entendu que ni les mises en demeure ni
les mesures que je vais dire ne seront possibles à
l'encontre des Etats qui, au cours de la troisième
phase, feront "l'objet d'une dérogation" - notion sur
laquelle je reviendrais plus tard). Le Conseil, à la
majorité des deux tiers, pourra désormais, dans cet
hypothèse, appliquer à l'Etat récalcitrant les mesures
suivantes : exiger qu'il publie des informations,
précisées par le Conseil, avant d'émettre des
obligations et des titres, inviter la Banque Européenne
d'investissement à revoir sa politique de prêts à son
égard, exiger un dépôt sans intérêt auprès de la
Communauté, enfin imposer des "amendes d'un montant
approprié". Le Conseil abroge les mesures prises dans la
mesure où le déficit excessif est corrigé par l'Etat
concerné.
J'en aurais terminé avec l'exposé du volet
"politiques économiques" de l'U.E.M. en signalant enfin
l'article 103.A § 2, applicable également à compter de
la troisième phase. Il prévoit une assistance financière
communautaire au profit d’un Etat connaissant, "en
raison d'événements exceptionnels échappant à son
contrôle", de graves difficultés. La décision est prise
par le Conseil à l'unanimité ; mais elle peut l'être à
la majorité qualifiée si ces graves difficultés sont
causées par des catastrophes naturelles.
Monsieur le Président : nous pourrions peut-être nous arrêter là.
Nous prendrons les choses les unes après les autres.
A propos des problèmes qui se posent sur la politique économique, qui a des
questions ?... Il ne semble pas qu'il y ait abandon de
souveraineté... Mais on accepte une maîtrise, comme les pays
en voie de développement... J'aimerais que le Conseil prenne
position...
Monsieur FAURE : pour que le débat soit utile, il faut
successivement se pencher sur les points où des questions
peuvent, d'après le rapporteur, se poser...
Monsieur LATSCHA : pour les capitaux et les paiements, je crois
avoir montré que les tempéraments apportés au principe posé,
notamment en ce qui concerne les investissements directs,
interdisent de parler d'atteinte aux conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale. Pour les politiques
économiques, nous sommes pour l'essentiel en présence d'un souci
de convergence et de coopération, malgré des éléments de
contrainte en matière de politique budgétaire...
Monsieur le Président : j'ouvre la discussion...
Madame LENOIR : pour moi, le pouvoir de sanction ne remet pas en
cause la souveraineté nationale, puisqu'est conservée la
définition nationale de la politique budgétaire... Il y a des
disciplines impliquées par la construction européenne, certaines
sont juridiques, d'autres pas. Il me semble qu'il n'y a ici qu'un
outil pour la bonne conduite de la politique monétaire unique.
Il n'y a pas de politique budgétaire unique. Il n'y a pas de
transfert. Il ne faut pas surévaluer cette question des
sanctions.
Monsieur FAURE : on serre la vis, mais pas au point de remettre
en cause la souveraineté... Dans cette deuxième phase, de
préparation, on se borne à blâmer ; c'est dans la troisième phase
que sont les vrais problèmes.
Monsieur LATSCHA : je précise que la possibilité de sanctions en
cas de déficits publics jugés excessifs est ouverte seulement en
troisième phase.
Monsieur ABADIE : les disciplines en matière de politique
économique tendent à une coordination, sans attenter à la
souveraineté nationale.
Monsieur LATSCHA : il y a de plus une série d'exceptions qui
réservent les pouvoirs de l'Etat...
Monsieur FAURE (s'adressant à Monsieur LATSCHA) : pour vous, le
seul problème au fond c'est la troisième phase en matière
monétaire...
Monsieur le Président : l'article 104 interdit à la banque
centrale nationale d'accorder des crédits ; c'est une discipline,
mais pas une atteinte à la souveraineté nationale...
Monsieur ABADIE : cela ne vise que la Banque centrale. Pour le
financement des collectivités locales par exemple, c'est la
Caisse des dépôts, ce qui est différent...
Monsieur FAURE : en matière de dotation globale de
fonctionnement, on peut obtenir un ou deux douzièmes à titre
d'avance...
Monsieur ABADIE : l'Etat peut évidemment avancer le bénéfice de
subventions ou d'impôts locaux. Mais ici n'est visée que la
Banque centrale, et non l'Etat.
Monsieur LATSCHA : le paragraphe 2 de l'article 104 réserve le
cas des établissements publics...
Monsieur FAURE : cela vise la Caisse des dépôts...
Monsieur LATSCHA : elle pourra continuer d'obtenir des avances,
avec quoi poursuivre sa mission de financement des collectivités
publiques.
Monsieur ABADIE : les dotations en capital sont accordées par le
Trésor, ou, à sa demande, par la Caisse des dépôts.
Monsieur LATSCHA : pour les sanctions...
Monsieur FAURE : nous sommes ici en phase 2 ou 3 ?...
Monsieur LATSCHA : nous sommes, s'agissant de la politique
économique, dans les deux, simplement c'est en phase trois qu'on
voit apparaître l'éventualité de sanctions... J'ai, pour la
commodité de l'analyse, regroupé dans une même fiche la
question de la constitutionnalité de l'ensemble des procédures de
sanctions instituées par le traité sur l'Union européenne :
- Trois procédures de sanction sont mises en place par le
Traité :
* article 104 C § 11 : en troisième phase, le Conseil statuant a
la majorité des deux-tiers (les voix de l'Etat concerné étant
exclues), peut, en cas de refus d'un Etat membre d'obtempérer aux
recommandations publiques et aux mises en demeure qui lui ont été
faites d'adopter les mesures propres à réduire son déficit public
excessif, lui "imposer des amendes d'un montant approprié".
* article 108 A. 3 : la Banque centrale européenne, dans les
limites et selon les conditions arrêtées par le Conseil, est
habilitée à infliger aux entreprises des amendes et des
astreintes en cas de non-respect de ses règlements et de ses
décisions. Le protocole n° 3 reprend cette règle générale en son
article 34.3, et la précise en deux domaines : les obligations
incombant aux personnes physiques et morales pour les besoins de
la collection d'informations statistiques (art. 5.4) ; celles
pesant sur les établissements de crédit en matière de réserves
obligatoires (art. 19.2).
* articles 171 du Traite Communauté européenne et 143 du Traite
Euratom : la possibilité est ouverte à la Cour de Justice, en cas
de non-exécution d'un arrêt de manquement par un Etat membre, de
lui "infliger le paiement d'une somme forfaitaire ou d'une
astreinte".
- Quid de ces procédures au regard du respect des principes
constitutionnels régissant, selon notre jurisprudence constante,
le prononcé d'une sanction ?
* on peut en premier lieu faire observer qu elles ne constituent
pas une entière nouveauté en droit communautaire : je songe au
domaine de la concurrence (articles 85 et suivants du Traité de
Rome ) ou aux pouvoirs de la Haute Autorité du Traité CECA
(article 88).
* en deuxieme lieu, il me semble que les stipulations de
l'article F2 apportent tout apaisement sur ce que les sanctions
en cause ne pourront être infligées que dans le respect des
principes posés par le Conseil constitutionnel ; je vous rappelle
les termes de ces stipulations : "L'Union respecte les droits
fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils
résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats
membres, en tant que principes généraux du droit communautaire".
* enfin, je constate que les deux premiers types de sanction que
j'ai cités (amendes à l'encontre des Etats en cas de déficit
public excessif non résorbé, et à l'encontre des entreprises par
la BCE en cas de non-respect de ses décisions) pourront faire
l'objet de recours juridictionnels devant la CJCE, qui sera ainsi
amenée à contrôler le respect des principes (la lettre des textes
ne permet parfois qu'un recours de légalité et non point de
pleine juridiction, mais il n'est pas exclu que la Cour de
Justice comble cette lacune en faisant jouer la responsabilité
extra-contractuelle de la Communauté, telle que prévue à
l'article 215, alinéa 2, du Traité de Rome).
Monsieur le Président : y a-t-il réellement problème ?
Monsieur le Secrétaire général : pour le Conseil constitutionnel,
toute sanction doit être appréciée au regard des principes
découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789. Le paragraphe
11 de l'article 104 C parle d'"amendes". L'Etat aussi a droit à
des garanties.
Monsieur ROBERT : il y a des voies de recours.
Monsieur le Secrétaire général : oui, mais il est vrai, comme le
fait valoir Monsieur le rapporteur, qu'il s'agit de recours de
légalité, et non de pleine juridiction. Le juge ne pourra pas
substituer son appréciation à celle de l'autorité ayant infligé
l'amende.
Monsieur le Président : Oui, mais on ne va pas se lancer dans une
déclaration de contrariété à la Constitution à partir de ce seul
point. Au demeurant, le texte parle d'amendes "d'un montant
approprié".. . Messieurs ?
Messieurs ROBERT, CABANNES, FAURE déclarent n'éprouver aucune
gêne sur ce point.
Monsieur le Président : au fond, ce système représente plutôt un
progrès dans l'ordre juridique international.
Monsieur FABRE : dans le domaine agricole, les prix sont fixés
à Bruxelles. Si on fait preuve de résistance, on s'expose à des
sanctions. On ne peut pas dire : nous allons pratiquer des prix
différents.
Monsieur FAURE : on le fait indirectement, par le biais de
subventions compensatoires, du type de la "prime à la vache".
Mais il ne s'est jamais produit depuis vingt ans qu'un Etat ait
unilatéralement modifié la grille des prix fixés à Bruxelles.
Monsieur le Président : alors ?...
Monsieur RUDLOFF : a qui paye-t-on l'amende ?
Monsieur LATSCHA : à la Communauté... Je précise que cette amende
n'est qu'une ultima ratio, qui vient au terme d'une liste de
mesures préalables...
Monsieur le Président : quel terme anglais est employé ? Si c'est
"fine", c'est plus large qu'"amende"...
Monsieur LATSCHA : on a posé la question au gouvernement : ils
nous ont confirmé qu'"amende" était le bon mot. Mais je ne sais
quelle a été la langue de travail première...
Monsieur le Président : venir "sortir" la Déclaration des droits
de l'homme française pour pourfendre ces sanctions, aurait
quelque chose de désagréable... Passons donc à la politique
monétaire ; vous estimez en avoir pour combien de temps ?
Monsieur LATSCHA : je pense avoir terminé la lecture de la partie
correspondante de mon rapport à 19 heures.
Monsieur le Président : fort bien, allez allez-y.
Monsieur LATSCHA : nous abordons une rubrique capitale, celle de
la politique monétaire unique. C'est dans le domaine de la
monnaie - politique monétaire, et politique de change que nous
verrons ensuite - que le Traité sur l'Union, dans sa partie
U.E.M., et peut-être même dans son ensemble, donne à voir
l'impulsion la plus décisive qu'il imprime à la construction
européenne.
Rien pourtant ne se produira de nouveau en la matière lors
de l'entrée en vigueur du Traité (en principe, je vous le
rappelle, le 1er janvier 1993) et jusqu'au 1er janvier 1994, sauf
(article 109 G) le gel de la composition en monnaies du panier
de l'Ecu (nous verrons ultérieurement le sens de cette mesure).
Avec le démarrage de la deuxième phase, s'ouvrira, comme en
matière de politique économique, une période de transition
préparatoire. C'est au premier jour de la troisième phase que
seront instaurées une politique monétaire et une politique de
change uniques s'appuyant sur une monnaie unique, comme
l'indique, nous l'avons vu, l'article 3 A.2.
1. Je limiterais mes propos à l'essentiel en ce qui
concerne la deuxième phase, de transition, en
soulignant trois points :
* en premier lieu, conformément aux articles 108 et
109 E 5, les Etats membres devront dès le cours de
cette deuxième phase entamer le processus devant les
conduire, lors de l'entrée dans la troisième phase,
à respecter la règle posée par l'article 107
d'indépendance de leur banque centrale nationale par
rapport à tout pouvoir quel qu'il soit, communautaire
ou national. Nous verrons qu'il y a là une
règle-pivot du système de l'U.E.M. En France, cela
obligera a revoir les dispositions de la loi du
3 janvier 1973 qui précise notamment que la Banque
de France opère dans le cadre de la politique "arrêtée
par le Gouvernement". Les représentants de ce
dernier, lorsque nous les avons rencontrés, nous ont
indiqué qu'il était dans l'intention de la France
d'anticiper, par rapport à la date fixée, la prise
des mesures nécessaires.
* en deuxième lieu, il nous faut ici nous rappeler
qu'au nombre des critères de convergence dont la
satisfaction permettra à un Etat d'être considéré
comme étant en situation d'adopter la monnaie unique,
figure l'appartenance à la "bande étroite" du S.M.E.
pendant au moins deux ans. Il faut donc s'attendre à
ce qu'avant la fin de 1994 (le Conseil Européen doit
statuer une première fois sur la troisième phase
avant fin 1996), on voit les monnaies n'en faisant
pas encore partie rejoindre la "bande étroite" du
S.M.E. C'est probablement vers cette époque que se
feront, plus généralement, les réajustements entre
les monnaies des Douze qui s'imposeraient avant
l'entrée en union monétaire.
* en troisième lieu, la deuxième phase verra la
naissance d'une institution monétaire communautaire
transitoire (elle disparaîtra quelques mois
avant l'entrée dans la troisième phase) : l'Institut
monétaire européen (I.M.E.), décrit à l'article 109 F
du Traité, complété par le protocole n° 4, qui
précise ses statuts.
L'I.M.E. se substitue au Comité des gouverneurs et au
F.E.C.O.M. En sont membres les banques centrales des
Etats membres. Il est dirigé par un Conseil, composé
d'un président, d'un vice-président et des gouverneurs
des banques centrales.
Il aura pour missions de renforcer la coordination
"des" politiques monétaires des Etats membres (vous
notez ce pluriel : il y a encore autant de politiques
monétaires que d'Etats), superviser le fonctionnement
du S.M.E., faciliter l'utilisation et le développement de
l'Ecu. A ces fins, il formule des avis ou des
recommandations, adoptés à la majorité des deux tiers,
et qu'il peut décider de rendre publics à l'unanimité.
Par ailleurs, l'I.M.E. est chargé de préparer
l'entrée dans la troisième phase, d'union monétaire : il
élabore les instruments et procédures nécessaires à
l'application de la monnaie unique, supervise la
préparation technique de billets de banque libellés en
Ecu, précise le cadre réglementaire, organisationnel et
logistique du Système européen de banques centrales.
2. La troisième phase : la politique monétaire et la
monnaie uniques.
