COMPTE RENDU de la SEANCE du 9 JUIN 1992 Dois-je repasser à la ligne pour faire la même mise en forme que sur le document d'origine ?
La séance est ouverte à 14 h 45, en présence de tous les conseillers.
Monsieur le Président : allons-y ! Nous sommes saisis d'un projet de modification du règlement du Sénat. Monsieur RUDLOFF, c'est à vous.
Monsieur RUDLOFF : sous des apparences anodines, cette modification est, en fait, importante sur le fond pour deux raisons. D'abord parce qu'elle concerne l'exercice du droit d'amendement, et ensuite parce que cette saisine est en fait un "recours en interprétation". Le Sénat - et il faut souligner tout le caractère positif de cette démarche - nous demande de trancher un conflit d'interprétation en dehors de l'actualité : la saisine n'entraînera pas, quelle que soit la décision que nous allons rendre, la censure d'une loi : elle n'aura pas de répercussion immédiate et ceci est particulièrement heureux.
Nous voilà donc face à un recours en interprétation, qui concerne la procédure d'adoption des lois de finances rectificatives, qu'on appelle toujours les "collectifs".
Que dit l'ordonnance organique ? A l'article premier elle prévoit que "les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent", et à l'article 2, elle prévoit qu'ont le caractère de lois de finances "les lois rectificatives". Enfin, l'article 40 prévoit que "la seconde partie de la loi de finances de l'année ne peut être mise en discussion devant une assemblée avant le vote de la première partie". Quels sont les faits ?
Lors du vote de la loi de finances rectificative pour 1991, dont nous n'avons pas été saisis, le Sénat a rejeté, le 17 décembre 1991, l'article d'équilibre.
Pouvait-il, dès lors, continuer à débattre ? On sait ce qu'il en est pour la procédure relative à la loi de finances initiale. Dans une décision, qui fut à l'époque retentissante, n° 79-110 DC du 24 décembre 1979
- d'abord un argument exégétique, sur lequel on peut passer rapidement, même s'il a fait, à l'époque, l'objet d'un large débat. En employant l'expression vote "de" la première partie et non pas vote "sur" comme le faisait le décret du 19 juin 1956 qui régissait antérieurement la procédure budgétaire, l'ordonnance de 1959 exige une adoption de la première partie de la loi de finances de l'année avant que la discussion de la seconde partie ne s'engage. Il ne s'agit donc pas d'une simple mise aux voix.
Ensuite, un argument tiré de la nature de ces deux parties : contrairement à une idée répandue, il est inexact d'affirmer que la première partie concerne les recettes et la seconde les charges.
La première partie autorise la perception des diverses catégories de recettes et comporte les voies et moyens qui assurent l'équilibre financier. Elle aboutit à fixer les évaluations de recettes et le plafond des dépenses possibles et des prélèvements sur recettes. L'article d'équilibre n'est pas une simple récapitulation : c'est la détermination de l'équilibre budgétaire. La nature même de cet article conditionne le passage à la discussion de la deuxième partie, et la décision de 1979 repose bien sur cette analyse : dès lors que le principe de l'équilibre est fondamental, l'adoption de l'article d'équilibre est indispensable.
Je dois ici rappeler que dans la décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991
La deuxième partie, par définition, n'a pas d'incidence sur l'équilibre. Elle comporte, par exemple les dispositions imposant aux agents publics des responsabilités pécuniaires, celles qui organisent l'information du Parlement sur les finances publiques, mais aussi la fixation des autorisations de programme et des services votés. On y trouve enfin des dispositions concernant les
recettes qui n'ont pas d'incidence sur l'équilibre : fiscalité locale, redevance télévision, dispositions fiscales non applicables à l'année d'exercice, modalités de recouvrement des impositions de toute nature.
Cette distinction est donc très minutieusement établie : elle conditionne la procédure et l'exercice du droit d'amendement.
Venons en aux "collectifs budgétaires". Ceux-ci modifient les dispositions de la loi de finances de l'année. Ils doivent, indique l'article 34 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, être présentés "en partie ou en totalité" comme la loi de finances de l'année. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 3 juillet 1986
L'article 40 de l'ordonnance qui prévoit l'antériorité du vote de la première avant la discussion de la seconde, ne vise expressément que la loi de finances de l'année. Faut-il l'étendre aux collectifs ? Je ne le pense pas et je vous propose la formule "A".
