MARDI 8 DECEMBRE 1992
La séance est ouverte à 10 heures, en présence de tous les conseillers.
Monsieur le Président : Bien ! Nous commençons par l'examen des deux requêtes présentées pour le département du Nord et celui de la Moselle, et c'est Madame DENIS-LINTON qui est notre rapporteur-adjoint.
(Madame DENIS-LINTON prend place à la table des rapporteurs adjoints).
Madame DENIS-LINTON : Monsieur le Président, Madame, Messieurs, je commence par le département du Nord qui ne retiendra pas très longtemps votre attention. En effet, la requérante, Madame Dinah DERYCKE a adressé au Conseil constitutionnel une lettre de désistement. Je vous propose donc qu'on lui en donne acte, selon la formule habituelle.
(Elle lit le considérant).
Monsieur le Président : D'accord ! Je mets aux voix.
(Le vote est acquis à l'unanimité).
Madame DENIS-LINTON : En ce qui concerne la Moselle, les choses vont être plus longues à exposer. En effet, Monsieur Jean-Louis MASSON, député de la Moselle, et Madame Marie-Jo ZIMMERMANN, conseiller municipal de Metz, tous deux candidats malheureux aux élections sénatoriales demandent l'annulation des opérations électorales qui ont donné cinq élus : Messieurs BOHL, HUSSON, MASSERET, METZINGER et RAUSCH. Madame Yvette KÉMEN est l'auteur d'une autre requête qu'il y a lieu de joindre à la première car elle porte sur les mêmes opérations électorales.
Bien que Monsieur MASSON et Madame ZIMMERMANN aient cosigné la même requête, celle-ci doit être regardée comme recevable dès lors que tous deux sont candidats à la même élection et que rien dans votre règlement de procédure n'y fait obstacle.
Le grief commun au deux requêtes est tiré de la diffusion dans les deux jours précédant le scrutin d'un tract anonyme à l'encontre de la liste "Moselle Avenir" conduite par Monsieur MASSON. Le caractère diffamatoire de ce tract largement diffusé aurait influencé le résultat d'un scrutin qui a révélé un faible écart de voix entre des candidats appartenant à la même mouvance politique.
Dans le département de la Moselle, sur les 12 listes en présence, 3 se réclamaient du R.P.R.
Monsieur MASSERET a été élu avec 648 voix ;
Monsieur HUSSON également élu a obtenu 337 voix ;
quant à Monsieur MASSON il n'a recueilli que 229 voix.
La jurisprudence prend en compte, souvent de manière cumulative, plusieurs critères pour apprécier si la diffusion d'un tract a été de nature à altérer la sincérité du scrutin.
Mais le juge doit d'abord examiner si le contenu même du tract a pu influencer les électeurs soit par la nouveauté des éléments qu'il introduit dans le débat électoral, soit par ses termes excessifs, insultants ou diffamatoires.
Le tract en cause se présente comme un montage d'articles de presse et de courriers repris pour la plupart de précédentes élections.
On découvre d'abord en première page la reproduction d'un portrait de Madame de POMPADOUR à côté d'une phot de Madame SIMMERMANN
Le tract comporte également la reproduction d'une lettre anonyme diffusée en 1983 rappelant un épisode fâcheux des élections municipales. Cette lettre, d'une rare médiocrité, présentait Monsieur MASSON comme un personnage insignifiant, incapable de trouver des colistiers et sans moyens... Or, deux articles de presse qui figurent dans le tract litigieux affirmaient que les auteurs de ce tract de 1983 n'étaient autres que des amis de Monsieur MASSON qui cherchaient à émouvoir les électeurs en présentant leur candidat en victime.
Enfin, la troisième page reproduit deux courriers de Messieurs JACQUAT et LONGUET datant aussi des dernières élections municipales qui font apparaître Monsieur MASSON comme un candidat marginal par rapport au mouvement R.P.R.
Les requérants soulignent -et c'est le point le plus délicat- le caractère diffamatoire du tract diffusé dans le cadre de la campagne des sénatoriales, dans la mesure où il insinue l'existence de relations d'ordre privé entre le candidat tête de liste et sa colistière qui expliquerait la présence de cette dernière sur la liste.
La partie du tract qui laisse entendre que Monsieur MASSON a l'intention, s'il est élu sénateur, d'abandonner son siège au profit de son second de liste, pour se présenter ultérieurement à la députation, n'est pas en soi diffamante puisque la loi elle-même l'autorise. Il reste que si un candidat peut faire l'annonce de sa future démission, il est plus embarrassant pour lui d'être accusé par des tiers de briguer un autre siège que celui pour lequel il se porte candidat. Mais, en l'espèce, le document incriminé ne fait sur ce point que reprendre un élément
Sur le second aspect du tract : le juge électoral est traditionnellement sévère en présence de documents comportant des allégations mettant en cause la vie privée des candidats, en particulier lorsque la nature même des imputations ne permet pas d'y répondre utilement (élections municipales de Cannes, C.E., 22 décembre 1989, Rec. p. 269).