Sur le plan monétaire comme sur le plan économique la
deuxième phase sera donc à la fois de renforcement des
cohésions des politiques nationales et de préparation
normative à la réalisation de l'union économique et
monétaire (je signale la création, dans cet ordre
d'idées, d'une institution consultative de synthèse, le
Comité monétaire de caractère consultatif, auquel se
substituera, en troisième phase, le Comité économique
et financier, v. article 109 C).
* Le mouvement ira en se précipitant dès lors que la
date de début de la troisième phase aura été fixée
par le Conseil réuni au niveau des Chefs d'Etat et de
gouvernement (c'est ce que j'ai appelé l'hypothèse
volontariste) ou à partir du 1er janvier 1998 (soit
six mois avant le 1er janvier 1999, premier jour de
la troisième phase dans l'hypothèse automatique).
- Certains Etats membres seront alors désignés comme
"faisant l'objet d'une dérogation" (article 109 K).
Dans l'hypothèse volontariste, le Conseil (Ecofin)
décide, à la majorité qualifiée, quels seront les
Etats membres dérogataires (on imagine qu'il
s'agira de la minorité des Etats n'étant pas au
nombre de ceux, majoritaires, dont le Conseil réuni
au niveau des Chefs d'Etat ou de gouvernement aura
précédemment décidé qu'ils remplissent les
conditions). Dans l'hypothèse automatique, les
Etats membres ne remplissant pas les conditions
font l'objet d'une dérogation (ils sont
éventuellement majoritaires). Je précise qu'il ne
s'agit pas d'une dérogation à l'entrée dans la
troisième phase : tous les Etats membres sauf un,
le Royaume-Uni (qui fait à ce titre l'objet d'un
traitement particulier décrit dans le protocole
n° 11) ont pris l'engagement à Maastricht de passer
à la troisième phase. Il s'agit d'un statut
dérogatoire au sein de la troisième phase, laquelle
débutera pour tous. Il est vrai que les Etats
faisant l'objet d'une dérogation ne seront pas
soumis à la plupart des articles applicables à
compter de la troisième phase : ainsi pour la
politique économique, nous l'avons vu, des aspects
les plus contraignants de la procédure concernant
les déficits excessifs, ainsi des articles
substituant une politique monétaire et de change
uniques aux politiques nationales en la matière.
- Le début de la troisième phase étant en vue, et les
Etats dérogataires une fois désignés, le Système
européen de banques centrales et la Banque centrale
européenne sont institués, tandis que l'I.M.E. est
liquidé. Le Conseil arrête les dispositions de
leurs statuts (contenus dans le protocole n° 3)
leur permettant d’être opérationnels aussitôt que
surviendra le premier jour de la troisième phase.
S'il existe des Etats faisant l'objet d'une
dérogation, est également constitué, au sein de la
B.C.E., un Conseil général (article 109 L 1, 2 et
3).
- Enfin, le jour de l'entrée en vigueur de la
troisième phase, le Conseil, statuant à l'unanimité
des Etats membres ne faisant pas l'objet d'une
dérogation, "arrête les taux de conversion auxquels
leurs monnaies sont irrévocablement fixées et le
taux irrévocablement fixé auquel l'Ecu remplace ces
monnaies, et l'Ecu sera une monnaie à part
entière... Selon la même procédure, le Conseil
prend également les autres mesures nécessaires à
l'introduction rapide de l'Ecu en tant que monnaie
unique de ces Etats membres" (article 109 L.4). Il
y a évidemment là des stipulations-clé. L'Ecu n'est
aujourd'hui et ne sera jusqu'à ce premier jour de
la troisième phase qu'une "monnaie-panier".
C'est-à-dire que sa valeur n'est que l'agrégat
d'une certaine quantité de chacune des douze
monnaies nationales, qui entrent chacune selon un
certain pourcentage dans sa composition. Elle n'est
pas une autre monnaie s'ajoutant à celles des Etats
membres, mais seulement un "panier" dans lequel les
monnaies de la Communauté entrent selon une
certaine clé de répartition. Nous l'avons vu, dès
l'entrée en vigueur du Traité, la composition du
panier de l'Ecu sera gelée, ce qui signifie que les
montants de chaque monnaie qui entreront dans la
composition de l'Ecu le 1er janvier 1993 ne
pourront plus être modifiés, et qu'il ne sera plus
possible d'introduire de nouvelles monnaies dans le
panier (en cas d'élargissement de la Communauté).
Le premier jour de la troisième phase, les valeurs
des monnaies des Etats non dérogataires sont
irrévocablement fixées les unes par rapport aux
autres et par rapport à l'Ecu qui se substitue à
elles. Du jour au lendemain, le franc français se
transforme en Ecu, le Deutsche Mark en Ecu, etc.
L'Ecu devient une monnaie à part entière,
directement mise ; ne substituent, gravitant autour
de la monnaie-pivot du S.M.E. que devient l'Ecu,
que les monnaies nationales des Etats dérogataires,
s'il y en a, jusqu'à ce qu'ils entrent tour à tour
dans le système. Mais entre les Etats formant une
union monétaire, l'Ecu devient une monnaie unique.
Il ne faut pas, à cet égard, confondre entre la
question de la nature de l'Ecu (qui devient donc
dès ce premier jour la monnaie unique des Etats
concernés), et la question de la représentation
monétaire, des signes monétaires apparents : les
décisions ne sont pas encore arrêtées de ce point
de vue ; il est certain que l'on n'obligera pas
brutalement les gens à aller un matin acheter leur
baguette en écus.. . On sait le temps qu'ont mis les
mentalités à s'habituer aux "nouveaux francs"... Il
est probable qu'on connaîtra une période
transitoire au cours de laquelle les signes
monétaires, billets et pièces, présenteront une face
libellée en monnaie nationale et l'autre dans
la contre-valeur en écus. La "monnaie unique", au
sens courant, ne viendra qu'ultérieurement.
Monsieur le Président : une question : quid en cas
d'élargissement ? Les autrichiens, par exemple, vont rejoindre
la Communauté ; ils ne seront pas dans le système ?
Monsieur LATSCHA : non, le panier de l'Ecu sera gelé dès l'entrée
en vigueur du traité, c'est-à-dire notamment qu'il ne pourra plus
être composé d'autres monnaies que celles des Etats membres au
1er janvier 1993. Les monnaies des Etats arrivant éventuellement
verront leur parité fixée par rapport à l'Ecu.
Monsieur FAURE : sur le passage à la monnaie effectivement
unique, il me semble qu'on s'exagère les problèmes. Quand on arrive
en Espagne les poches bourrées de pesetas -enfin, les
miennes bien entendu n'en sont pas "bourrées"-, au bout de
quelques jours d'utilisation, on est entré dans le nouveau
système de valeurs...
Monsieur CABANNES : vous n'imaginez pas le nombre de gens qui
comptent encore en centimes !...
Monsieur le Président : l'idée d'une double face pour les billets
me paraît être une erreur absolue : les gens ne regarderont que
d'un côté...
Monsieur LATSCHA : en allemand, "Ecu" veut dire "vache"
ils proposent d'appeler cela... l'"euro-mark"...
Monsieur FAURE : c'est vrai, tout de même, que c'est gênant...
Monsieur le Président : nous poursuivons...
Monsieur LATSCHA : je continue donc.
* Mais la monnaie unique n'est pas une fin en soi.
Elle ne sera jamais que l'instrument de la
politique monétaire unique dans laquelle va
s'engager la Communauté à partir de la troisième
phase. Il me faut à présent en décrire les
principales caractéristiques :
- Le caractère par nature indivisible de la politique
monétaire implique que la responsabilité de sa
définition et de sa mise en oeuvre ne peut être
partagée entre des organes agissant de façon
autonome. On sait qu'il y a, à cet égard, des
traditions nationales différentes : en France, la
politique monétaire relève essentiellement du
Gouvernement, en Allemagne elle est conduite par la
Bundesbank de manière autonome. Le système arrêté
par le Traité sur l'Union s'inspire du modèle
germanique : la politique monétaire de la
Communauté est confié à une Banque centrale
européenne (B.C.E.) formant, avec les banques
centrales nationales (B.C.N.) des Etats membres, le
Système européen de banques centrales (S.E.B.C.).
L'article 107 affirme en termes clairs le principe
de l'indépendance absolue de ces institutions : "ni
la B.C.E., ni une banque centrale nationale, ni un
membre quelconque de leurs organes de décision ne
peuvent solliciter ni accepter des instructions des
institutions ou organes communautaires, des
gouvernements des Etats membres ou de tout autre
organisme" ; les pouvoirs communautaires et
nationaux s'engagent à ne pas chercher à les
influencer dans l'accomplissement de leurs
missions.
- L'architecture institutionnelle du S.E.B.C. est
décrite aux articles 106 et 109 A et précisée par
le protocole n° 3, relatif aux statuts du S.E.B.C.
et de la B.C.E. Je me borne à en dire l'essentiel.
Le S.E.B.C., donc composé de la B.C.E. et des
B.C.N., est dirigé par les organes de décision de l
a B.C.E., qui sont le Conseil des gouverneurs et
le Directoire. Le Conseil des gouverneurs comprend
les gouverneurs des B.C.N. et les six membres du
Directoire, dont le président de ce dernier, qui
préside également le Conseil des gouverneurs. Les
membres du Directoire sont nommés pour huit ans non
renouvelables, d'un commun accord par les
gouvernements des Etats membres au niveau des Chefs
d'Etat et de Gouvernement. Le Conseil des
gouverneurs définit la politique monétaire de la
Communauté ; le Directoire la met en oeuvre. en
donnant les instructions nécessaires aux B.C.N. Il
faut mentionner en outre le Conseil général
troisième organe de la B.C.E., qui regroupe les
gouverneurs des B.C.N. de tous les pays membres, y
compris ceux qui, dérogataires, ne sont pas entrés
en union monétaire (il est en particulier en charge
des relations avec ces derniers, dans la
perspective de leur adhésion). Les relations
institutionnelles de la B.C.E. avec les organes
communautaires (Commission, Conseil, Parlement)
résultent de l'article 109 B, ses instruments
juridiques (règlements, décisions, recommandations,
avis) sont précisés à l'article 108 A, son
insertion dans le système juridictionnel
communautaire est prévue dans la nouvelle rédaction
des articles 173, 175 à 177 et 180 - les précisions
sur ces différents points étant toujours apportées
par le protocole n° 3. Enfin, le protocole n° 7
étend les privilèges et immunités des Communautés
européennes à la B.C.E., ses membres et son
personnel.
- J'en viens aux missions du S.E.B.C. Les articles
pertinents sont ici les articles 105 et 105 A,
toujours complétés par le protocole n° 3. Outre des
consultations données aux autorités communautaires
ou nationales, le S.E.B.C. exerce ses pouvoirs de
décision en vue de quatre missions fondamentales :
. la définition et la mise en oeuvre de la
politique monétaire de la Communauté,
. la conduite des opérations de change,
. la définition et la gestion des réserves
officielles de change des Etats membres ;
. enfin, la promotion du bon fonctionnement des
systèmes de paiement.
Délaissant la quatrième mission, et réservant les
points 2 et 3 à l'étude, à laquelle je vais en venir à
l'instant, de la politique de change unique, je
développe ici le premier point, afin de montrer que
l'ensemble de la politique monétaire interne des Etats
membres sera désormais tout entier dévolu à ces
institutions monétaires communautaires indépendantes. Ce
sont elles qui (article 105 A et article 16 des statuts)
décideront de l'importance de l'émission monétaire : la
B.C.E. est seule habilitée à autoriser l'émission de
billets de banque et approuve le volume de l'émission
des pièces. La B.C.E. dispose des moyens lui permettant
de contrôler le volume de la masse monétaire en
circulation : elle définit les principes généraux des
opérations d'open market et de crédit effectuées par les
B.C.N. (article 18 des statuts) ; elle est habilitée à
imposer aux établissements de crédit, en disposant d'un
pouvoir de sanction, la constitution de réserves
obligatoires (article 19) ; elle peut enfin décider
d'autres méthodes opérationnelles de contrôle monétaire
qu'elle jugera opportunes (article 20).
Je précise toutefois que ce transfert de compétences
au niveau de la Communauté ne touche pas les règles
relatives à l'organisation bancaire et à la politique de
"contrôle prudentiel" - comme on dit horriblement en
langage communautaire - des établissements de crédit :
le S.E.B.C., sur ce point, se borne à contribuer par ses
avis (article 105.5 et article 25 des statuts) à la
bonne conduite des politiques menées par les autorités
compétentes, c'est-à-dire nationales... dans le cadre il
est vrai de la législation communautaire.
Une politique de change unique.
L'indivisibilité de la politique monétaire, que j'ai
déjà évoquée, y oblige : la politique monétaire
extérieure de la Communauté, sa politique de change,
sera également et corrélativement unique ; et elle le
deviendra en même temps que la politique monétaire
interne, c'est-à-dire lors de l'entrée dans la troisième
phase. Jusque là, il est prévu seulement que chaque Etat
membre traite sa politique de change "comme un problème
d'intérêt commun", en tenant compte des expériences
acquises grâce à la coopération au sein du S.M.E. et au
développement de l'Ecu (article 109 M).
Mais à la différence de ce qui est le cas pour la
politique monétaire interne, la politique de change ne
sera pas l'apanage de la B.C.E. Au terme d'une
négociation où la France a fait sentir son poids, le
système allemand n'a pas ici prévalu : un partage des
tâches a été instauré entre les autorités communautaires
et le S.E.B.C. (article 109).
Certes la B.C.E. aura la charge de la conduite
quotidienne des opérations de change. Elle détiendra et
gérera les réserves officielles de change que les Etats
membres devront lui transférer dans une certaine
mesure ; les opérations de ces derniers sur les avoirs
de réserve qu'ils conserveront et sur leur fonds de
roulement en devises seront soumises à son autorisation
(articles 3, 30 et 31 des statuts).
Mais c'est au Conseil des ministres qu'incombera la
définition de la stratégie de la politique de change de
la Communauté :
. lorsqu'il s'agira de conclure des accords formels
portant sur un système de taux de change pour l'Ecu
vis à vis des monnaies non-communautaires, le
Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après
consultation de la B.C.E., décide d'une position
unique de la Communauté pour les négociations de
ces accords ; après nouvelle consultation de la
B.C.E., il les conclut à l'unanimité. Ces accords
sont contraignants pour les institutions de la
Communauté, la B.C.E. et les Etats membres. Mais le
Conseil retrouve la règle de la majorité qualifiée
lorsqu'il exerce la possibilité qui est la sienne
d'adopter, modifier ou abandonner les cours
centraux de l'Ecu dans le système des taux de
change, toujours après consultation de la B.C.E.