La jurisprudence antérieure n'a pas résolu le problème qui nous est soumis.
Ainsi, il faut admettre que la décision sur les délais de discussion du 3 juillet 1986 que je viens d'évoquer ne peut être ici d'un grand secours : en effet, le Conseil constitutionnel a pu assimiler, au regard de cette règle, les lois de finances initiale et rectificative
Le Conseil constitutionnel, confronté à des textes qui visent "les lois de finances" est donc amené à opérer une distinction concrète parmi celles-ci. Confronté à un texte qui
vise "les lois de finances initiales" l'extension se justifie-t-elle ? Je voudrais envisager trois axes de réponses :
D'abord, c'est le plus important, l'aspect purement juridique de la place des règles posées par l'ordonnance de 1959 par rapport à la Constitution. Ces règles sont en partie dérogatoires à la procédure de droit commun applicable au vote de la loi. La décision du 24 décembre 1979 implique, le cas échéant, que l'article 49, alinéa 3 de la Constitution, soit utilisé deux fois pour un seul projet : sur la première partie, puis sur l'ensemble, et que la procédure du "vote bloqué" de l'article 44, alinéa 3 de la Constitution appliqué à la première partie ne puisse fonctionner sur la totalité du texte. Il s'agit donc d'une dérogation à l'application de ces dispositions constitutionnelles.
Devons-nous les étendre, alors même que la lettre de l'article 40 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ne le prévoit pas ? Il me semble que la réponse à cette question doit être négative. Ces dérogations, limitées, doivent résulter d'un texte. Et, dès lors que l'ordonnance organique ne le prévoit pas, il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, d'imposer cette extension.
Un second argument provient de l'équilibre des pouvoirs. Lorsque le Gouvernement choisit la formule du collectif, il peut, et c'est souvent le cas, proposer des dispositions fiscales importantes en deuxième partie sans incidence sur l'équilibre, par exemple parce qu'elles ne s'appliquent pas à l'année d'exercice. Dès lors, un collectif de fin d'année peut comporter deux types de mesures sans aucun rapport entre elles : un article d'équilibre - qui est souvent l'un des tout premiers - et qui "ratifie" toutes les modifications touchant à l'équilibre de la loi de finances initiale et d'autres mesures qui trouveraient mieux leur place dans la loi de finances initiale. Si on étendait le texte de l'article 40 de l'ordonnance à ces collectifs, on priverait le Sénat du droit de débattre de ces mesures. On me dira que l'article d'équilibre peut toujours être réécrit mais on voit mal, pour les collectifs de fin d'année, l'objet - et les possibilités réelles - de la "réécriture" : l'article d'équilibre est alors la simple "collection" des modifications souvent déjà intervenues, par exemple sous forme d'ouvertures de crédits.
Ainsi la solution consistant à étendre la portée de la décision de 1979 sur un terrain qui n'est pas prévu par la lettre de l'article 40 de l'ordonnance priverait le Sénat, lorsqu'il est en désaccord avec l'article d'équilibre, du droit de débattre de dispositions législatives nouvelles et bien distinctes de 1'équilibre.
Pour ces motifs, je suis conduit à admettre la modification du règlement du Sénat proposée.
Je ne crois pas, ce faisant, que l'argument, avancé dans les débats, de remise en cause de la logique de la décision de 1979 soit réel : une chose est le caractère fondamental de l'équilibre, que personne ici, je pense, ne conteste, une autre chose est l'extension aux collectifs de la règle de procédure qui en découle pour les lois de finances initiales et qui ne s'impose pas.
En effet, les textes sont formels et nous sommes confrontés à des lois de finances qui ne présentent pas de cohérence interne : la matière en est de plus en plus confuse et le rejet d'un article d'équilibre ne doit pas empêcher la poursuite du débat. C'est pourquoi je suis nettement favorable à la formule "A".
Monsieur le Président : merci, Monsieur le Rapporteur...
Monsieur RUDLOFF : j'espère que vous voudrez bien excuser les imperfections de ce premier rapport...
Monsieur le Président : vous n'avez en rien à vous excuser, sauf à faire preuve d'une excessive modestie ; c'était très bien, très clair... Je vais ouvrir la discussion. Il y a ici des spécialistes des lois de finances : Monsieur LATSCHA, voulez-vous intervenir ?... Mais je vois que Monsieur ROBERT est déjà dans ses starting-blocks... Je rappelle à chacun qu'ici l'on peut toujours changer d'avis, revenir en arrière jusqu'au dernier moment...