Je considère que ce tract, dans la mesure où il insinue que la présence de Madame ZIMMERMANN en seconde position sur la liste conduite par Monsieur MASSON ne serait due qu'à la volonté de celui-ci de la favoriser, compte tenu de leurs relations personnelles, porte manifestement atteinte à la considération des deux candidats requérants et discrédite tout autant leur action politique.
Quant aux autres allégations contenues dans le tract incriminé, elles relèvent d'une polémique électorale qui n'était pas inédite car elle avait fait l'objet de diverses insertions dans de précédents campagnes. Les lecteurs du tract ne pouvaient ignorer qu'il s'agissait de faits anciens, les extraits de presse ainsi que les lettres étant tous datés.
Il faut donc examiner si ce tract qui, selon nous, comporte des éléments diffamatoires à l'égard des deux candidats, a été diffusé dans des conditions telles qu'il a exercé une influence sur les résultats du scrutin. On rappellera d’emblée que par une décision du 8 novembre 1965 (Rec. p. 63), vous avez jugé que la diffusion d'un tract n'est interdite pour les élections sénatoriales par aucune disposition analogue à celles des articles L. 149 et L. 165 du même code relatifs à d'autres élections. Dès lors, le caractère éventuellement tardif de la diffusion du tract auquel vous attachez dans d'autres élections une certaine importance est sans incidence ici.
Cela ne signifie pas que tout tract quels qu'en soient les termes ne sera jamais considéré comme constituant une manoeuvre de nature à fausser le résultat, mais il est permis d'être plus exigeant sur les conditions de diffusion, parce que les grands électeurs sont moins sensibles à ces avatars de campagne.
En l'espèce, l'ampleur de cette diffusion est très contestée. Monsieur MASSON et Madame KEMEN soutiennent que des tracts en très grand nombre ont été expédiés. Mais, hormis les 24 attestations de grands électeurs affirmant l'avoir reçu le vendredi ou le samedi, veille du scrutin, Monsieur MASSON n'apporte que fort peu d'éléments pour apprécier la réalité de cette diffusion. Ses explications sont empreintes de contradictions
De leur côté, les sénateurs élus affirment que les nombreux électeurs sénatoriaux rencontrés la veille du scrutin n'ont pas fait état du tract. Ils relèvent qu'aucun organe de presse n'en a mentionné l'existence avant le scrutin et produisent 8 attestations en ce sens et soulignent, enfin, l'absence de toute protestation émise lors des opérations électorales à ce sujet. Dans ces conditions, je propose de dire que Monsieur MASSON ne démontre pas que la diffusion du tract ait été suffisante pour exercer une influence sur l'issue du scrutin.
Les requérants insistent pourtant sur le fait que le tract aurait détourné un nombre suffisant de grands électeurs du département pour modifier le sens du scrutin, alors surtout que la liste MASSON se trouvait en bonne place pour l'emporter. En témoigne un sondage concernant les élus R.P.R. du département effectué en mars 1992. Monsieur MASSON arrive en tête avec 31 % de bonnes opinions, les sénateurs BOHL et HUSSON ne recueillant respectivement que 26 % et 11 %. Mais les mémoires en défense font observer que postérieurement à ce sondage Monsieur MASSON a perdu l'investiture R.P.R. Cette circonstance est pour une grande part la cause de l'échec de Monsieur MASSON qui a perdu le soutien de Messieurs JUPPE et PASQUA. Par ailleurs, le nombre de voix qui lui ont fait défaut est, contrairement à ses dires, relativement important compte tenu de l'éclatement des suffrages entre les trois listes se réclamant du R P.R. Il a obtenu 73 voix de moins que Monsieur RAUSCH, le dernier élu, et 108 voix de moins que Monsieur HUSSON.
La requête de Monsieur MASSON dénonce aussi la mauvaise organisation matérielle des opérations de vote. Les électeurs appelés à voter entre 9 heures et 15 heures se sont présentés massivement dans la matinée. Le désordre et la longue attente qui s'en est suivi ont eu, selon le requérant, pour conséquence qu'une grande part des 49 électeurs qui se sont abstenus ont été contraints de partir sans avoir pu participer au scrutin.