(ou éventuellement sur sa recommandation).
. deuxième cas de figure, en l'absence de système de
taux de change avec une ou plusieurs monnaies
tierces, et donc en cas de changes flottants, il
appartiendra au Conseil statuant à la majorité
qualifiée de formuler (sur recommandation
éventuellement de la B.C.E. et en tous cas après
sa consultation) les orientations générales de
politique de change vis à vis de ces monnaies.
Au total, s'il me fallait résumer l'ensemble des choses dans ce
domaine monétaire en trois mots, je dirais : indivisibilité,
irréversibilité, indépendance. Ce sont les trois pierres de
touche au regard desquelles il faudra discuter de la
constitutionnalité du système.
Monsieur le Président : nous réservons cette discussion pour
demain. Tenons nous en ce soir à l'exposé, très parlant, que vous
avez fait du système, et aux questions qu'il pourrait susciter...
Tout ceci est très important, beaucoup plus important que la
question des élections municipales...
Monsieur FAURE : cent fois plus important.
Monsieur le Président : fallait-il ajouter, en plus, cette
affaire de citoyenneté ?... C'est l'envie, pour le Parlement
européen, de s'agiter...
Monsieur CABANNES : mais c'est bien là-dessus que vont insister
Madame GARAUD, Monsieur GOGUEL...
Monsieur FAURE : quatre-vingts pour cent du débat parlementaire
portera sur les élections municipales...
Monsieur RUDLOFF : c'est fait pour ça, pour faire passer le
reste.
Monsieur le Président : bien. Nous poursuivrons demain.
Monsieur le Secrétaire général : je rappelle que le début de la
séance est fixé à 10 heures.
La séance est levée à 18 h 55.
SEANCE DU JEUDI 9 AVRIL 1992
La séance est ouverte à 10 heures, en présence de tous les
conseillers.
Monsieur le Président : Monsieur LATSCHA, c'est à vous.
Monsieur LATSCHA : Monsieur le Président, Madame, Messieurs, j'en
viens à l'examen de la constitutionnalité des parties du traité
sur l'Union européenne consacrées à l'U.E.M. (IV).
Nous avons pris le parti, conforme à la lettre de
l'article 54 de la Constitution, que le Conseil constitutionnel
n'aborderait dans la décision qu'il va rendre sur le Traité sur
l'Union européenne, sauf le cas de certaines connexités
(élections municipales et européennes, PESC et défense), que les
questions qui révéleraient une contrariété entre des clauses de
cet engagement international et la Constitution, obligeant à une
révision de cette dernière préalablement à la ratification.
Lorsque nous avons précisé, par ailleurs, la nature et
l'étendue des normes de référence du Conseil, dans l'hypothèse
qui est la nôtre de traités procédant au transfert de compétences
jusqu'alors nationales au profit d'organisations internationales,
nous avons décidé que cette contrariété serait établie si, par
delà la violation de telle ou telle disposition du texte
constitutionnel, étaient affectées les conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale.
Dans ces conditions, je suis amené, dans l'exposé des
questions constitutionnelles soulevées par le Traité soumis à
notre examen en ce qu'il est relatif à l'UEM, à privilégier la
discussion d'une question unique : celle de l'atteinte à la
souveraineté nationale impliquée par les stipulations du Traité
aboutissant à l'instauration d'une politique monétaire et d'une
politique de change uniques de la communauté (A). Pour un certain
nombre d'autres questions, j'indiquerai plus succinctement, sauf
à répondre à vos interrogations, pourquoi, à la différence de la
précédente, elles ne révèlent pas de contrariétés avec la
Constitution, susceptibles d'être relevées dans notre décision
(B).
A. L'abandon de la souveraineté monétaire nationale.
Je ne dirais pas seulement que la combinaison d'un
certain nombre des stipulations du traité qui nous occupe met en
cause la réunion des conditions essentielles qui sont nécessaires
à l'exercice de la souveraineté française en matière monétaire.
Ce dont il est question, s'agissant de l'Union économique et
monétaire qui doit être mise en place à une date qui se situera
entre le 1er janvier 1997 et le 1er janvier 1999, va bien au-delà
de la limite minimale que nous avons tracée dans nos considérants
de principe ; je crois que ces stipulations auraient dû être
déclarées contraires à la Constitution alors même que nous
aurions choisi de conserver la distinction plus brutale,
effectuée par la décision n° 76-71 DC du 30 décembre 1976, entre
les limitations de souveraineté, constitutionnellement possibles,
et les transferts de souveraineté, qui ne le sont pas : le Traité sur l'Union européenne organise un transfert quasi total de la souveraineté monétaire des Etats membres au profit de la Communauté européenne.
Je voudrais tenter de vous en convaincre en trois temps
d'analyse.
1. Je ne m'étendrai pas longuement sur la question de
savoir, en premier lieu, si le domaine de la monnaie constitue
l'une des composantes où se mesure la souveraineté d'une nation.
Tant la réponse me paraît évidente. On sait que le privilège de
"battre monnaie" était au nombre des fonctions régaliennes
cardinales dont la conquête a permis la constitution progressive
de l'Etat en France. Assurément, de nos jours encore, le domaine
monétaire, avec celui de la défense, de la politique extérieure,
de la justice et quelques autres, est collectivement ressenti
comme touchant à l'essence, au coeur de la souveraineté
nationale. Je sais bien qu'on entend ou lit à ce propos des
arguments tendant à démontrer qu'en fait, par l'effet surtout de
l'interdépendance, des économies, les souverainetés monétaires
nationales ne sont plus en réalité qu'un souvenir. Je vous relis,
dans cet ordre d'idées, un passage de la brochure éditée par la
représentation en France de la Commission européenne qui vous a
été distribuée, encadré page 53 sous le titre "Qui perd gagne
..." :
" Le fait de renoncer à mener une politique monétaire
nationale autonome est souvent présenté comme un "dépouillement"
de la souveraineté nationale. Mais qu'en est-il au juste?
En réalité pour la plupart des pays, il n'existe plus
guère aujourd'hui de politique monétaire qui puisse être
réellement indépendante. Le désordre du Système Monétaire
International a depuis longtemps déjà entamé la possibilité
d'avoir de telles politiques. Et le Système Monétaire Européen,
prévu pour compenser le désordre du Système Monétaire
International, a accentué, par ses contraintes, la perte de
souveraineté monétaire des Etats qui en sont membres.
Alors, en définitive, il semble qu'en fait de perte
d'autonomie des politiques monétaires nationales, à y regarder
de près ... la réalité dépasse souvent ... la fiction. Autant y
renoncer et tirer les bénéfices d'une Union Monétaire Européenne,
au plan national et international. Et en définitive, le partage
de la souveraineté monétaire au niveau communautaire aboutira à
une souveraineté monétaire européenne de loin supérieure à la
somme des actuelles souveraineté monétaires nationales."
Traduisez : dès lors que nous sommes déjà de facto dans
une véritable "zone mark" ou prédomine la politique de la
Bundesbank, nous n'avons paradoxalement qu'à gagner du poids
monétaire relatif, en Europe et dans le système international,
en consentant de transférer à une autorité communautaire
indépendante, qui ne privilégiera aucun Etat membre, les
parcelles qui pourraient nous rester d'une souveraineté monétaire
illusoire. Voilà qui est peut-être, sûrement même, largement
vrai. Mais c'est raisonner sur des éléments de fait ou
d'opportunité, purement politiques, qui ne sont pas de ceux en
fonction desquels le Conseil constitutionnel, même s'il ne les
ignore pas, doit se déterminer dans sa tâche de dire si
juridiquement la dévolution à un organisme extérieur à la
République des pouvoirs monétaires détenus, fût-ce nominalement,
par les autorités nationales, est possible sans modification
préalable de la Constitution.
2. Mais - deuxième temps de l'analyse - à supposer notre
pays entré dans l'Union économique et monétaire qui sera réalisée
à compter de la troisième phase, l'atteinte portée à la
souveraineté nationale en matière monétaire aura-t-elle
véritablement l'ampleur (juridique) que j'ai dite en commençant?
Au vrai, nul ne fait mystère sur ce que la réponse à
cette question doit être positive. Pas même les autorités qui ont
négocié et conclu le Traité. Madame Elisabeth GUIGOU, ministre
délégué aux affaires européennes, déclarait le 26 novembre 1991
devant les membres de la Commission des finances de l'Assemblée
nationale ayant constitué une mission d'information sur la
conclusion des négociations relatives à l'UEM, qu'à la différence
de la politique économique "un important transfert de
souveraineté" aurait lieu en matière monétaire ; on ne voit pas
à quoi, sinon au moins à ce domaine, le Président de la
République aurait lui-même fait allusion, lorsqu'il a repris, à
l'occasion de diverses interventions publiques récentes, cette
expression de "transfert de souveraineté" ; les représentants du
Gouvernement que nous avons reçus, au nombre desquels étaient
certains des hauts fonctionnaires qui ont été les négociateurs
de "base" pour la France, n'ont pas cherché à plaider qu'il
s'agirait d'autre chose.
Je me borne à vous rappeler les traits essentiels de ce
que sera l'UEM, en matière de politique monétaire interne, puis
de change, sans revenir sur le détail que j'ai déjà exposé.
S'agissant de la politique monétaire, sa définition et
sa conduite seront assurées par le seul SEBC, c'est-à-dire par
la BCE aux instructions de laquelle seront soumises les BCN, le
système se substituant aux pouvoirs nationaux en la matière et
étant totalement indépendant, - le point est capital -, de toute
autorité quelle qu'elle soit, communautaire ou des Etats membres.
Quant à la substance de cette politique monétaire unique
autonome, nous avons vu qu'elle englobait l'émission comme le
contrôle monétaire ; on ne pourra plus parler de politiques
monétaires nationales dès lors que la fixation des agrégats
monétaires et des taux d'intérêt ne dépendra plus que de cette
autorité communautaire. Seul, je l'ai précisé en son temps, le
domaine de l'organisation bancaire et du contrôle des
établissements de crédit demeurera de la compétence des Etats
membres.
Quant au support de cette politique monétaire unique,
ce sera une monnaie unique résultant de la fixation irrévocable
des parités entre les monnaies européennes actuellement
existantes : il ne faudra plus compter avoir à disposition cet
instrument qui est peut-être le symbole de la souveraineté
monétaire : la dévaluation ou la réévaluation.
Du côté de la politique de change, l'autorité sera
partagée, nous l'avons vu, entre le Conseil des ministres en
charge des grandes orientations et la BCE qui aura la
responsabilité des interventions sur le marché des changes et de
la gestion guotidienne des réserves en devises (que les BCN lui
transféreront, ne conservant plus que la gestion, mais sous son
autorité, d'un fonds de roulement).
Le Conseil statuera en la matière, je l'ai dit, à la
majorité qualifiée, sauf en un cas : lorsqu'il s'agira pour lui
de conclure des accords formels portant sur un système de taux
de change entre l'Ecu et des monnaies tierces : il statue alors
à l'unanimité (mais la position unique de la communauté dans les
négociations, préalables à la conclusion de l'accord est arrêtée
à la majorité qualifiée). Peut-on dire que dans cette mesure
partielle notre souveraineté monétaire extérieure serait
sauvegardée ? Je ne le crois pas.
D'abord parce que structurellement, dès lors qu'il n'y
a plus qu'une monnaie unique européenne, le concept de
souveraineté monétaire extérieure perd singulièrement de sa
substance, voire disparaît tout à fait : la position nationale
qu'il s'agit éventuellement de défendre n'est plus qu'une
certaine conception d'un système de changes (par exemple de l'Ecu
par rapport au yen) qui vaudra pour tous les pays de la
communauté.
Ensuite, si cette unanimité implique la possibilité
juridique d'un veto (à le supposer politiquement concevable) et
pourrait assurer à un Etat membre le respect de sa souveraineté
"négative", pour ainsi dire, elle joue aussi à rebours : je veux
dire que l'Etat membre souhaitant l'adoption de tel système de
change devra en passer par le consentement des autres qui
pourraient n'y pas consentir. Or, comme l'a souligné le Conseil
constitutionnel dans sa décision n° 78-93 DC du 29 avril 1978
(loi autorisant l'augmentation de la quote-part de la France au
FMI), ce qui assure le respect de la souveraineté des Etats,
c'est la "liberté... de choisir tout système de change qu'il
entend appliquer".
La vérité, c'est qu'une fois la France entrée en union
économique et monétaire, elle aura adhéré à une logique
d'ensemble totalement différente de celle de sa souveraineté
nationale monétaire, intérieure comme extérieure, qu'elle aura
abandonnée.
3. Mais, troisième point, est-il inévitable que notre
pays participe à l'UEM ? En vérité, du point de vue qui doit être
le nôtre, la question devrait être formulée différemment : y
aura-t-il une façon certaine pour notre pays d'échapper à l'UEM
? Le système n'offrirait-il qu'une possibilité réduite que la
France en fasse partie, qu'il nous faudrait le tenir pour
contraire à la Constitution. Or il est tout au contraire organisé
dans un souci d'irréversibilité du processus engagé à Maastricht
où, comme je vous l'ai dit, tous les Etats membres sauf le
Royaume-Uni se sont engagés à entrer, lors de la troisième phase,
en union économique et monétaire.
- en premier lieu, il n'y a pas de doute sur ce que la
troisième phase débutera un jour : si cela n'est pas, au plus tôt
le 1er janvier 1997, parl'effet d'un accord à la majorité
qualifiée au sein du conseil réuni au niveau des chefs d'Etat et
de gouvernement, cela sera en tout état de cause le 1er janvier
1999 automatiquement. Une seule chose pourrait l'empêcher: qu'il
n'y en ait aucun Etat membre remplissant les conditions
nécessaires à l'adoption d'une monnaie unique, ou qu'il n'y en
ait qu’un seul ; dans cette hypothèse évidemment nulle union ne
serait possible. Le protocole n° 10 "sur le passage à la
troisième phase de l'U.E.M." précise que la marche de la
communauté vers la troisième phase à "un caractère irréversible",
que les Etats membres respectent sa volonté d'y entrer rapidement
et qu'aucun d'entre eux ne l'empêchera : il a été adopté pour
éviter toute mauvaise foi, y compris collective, des Etats
membres lorsqu'il s'agira d'apprécier la satisfaction, par chacun
d'entre eux, des critères de convergence.