Monsieur LATSCHA : je ne souhaitais pas particulièrement intervenir le premier...
Monsieur le Président : je ne vous oblige pas à vous jeter dans l'eau froide...
Monsieur LATSCHA : le problème qui nous est posé est assez délicat. D'abord j'ai trouvé curieux et intéressant que le Sénat ait, au moins partiellement, voté cette résolution pour amener le Conseil constitutionnel à préciser sa jurisprudence. J'ai lu attentivement les observations des uns et des autres : la question est complexe, et pas dépourvue d'importance, notamment au regard du droit à la discussion et d'amendement des parlementaires. En l'état actuel de ma réflexion, et quitte à intervenir à nouveau ultérieurement, voici mon point de vue. Le moins que l'on puisse dire de l'ordonnance de 1959 - que j'ai longtemps enseignée à des étudiants - est qu'elle est d'une rédaction incertaine, au moins en plusieurs de ses articles. Ce qui me frappe c'est la généralité de l'article premier, qui définit le contenu des lois de finances, de l'article 2 qui donne la liste des lois de finances, et puis, par contraste, la précision de l'article 40, qui parle de loi de finances "de l'année". Bon... je crois qu'il y a là tout de même un argument de texte assez fort... Pourquoi le législateur organique est-il
Monsieur le Président : merci...
Monsieur ROBERT : je souhaite intervenir pour dire que j'ai bien entendu écouté avec intérêt les propos tant de Monsieur RUDLOFF que de Monsieur LATSCHA, mais surtout qu'ils ne m'ont pas convaincu avec les arguments essentiellement textuels qui sont les leurs. Je voudrais faire les remarques suivantes. Nul ne conteste qu'en vertu de l'article 2 de l'ordonnance, les lois de finances rectificatives sont des lois de finances, ni que selon l'article premier les lois de finances fixent les ressources et les charges de l'Etat, "compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent". Cette définition des lois de finances s'applique aux lois de finances rectificatives puisqu'elles sont des lois de finances. Selon l'article 34, de son côté, les lois de finances rectificatives sont présentées en totalité ou en partie dans les mêmes formes que les lois de finances de l'année. Et puis il y a l'article 40 qui, ainsi qu'a dit le Conseil constitutionnel, se borne à tirer les conséquences procédurales du principe posé par l'article premier. Dans ces conditions, dès lors que la loi de finances rectificative comporte un article d'équilibre, je ne vois pas comment on pourrait lui appliquer un régime différent. On nous oppose en tout et pour tout la lettre de l'article 40. Mais pourquoi est-elle ce qu'elle est ? Parce que jusqu'en 1980, les lois de finances rectificatives ne comportaient pas d'article d'équilibre : il n'y avait donc pas de raison que l'article 40 les visât. Depuis 1980, un même régime s'impose pour les deux catégories. Qui plus est, le contexte a changé depuis 1959. Je me réfère à ce qu'en dit le professeur Raymond Muzellec
devenir de plus en plus la loi rectificative et la loi seconde la loi initiale. Les budgets politiques décisifs et actifs sont les budgets adoptés en cours d'année, les lois initiales sont souvent des budgets sans horizon ni perspective, des budgets de routine, de reconduction. Cette situation est incontestable lorsqu'il y a un changement de majorité : la loi initiale votée dès l'arrivée de la nouvelle majorité a une valeur symbolique : elle est la traduction chiffrée des premières et principales options du programme ratifié par les électeurs. Les choix de la loi du 3 août 1981 avec la création de l'impôt sur les grandes fortunes anticipent ceux de la loi de finances pour 1982. Le même phénomène se renouvelle en 1986. M. Chirac ne déclarait-il pas à l'Assemblée nationale : "le collectif porte en lui les germes du budget de 1987. Ce n'est donc pas une formalité mais un engagement". L'absence de loi rectificative en 1988 lors du retour du PS au pouvoir ne constitue peut-être pas une exception. Les choix du Gouvernement s'inscrivent dans le changement mais aussi dans la continuité. La prévalence de la loi rectificative joue même en cas de continuité politique : la loi rectificative du 13 septembre 1975 annonce la loi pour 1976 ; celle du plan Barre bis de 1977, celle de 1978 ; celle du 28 juin 1982, celle de 1983... Nombre de lois initiales sont les héritières des lois rectificatives.