Si le préfet reconnaît que le dispositif mis en place s'est révélé inadapté compte tenu de l'afflux dans la même tranche horaire de la majorité des électeurs, je considère que cette
Enfin, Monsieur MASSON se plaint de ce que le président de la commission de propagande lui ait refusé la possibilité de remplacer les bulletins qu'il avait déposés par de nouveaux bulletins où son nom, en qualité de tête de liste, se détachait en caractères renforcés par rapport à ses autres colistiers. On rappelle qu'en vertu de l'article R. 161 du code électoral, les bulletins de vote peuvent être adressés en franchise postale par la commission de propagande à tous les membres du corps électoral, avant le scrutin, si les candidats ont manifesté l'intention de bénéficier des dispositions prévues à l'article R. 157 du même code.
Mais les candidats peuvent aussi choisir de déposer ou faire déposer par un mandataire, à l'entrée du bureau de vote, le jour de l'élection autant de bulletins qu'il y a d'électeurs inscrits. Au cas présent, la commission de propagande, s'abritant inexactement derrière la circulaire du ministère de l'intérieur du 27 juillet 1992 qui en tout état de cause est dépourvue de caractère réglementaire, s'est opposée à la substitution d'un nouveau jeu de bulletins le jour de l'élection. Ce refus est sans fondement en l'absence de toute disposition législative ou réglementaire y faisant obstacle.
Toutefois, la lecture des deux rédactions successives du bulletin révèle que cette irrégularité n'a pu avoir aucun effet sur le sort du scrutin, celles-ci ne présentant qu'une différence très mineure. Le nom de la tête de liste apparaît en caractères légèrement plus gros que celui des autres colistiers.
Aucun des griefs avancés ne méritant d'être retenus, je vous propose de conclure au rejet des requêtes de Monsieur MASSON et Madame ZIMMERMANN et celle de Madame KEMEN. Est-ce que je lis le projet ?
Monsieur le Président : Non ! Non ! J'ouvre le débat sur les divers points évoqués ! Monsieur le Préfet ?
Monsieur ABADIE : La section d'instruction s'est réunie et s'est prononcée pour le rejet. Le rapport de Madame DENIS-LINTON reflète bien l'appréciation de la section. Sa réflexion a été dans le sens d'un rejet rapide des deux griefs secondaires, le refus de changer les bulletins de vote et l'attente dans les bureaux.
Evidemment, l'essentiel c'est le tract Lors de l'examen de cette affaire en section d'instruction, nous avons fait quatre types
Monsieur le Président : Ont-ils intenté une action en diffamation ?
Monsieur CABANNES : Une plainte a été déposée. Mais, en l'état, elle n'a pas débouché.
Madame LENOIR : II y a eu, au sein de la section, une légère nuance sur le contenu du tract. Il y a atteinte à la vie privée. C'est évident. On fait état de liens intimes entre deux colistiers. Mais, au niveau de l'élection, il y a un élément qui a pu perturber les électeurs. En effet, il est souligné que s'il était élu, Monsieur MASSON n'exercerait pas ses fonctions. Cela peut dissuader des électeurs Cette petite différence, au sein de la section, méritait d'être soulignée : est diffamatoire le fait de prétendre que les électeurs vont voter pour quelqu'un qui n'exercera pas ses fonctions. Il y a là un problème de déontologie politique.
Monsieur Robert : Je comprends les raisons de la section mais je suis un peu réservé car on est en face d'un problème de fond qui est très flou. Le tract n'est pas nuancé, ni dans le fait de traiter Monsieur MASSON d'imposteur et de minable ni dans le fait d'insinuer qu'il se présente pour ne pas occuper son siège et le laisser à quelqu'un avec lequel il aurait une liaison. Le tract est clairement diffamatoire. II constitue une atteinte à la
Monsieur le Président : Madame le rapporteur, voulez-vous ajouter quelque chose ?
Madame DENIS-LINTON : Les neuf dixième du tract sont le rappel
Monsieur ROBERT : Non ! Je ne suis pas d'accord. On ne sait pas à combien d'exemplaires le tract a été diffusé. Qui l'a reçu ? Combien sont-ils ? On n'en sait rien !
Monsieur RUDLOFF : Le milieu des grands électeurs est relativement fermé. On se connaît, on connaît les candidats. En Moselle, personne ne doute que Monsieur MASSON veuille conserver son siège de député. Alors l'impact d'un tract ne doit pas être exagéré, d'autant que sa diffusion n'est pas, au vu du dossier, très forte. Je suis favorable au rejet de la requête.
Monsieur le Président : Sur le caractère diffamatoire, tout le monde est d'accord. Le fait que ce soit ancien ou nouveau n'enlève rien au caractère diffamatoire.
Monsieur CABANNES : Il n'est pas établi que le caractère diffamatoire ait eu, en l'espèce, une influence notoire.
Monsieur le Président : Dans tout procès -au regard de la Convention européenne- équitable, c'est au demandeur de rapporter la preuve de ce qu'il avance ! Mais il a droit à un procès équitable. Combien y a t-il de grands électeurs ?
Madame LENOIR : Il y en a 2500, environ !