- en deuxième lieu, il ne faudra pas compter obtenir de
façon "politique" le statut d'Etat membre faisant l'objet d'une
dérogation au cours de la troisième phase. Tout Etat satisfaisant
objectivement aux critères de convergence (ils sont déjà à ce
jour trois ou quatre, au nombre desquels la France) fera partie
de l'U.E.M. réalisée le premier jour de la troisième phase, ou
rejoindra ipso facto ultérieurement l'union, fut-ce contre son
gré. Les précautions prises par le protocole n° 10 pour éviter
la mauvaise foi et assurer le caractère objectif de
l'appréciation valent derechef ici.
- en troisième lieu et enfin, la question doit-être
posée de l'unanimité requise, selon la lettre de l'article 109
L4, le jour de l'entrée en vigueur de la troisième phase, pour
que le Conseil fixe irrévocablement les taux de conversion entre
les monnaies des Etats non dérogataires et entre elles et l'Ecu
qui les remplace, puis prenne les autres mesures nécessaires à
l'introduction de ce dernier comme monnaie unique.
Faut-il lire cette exigence comme un ultime verrou,
permettant notamment aux Etats n'ayant pu obtenir de dérogation
malgré leur souhait contraire, d'empêcher la constitution de
l'U.E.M. ?
Je souhaite d'abord faire remarquer que cette lecture
ne permettrait pas d'échapper à la conclusion que le système est
contraire à la Constitution.
On présente souvent la question du vote à la majorité
qualifiée ou à l'unanimité comme la question-clé, lorsqu'il
s'agit de savoir si la souveraineté nationale est ou non
sauvegardée. Nous avons ici un exemple des limites de l'utilité
de cette distinction à cet égard. Certes, en refusant d'apporter
sa voix à l'unanimité exigée, le gouvernement français du moment
préserverait sa volonté de ne pas consentir à l'ultime décision
parachevant l'U.E.M. ; mais le Conseil constitutionnel ne saurait
en conclure que la souveraineté de l'Etat serait pour autant
sauvegardée, dès lors que ce gouvernement pourra au contraire . . .
consentir à cette décision.
En tout état de cause, il faut se garder d'une approche
trop juridique de l'emploi ici du terme d'"unanimité". Les
représentants du gouvernement que nous avons reçus nous ont
parfaitement expliqué les choses. De quoi s'agira-t-il lors de
cette réunion du Conseil des ministres des finances des Etats-membres
non dérogataires ? D'aboutir à un réalignement monétaire,
à une nouvelle grille des parités, simplement plus importante car
devant être définitive. Et comme toujours dans ce genre de tâche,
il n'est en réalité pas possible de ne pas finir par s'entendre.
Quand on réaligne, c'est forcément par consensus, même si celui-ci
n'est obtenu qu'au petit matin après une négociation acharnée.
Il est exclu qu'il y ait un blocage, sauf bien entendu
l'hypothèse d'une crise politique majeure, et pour tout dire la
rupture de l'entente franco-allemande. Au reste, comme on nous
l'a expliqué, le plus probable est que ce réalignement se fera
simplement, en "douceur", sur la base des cours-pivots bilatéraux
de la veille, les réajustements les plus importants ayant été
faits en amont, et sans doute deux ans auparavant : l'un des
critères de convergence étant, comme nous l'avons vu, le maintien
dans la "bande étroite" du SME pendant deux années, c'est dès
ce moment que les positions respectives seront arrêtées, en
fonction desquelles sera, fixée deux ans après la grille des
parités définitive (on nous a dit, par parenthèse, qu'il ne
fallait pas exclure une ... réévaluation du franc).
Au total, il ne me parait guère faire de doute que le
Traité sur L'Union européenne affecte les conditions
essentielles d'exercice de la souveraineté nationale française
en ses stipulations instaurant une politique monétaire et une
politique de change uniques de la Communauté européenne.
Si vous suiviez cette conclusion, il en résulterait, comme
l'indique le projet de décision, la contrariété à la Constitution
d'un certain nombre d'articles qu'il énumère - avant d'ajouter,
dans un considérant suivant très important à mes yeux, que la
ratification de ces stipulations ne peut intervenir qu'après que
le texte constitutionnel aura été complété par une disposition
autorisant la France à s'intégrer dans l'Union économique et
monétaire.
B. Je me borne à signaler les autres questions que
j'avais préparées, mais qui ne révèlent pas de contrariété à la
Constitution : il s'agit de la référence au "principe d'une
économie de marché où la concurrence est libre", qui ne heurte
pas le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ;
et du protocole n° 13, relatif à la libre émission du franc dans
les territoires d'outre-mer, qui ne pose de problème à l'égard
de l'article 74 de la Constitution.
Monsieur le Président : merci pour cet exposé tout à fait complet
et précis. S'agissant de savoir si c'est une question qui touche
aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté, je
crois que cela ne souffre pas la discussion. Je vous rappelle les
termes de la décision du Conseil n° 78-93 DC du 29 avril 1978 :
"que le respect de la souveraineté des Etats membres est, en
effet, assuré par la liberté qui est reconnue à chacun d'eux de
choisir tout système de change qu'il entend appliquer"... Ici,
le pas est franchi... C'est ce qu'il y a de plus important dans
tout le traité... La disparition des monnaies en Europe, c'est
une résolution. C'est une page de l'histoire de France. Les
anglais ont dit non pour des raisons surtout symboliques...
J'ouvre la discussion.
Monsieur ROBERT : je voudrais souligner trois points. Sur le
point fondamental, en effet il n'y a pas de discussion : il
s'agit d'un attribut de souveraineté. Deuxième point,
l'unanimité. Le rapporteur nous dit : il y a le droit et le
fait ; j'entends bien que le veto est impensable en fait, mais...
C'est du fait ; l'exigence d'unanimité, pour moi, dilue
l'atteinte à la souveraineté. Enfin, le considérant final : si
on l'accepte, il faut aussi adopter les "variantes 2" ; ou bien
on se borne à faire état de contrariétés, ou bien on guide la
main du constituant. J'indique que pour ma part je suis pour la
solution minimale. Voilà les articles qui imposent une révision ;
comment rétablir la compatibilité ? Cela n'est pas notre
problème... Je ne suis même pas pour que nous donnions des
indications. Ne serait-ce que parce qu'il y a plusieurs solutions
possibles. Il suffit de lire la presse : on en a déjà proposé une
vingtaine. Dans quelle position serions-nous si, après avoir
adopté une position inverse, le constituant décidait de procéder
autrement que nous aurions indiqué ? Ce serait sortir de notre
mission.
Monsieur FAURE : pour les élections municipales, nous nous sommes
contentés de dire que c'était contraire. Moi aussi, je penche
pour la sobriété. Le Gouvernement, dont c'est le travail, doit
choisir les voies et moyens. Et il y en a effectivement
plusieurs. On peut dire en bloc : Maastricht est conforme et
faire de façon très élaborée des modifications ponctuelles. Je
ne vois pas pourquoi, ne l'ayant pas fait une première fois, on
le ferait sur les points suivants. Simplement une question :
pourquoi le projet parle-t-il des conditions déterminées par "un"
traité ?...
Monsieur le Secrétaire général : parce qu'il s'agit du niveau
constitutionnel, de la généralité à laquelle se situe la
Constitution.
Monsieur le Président (s'adressant à Monsieur FAURE) : vous, vous
ne sentez pas cela. . .
Monsieur FAURE : je suis pour la sobriété et l'homogénéité.
Madame LENOIR : sur le fond, chacun est d'accord pour penser que
nous sommes en présence d'un abandon de souveraineté. Le pouvoir
d'émettre la monnaie est le propre du pouvoir politique. Il va
s'agir d'un bouleversement économique et culturel, je crois
que la solution nous est dictée. Par ailleurs, comme les deux
intervenants précédents, je suis pour la sobriété : d'abord parce
qu'il est très difficile de juger de la meilleure méthode
d'adaptation de la Constitution ; ensuite parce que nous nous
adressons au pouvoir constituant et non point au pouvoir
législatif. Il est délicat de dire au constituant qu'il faut
faire ceci plutôt que cela. Il y a tout intérêt à une séparation
des rôles du Conseil constitutionnel et du pouvoir constituant.
Il est vrai que si une certaine directivité devait être admise,
elle ne pourrait éventuellement se concevoir ici. Mais je suis
moi aussi plutôt pour l'homogénéité.
Monsieur RUDLOFF : je ne suis pas d'accord. Je suis très partisan
du dernier considérant. Sans donner des leçons, il s'agit
d'expliquer ce qui se passe. La souveraineté monétaire subit une
évolution. Il n'est pas impensable de dire que le constituant
pourrait envisager de retirer la monnaie de la souveraineté
nationale. C'est une bonne occasion d'expliciter qu'on peut
imaginer qu'un traité touche à la souveraineté dans le domaine
monétaire. La formulation adoptée est bonne.
Monsieur CABANNES : d'accord évidemment pour dire qu'il s'agit
d'une condition essentielle. Sur l'autre point, je suis d'accord
avec Monsieur RUDLOFF. Hier, la question n'a pas été tranchée,
mais seulement réservée. Et puis on peut faire différemment au
coup par coup. L'harmonie ne s'impose pas.
Monsieur ABADIE : La sobriété a ses avantages, mais le vide ses
inconvénients. Il laisse le constituant un peu exposé. Etant
donné la complexité des choses, la multiplicité des articles,
nous avons comme un devoir moral de rendre la discussion qui va
s'engager plus simple. Il ne devrait pas s'agir de rédaction, ni
même de main tenue, mais d'un cadre de réflexion dans lequel
s'insérerait la pensée du constituant. Posons un cadre assez
large pour que ce dernier conserve sa liberté, mais évitons les
polémiques que générerait notre silence.
Monsieur FABRE : dans d'autres circonstances, lorsque nous avons
eu la tentation de dicter sa voie au législateur, nous nous
sommes toujours arrêtés au seuil. Nous n'avons pas à franchir le
pas. Nous dépasserions notre responsabilité propre. Soyons très
précis sur les articles, mais tenons-nous en là.
Monsieur le Président : ce problème me préoccupait, mais il me
semble à présent entrevoir une possibilité d'éviter à la fois
Charybde et Scylla. Pour les élections, c'est simple...
Monsieur ROBERT : il y a plusieurs possibilités, plusieurs
articles...
Monsieur le Président : Votre génie juridique, j'en suis sûr,
Monsieur ROBERT, en un quart d'heure vous ferait parvenir à la
solution qui s'impose... Ici, c'est vrai, il y en a une
foultitude, et il y a le risque que notre décision devienne un
sujet d'interprétation. Inversement, nous n'avons pas à tenir la
plume du constituant. L'autorité du Conseil est considérable, il
ne faut pas la compromettre dans cette affaire. Mais il faut
aussi éviter l'explosion au Parlement. Et si page 26 du projet,
nous insérions un considérant d'ordre général disant qu'il n'y
a aucune disposition de la Constitution qui permette l'U.E.M. ?
Monsieur le Secrétaire général : je me permets d'appeler
l'attention du Conseil sur les risques d'un a contrario poussant
à dire que ce que ne dit pas la Constitution serait interdit.
Monsieur le Président : mais si l'on se borne à dire qu'aucune
disposition de la Constitution ne permet à la France...
Monsieur le Secrétaire général : je suis gêné par cette façon de
faire...
Monsieur le Président : vous ne voudriez pas voir le Conseil
constitutionnel le faire à la place du Conseil d'Etat...
Monsieur le Secrétaire général : c'est une question de politique
jurisprudentielle. Le Conseil peut ressentir un devoir moral
d'orienter le constituant ; le considérant reproduit dans le
projet n'est à cet égard pas compromettant. Mais sur la
proposition faite à l'instant, elle laisse entendre que ce que
la Constitution n'a pas permis, est par là-même interdit. Je me
dois de le signaler, sans que mon appartenance au Conseil d'Etat
ait aucun rapport avec la question.
Monsieur le Président : nul n'échappe à son passé...
Monsieur CABANNES : moi, ça me choque aussi...
Monsieur le Président : le considérant de Monsieur LATSCHA dit :
il faut faire ça. Mais : si ça existait, nous n'aurions pas eu
à. . .
Monsieur LATSCHA : je voudrais revenir d'un mot à l'unanimité de
l'article 109 L.4, évoquée par Monsieur ROBERT. Il s'agit
seulement de la fixation irrévocable des taux de change. A ce
moment là, la France est dans l'union. Fixer la parité n'est
qu'une décision d'exécution. Il y a compétence liée. Sur la
question du considérant final, je suis très gêné parce qu'il n'y
a aucune disposition de la Constitution à quoi se référer. Pour
le droit de vote, il y a l'article 3. Ce qui m'ennuie dans votre
rédaction, Monsieur le Président, c'est qu'elle semble dire que
puisque rien n'est dit, ce n'est pas possible. C'est notre
analyse de la souveraineté nationale qui nous dicte la solution.
Il faut une autre formule.
Monsieur FAURE : je voudrais poser une question subsidiaire :
adopter la proposition du Président supposerait la suppression
de l'énumération ponctuelle ?
Monsieur le Président : non, non, on supprime seulement le
dernier considérant. . . Je conviens qu'il y a des inconvénients. . .
Nous y reviendrons lorsqu'on verra les autres questions... Mais
il faut éviter une bataille parlementaire insensée ; il faut
faire quelque chose pour baliser ; vous allez en avoir des
inventions constitutionnelles !...
Monsieur CABANNES : il ne faut pas en faire un considérant
terminal ; il faut l'insérer quelque part...
Monsieur le Président : nous verrons après la P.E.S.C....
Monsieur FAURE : de votre échantillonnage d'articles, vous êtes
sûr ?...
Monsieur LATSCHA : j'ai fait confiance à Monsieur GENEVOIS. Et
puis on est complet en renvoyant aux dispositions indissociables.
Monsieur le Secrétaire général : le projet met en exergue les
articles faisant véritablement problème. Pour le reste, dans un
contrôle de conformité de la loi, on aurait parlé,
d'"inséparabilité" ; ici le projet parle d'indissociabilité. Il
y a un certain flou, mais il est inévitable.
Monsieur FAURE : pourquoi ne pas viser seulement les chapitres II, III, IV ?
Monsieur le Secrétaire général : ce serait un peu sévère. Le
Conseil doit rester prudent. Le contenu des chapitres est
hétérogène : il y a les dispositions de la phase transitoire, qui
ne révèlent pas de contrariété à la Constitution.