Au plan procédural, il est intéressant de noter que les procédures d'exception, article 49-3, article 44 relatif au vote bloqué, sont d'application plus fréquente dans les discussions des lois rectificatives que dans celles des autres lois. Ceci atteste de leur importance aux yeux du Gouvernement.
Au plan parlementaire : les élus sont encore plus désarmés face aux lois rectificatives : non seulement lors de la ratification inéluctable des décrets d’avances par la loi rectificative, mais aussi lors de l'adoption des lois de finances en cours d'année. Les réorientations majeures qu'elles comportent ne permettent pas que le Gouvernement laisse les parlementaires de sa majorité en débattre pour les modifications. Ici, plus que jamais, le Parlement est placé devant le fait accompli. De surcroît, les délais d'examen sont toujours plus brefs que pour les lois initiales (toujours moins de dix jours de discussion effective).
Enfin, lors de la session de printemps - session non budgétaire en principe - les lois rectificatives sont en concurrence avec les lois ordinaires dont c'est la session privilégiée. Seule la conjoncture politique, une majorité sénatoriale différente de la majorité des députés, atténue cette délibération souvent formelle encore que le dernier mot appartienne en cas de conflit à l'Assemblée nationale."
Dès l'instant que ces lois de finances rectificatives, qui sont devenues si importantes, sont des lois de finances, le seul argument tiré de la lettre d'un article 40 sorti de son contexte,
ne saurait s'opposer à l'application d'un seul et même régime en ce qui concerne l'article d'équilibre.
Monsieur le Président : bien...
Monsieur ABADIE : je suis pour ma part conduit à formuler deux appréciations. La première est relative au divorce entre la lettre et l'esprit du texte de l'article 40. La lettre est certes très claire. Mais je ne crois pas que l'on puisse dire comme on le fait qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une procédure législative "dérogatoire". Ce terme n'est employé nulle part, ni dans la Constitution, ni dans l'ordonnance. II y a, en fait, deux procédures différentes, dont l'une est relative aux lois de finances, lesquelles ont cette particularité, par rapport aux autres lois, d'avoir un effet sur les finances du pays. Dès lors qu'il n'y a pas à proprement parler de dérogation, j'estime qu'il n'y a plus de logique d'interprétation restrictive. Le Conseil constitutionnel, en 1979, a bien fait la différence entre la lettre de l'article 40 et son esprit et, choisissant ce dernier, l'a rattaché à l'article premier, en disant qu'il en était un exemple d'application, sans en être le seul possible. Le principe est dans l'article premier, et non point dans l'article 40. Ma seconde appréciation touche à la logique du vote budgétaire. Elle rejoint celle portée par le Professeur Robert. Depuis longtemps dans les assemblées parlementaires, les dépenses sont discutées après la fixation d'un article d'équilibre constituant le cadre de la discussion. Il en va d'ailleurs de même dans les assemblées locales : les recettes viennent avant les dépenses. Il ne s'agit pas d'un simple problème de procédure auquel on pourrait apporter une solution différente suivant qu'on est en présence d'une loi de finances initiale ou rectificative. La loi de finances rectificative est là pour définir des recettes nouvelles et modifier les dépenses. Elle est de même nature que la loi de finances initiale. On ne peut pas dire qu'elle ne comporterait qu'un article d'équilibre "passif" se bornant à ratifier les décrets d'avance. La loi de finances rectificative pour 1991, à propos de laquelle le problème a surgi, présente un exemple manifeste d'équilibre "actif", où l'article l'établissant n'est pas un additif menu, comme on voudrait le dire. Il comporte en fait des recettes nouvelles, qui ne sont pas l'émanation de décrets d'avance. Les lois de finances rectificatives ne sont pas des lois négligeables, qui seraient de peu d'effet sur les finances publiques et justifieraient une politique procédurale allégée ou moins précautionneuse. Certes il arrive qu'elles comportent des mesures fiscales à caractère permanent ; c'est le cas de celle pour 1991, dans le titre II de la seconde partie. Mais il n'empêche qu'il y a le titre I constitué de dépenses nouvelles ne pouvant être assumées que dans le cadre de l'équilibre. En juin 1981, avec la venue de la nouvelle majorité, il y a eu un bouleversement des recettes et des dépenses. De la même façon avec la loi de finances rectificative de juillet 1986, qui comportait un article d'équilibre nouveau et important. Si
l'on transférait le principe des lois de finances de l'article premier à l'article 40, ce serait une révolution par rapport à la loi organique. Si l'on admet une telle entorse pour les lois de finances rectificatives, pourquoi ne pas l'admettre pour les lois de finances initiales elles-mêmes ? Voilà les raisons pour lesquelles je me prononce en faveur du projet B.