Monsieur le Président : On pourrait envisager de leur adresser à chacun une lettre pour leur demander s'ils ont reçu le tract. Est-ce envisageable ? S'il y en a 50 qui répondent, nous serons fixés. Ce qui m'importe ici, c'est que le Conseil s'apprête à couvrir une diffamation, à la ratifier pour l’avenir. En tout cas, c'est ainsi que notre décision sera interprétée. Vous le savez bien. Si 2000 électeurs nous disent qu'ils l'ont reçu, cela
Monsieur le Secrétaire Général : Je ne vois guère qu’un précédent. Il s'agissait d'une question d'émargements. La loi du 30 décembre 1988 prévoit l'obligation d'émarger. S'il n'est pas possible que l'intéressé émarge lui-même, d'autres personnes peuvent signer pour lui. Le Conseil, constatant des irrégularités s'était alors adressé à chaque électeur par lettre circulaire en demandant : avez-vous voté ? avez-vous signé vous-même ? Mais au cas présent, Monsieur MASSON avoue lui-même que tout le monde n'a pas reçu le tract, et que seuls des grands électeurs susceptibles de voter pour lui l'ont reçu. II y a donc dans la requête un point faible : il ne fournit que deux témoignages au départ, et 18 lettres dans un second temps. On peut aussi considérer le fait que les grands électeurs sont assez éclairés : le cas est différent de celui d'un tract de dernière heure, la diffusion a été assez faible. Monsieur MASSON connaît les grands électeurs et il aurait pu répondre.
Monsieur le Président : II y a tout de même diffamation. Je suis sensible à l'argument du professeur ROBERT : la diffamation est claire. Son avocat a-t-il prouvé qu’il y avait eu envoi d'une lettre circulaire ?
Madame DENIS-LINTON : Monsieur MASSON a pris contact avec certains grands électeurs, mais il ne fournit qu'une vingtaine d'attestations. D'autre part, il y a 10 personnes, qui, pour la partie adverse, indiquent qu'elles n'ont pas reçu le tract. Il n'y a pas dans tout cela d'élément objectif qui permette de conclure à une large diffusion. Les journalistes n'ont pas fait état du tract, la presse locale n'en a rien dit. En outre, l'envoi d'un questionnaire aux grands électeurs pourrait être mal perçu par ceux-ci puisqu'ils en concluraient qu'on cherche à savoir s'ils sont influençables.
Monsieur RUDLOFF : Même dans le Bas- Rhin ! (rires)
Monsieur LATSCHA : Il y a en fait deux questions sur le contenu même du tract. D'abord la reprise de certains éléments d'un débat de 1983. Puis il y a les allégations, qui ne concernent que la présente élection, des relations entre Madame ZIMMERMANN et Monsieur MASSON et sur le fait que celui-ci n'exercera pas son mandat. Est-ce qu'en 1983 il y avait eu une réclamation ?
Madame DENIS-LINTON : Monsieur MASSON avait répondu par voie de presse aux deux articles du "Canard Enchaîné" et du "Quotidien de Paris", mais la réponse ne figure pas dans le tract.
Monsieur LATSCHA : De par son contenu, celui-ci est très déplaisant.
Monsieur le Président : Je ne connais pas Monsieur MASSON.
Monsieur FABRE : Moi si ! Lorsque j'étais médiateur, je recevais par jour deux ou trois lettres de saisine de sa part : il transmettait tout ce qu'il pouvait. S'il se comporte de la même façon dans son département, cela ne m'étonne pas qu'il y soit dévalué ! Sur le contenu des tracts, je dirai que cela rappelle plutôt le "bon vieux temps" où les injures étaient monnaie courante : "cancrelat" "minable". Il ne faut pas exagérer l'impact de telles injures sur les grands électeurs. C'est un milieu où tout le monde se connaît. Sur les autres éléments, le tract n'apprend rien. C'est plutôt l'itinéraire de Monsieur MASSON, et le fait qu'il n'ait pas reçu l'investiture de son propre parti qui explique les résultats. Le Conseil constitutionnel ne saurait s'arrêter à des arguments aussi ténus que le caractère diffamatoire d'un tel tract, indépendamment de son contenu, assez peu digne !
Monsieur FAURE : Je partage ce point de vue.
Monsieur le Président : Et vous seriez du même avis s'il y avait eu une très large diffusion.
Messieurs FAURE et FABRE : Oui !
Monsieur le Président : Même s'il y a diffamation ?
Monsieur FABRE : Mais peu importe la diffusion : les grands électeurs ont pu se le "passer" et le lire. Tout le monde a pu en avoir connaissance ! Peu importe ! Le fond ne change pas l'intention du vote, qui a été déterminée par d'autres considérations.