Monsieur LATSCHA : et puis, ce ne serait pas bon de faire
apparaître un bloc trop important. Il est meilleur de s'en tenir
aux articles principaux.
Monsieur le Président : c'est plus précis ; et il y a
l'indissociabilité. Je mets au vote sur le principe de la
contrariété à la Constitution, en réservant la question du
dernier considérant.
Les conseillers se prononcent pour la contrariété à l'unanimité.
Monsieur ABADIE : le mot "s'intégrer" dans le dernier considérant
est un peu fort.
Monsieur FAURE : ah ! Au mot près, je ré-entends, quarante ans
après, les combats de ma jeunesse.
Monsieur le Président : mais vous "êtes jeune", ce pourquoi,
entre autres qualités, nous vous aimons !
La séance est interrompue à 11 h 05.
Elle est reprise à 11 h 20.
Monsieur LATSCHA procède à la lecture de la partie du projet
relative à l'établissement d'une politique monétaire et d'une
politique de change uniques.
Monsieur le Président : page 26, "qu'il résulte des dispositions
applicables à compter du début de la troisième phase..." : vous
circonscrivez nettement ; il n'y a pas de problème pour tout ce
qui précède...
Monsieur LATSCHA : absolument ; avant, cela va encore.
Monsieur CABANNES : page 23, ligne 6, il faut supprimer le "tout
d'abord".
L'amendement est adopté.
Madame LENOIR : même page, ligne 10, "sous réserve des
articles..." serait meilleur.
L'amendement est adopté.
Les conseillers reprennent ensuite la discussion sur l'insertion
de motifs susceptibles de se substituer au considérant final de
cette partie du projet.
Monsieur LATSCHA : faut-il parler de l'intégration à une U.E.M.
ou à l'U.E.M. dont il s'agit ici.
Monsieur le Secrétaire général : sans doute serait-il meilleur,
effectivement, de viser l'U.E.M. en question. L'Acte unique
européen déjà posait le principe d'une U.E.M. sans lui donner un contenu qui rencontrait des obstacles constitutionnels.
Monsieur FAURE : oui, il peut y avoir trente six sortes
d'U.E.M....
Les conseillers procèdent à la recherche de la meilleur
motivation.
Monsieur le Secrétaire général : le Conseil pourrait s'orienter
vers une formule disant que la Constitution fait obstacle à
l'intégration de la France dans l'U.E.M.
Monsieur le Président : il n'y aurait plus de sens à faire
ensuite la liste des articles contraires...
Monsieur LATSCHA : il ne s'agit pas constater un vide
constitutionnel, mais une contrariété à la Constitution, compte
tenu des exigences de la souveraineté nationale.
Monsieur RUDLOFF : une formule générale serait utile.
Monsieur FAURE : oui et en ajoutant que, de ce fait, sont
contraires à la Constitution tels et tels articles... Il n'y a
pas d'incompatibilité entre les deux formulations.
Monsieur RUDLOFF : disons : "tant que la Constitution ne permet
pas la possibilité...".
Monsieur le Président : c'est ma formule ! Qu'y a-t-il de gênant
à constater qu'aucune disposition de la Constitution ne permet
de... Je crois comprendre que Monsieur GENEVOIS est réservé sur
ce point.
Monsieur le Secrétaire général : la mission du Conseil
constitutionnel est de rechercher les contrariétés. S'il dit :
aucune disposition ne prévoit que..., il ne justifie pas de
l'existence de contrariétés. La contrariété elle vient de ce
qu'il y a atteinte aux conditions essentielles de la souveraineté
nationale telles que les préserve le texte constitutionnel et non
point de ce que ce dernier n'a pas prévue ceci ou cela. Le
Conseil a le choix entre deux formules : ou bien dire que la
Constitution fait obstacle, en enchaînant sur la liste des
articles contraires ; ou atténuer le considérant final existant.
Monsieur LATSCHA : il y a deux étapes : il y a atteinte à la
souveraineté nationale ; et puis il faut que le constituant
modifie la Constitution de façon que cette atteinte soit
admissible.
Monsieur RUDLOFF : il s'agit de faire sortir la monnaie
du domaine de la souveraineté nationale.
Madame LENOIR : le problème est difficile parce que notre souci
d'orientation provient de ce qu'il y a beaucoup de dispositions
compliquées à clarifier et parce que nous ne sommes pas face à
un texte à quoi l'U.E.M. serait contraire. Si nous voulons
absolument donner une indication...
Monsieur le Président : oui.
Madame LENOIR : je propose de dire : qu'un tel transfert de
compétence supposerait que le texte constitutionnel...
Monsieur ABADIE : ou : n'est pas possible, alors que...
Madame LENOIR : dès lors que...
Monsieur le Président : on retrouve le même problème du vide
constitutionnel...
Monsieur ROBERT : je préfère encore dans ces conditions votre
rédaction.
Madame LENOIR : dire : la Constitution ne prévoit pas, donc c'est
inconstitutionnel, c'est trop général...
Monsieur le Secrétaire général : le vide constitutionnel n'est
pas une inconstitutionnalité, mais la liberté laissée au
législateur par le constituant.
Monsieur le Président : disons alors qu'il n'en irait autrement
que...
Les conseillers poursuivent leur recherche.
Monsieur LATSCHA : la difficulté vient de ce qu'on veut à la fois
trouver une formule générale et faire la liste des contrariétés.
Monsieur FABRE : moi, je m'en tiendrais à la formule : "en l'état
actuel", page 26.
Madame LENOIR : a mon sens, la formule la plus diplomatique
serait : "il n'en irait autrement...".
Finalement les conseillers décident de l'insertion, page 26, du
considérant suivant : "Considérant que, dans leur état, les
dispositions de la Constitution font obstacle à ce que la France
s'intègre à l'Union économique et monétaire instituée par le
traité" ; et de la suppression corrélative du considérant final
de la partie du projet sur l'U.E.M.
Monsieur le Président : parfait. Je mets aux voix.
Adoption à l'unanimité.
Monsieur le Président : merci, Monsieur le rapporteur, d'un si
grand travail. Monsieur FAURE, c'est donc à nouveau à vous.
Monsieur FAURE : il me reste, en effet, deux points à aborder :
les visas et la P.E.S.C. Je vous propose de commencer la P.E.S.C.
tout de suite !
Monsieur le Président : oui, allez-y !
Monsieur FAURE : il s'agit du titre V, le plus faible du traité :
les objectifs sont précis, les moyens sont bien vagues ! Il
s'agit des articles J à J 11 : ils instituent un processus
fortement intégrateur. Si vous le voulez bien, j'exposerai le
contenu du Traité avant d'analyser sa contrariété, ou sa non
contrariété, à la Constitution.
a) La P.E.S.C. a un champ d'application très large :
Il s'agit de "tous les domaines de la
politique étrangère et de sécurité commune". Elle
implique une coopération systématique et la mise en
oeuvre, graduellement, "d'actions communes", cette
notion étant plus contraignante que celle de
"coopération". Ces actions, qui sont décidées par le
Conseil, sur la base d'orientation générales du Conseil
européen, doivent être distinguées des "positions
communes", qui relèvent de la coopération et qui n'ont
d'autre effet que d'imposer aux Etats membres de
veiller à la conformité de leurs législations internes
avec cette position.
Dans la perspective du Conseil européen de
Lisbonne (juin 1992) le Conseil des ministres doit
établir un rapport en vue d'identifier les domaines se
prêtant à une action commune.
Enfin, et cette remarque est importante, le
Traité fait allusion, dans une formule très souple, à
la possibilité de créer à terme une défense commune
(articles B et J 4 du Traité). Les décisions en matière
de défense continuent à relever de l'unanimité
(art. J 4, point 3) et le Traité prévoit le respect des
obligations découlant du Traité de l'Atlantique Nord.
La P.E.S.C. et l'U.E.O. :
b) l'U.E.O. devient le bras séculier de 1'Union européenne.
Sur ce point, je serais très bref, car il
n'y a pas ici d'incidence constitutionnelle, mais
simplement une "combinaison" entre deux traités. Sur
les douze pays qui doivent ratifier le Traité de
Maastricht, neuf, dont la France, sont liés au sein
de l'U.E.O. par une clause d'engagement militaire
automatique en cas d'agression contre l'un des pays
signataires. L'U.E.O., mise en sommeil pendant de très
nombreuses années, pourrait être réactivée dans le
cadre de l'Union politique. L'article J. 4, point 2,
prévoit que la mise en oeuvre des décisions et des
actions de l'Union qui ont des implications dans le
domaine de la défense incombe à l'U.E.O., qui "fait
partie intégrante du développement de l'Union
européenne". La déclaration n° 30 précise que l'objet
est d'édifier par étapes l'U.E.O. "en tant que
composante de défense de l'Union européenne - et
prévoit un renforcement significatif de son rôle
opérationnel : cellule de planification, unités
militaires relevant de l’U.E.O., création à terme d'une
agence européenne de sécurité et de défense. Les Etats
qui sont membres de l'Union sans être membres de
l'U.E.O. sont invités à y adhérer. Cette déclaration a
une portée plus large que le traité lui-même.
Symboliquement elle doit se traduire par le transfert
à Bruxelles du siège du Conseil et du secrétariat
général de l'U.E.O. Matériellement, elle doit se
traduire par une coopération militaire accrue,
notamment en matière de logistique, de transports, de
formation et de surveillance.
On le voit, en matière de défense, le
Traité de Maastricht pourrait conduire à l'intégration,
même si les décisions dans le cadre d'une défense
commune sont prises à l'unanimité, ce qui n'est pas le
cas de l'ensemble des actions communes dans le cadre de
la P.E.S.C.
Mais, dès lors qu'en la matière, le traité
a retenu une formulation très vague, en dépit de la
possible."réactivation" de l'U.E.O. et, dans la mesure
où les objectifs en la matière sont stipulés de manière
conditionnelle, le traité sur ce point n'a pas valeur
contraignante mais formule simplement des objectifs qui
n'impliquent pas qu'un Etat soit lié contre sa volonté ;
Il n'en est pas de même pour certaines actions communes
de politique étrangère et de sécurité. On est loin de
la C.E.D. !
c) Les procédures permettent un vote à la
majorité qualifiée pour les actions communes :
Les actions communes engagent les Etats
membres. L'article J.3 définit quatre niveaux de
décision :
1 ) sur la base des orientations du Conseil européen, le
Conseil décide qu'une question fera l'objet d'une
action commune ;
2) il en fixe les objectifs généraux ;
3) il fixe également les moyens et les procédures
concrètes applicables.
Ces trois premiers niveaux de décision
requièrent l'unanimité. Mais l'article J.3 point 2
prévoit que lors de l'adoption, ou a tout stade du
déroulement de l'action, le Conseil définit les
questions pour lesquelles des décisions doivent être
prises à la majorité qualifiée - celle-ci est alors
d'au moins 8 Etats et 54 voix.
Il faut ici formuler deux remarques : au
départ comme en matière de défense commune, l'unanimité
est toujours requise (art. J 4-3). Ensuite, il y a
cette formule étrange avec recours à la majorité
qualifiée. Elle est destinée à éviter certains blocages
dûs aux éventuelles répercussions d'une action commune
pour certains Etats membres qui ne peuvent, pour des
raisons de politique intérieure, par exemple
l'existence de gouvernements de coalition, participe
pleinement à une action diplomatique aux principes de
laquelle ils adhérent, mais dans laquelle ils ne
peuvent s'engager à tous les stades, sans risque de
répercussions de politique intérieure.
Monsieur le Président (l'interrompant) : oui ! Je vois bien à
quel cas de figure cela peut correspondre ! Je vois là une marque
du génie de Monsieur de MICHELIS
d'entrer en conflit avec une minorité parlementaire, et le
Gouvernement, une fois engagé, n'a plus le moyen de limiter
l'action, sans pour autant pouvoir être tenu pour responsable de
celle-ci ! Il faut tout le génie de Monsieur de MICHELIS pour
concevoir un système aussi subtil.
Monsieur ABADIE : la souveraineté n'est pas écornée, puisqu'à
l'unanimité on "définit" la "portée", les "moyens" et la "durée".
On reste capable de limiter les choses à tous ces niveaux. La
souveraineté demeure pleine et entière : l'Etat peut circonscrire
pleinement l'action dans laquelle il s'engage.
Monsieur FAURE : mais il est clair que s'il y a vote -à
l'unanimité- pour le passage à la majorité qualifiée, tous les
Etats se trouvent alors engagés, ils ne peuvent plus se retirer
au stade de l'application...
Monsieur le Président : finissez votre rapport, Monsieur le
ministre d'Etat.
Monsieur FAURE : merci, Monsieur le Président.
Mais il demeure un obstacle de principe
important : une fois que le Conseil décide que le
déroulement d'une action commune - même dans ses phases
opérationnelles - relève de la majorité qualifiée, un
Etat membre est alors démuni de tout pouvoir propre.
Tout au plus, en cas de difficultés majeures, il peut
saisir le Conseil, mais il faudra l'unanimité pour
décider le retour à l'unanimité. En d'autres termes,
même si dans la plupart des cas tout continuera a
fonctionner sur une base unanimitaire, la procédure de
l'article J.3 peut contraindre un Etat à appliquer des
décisions auxquelles il sera opposé, d'informer le
Conseil préalablement à ses prises de positions ou à
ses propres actions et d'être lié, dans celles-ci, par
une action commune dont il ne pourra pas se
désolidariser, même s'il n'y a consenti que dans sa
phase initiale.
Il est donc clair que tout ce processus
remet en cause la souveraineté des Etats en matière
diplomatique.
2° Cette disposition est-elle conforme a la
Constitution ?
La conduite de la diplomatie est
indéniablement un des éléments essentiels de la
souveraineté. Les Etats membres sont donc désormais
liés, d'abord par le principe même de la P.E.S.C. qui
limite leur autonomie d'action puisqu'ils doivent
s'abstenir de toute action contraire aux intérêts de
l'Union ou susceptible de nuire à son efficacité ;
- ensuite, se concerter dans le cadre des prises de
position communes ;
- tenter d'aboutir à formuler une politique de défense
commune, qui se met progressivement en place, notamment
par le moyen de l'U.E.O.
Tant que tous ces éléments respectent la
règle de l'unanimité, l'Etat peut consentir à ces
actions.
Mais, les Etats sont désormais contraints
d'agir éventuellement contre leur propre volonté, dans
le cadre d'une action commune dont l'exécution peut
relever de la majorité qualifiée.
Il y a là une atteinte à la souveraineté
que le Conseil ne peut passer sous silence.