Madame LENOIR : pour moi, après réflexions, je suis aussi pour le projet B. Le rapporteur avance deux arguments forts : la lettre même de l'article 40 ; le souci de n'apporter de restriction que prudente au droit de discussion du Parlement et le risque de vider de son sens le débat financier au regard de l'existence fréquente dans les lois de finances rectificatives de dispositions fiscales à caractère permanent notamment. Peut être seraient-ils de nature à emporter la conviction, s'il n'y avait la décision du Conseil du 24 décembre 1979, qui est très affirmative quant à la défense du principe fondamental de la protection des grandes lignes de l'équilibre financier. Notre problème est celui de la transposition ou non de ce principe aux lois de finances rectificatives, nonobstant la lettre de l'article 40. Je suis favorable à cette transposition. Pour trois séries de motifs. D'abord un motif de cohérence juridique : il y a un principe fondamental ; dès lors que les lois de finances rectificatives disposent d'un article d'équilibre, on ne voit pas pourquoi, alors que comme on l'a vu elles sont d'une importance au moins aussi grande, on ne le leur appliquerait pas. Il y a, au demeurant, la décision du Conseil constitutionnel du 24 juillet 1991
entendu que je crois comme plusieurs d'entre nous que l'ordonnance de 1959 mériterait sérieusement d'être toilettée.
Monsieur le Président : parfait... Monsieur le ministre d'Etat ?
Monsieur FAURE : je ne dirais qu'un mot : je me range à l'avis du projet B, pour les raisons avancées par les pré-opinants, pour reprendre un terme de prétoire. Je ferais toutefois remarquer à Monsieur le Préfet ABADIE que pour les budgets des collectivités locales - j'en vote depuis 37 ans - les choses ne se passent jamais de la sorte qu'il a dit. La différence d'avec le budget de l'Etat, c'est qu'on ne vote pas en deux fois, d'abord sur les recettes, ensuite sur les dépenses, mais en une seule fois sur le budget global. Bien entendu en discutant les dépenses, on conserve un oeil sur leur incidence et sur les recettes. Mais il n'y a pas d'analogie possible... Par ailleurs, je voudrais poser une question de bon sens. Si véritablement il y a des articles d'équilibre dans les lois de finances rectificatives depuis 1980, pourquoi diable est-ce que le Sénat a attendu douze ans...
Monsieur RUDLOFF : parce que c'est la première fois qu'un ministre du budget fait valoir l'argument ; jusqu'à présent aucun gouvernement ne s'était prévalu d'une extension de l'article 40... Le Président du Sénat n'a pas pu empêcher la poursuite du débat. Rien dans le règlement ni dans l'ordonnance ne permet de dire que, pour les lois de finances rectificatives, il faille attendre le vote de la première partie. Jamais ce problème n’avait été soulevé. Jamais en quatre ans par Monsieur CHARASSE. Il l'a soulevé pour la première fois cette fois-ci.
Monsieur FAURE : il est clair en tout cas qu'une loi de finances rectificative est une loi de finances. Il est clair encore que certaines d'entre elles revêtent une importance telle, notamment après un changement de majorité politique, qu'elles revêtent le caractère de véritables lois de finances annuelles "bis".
Monsieur RUDLOFF : je comprends très bien, mais il y a aussi des lois de finances rectificatives du type de celle du 29 décembre 1991...
Monsieur FAURE : il faut raisonner en fonction du principe même. Notre décision de 1979 a subordonné l'article 40 à l'article premier, la logique veut que la loi de finances rectificative soit soumise à la même discipline, même si la procédure d'examen des lois de finances est dérogatoire, ce que j'admets volontiers - mais où irions-nous s'il n'en était pas ainsi ? C'est donc sans état d'âme que je voterai pour le projet B. Et sans explications supplémentaires puisqu'au fond elles ont été déjà données.