Madame LENOIR : Notre jurisprudence a fait la différence entre le caractère injurieux et le caractère diffamatoire. "Roi des boudins" c'est une injure du niveau de l'école maternelle : ça n'apporte rien. En revanche, au niveau de la déontologie politique, il y a une diffamation. Mais cette diffamation n'est pas suffisante en elle-même pour influencer les électeurs. Il y a des précédents
Monsieur le Président : Les précédents que vous évoquez concernent les législatives.
Madame LENOIR : Oui !
Monsieur le Président : Ici c'est différent, il s'agit des grands électeurs. Ils sont assez "adultes".
Madame LENOIR : Le tract est très suspect, on ne sait pas d'où il vient. Mais le Conseil doit retenir l'absence de diffusion suffisante.
Monsieur CABANNES : Si on se réfère à la note du Ministre de l'intérieur, on retient (il lit une partie de la note) qu'il y a eu diffamation, qu'il s'agit d'une manoeuvre de dernière minute et que l'annulation est possible. Mais cela ne serait possible que si l'impact de ce tract était manifeste. Il faudrait qu'il ait influencé 40 grands électeurs ! C'est trop ! En l'espèce, ce tract n'a pas eu une telle importance. Alors je suis contre l'annulation. Le seul point qui me gêne, c'est qu'il y a une affaire pénale en cours.
Monsieur LATSCHA : Elle est en cours d'instruction.
Monsieur RUDLOFF : Chez les grands électeurs, tout le monde se connaît. Aux critères de la diffusion, il faut ajouter les critères spécifiques aux sénatoriales : celles-ci ont lieu dans une ambiance où l'on connaît les candidats et leur vie privée. Et puis, le vote se fait pour une liste. Alors, il peut y avoir "passage du témoin" d'un candidat à l'autre. Cela n'est pas si choquant. Enfin, j'ajoute qu'il me paraîtrait très disproportionné d'annuler l'élection de cinq sénateurs pour cela ! Je suis contre l'annulation, elle serait injuste pour au moins 4 des 5 candidats.
Monsieur le Président : A ce stade, compte tenu de la diffusion - dont l'étendue réelle n'est pas connue- et des conditions des élections sénatoriales est-ce que vous considérez que la diffusion du tract peut être la cause d'une annulation ?
Monsieur FAURE : Non !
Monsieur LATSCHA : Non ! Ce qui a été décisif, ce n'est pas le tract, c'est le fait que le RPR ait soutenu un autre candidat. Mais c'est vrai que le tract est odieux.
Madame LENOIR : Et puis, il y a l'écart des voix.
Monsieur le Président : On le connaît. Mais dans un milieu sophistiqué comme celui des grands électeurs, ce qui me paraît important c'est la diffusion. S'il était prouvé que ce tract ait été largement envoyé, annuleriez-vous ?
Monsieur ROBERT : C'est une question de principe. On est dans un milieu de haute culture politique.
Monsieur RUDLOFF : N'exagérons pas ! (sourires)
Monsieur ROBERT : On va admettre n'importe quoi !
Monsieur le Président : Il y a diffamation, il y a un milieu électoral spécifique, c'est acquis ! Reste l'incidence de l'un sur l'autre !
Monsieur CABANNES : Il y a une influence, c'est vrai !
Monsieur ROBERT : Elle est déterminante, il y a diffamation, ne la couvrons pas !
Madame LENOIR : "In concreto" il n'y a pas d'influence réelle, compte tenu du contexte, l'écart des voix est important et il est dû à d'autres facteurs.
Monsieur ABADIE : La diffusion doit s'apprécier en fonction de deux sous-éléments : le "quantitatif" et le "qualitatif". Or celui-ci vient annuler l'effet de celui-là ! Le contenu n'a pas pu, même avec une diffusion large, avoir un tel impact ! Monsieur MASSON est lui-même suspect. Le tract n'a pas été reçu par ses adversaires ! Il n'a pas, en tout hypothèse, d'influence notoire.
Monsieur le Président : Ça serait insuffisant ? En cas de large diffusion, j'en doute !
Monsieur FABRE : Il n'y a pas de précédent où de tels faits conduisent à une annulation !
Monsieur LATSCHA : En 1988, pour le Jura, on n'a pas annulé les législatives pour de tels faits
Monsieur le Président : Bon ! Bon ! C'est assez clair ! On peut donc passer à la lecture.
(Madame DENIS-LINTON lit les deux premiers considérants).
Monsieur le Président : Je souhaite à cet égard qu'il y ait un renforcement. Il faut marquer que le tract est manifestement diffamatoire. "Aussi regrettable qu'en soient les termes"... ou encore : "parmi d'autres éléments diffamations"...
Monsieur FAURE : On peut dire qu'il y a des éléments diffamatoires mais que la diffusion n'est pas de nature à entraîner l'annulation...