Je propose donc de voir dans le point 2 de
l'article J.3 une atteinte à l'un des points essentiels
de la souveraineté nationale : la conduite de sa
politique étrangère.
Une révision de la Constitution s'impose
pour franchir ce seuil qualitatif considérable.
Monsieur le Président : j'ouvre la discussion.
Monsieur ABADIE : a mon sens, chaque Etat peut maîtriser les
modalités avant de les livrer à la majorité qualifiée. Il ne peut
être pris au piège que de sa propre imprévoyance. Il peut faire
préciser tous les points propres à encadrer l'action commune.
Monsieur FAURE : donc, pour vous le passage à la majorité
qualifiée n'a aucune portée...
Monsieur ABADIE : si, mais seulement dans le cadre d'une
imprudence... Sinon, il me paraît que l'alinéa 1 de l'article
J 3, peut permettre de laisser inopérante la majorité qualifiée
au niveau des modalités.
Monsieur le Président : c'est un problème de prévisibilité de la
part des dirigeants de l'Etat dans leurs décisions. Avec le
passage à la majorité, ce n'est plus de la prévision, mais de la
politique...
Madame LENOIR : d'un point de vue strictement juridique, je
rallie les conclusions du rapporteur. Pour les mêmes motifs que
pour l'U.E.M. nous avons utilisé trois éléments pour juger de
l'atteinte aux conditions essentielles de la souveraineté. Le
domaine : comme pour la monnaie, il n'y a pas ici de problème.
La procédure : elle est ici à tiroirs, unanimité puis majorité
qualifiée. Enfin, troisième notion : l'irrévocabilité ou
l'irréversibilité ; ici aussi il y a impossibilité de faire
retour en arrière. Je crois donc qu'il y a transfert de
souveraineté.
Monsieur FAURE : il y a moins d'irréversibilité que pour
l'U.E.M. : on peut revenir en arrière, mais... sous réserve
d'unanimité à vouloir le faire. Je ne dis pas qu'un Etat se
trouvant dans une situation difficile n'obtiendrait pas la
compréhension des autres... Mais ça, c'est de la politique...
Reste juridiquement l'abandon éventuel du droit de veto en
matière d'actions communes. Il ne faut pas croire qu'un Etat
pourra dire : je m'en désintéresse. Tout le monde sera engagé;"
Monsieur RUDLOFF : je crains que le raisonnement du rapporteur
ne soit exact. . .
Monsieur FAURE : moi aussi, je le crains...
Monsieur RUDLOFF : il est probable que ne seront livrées à la
majorité qualifiée que les questions annexes ou accessoires...
Mais pourquoi le texte dit-il : "doivent" être prises à la
majorité qualifiée.
Monsieur le Secrétaire général : pour s'auto-contraindre.
Monsieur RUDLOFF : Monsieur ABADIE a raison, il y a l'unanimité
à l'origine, mais pour la suite, je ne vois comment on pourrait
s'en tirer...
Monsieur le Président : je ne vous recommande pas d'avoir la
tentation d'aller interpréter un traité...
Monsieur ROBERT : moi, je suis le rapporteur.
Monsieur CABANNES : Monsieur ABADIE, au fond, veut
constitutionnaliser le principe Nemo auditur turpitudinem
allegans... Je suis pour ma part d'accord avec le rapporteur.
Monsieur LATSCHA : j'ai suivi le débat avec le Secrétaire général
du Gouvernement sur ce point. Je ne vois pas comment on peut
couper à la contrariété avec la Constitution.
Monsieur FAURE : le fâcheux est qu'il faudra incorporer dans la
réforme constitutionnelle quelque chose qui n'en vaut pas la
peine... Je ne sais quel hollandais est allé inventer ça...
Monsieur le Président : c'est la Commission !
Monsieur FABRE : moi, je me rallie au projet.
Monsieur le Président : il est vrai que : portée, objectifs,
moyens... cela cadre tout jusque dans le détail... Ensuite, il
y a délégation dans le cadre de ce que l'unanimité a décidé...
Monsieur ABADIE : il y a tout...
Monsieur le Président : mais pour un pont aérien, la protection
de tel aérodrome, on fait à la majorité qualifiée... Pour les
modalités.. .
Monsieur ROBERT : je fais remarquer que le texte parle de
"questions", pas de "modalités"...
Monsieur le Président : mais tout avant est couvert par
l'unanimité... Le nombre de troupes pour protéger DUBROVNIK, ce
sera à la majorité qualifiée... Les conditions essentielles de
la souveraineté sont-elles touchées ? Moi, je vous l'avoue, je
n'en suis pas sûr... Ce qu'on a voulu éviter c'est qu'en cas de
changement de majorité politique, on change d'avis...
Monsieur CABANNES : on a sauvé des textes "plus pires" si j'ose
dire.
Monsieur le Président : le Gouvernement, dans sa fiche, est plus
descriptif qu'autre chose... Il estime que ne seront touchées que
les modalités pratiques... Le Président se tourne vers le
Secrétaire général.
Monsieur le Secrétaire général : ce n'est pas écrit dans le
traité, où il est dit toutes questions.
Monsieur le Président : mais ce n'est pas indifférent que ce soit
l'avis du Gouvernement... S'agit-il vraiment des conditions
essentielles ?... Si cela avait existé pendant la guerre du
Golfe, il aurait pu y avoir des "casques européens"... Le
principe de l'intervention et le choix du commandement unique,
ç'aurait été l'unanimité... Il n'y a pas toujours unanimité pour
éviter qu'un Etat puisse s'abstenir...
Monsieur FAURE : un Etat ne peut pas se retirer, sauf nécessités
impérieuses, position intenable pour lui...
Madame LENOIR : il y a exigence d'unanimité pour le cadre général
de l'action. Et puis, il y a les "questions", qui ne sont pas
forcément des modalités d'application, pour lesquelles on peut
décider que la majorité suffit. On peut imaginer qu'une
intervention soit décidée sans qu'un Etat en soit d'accord...
Monsieur FAURE : "Questions", c'est très large ; cela ne recouvre
pas que les modalités...
Monsieur ABADIE : A l'unanimité sont fixés les "objectifs", les
"moyens", les...
Monsieur FAURE : mais qui vous dit qu'une question ne peut pas
porter y compris là-dessus ?
Monsieur le Président : c'est un domaine d'élection où à tout
moment on doit pouvoir dire : j'arrête. Il faut avoir la maîtrise
de sa diplomatie... Mais compte tenu de cette unanimité initiale,
les "conditions essentielles" sont-elles en cause ?
Monsieur ROBERT : comme Monsieur FAURE, je crois que rien
n'interdit dans le texte que l'on transfère à la majorité
qualifiée des objectifs ou des moyens...
Madame LENOIR : pour moi, il y a le domaine, la portée de la
délégation indéfinie et l'impossibilité de se retirer sans
unanimité, alors que le Gouvernement peut avoir changé. Cela va
beaucoup trop loin.
Monsieur CABANNES : nous sommes à la limite haute du pouvoir
prétorien de notre juridiction. Qu'est-ce qui appartient à
l'essentiel de la souveraineté ?
Monsieur FAURE : il ne s'agit pas forcément de modalités, et une
fois fait le passage à la majorité, on ne peut plus revenir en
arrière.
Monsieur le Président : il y a un mot terrible qu'a relevé
Monsieur RUDLOFF, c'est : "doivent"...
Monsieur ABADIE : on ne va pas transférer à la majorité ce que
le texte impose de fixer à l'unanimité...
Monsieur le Président : je suis malheureusement obligé de vous
dire : non. On fixe à l'unanimité le cadre et puis à l'intérieur
on peut dire, à l'unanimité toujours, ce qui relèvera de la
majorité qualifiée... Je ne vois pas comment échapper à cela...
Bien, nous allons y réfléchir, on va déjeuner, nous reprendrons après.
La séance est interrompue à 13 heures.
La séance est reprise à 14 h 35, en présence de tous les
conseillers.
Monsieur le Président : qui souhaite intervenir ?
Monsieur LATSCHA : la question est de savoir si on peut pécher
par omission.
Monsieur le Président : nous avons choisi de ne mentionner que
ce qui fait l'objet d'une non-conformité. Dès lors, il n'y a pas
de version alternative : si nous ne concluions pas à l'absence
de conformité, la décision n'aborderait pas le problème.
Monsieur CABANNES : est-ce que Monsieur LATSCHA vient de prendre
position au fond ?
Monsieur LATSCHA : non ! J'évoque simplement une éventualité,
mais elle me semble exclue.
Monsieur FAURE : je n'ai rien à ajouter, faut-il lire ?
Monsieur le Président : oui, on peut lire, et puis on jugera s'il
faut ou non conserver cette partie du projet de décision.
Monsieur FAURE lit de la page 31 à la page 35, jusqu'à la
variante n° 2. Dois-je poursuivre ?
Monsieur le Président : si vous le voulez bien, je souhaiterais
formuler quelques observations à ce stade. A la page 34,
lorsqu'on écrit que les Etats membres sont engagés
impérativement, d'où déduit-on qu'il faut ensuite unanimité pour
rétablir l'unanimité ? Monsieur le Secrétaire général, d'où cela
provient-il ?
Monsieur le Secrétaire général : il s'agit de la réponse, très
claire, faite par les représentants du gouvernement, et la règle
du parallélisme des compétences conduit à la même conclusion.
Monsieur FAURE : il n'y a pas de doute là-dessus.
Monsieur ABADIE : et pourtant, ce n'est pas explicite.
Monsieur le Secrétaire général : cette règle résulte du traité
lui-même, elle se déduit des articles J, J1 et suivants et ceci
a été confirmé par le Gouvernement.
Monsieur le Président : nous n'avons pas à interpréter le texte
et le mot "impérativement" n'y figure pas !
Monsieur FAURE : le Gouvernement n'avait aucun intérêt à dire
cela. Ce serait bien la première fois que l'on verrait un vote
à la majorité qualifiée ne pas engager les pays signataires du
traité.
Monsieur RUDLOFF : pour les tenants de l'inconstitutionnalité,
en réalité, cette phrase n'est pas nécessaire. Sa suppression ne
remet pas en cause l'inconstitutionnalité.
Monsieur le Président : il s'agit d'une interprétation
durcissante du texte. Pour ma part, je ne voterais pas le projet
de décision en l'état.
Madame LENOIR : l'article J3 point 4 touche à la discipline a
laquelle les Etats s'astreignent. Dans le projet on en fait une
règle procédurale de majorité qualifiée. La décision irait plus
loin que le texte du traité.
Monsieur FAURE : on ne peut pas soutenir que le passage de
l'unanimité à la majorité qualifiée n'implique pas que la même
procédure s'applique pour sortir de la majorité qualifiée, ni,
qu'une fois la décision prise à l'unanimité ou à la majorité
qualifiée, elle ne lierait pas tous les Etats : ils sont tous
engagés dans l'action ! On peut toujours supprimer en opportunité
cette partie de la décision, mais sur le fond, c'est
incontestable.
Monsieur le Président : on va empêcher d'autres interprétations.
Terminons la lecture du projet de décision avec la question de
la défense. Nous verrons après.
Monsieur FAURE lit les pages 35 et 36.
Monsieur RUDLOFF : si on compose l'article J 1 du traité avec
l'alinéa 15 du préambule de la Constitution de 1946, on retrouve
la même idée.
Monsieur le Président : vous en déduiriez que cela est conforme ?
Monsieur ROBERT : non ! Le préambule de la Constitution de 1946
n'oblige pas la France à maintenir une action qu'elle ne souhaite
plus. Pour ma part, je suis le rapporteur !
Monsieur CABANNES : nous en revenons à distinguer ce qui est
essentiel de ce qui ne l'est pas.
Monsieur LATSCHA : il y a les limitations nécessaires à la
défense de la paix. C'est dans ce cadre là qu'on se situe. Mais
l'interprétation du traité est compliquée. A cause des
mécanismes, je crois qu'on peut choisir l'absence de toute
référence à la P.E.S.C. dans la décision.
Monsieur CABANNES : le problème, c'est que cela touche à la
défense.
Monsieur RUDLOFF : les transferts de souveraineté sont liés à la
défense de la paix : l'article J. 3 est en quelque sorte "couvert"
par le préambule.
Monsieur CABANNES : on ne peut pas mentionner un abandon de la
souveraineté sur le contenu du préambule.
Madame LENOIR : le moyen de sauver le dispositif, c'est le fait
qu'il s'agit d'actions ciblées, précises et qu'en fait, dans un
cadre réglementé, on délègue des décisions ponctuelles.
Monsieur FAURE : non ! On délègue des "questions". Vous ne
trouvez pas le mot "décision" dans le texte.
Madame LENOIR : c'est "sauvable", tout de même ?
Monsieur FAURE : moi je fais du droit. Je veux bien que l'on
passe à côté du droit, mais il faut en être conscient.
Monsieur le Président : par rapport à ce qui s'est passé en 1976,
nous avons choisi la notion d'atteinte aux conditions
essentielles de l'exercice de la souveraineté. Peut on ici parler
des conditions essentielles ? Au départ, la maîtrise de l'Etat
sur le processus est totale : il y a unanimité, ce sont des
questions, des problèmes d'exécution. C'est une délégation, en
fonction de questions, in concreto. Toute cette question me
préoccupe depuis longtemps. Il est clair qu'à la différence de
la monnaie, on n'a pas abandonné un domaine entier de
compétences. Est-on dans "l'essentiel" ? Effectivement, on ouvre
une brèche. Mais la décision, ici, fait preuve d'une grande
exigence. Jusqu'à maintenant on a situé la barre au niveau de la
citoyenneté et de la troisième phase de l'Union monétaire. Mais
je crois qu'ici, le Conseil manifesterait le fait de ne rien
laisser passer et empêcherait toute aliénation de souveraineté.
N'allons pas trop loin dans ce sens !
Monsieur FABRE : je constate un retournement de situation mais
il est motivé non pas par l'interruption du déjeuner, mais par
un choix du Conseil : celui de ne pas trop "charger la barque du
Gouvernement". En même temps, cela me gêne de ne pas parler du
tout de la P.E.S.C.
Monsieur LATSCHA : il y a aussi un argument tiré de l'article J 3
point 6, qui préserve les compétences des Etats.
Monsieur le Président : si on retient cette approche, cela
signifie que le Conseil choisit de ne retenir que ce qui est
substantiel, et cela engage le Conseil pour l'avenir. On ne
retiendra dans cette décision que les atteintes caractérisées à
la souveraineté. Sinon nous serions à la recherche permanente du
défaut de la cuirasse.