Monsieur CABANNES : un pré-opinant a fait état de la thèse de Monsieur MUZELLEC. Sur le plan juridique, il a tout à fait raison. Mais je fais tout de même valoir, avec ce même
professeur, un argument touchant à la réalité de la vie parlementaire : il fait valoir
Monsieur FAURE : si vous permettez un instant, la comparaison faite par Monsieur CABANNES me paraît spécieuse. Des 168 heures, tous les ministères font partie, tandis que la loi de finances rectificative était de soutien à l'économie ; elle était certes importante, mais pas comparable, parce que ne traitant qu'un sujet, mono-orientée si je puis dire.
Monsieur CABANNES : j'ai fait cette comparaison tout au début de mon explication et seulement parce qu'on a parlé de Monsieur MUZELLEC, auquel des pré-opinants se sont ralliés. Sinon, je n'en aurai pas parlé, même si j'ai lu l'article en question en long, en large et en travers...
Monsieur FAURE : je croyais que vous vous étiez contenté des trois dernières lignes... (rires).
Monsieur CABANNES (avec une certaine véhémence) : j'ai insisté essentiellement sur la nécessité de l'interprétation restrictive des lois procédurales. Je ne m'appuye pas d'abord sur les considérations de Monsieur MUZELLEC !...
Monsieur le Président : nous n'instruisons pas le procès de Monsieur MUZELLEC !...
Monsieur CABANNES : ni celui du ministre d'Etat !
Monsieur le Président : Monsieur FABRE ?
Monsieur FABRE : moi, je tiens la décision du Conseil de 1979 pour une référence. On sait que tout ce système budgétaire est flottant et mériterait une révision. Mais il ne faudrait pas
qu'au travers d'une modification apparemment bénigne, on porte atteinte à l'équilibre entre Gouvernement et Parlement. J'ai l'impression que le Sénat veut nous faire endosser la responsabilité d'un texte dont il n'est pas lui-même sûr. Je me prononce pour le projet B et le maintien de notre logique antérieure.
Monsieur LATSCHA : je voudrais préciser que l'article d'équilibre ne signifie pas la même chose dans une loi de finances rectificative et dans une loi de finances initiale. Il y a eu une quinzaine d'articles d'équilibres dans des lois de finances rectificatives depuis 1980, qui ont été votées entre le 23 et le 30 décembre ; il n'y a que trois exceptions : août 81, juin 82 et juillet 86. Pour l'essentiel, il s'est agi de textes de constatations de fin d'année, à un moment où l'on ne peut plus rien faire... Le Parlement n'intervient pas alors dans les mêmes conditions que pour une loi de finances de l'année, pour laquelle seule l'article premier de l'ordonnance prend toute sa portée. Je constate ensuite que la décision de décembre 1979 a certes insisté sur cet article premier, mais également sur la prescription de l'article 40. Enfin, je rappellerais, avec le rapporteur, que le Gouvernement ne s'est jusqu'à présent pas opposé à la pratique antérieure, qui a vu le Sénat tantôt voter l'article d'équilibre, et tantôt ne pas le voter en poursuivant néanmoins la discussion. Je maintiens donc ma position, mais enfin je conviens qu'il ne s'agit pas là d'une affaire d'Etat.
Monsieur ABADIE dans la loi de finances rectificative pour 1991, les deux premiers articles, précédant l'article 3 d'équilibre, créent d'importantes ressources nouvelles, plus d'un milliard et demi de francs, par des prélèvements sur l'Institut national de la propriété industrielle et la Caisse nationale des télécommunications. Et ces ressources, intégrées dans l'article d'équilibre, permettent les dépenses prévues dans le titre I de la seconde partie.
Monsieur le Président : Monsieur le rapporteur ?
Monsieur RUDLOFF : les chants désespérés sont les chants les plus beaux !... Les points de vue que j'ai entendus me paraîtraient justes si les lois de finances rectificatives étaient de vraies lois de finances rectificatives ayant pour objet d'établir un nouvel équilibre budgétaire, ce qui est loin d'être le cas... J'entends bien que l'ajout de dispositions fiscales permanentes se retrouve pour les lois de finances initiales, mais faut-il pour autant opter pour la solution la plus contraignante pour le Parlement ? La logique de l'assimilation formelle des lois de finances rectificatives aux lois de finances de l'année, va augmenter la tentation, déjà forte, de gonfler les lois de finances rectificatives de dispositions qui pourront éventuellement n'être pas discutées. Au fond, il s'agit de se limiter à ce qui est dit par un texte. Il constitue déjà une
contrainte, inutile de l'étendre. Le mieux serait une modification de la loi organique pour mieux définir les lois de finances rectificatives. Je rappelle que, sur le plan historique, le Sénat ne nous avait pas jusqu'alors saisi, c'est qu'il n'y avait pas eu jusqu'à présent de conflit. J'ajoute que l'article 47 bis, dans sa rédaction actuelle, constitue la réponse du Sénat à la décision du Conseil de décembre 1979. Et qu'à l'époque, le Conseil, naturellement saisi, n'avait rien trouvé à y redire.