Monsieur le Président : "L'ordure, salaud" etc. c'est injurieux, mais pas de nature à influencer l'électorat. Mettons "aussi blâmables qu'en soient les termes", ce qui ne préjuge pas de la qualification pénale du tract...
(Madame DENIS LINTON
Monsieur le Président : Qui est pour ?
(Tous les conseillers votent "pour", à l'exception de Monsieur ROBERT).
(Monsieur le Secrétaire général s'assure de la rédaction).
Madame LENOIR : "Blâmable", c'est moral !
Monsieur le Président : Oui ! Mais on l'a déjà utilisé.
Monsieur le Secrétaire Général : On noie un peu le poisson !
Monsieur CABANNES : "Quel que soit leur caractère" est bien fort.
Monsieur le Secrétaire Général : Ça correspond pourtant à la position majoritaire du Conseil.
Monsieur le Président : Très bien ! Merci Madame la requérante... Euh Pardon ! Madame le Maître des Requêtes !
(Monsieur TOUTEE remplace Madame DENIS-LINTON).
Monsieur le Président : Bonjour Monsieur ! On commence par l'OISE ? Oui ! Allez-y.
Monsieur TOUTEE : Merci, Monsieur le Président. Dans le département de l'OISE, le premier tour des élections sénatoriales a vu élire M. Marini et M. Vasselle avec respectivement 1086 et 1163 voix pour 1947 suffrages exprimés. Il restait un siège à pourvoir au second tour : M. Souplet l'a emporté avec 1086 voix contre 489 voix à M. Vandamme et 98 voix à M. Evrard (il en avait obtenu 96 au premier tour). Ce dernier vous demande l'annulation des opérations électorales.
Il soulève deux moyens :
1) Une mauvaise organisation matérielle du scrutin, qui a entraîné un défaut de passage dans les isoloirs.
2°) L'absence de bulletins à son nom pendant une partie du scrutin du second tour.
Sur le premier grief :
A supposer même que certains électeurs ne soient pas passés par l'isoloir -hypothèse qui repose sur les seules allégations des requérants et qui est niée par les nombreuses attestations produites à l'appui du mémoire en défense, lesquelles admettent cependant des phénomènes de bousculade- ce défaut de passage ne peut, en l'absence des contraintes ou de pressions sur les électeurs, porter atteinte à la sincérité du scrutin. S'agissant
Ajoutons que l'écart de voix, de 1 à 11, est tel qu'il faudrait vraiment une irrégularité massive pour censurer le résultat.
Sur le second grief :
Encore une fois, la disparition des bulletins au nom de M. Evrard, qui auraient d'ailleurs été extraits d'une poubelle, puis dérobés par un "homme en noir" (rires), est assez contestée, même si M. Evrard prétend que la recherche de ses bulletins dans ladite poubelle a été filmée. A supposer cette disparition établie, M. Evrard ne conteste pas qu'il existait des bulletins blancs sur lesquels les électeurs auraient pu inscrire son nom, conformément aux dispositions de l'article R.157 du Code électoral. Il n'y a pas lieu à annulation
Monsieur le Président : Bon ! J'ouvre le délibéré. L'affaire me paraît d'une grande simplicité. Passons à la lecture du projet.
Monsieur Latscha : La rédaction du 1er considérant est un peu péremptoire !
Monsieur le Secrétaire Général : Cette affaire appelle deux remarques :
- La première concerne l'approvisionnement en bulletins. Cette position est tranchée par une jurisprudence constante et solide. Voyez votre décision en date du 5 novembre 1992.
- La seconde concerne le passage par l'isoloir. Cette question a été tranchée par une jurisprudence discutable maintenue de justesse dans la décision du 5 décembre 1989 au rapport de B. Stirn à propos des élections dans le Gers.
Monsieur le Président : Pourquoi ne pas reprendre la formule de 1985 ? "Que si des électeurs en nombre limité n'ont pas utilisé l'isoloir, cette irrégularité, qui n'a pas fait l'objet d'observations au procès-verbal, n'a pas été commise sous l'effet de pressions ni de la contrainte et n'a pas, dans les circonstances de l'affaire, altéré la sincérité du scrutin" ;
Madame LENOIR : ... Sous l'effet de la contrainte.
Monsieur le Secrétaire Général : Le mieux serait....
Monsieur le Président : II faut ajouter ..."à la supposer établie". On n'en est pas sûr.
Monsieur LATSCHA : En 1989, on avait rappelé les circonstances de l'affaire...
Monsieur le Président : Si on met "les circonstances de l'affaire... ne constituent pas...
Monsieur ABADIE : Après "les circonstances", il faut mettre le conditionnel.
(Il s'ensuit un long débat grammatical sur l'utilisation ou non du conditionnel).
Madame LENOIR : Est-ce que ça a une incidence quelconque sur notre jurisprudence ?