Monsieur FAURE (ironique) : moi qui suis souvent taxé de laxiste,
je ne sais pourquoi j'ai voulu, pour une fois, être rigoureux !
On ne m'y reprendra plus et je suis prêt à modifier la conclusion
de mon rapport sur ce point.
Monsieur CABANNES : si on n'aborde pas le problème des actions
communes, peut on garder la partie sur la défense, qui est
remarquablement bien motivée et qui aurait un grand impact
politique. Il me semble essentiel de ne pas abandonner
cette partie là !
Monsieur FAURE : mais on ne peut pas vouloir quelque chose et son
contraire !
Monsieur le Président : cela n'est effectivement pas possible :
la défense est liée au reste de la P.E.S.C.
Monsieur CABANNES : alors qu'on motive les deux rejets !
Monsieur le Président : attendez, Monsieur CABANNES, on n'a pas
encore voté sur la première question ! Nous allons le faire.
Monsieur FAURE (désabusé) : eh bien moi je m'abstiens !
Monsieur le Président : l'abstention est admise au Conseil.
Monsieur FAURE : et si elle ne l'est pas, j'irai jusqu'à voter
contre !
Monsieur le Président : non ! Vous pouvez vous abstenir, à ce
stade, mais pas sur l'ensemble de la décision !
(Tous votent contre, à l'exception de Monsieur ROBERT, qui vote
pour et de Monsieur FAURE qui s'abstient !)
Monsieur CABANNES : alors, peut-on motiver les deux rejets ?
Monsieur le Président : il me paraît difficile de tout rédiger à
nouveau ! Faut-il motiver le rejet ? Qui y est favorable ?
Monsieur RUDLOFF : il s'agit à la fois de la politique étrangère
et de la défense ?
Monsieur le Président : oui ! Il faut faire figurer l'ensemble
ou rien. Lorsqu'on fait figurer les élections au Parlement
européen, c'est, précisément, par comparaison aux élections
municipales.
Monsieur LATSCHA : moi, je suis d'accord avec Monsieur CABANNES.
Les éléments cités dans le projet sont importants.
Monsieur FAURE : mais si on choisit cette approche, il aurait
fallu motiver d'autres éléments.
Monsieur RUDLOFF : je suis contre la motivation I
Monsieur le Président : je mets aux voix. Qui est pour la
motivation des deux éléments ?
(Tous votent contre, sauf Messieurs CABANNES et LATSCHA qui
votent pour).
Monsieur le Président : on peut aborder la suite ?
Monsieur FAURE : oui ! Il nous reste à traiter de IV - LA
SECURITE INTERIEURE ET LA JUSTICE
Sur ces questions, je voudrais aborder
trois thèmes :
- celui du droit d'asile ;
- celui de la coopération en matière de justice ;
- enfin celui de la réglementation des visas.
1 ° Le traité de Maastricht ne porte pas
atteinte au droit d'asile :
En matière de droit d'asile, nous pouvons
nous appuyer sur un précédent très récent, puisqu’il
s'agit de la dernière décision rendue par le Conseil
constitutionnel (n° 92-307 DC du 25 février 1992)
concernant la loi relative aux conditions d'entrée et
de séjour des étrangers en France. Dans cette décision,
nous avons jugé que le droit d'asile, proclamé par le
Préambule de la Constitution de 1946 n'était pas
méconnu par les dispositions législatives instituant la
zone de transit. Mais le Conseil a toujours été
scrupuleux, en la matière. Dans la décision
n° 79-109 DC du 9 janvier 1980 (Rec. p. 29), les
dispositions subordonnant l'entrée en France à la
possession de documents et de visas exigés par les
conventions internationales et à la fourniture
d'autorisations de travail - ou de garanties de
rapatriement - n'ont pas été censurées par le Conseil.
En l'espèce (cons. 1), le Conseil a constaté que la loi
ne modifiait pas l'article 2 de l'ordonnance du
2 novembre 1945, qui réserve expressément l'application
des conventions internationales, notamment de la
Convention de Genève du 28 juillet 1951. Il l'a
également fait dans sa décision relative à l'accord de
Schengen (n° 91-294 DC du 25 juillet 1991).
La politique d'asile ressortira désormais,
en application de l'article K 1 des "questions
d'intérêt commun" en matière de justice et d'affaires
intérieures. Certaines mesures d'application des
actions communes seront désormais traitées à la
majorité qualifiée (article K 3, 2, b). En outre, le
Conseil pourra, dans ces domaines, établir des
conventions dont il recommandera l'adoption aux Etats
membres et dont il adoptera, à la majorité des deux
tiers, des mesures d'application. On peut donc
s'interroger sur la conformité à la Constitution de ces
stipulations.
Mais des précautions ont été prises dans le
traité lui-même. Tout d'abord, l'article K 2 indique
que cette question est traitée dans le respect de la
Convention européenne des droits de l'homme et de la
Convention de Genève, à laquelle la décision de 1980
faisait référence. On peut simplement s'interroger sur
l'omission, en la matière, du Protocole de New-York,
qui étend le champ d'application de cette Convention.
Mais nous a-t-on expliqué, les douze Etats membres ont ratifié
ce Protocole.
En outre, l'article K 2 précise que cette
question est traitée "en tenant compte de la protection
accordée par les Etats membres aux personnes
persécutées pour des motifs politiques", et l'article
K 3 vise les "règles constitutionnelles respectives"
des Etats pour l'adoption des conventions à venir.
Aussi, on doit estimer que le droit d'asile
n'est pas remis en cause par le traité, et je vous
propose donc de ne pas soulever cette question dans la
décision.
2° La coopération en matière de justice :
L'article K 1 vise également :
- les règles de franchissement des
frontières ;
- la politique d'immigration ;
- la lutte contre la toxicomanie, la lutte
contre la fraude et la coopération judiciaire et
policière.
Je serai assez bref sur ces questions. Le
Conseil a déjà statué sur des questions de
franchissement des frontières dans le cadre juridique
d'une convention internationale. En effet, dans sa décision
du 25 juillet 1991, relative à l'accord de
Schengen (cons. 19), il a expressément relevé que le
traité prévoyait "des possibilités de dérogation pour
des motifs d'ordre public ou de sécurité nationale".
L'article K 2, point 2, comporte la même réserve - et
vise les cas individuels -. Il n'y a pas lieu de
s'éloigner de la position que le Conseil a adoptée en
juillet dernier. Je vous propose donc, comme pour le
droit d'asile, de ne pas aborder cette question dans
notre décision.
3° Reste alors le problème des visas, qui
relève de l'article 100 C du traité instituant la
Communauté européenne.
Je vous propose de vous référer au
paragraphe 3 de cet article, c'est-à-dire à ce qui doit
se produire, à compter du 1er janvier 1996. En effet,
avant cette date, les décisions relatives à
l'institution des visas relèvent de l'unanimité, sauf
cas d'urgence. Le Parlement européen est consulté et la
Commission dispose du pouvoir de proposition. Mais que
se passe-t-il à partir de 1996 ? (Je laisse de côté,
pour l'instant, les cas d'urgence visés au point 2 de
l'article 100 C).
Après 1996, le Conseil adopte à la majorité
qualifiée les règles relatives à l'exigence du visa.
Dès lors, un Etat peut se voir imposer, en la matière,
des décisions qu'il ne décide pas, ou auxquelles il
s'oppose, pour les motifs les plus divers, qu'ils
soient médicaux, diplomatiques ou autres.
On pourrait objecter que le paragraphe 5
réserve la sauvegarde de l'ordre public et de la
sécurité intérieure, mais cette disposition apparaît
dénuée de portée pratique dans le cas que je viens
d'évoquer puisqu'un Etat ne pourra pas mettre en oeuvre
cette clause protectrice lorsque le Conseil aura statué
à la majorité qualifiée. Un Etat peut toujours, en
effet, refuser l'accès à son territoire d'un étranger.
Le Conseil d'Etat va dans ce sens avec l'arrêt MARCON
(21 novembre 1952). Mais les visas sont un élément de
la diplomatie. La détermination des pays qui doivent
donner lieu à un visa fait partie des conditions
essentielles de la souveraineté. Sur ce point précis,
il y a lieu de déclarer contraire à la Constitution le
traité de Maastricht.
Je dois ajouter que la semaine derniere, 33 étrangers sont
arrivés, sans papiers, à ROISSY. Le tribunal a reporté sa
décision au mois de juin et les a libérés ! Je cite cet exemple
pour illustrer mon propos. Initialement, je penchais pour
l'inconstitutionnalité. Etablir une liste des pays pour lesquels
le visa est exigé c'est limiter l'action de l'Etat : les mesures
de refoulement, la protection de la sécurité ne sont efficaces
que dans des cas individuels. La jurisprudence du Conseil d'Etat
que je viens de citer ne vise que ces cas individuels. Quant au
Gouvernement, il me semble qu'il va plus loin que ce que la
lettre du traité permet de conclure au sujet de la sauvegarde de
la sécurité intérieure, visée dans le point 5 de l'article 100 C.
Je vais citer la fiche du Gouvernement à ce sujet (il lit) :
"Ces dispositions doivent permettre en tout état de
cause de refuser l'entrée sur notre territoire de ressortissants
d'un Etat pour lesquels un visa n'est pas nécessaire et dont
l'arrivée présenterait une menace pour l'ordre public ou la
sécurité intérieure.
Elles doivent également permettre de refuser l'entrée
sur notre territoire d'un ressortissant d'un Etat tiers soumis
à obligation de visa, gui l'aurait déjà obtenu, et dont il
apparaîtrait que son entrée constituerait une menace pour l'ordre
public ou la sécurité intérieure.
Ces dispositions devraient enfin permettre de rétablir
l'exigence de visa à l'égard des ressortissants d'un Etat s'il
apparaissait que l'entrée des ressortissants d'un Etat
constituerait une menace pour l'ordre public ou la sauvegarde de
la sécurité Intérieure."
Bien ! Je constate que la réponse va plus loin que le traité :
elle est même contraire au texte sur ce point : il y a une
contradiction. Je poursuis (il lit) :
"Les dispositions de l'article 100 C doivent enfin se
lire en parallèle avec celles du titre VI (dispositions sur la
coopération dans les domaines de la justice et des affaires
intérieures), titre gui ne fait pas partie du "pilier
communautaire".
Aux termes de ce titre (art. KI), les Etats membres
considèrent comme question d'intérêt commun :
"3°) la politique d'immigration et la politique à
l'égard des ressortissants des pays tiers :
a) les conditions d'entrée et de circulation des
ressortissants des pays tiers sur le territoire des Etats
membres ;
b) les conditions de séjour des ressortissants des
pays tiers sur le territoire des Etats membres, y compris le
regroupement familial et l'accès à l'emploi ;
c) la lutte contre l'immigration, le séjour et le
travail irréguliers de ressortissants des pays tiers sur le
territoire des Etats membres”.
Ces domaines peuvent faire l'objet d'actions communes
décidées par le Conseil à l'unanimité (articles K3 et K4),
celui-ci pouvant décider que les mesures d'application d'une
action commune seront adoptées à la majorité qualifiée."
Voilà la réponse du Gouvernement ! Sur la période allant jusqu'en
1996, il n'y a pas de contradiction avec la Constitution. Bien.
Mais après cette période, il y a uniquement des votes à la
majorité qualifiée. Comment statuer ? Je penche pour
l'inconstitutionnalité et je reste sur cette position. Mais j'ai
vu que le débat pouvait faire évoluer les intentions (sourires).
Alors, sur ce point...
Monsieur CABANNES : peut être que cela n'évoluera pas !
(sourires).
Madame LENOIR : pour ma part, j'ai moins d'hésitations que dans
le cas précédent. En ce qui concerne l'entrée et la circulation,
on peut noter que le Gouvernement est toujours à même de recourir
à des mesures qui lui permettait de ne pas laisser séjourner un
étranger indésirable : refus d'entrée, qui doit être justifié,
ou contrôle en cas d'atteinte à l'ordre public. Sur ce plan,
l'article K ne transfère pas de compétences : l'Etat demeure
libre de ne pas admettre les étrangers dont il ne souhaite pas
la présence. Il existe également des dispositions permettant, a
fortiori, d'extrader ou d'expulser un étranger. Il me semble que
retenir la censure, c'est trop valoriser le visa, qui est, en
définitive, un moyen peu efficace de contrôle. Il n'y a pas, sur
ce point, de véritable abandon des compétences de l'Etat, qui
demeure compétent, souverainement, pour admettre ou refuser les
étrangers sur son territoire.
Monsieur ROBERT : pour ma part, l'octroi des visas me paraît relever de la souveraineté des Etats, lorsqu'il y a une obligation de visa, on n'arrête que les individus jugés indésirables. S'il y a un visa, le contrôle est donc, en général,
moins strict une fois le visa obtenu. Le fait de retenir une
majorité qualifiée à partir de 1996, impliquera que la France,
qui a choisi, par exemple, de ne pas imposer de visa aux
ressortissants de certains Etats, qui ont été des colonies, soit
tenue d'en instaurer un Inversement, la suppression des visas
implique une justification individuelle des refus d'entrée, pour
des raisons d'ordre public ou autres. A chaque refus, l'Etat doit
faire la preuve qu'il existe un motif justifiant la mesure : il
va falloir, du fait d'une décision a laquelle il n'aura peut être
pas pris part qu'il mette en évidence des atteintes flagrantes
à l'ordre public, par exemple. Je voudrais, enfin, rappeler que
le Conseil, pour juger les accords de Schengen (2)
Le 14ème considérant est ainsi rédigé :
"Considérant que la portée du principe posé
par l'article 2, paragraphe 1, ne peut être appréciée
indépendamment des autres stipulations de la
convention ; qu'il y a lieu de relever que la
suppression du contrôle des personnes aux "frontières
intérieures", laquelle n'est au demeurant pas absolue,
va de pair avec le transfert de ces contrôles et leur
harmonisation aux "frontières externes" des Etats
signataires ; qu'en particulier, sont définies les
conditions et modalités de franchissement des
frontières.extérieures,. ainsi que les règles uniformes
suivant lesquelles doivent être effectués les
contrôles ; qu'il est prévu un régime commun de visas
de court séjour s'appliquant aux ressortissants d'Etats
tiers, qui ne pourra être modifié que d'un commun
accord entre les Parties contractantes et auquel il ne
pourra être dérogé qu'exceptionnellement ; que les
visas pour un séjour de plus de trois mois sont des
visas nationaux qui autorisent seulement son titulaire
à transiter sur le territoire des autres Parties
contractantes sous les réserves mentionnées à l'article 18 ;
à la Constitution, avait souligné que l'unanimité des pays
signataires était requise en matière de visas et avait jugé que
les stipulations de ces accords ne constituaient pas une atteinte
à la politique humanitaire de notre pays, notamment aux règles
du droit d'asile. Cette décision est claire !