Monsieur le Président : le Sénat non plus n'avait pas songé à l'époque à la question qui nous occupe aujourd'hui.
Monsieur RUDLOFF : absolument ! Personne n'y avait pensé.
Monsieur le Président : pour ma part, je ne trouve pas qu'il s'agit là d'une affaire majeure. On nous dit : il y a le risque de charger les lois de finances rectificatives ; mais on peut toujours le faire au niveau de la loi de finances initiale... Ensuite la question est liée à un incident de parcours : qu'est-ce qui a fait changer d'opinion le ministre du budget ? Nul ne le sait... La fièvre s'apaisera ; je ne crois pas que les choses iront au drame... Mon sentiment dans ce genre de cas-là, c'est qu'il nous faut tenir la ligne de notre jurisprudence. Certes il ne s'agit pas des meilleurs textes juridiques dont nous disposions. Mais les choses étant ce qu'elles sont, la ligne de partage est claire : il y a un principe fondamental de respect de l'équilibre posé par l'article premier ; il convient que sous couvert de leur règlement les assemblées ne le méconnaissant pas. Il faut donc rapprocher le plus possible, de ce point de vue, lois de finances de l'année et lois de finances rectificative, fût-ce en allant au-delà de la lettre des textes. Au demeurant, il est évident, comme on l'a vu, que les lois de finances rectificatives sont de plus en plus des lois de finances tout court. Je suis donc plutôt en faveur du projet B, qui tend à se conformer à notre jurisprudence et à garantir le principe fondamental qu'elle a dégagé. Mais, encore une fois : ainsi vont les choses, sans passion excessive... Procédons donc au vote, avant de passer à la lecture. Qui se prononce pour le projet A ?
Messieurs RUDLOFF, CABANNES et LATSCHA votent en faveur du projet A.
Monsieur le Président : qui est pour le projet B ?
Les six autres conseillers, y compris le Président, se prononcent en ce sens.
Monsieur le Président : nous procédons à la lecture du projet B, avec j'en suis sûr autant d'enthousiasme que s'il s'était agi du projet A !...
Monsieur RUDLOFF commence la lecture du projet B de décision.
Monsieur le Président (l'interrompant page 5) : la décision de 1979 disait : "L'équilibre préalablement défini, tel qu'il a été
Monsieur le Président (l'interrompant page 5) : la décision de 1979 disait : "L'équilibre préalablement défini, tel qu'il a été arrêté par le Parlement" ; pourquoi dit-on ici par le "législateur" ?
Monsieur le Secrétaire général : parce que le plus souvent, en matière budgétaire, le dernier mot revient, en dernière lecture, à l'Assemblée nationale.
Monsieur RUDLOFF reprend sa lecture.
Monsieur le Président (l'interrompant page 6) : là, on a supprimé par rapport à la décision de 1979 la référence à la "lettre" et à "l'esprit"...
Monsieur le Secrétaire général : oui, le Conseil constitutionnel aboutissant à l'époque à la censure d'une loi de finances avait eu tendance à faire quelque peu "briller les cuivres", si je puis dire.
Monsieur le Président : oui, nous faisons retour au moderato cantabile...
Monsieur RUDLOFF poursuit sa lecture
Monsieur le Président (intervenant page 7) : "En excluant de façon générale et absolue", c'est bien, cela laisse de la souplesse...
Monsieur RUDLOFF reprend et achève la lecture du projet de décision.
Monsieur le Président : merci.
Monsieur CABANNES : pourquoi "en l'état" ?
Monsieur le Secrétaire général : cela conserve la possibilité au Sénat d'un texte plus modulé, distinguant suivant que la loi de finances rectificative comporte ou non un article d'équilibre.
Monsieur CABANNES : tout à fait d'accord.
La séance est levée à 16 h 30.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.