Monsieur le Secrétaire Général : Non !
Monsieur ABADIE : "... manoeuvre".
Monsieur FABRE : ...Il faut ajouter "volontairement".
Monsieur RUDLOFF : Il faut parler des électeurs "sénatoriaux", préciser sénatoriaux...
Monsieur le Président : Bon. Allons-y !
(Le projet est adopté à l'unanimité).
Monsieur TOUTEE : Je vais maintenant aborder la MEURTHE-ET- MOSELLE.
Après un premier tour infructueux, les élections sénatoriales qui se sont déroulées le 27 septembre 1992 dans le département de Meurthe-et-Moselle ont vu l'élection de MM. NACHBAR, BAUDOT, HURIET et BERNADAUX, avec respectivement 965, 942, 770 et 639 voix. Il y avait 1850 suffrages exprimés, 1957 votants et 1981 inscrits.
Monsieur CHONE, qui a obtenu 629 voix, soit 10 de moins que le dernier élu, Monsieur BERNARDAUX, et Monsieur FEIDT, électeur, nous demandent d'annuler ces opérations électorales, et subsidiairement l'élection de M. BERNARDAUX. Les reproches faits au déroulement du premier tour de scrutin sont bien sûr inopérants, dès lors qu'aucun candidat n'a été élu lors de ce tour. (Conseil constitutionnel 13 juillet 1988 Bouches du Rhône).
En tout état de cause, les griefs dirigés contre des votes déclarés nuls étaient vraisemblablement infondés.
Examinons donc le second tour : commençons par la requête de M. FEIDT. Il commence par reprocher à Monsieur BAUDOT, l'un des élus, d'avoir fait distribuer un tract après le début des opérations électorales. Cette distribution n'est contraire, pour les élections sénatoriales, à aucune disposition législative ou réglementaire, probablement en raison du caractère "professionnel" des électeurs. En l'absence de manoeuvre, il n'y a rien à dire. Et manoeuvre, il n'y a certainement pas eu. II s'agissait de la profession de foi des candidats. (Conseil constitutionnel, Sénat, Moselle, 8 novembre 1965, Rec. p. 64).
Monsieur FEIDT s'en prend ensuite à l'organisation du scrutin.
Il aurait été difficile de circuler autour des tables de dépouillement ; il y aurait cinq scrutateurs mais aucun contrôle sérieux de la validité des bulletins ; des erreurs auraient été commises lors du dépouillement, en tous cas on peut avoir "des doutes sérieux".
Vu la faiblesse de l’écart de voix entre le dernier élu et le premier non élu, il y aurait matière à annulation.
Mais il ressort des pièces du dossier, et notamment de nombreuses attestations, que l'on pouvait circuler dans le bureau, même si le mobilier d'un palais de justice n'est pas forcément adapté à un bureau de vote et que les scrutateurs étaient d'origines diverses. En outre l'absence de précisions apportées par la requête sur les erreurs de dépouillement ne donne pas envie d'ordonner un supplément d'instruction, qui ne donnerait d'ailleurs rien, les bulletins valides ayant été détruits. Enfin et surtout aucune observation n'a été portée au procès-verbal.
Ajoutons que deux candidats battus au second tour, avec 13 et 25 voix de retard sur le dernier élu, n'ont rien dit, bien que de tendances opposées.
Ce n'est pas le cas de Monsieur CHONE, battu de 10 voix, qui a quelque raison de se battre, y compris apparemment contre son "colistier", Monsieur HURIET.
Passons, comme nous l'avons dit, sur les irrégularités reprochées au 1er tour.
Monsieur CHONE reproche ensuite aux feuilles de dépouillement du 2e tour de contenir des erreurs de comptage, des grattages et surcharges.
En l'absence de précisions suffisantes, il nous semble que vous pouvez écarter le moyen, d'autant encore une fois qu'aucune
Selon Monsieur CHONE, les bulletins de sa "liste" auraient disparu des tables dans plusieurs bureaux.
Mais il n'allègue pas qu'il n'existerait pas de bulletins blancs permettant de voter pour lui
En outre les attestations qu'il produit sont un peu sujettes à caution.
Enfin Monsieur CHONE prétend qu'un "électeur suppléant" a vu des bulletins BERNADAUX barrés mais déclarés valables. Mais il n'y a aucun commencement de preuve mentionnné au procès-verbal concernant cette allégation et les bulletins valables ont été détruits, ce qui est conforme à l'article R. 68 du Code électoral. Il ajoute que les bulletins blancs et nuls n'ont pas été signés par les scrutateurs mais il ne conteste pas qu'ils ont été joints aux procès-verbaux, ni qu'ils ont été contresignés par les membres du bureau comme l'exige l'article L. 66 du Code électoral.