Monsieur le Président (lit le 14ème considérant de la décision
relative aux accords de Schengen)
Monsieur ROBERT : j'en conclus que l'unanimité requise a été un
élément dans le sens de la conformité des accords à la
Constitution.
Monsieur le Président : mais la décision ne va pas jusqu'à
conclure qu'une absence d'unanimité impliquerait une
contradiction avec la Constitution 1
Monsieur ROBERT : cela se déduit, a contrario, du considérant !
Monsieur le Président : je n'en suis pas sûr (il relit le
considérant). Ce qu'il faut mettre en avant, c'est surtout la
garantie quant à la vie de la nation.
Monsieur ROBERT : si nous admettions une autre solution que la
non-conformité, nous aurions statué de manières opposées à moins
d'un an d'écart.
Monsieur le Président : la politique commune, c'est la politique
de la Communauté. Les accords de Schengen ne peuvent servir, en
l'occurrence, que d'élément de comparaison. Enfin, je dois
ajouter que la politique de visa est un élément de la
souveraineté nationale.
Monsieur ROBERT : il y a, à la fois, une répercussion sur la
liberté d'aller et venir et sur la maîtrise de la politique
d'immigration.
Monsieur le Président : oui ! Mais le problème est de savoir si
on touche à une condition de fond.
Monsieur RUDLOFF : quant à moi, je dois dire, à ce stade, que
j'ai du mal à me prononcer. La délivrance d'un visa c'est une
"modalité" de l'exercice de la souveraineté nationale. Est-elle
suffisante pour justifier une atteinte aux "conditions
essentielles" de l'exercice de la souveraineté ?
Monsieur FABRE : le visa ne me paraît pas être seulement une
modalité d'entrée et de sortie du territoire. Si on vous refuse
la sortie du territoire, c'est une atteinte à l'essentiel, c'est
à dire au droit d'aller et venir. Je me souviens que c'était
un des problèmes qui se posait quant à l'application des accords
d'Helsinki en U.R.S.S., oû les ressortissants n'obtenaient pas
leur visa de sortie.
Monsieur RUDLOFF : il est évident qu'accepter ou non qu'un
étranger entre en France, c'est un acte de souveraineté.
Monsieur FAURE : il faut, en outre, souligner qu'avec
l'application des accords de Schengen, il peut être entré par
n'importe quel pays voisin signataire de ces accords !
Monsieur ABADIE : on peut toujours se prévaloir du point 5 de
l'article 100 C : si l'individu est présumé dangereux -et la
jurisprudence est large- ou si sa présence perturbe l'ordre
public, on peut lui refuser l'entrée.
Monsieur FAURE : il n'empêche que si le visa n'est pas exigé, le
droit commun c'est qu'il rentre !
Monsieur RUDLOFF : mais les visas doivent demeurer une exception.
Monsieur FAURE : en pratique, le nombre de pays où le visa est
exigé est plus important que celui où il ne l'est pas.
Monsieur FABRE : il me paraît clair qu'il y a transfert de
l'essentiel de la souveraineté.
Monsieur CABANNES : la logique qui prévaut pour les accords de
Schengen va dans le sens évoqué par le professeur ROBERT et le
rapporteur. Et, moi aussi, je vais dans le même sens !
Monsieur ABADIE : mais l'alinéa 5 permet de reprendre la
souveraineté, la jurisprudence permettrait même de motiver un
refus collectif d'entrée sur le territoire.
Monsieur ROBERT : dès lors qu'il n'y aurait plus de visa, les cas
de refus ne concerneront plus qu'une infime minorité des
personnes se présentant aux frontières !
Madame LENOIR : moi, je persiste à dire que les visas ne
constituent pas une condition essentielle d'atteinte à la
souveraineté, surtout parce que le traité maintient une
compétence propre aux Etats.
Monsieur FAURE : cette compétence ne joue plus que pour des cas
individuels.
Monsieur LATSCHA : je souhaite faire quelques remarques sur les
visas : leur délivrance est une simple formalité administrative,
une mesure de police administrative. Mais je me demande comment
Maastricht s'articule, sur ce point, avec les accords de
Schengen, qui, eux, n'intéressent qu'une partie des pays de la
Communauté.
Monsieur le Secrétaire général (interrogé sur ce point par
Monsieur le Président) : il est clair que l'accord de Schengen
a une valeur subsidiaire par rapport au traité de Maastricht, dès
lors que des règles communautaires seront devenues effectives en
application de l'article 100 C. Il est également indiscutable,
à l'heure actuelle, que les visas sont une prérogative de l'Etat.
Souvent, celui-ci se lie au moyen de conventions bilatérales,
pour des raisons multiples tenant à la diplomatie, à la politique
générale ou à l'opinion publique. Les refus de visas n'ont pas
à être motivés au sens de la loi du 11 juillet 1979. Pour le
surplus, les règles sont fixées pour chaque Etat et relèvent des
réglementations nationales. Enfin, je dois rappeler au Conseil
que dans sa récente décision n° 92-307 du 25 février 1992, il a
rappelé que le refus d'admission des étrangers sur le territoire
constituait un droit de l'Etat, sous réserve des conventions
internationales.
Monsieur le Président : et, en dehors du visa, quels sont les
droits de l'Etat ?
Monsieur le Secrétaire général : dès lors que l'étranger est sur
le territoire, l'Etat apprécie au cas par cas. Il peut y avoir
expulsion lorsqu'il existe une menace grave pour l'ordre public.
Ce contrôle se fait au cas par cas, et les décisions qui en
résultent, entrent dans la compétence du juge administratif.
Monsieur le Président : merci.
Monsieur RUDLOFF : il existe une différence entre le refus
d'entrée, individuel, lié à une appréciation souveraine de l'Etat
et la politique des visas. Ces décisions relèvent, à l'évidence
de deux niveaux différents : appréciation ponctuelle dans le
premier cas, prérogative liée à la souveraineté nationale dans
les deux cas, mais l'établissement du visa est situé à un autre
niveau. Peut-on faire un recours contre les refus de visa,
Monsieur le Secrétaire général ?
Monsieur le Secrétaire général : oui, c'est possible.
Monsieur FAURE : je dois observer que la généralisation ou la
suppression des visas est essentielle : raisonner comme si cela
n'était pas important, c'est nier la politique d'immigration !
Monsieur RUDLOFF : il faut établir, en fait, une théorie des
conditions essentielles de la souveraineté.
Monsieur le Président : Je vous propose de suspendre la séance
quelques minutes (assentiment).
(La séance, suspendue à 16 h 25 est reprise à 16 h 45).
Monsieur le Président : bon ! Reprenons. Je mesure la difficulté
du débat, qui ne m'apparaît pas, en l'état, clos ! Le visa est
un problème de police ; il ne concerne pas en lui-même
l'admission sur le territoire dont l'Etat conserve la maîtrise.
Mais la maîtrise globale des visas relève des relations d'Etat
à Etat. Elle donne lieu à des négociations bilatérales. Il peut
y avoir des réserves pour les cas individuels, même lorsqu'il y
a vote à la majorité qualifiée. Mais ce qui est évident, c'est
qu'un-tel vote aboutit à laisser la maîtrise de la politique des
flux migratoires à la compétence d'autres Etats. Malheureusement,
cela touche à la souveraineté. En dépit des suites que la
décision ne manquera pas d'avoir sur ce point -et qui risqueront
d'être terrifiants si on songe à l'exploitation polémique à
laquelle certains vont se livrer- il me semble qu'il faut bien
constater qu'il y a là une contrariété à la Constitution.
Madame LENOIR : Monsieur le Président, vous me permettrez de ne
pas être en accord avec vous. Quels sont les critères que nous
avons voulu retenir jusqu'à présent pour apprécier une atteinte
à la souveraineté nationale ? J'en vois trois : le domaine
concerné, la procédure prévue par le traité et le degré
d'atteinte concret qui en résulte. Pour la monnaie, les critères
conduisent à une contrariété à la Constitution. C'est évident.
Mais ici, si les visas font partie d'un domaine essentiel et si
la procédure est majoritaire, il n'y a pas d'atteinte
insurmontable aux compétences de l'Etat : le refus d'entrée ou
de visa lui permet de conserver la maîtrise des flux migratoires.
Il n'y a donc pas de transfert de souveraineté.
Monsieur LATSCHA : quant à moi, j'ai bien essayé de sauver cette
partie en ayant recours aux stipulations du point 5. Mais je n'y
parviens pas. Nous ne pouvons pas ne pas nous situer comme on l'a
fait dans la décision du 25 février dernier : il existe un lien
entre la politique des visas, les flux migratoires et donc la
politique d'immigration et la coopération. Par ce biais, il
s'agit bien d'un élément essentiel de la souveraineté.
Monsieur le Président : le problème, c'est que l'engagement
international fait perdre la maîtrise de nos relations vis-à-vis
d'Etats tiers, non partis au traité de Maastricht. Je pense à la
Croatie ou à la Pologne. Le problème, et cela est différent de
ce que nous avons vu pour la P.E.S.C., c'est qu'ici il n'y a ni
tempérament, ni réciprocité !...
Monsieur LATSCHA : c'est là un argument très fort : il n'y a pas
de réciprocité.
Monsieur le Président : et cela touche les rapports d'Etat à
Etat.
Monsieur LATSCHA : en effet, la mesure va concerner tous les
ressortissants d'un Etat. Ce qui compte, c'est qu'on touche au
lien qui existe deux Etats : c'est "global" et pas "individuel" !
Monsieur le Président : pourquoi a-t-on choisi, comme cela, la
date de 1996 ?
Monsieur FAURE : il s'agit, peut être, d'aboutir à un meilleur
contrôle des flux.
Monsieur ABADIE : Certes, ce sont des rapports d'Etat à Etat, des
relations diplomatiques qui sont en jeu. Mais quelle est leur
incidence ? Concrètement, elle est très réduite : elle concerne
en fait les visas touristiques qui permettent d'entrer et de
séjourner trois mois sur le territoire. Les individus, avec ou
sans visa, sont dans des situations très proches. Le champ de
l'abandon de la souveraineté c'est uniquement le problème des
visas touristiques. Il me semble que cela n'est pas essentiel.
Monsieur le Président : votre approche est intéressante.
Monsieur ROBERT : la politique d'immigration touche à la
souveraineté nationale, et la différence n'est pas celle que
vient d'évoquer Monsieur le Préfet ABADIE. La différence c'est
que lorsqu'il existe un visa, l'Etat reste maître du flux
migratoire ; cela décourage l'immigration clandestine. Dans les
cas où il n'y a plus de visas, l'Etat ne possède plus que deux
types de "freins", soit il refuse les visas touristiques, mais
en pratique on sait pertinemment que ce moyen n'est pas opérant,
et ensuite il peut y avoir des refus individuels. Mais, en
pratique, l'Etat perd la maîtrise des flux migratoires.
Monsieur ABADIE : le problème est de savoir, concernant la
souveraineté nationale, où est la limite ?
Monsieur FAURE : elle est là !
Monsieur ABADIE : non ! Elle serait entre la politique d'ensemble
d'immigration et le refus des visas touristiques.
Monsieur FAURE : non ! Pas du tout : le problème ce n'est pas
l'existence d'un visa touristique ou pas. Le problème c'est la
détermination d'une liste de pays dont on exige que les
ressortissants soient ou non munis d'un visa. C'est un élément
essentiel du contrôle des flux migratoires, même si ce n'est pas
le seul. Nous perdons, avec l'article 100 C point 3, la faculté
de prendre une décision. Or, à l'heure actuelle, il existe deux
catégories de pays : d'un côté la Suisse, de l'autre le Pakistan,
ou -et je suis sûr de ne pas me tromper- l'Irak. Qui ne voit la
différence ? Qui ne comprend que ne pas exiger de visa dans le
premier cas et en exiger dans l'autre est un élément de la
souveraineté de l'Etat ? Si j'étais député, je défendrais cette
stipulation. Mais la question n'est pas là : au niveau juridique,
c'est clair, il y a une atteinte à la souveraineté !
Monsieur ABADIE : ne faut-il pas chercher à éviter l'affichage ?
Monsieur FAURE : non ! C'est essentiel, et vous voudriez qu'on
évite d'en parler !
Monsieur FABRE : ne faut-il pas donner lecture du projet ?
Monsieur CABANNES : mais puisqu'il y a des variantes, ne faut-il
pas d'abord voter sur le principe ?
Monsieur le Président : s'il y avait eu dans le traité des
réserves ou des exceptions, le Conseil aurait pu apprécier !Mais
ce n'est pas le cas ; quel que soit l'impact de la décision sur
l'opinion publique, on ne peut abandonner la politique des visas
à une majorité qualifiée d'Etats. Il n'y a rien à faire !
Monsieur FABRE : passons au vote !
Monsieur FAURE lit le projet de la page 27 à la page 31 en haut.
Madame LENOIR : je souhaite expliquer ma position : elle se situe
par rapport à la politique jurisprudentielle d'ensemble de notre
Conseil : il n'y a pas ici de mise en cause de la politique
d'immigration et le contrôle des flux n'est pas affecté par les
stipulations du traité. Des lors, je suis contre le projet.
Monsieur ABADIE : moi aussi, je mesure là les limites de notre
raisonnement : elles sont atteintes ! On ne touche pas ici à
l'essentiel de la souveraineté et l'effet de la stipulation est
purement mineur !
Monsieur CABANNES : moi je suis favorable au texte du projet de
décision. Mais ne pourrait-on minorer un peu, dans la rédaction,
la portée de la stipulation de l'article 100 C ?
Monsieur le Président : ça me paraît difficile ! Même si
je partage votre souci. Et puis, il y a, à la fin, le "pourrait
conduire" qui répond à votre attente, Monsieur CABANNES. Compte
tenu de la variante n° 1, je mets aux voix le texte du projet.
(Tous les conseillers votent pour, sauf Monsieur ABADIE et Madame
LENOIR).
Monsieur FAURE lit le dispositif.
Monsieur le Président : sur l'ensemble ? Je rappelle qu'il est
possible d'adopter l'ensemble même si le cours du débat en a été
hostile à une partie.
(Le vote est acquis à l'unanimité).
La séance est levée à 17 h 40.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.