Votre section d'instruction vous propose donc de rejeter les requêtes de Monsieur FEIDT et de Monsieur CHONE
Monsieur le Président : Bon, très bien ! Personne ne désire intervenir ! Parfait, procédons à la lecture du projet de décision.
(Monsieur TOUTEE lit le projet de décision).
Monsieur le Président : Parfait ! Monsieur LATSCHA...
Monsieur LATSCHA : page 6 peut-être faudrait-il ajouter "suffisantes", précisions suffisantes...
Monsieur CABANNES : page 4 "ne peut être", non !, ne saurait être
Monsieur FAURE : On sait qu'elle a été établie si on met le présent.
(Le vote est acquis à l'unanimité et la séance est suspendue à 11 h 45 Elle reprend à 12 h).
Monsieur le Président : Madame LENOIR, c'est à vous. On vous écoute.
Madame LENOIR : Nous sommes saisis, en application de l'article 37 alinéa 2 de la Constitution, d'une demande du Premier Ministre tendant à l'appréciation de la nature juridique de deux dispositions de la loi du 10 janvier 1978 sur la protection et l'information des consommateurs de produits et services :
- l'article 36 alinéa 2 qui fixe la composition de la "commission des clauses abusives", instituée par cette loi, auprès du Ministre chargé de la Consommation ;
- l'article 37 alinéa 2 qui précise les modalités de saisine de cette commission dont les attributions sont consultatives.
La saisine du Premier ministre est assortie d'un projet de décret. Celui-ci révèle l'intention du gouvernement, d'une part, de modifier la composition de la commission en abaissant le nombre de ses membres de 15 à 13, et d'autre part de consacrer la faculté pour le juge civil, à l'occasion d'un litige, de demander l'avis de la commission sur le caractère abusif de la clause incriminée. L'avis de la commission ne lierait pas le juge.
Deux projets sont présentés : A et B avec 2 solutions opposées. Je soutiendrai le projet "A".
LE CONTEXTE JURIDIQUE
1) Les objectifs de ces dispositions
A la naissance d'une véritable "société de consommation" a correspondu, en France, à partir des années 75, la mise en place d'un droit spécifique de la consommation tendant à protéger le consommateur dans les différentes situations qui peuvent être les siennes (acquéreur de produits, ou prestations de service, locataire, emprunteur...).
Le but principal des législateurs modernes relatives au droit de la consommation est de remédier au déséquilibre affectant les rapports contractuels qui existent entre fies professionnels de la vente et des consommateurs, insuffisamment avertis et souvent économiquement dépendants.
La loi du 10 janvier 1978 précitée s'inscrit dans ce cadre. Plusieurs de ses dispositions modifient et complètent la loi du 1er août 1905 sur la répression des fraudes et la falsification des produits. Ceci est d'actualité avec l'affaire du sang contaminé.
Toutefois, ce sont les dispositions du chapitre IV concernant les clauses abusives des contrats portant sur des produits ou des prestations de service qui sont les plus novatrices. Le législateur est parti d'un double constat :
- d'une part, la vente de biens et services s'opère dans l'immense majorité des cas, aux termes de contrats d'adhésion soumis au consommateur qui, dans l'incapacité d'en discuter les clauses, n'a pour seule possibilité que de les accepter ou les refuser en bloc ;
- d'autre part, ces contrats s'avèrent contenir très fréquemment des clauses pouvant être qualifiées d'"abusives" (imposées par les professionnels par un abus de leur puissance économique et leur conférant un avantage excessif) et qu'il serait insuffisant de laisser un seul juge judiciaire le soin de sanctionner a postériori. En effet, le contrôle a posteriori est nécessairement ponctuel et aléatoire et, au surplus, la décision du juge n'est revêtue que d'une autorité simplement relative.
D'où l'idée, d'introduire un changement radical dans le contrôle des clauses abusives des contrats de consommation, en instaurant un système de contrôle préventif fondé sur l'intervention du pouvoir règlementaire.
C'est ainsi que l'article 35 de la loi de 1978 prévoit que "dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, peuvent être interdits, limités ou réglementés, par des décrets en Conseil d'Etat, pris après avis de la commission instituée par l'article 36, en distinguant éventuellement selon la nature des biens et des services concernés, les clauses relatives au caractère déterminé et déterminable du prix ainsi qu'à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l'étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d'exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions, lorsque de telles clauses apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l'autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif.
"De telles clauses abusives... sont réputées non écrites".
2) L'application décevante des dispositions en cause
L'application de ces dispositions n'a pas répondu aux objectifs des auteurs de la loi, du fait, principalement, du manque de volonté politique du gouvernement.
Un seul décret (en date du 24 mars 1978) est venu interdire certains types de clauses considérées comme abusives. Et encore, un article de ce décret a-t-il été annulé pour excès de pouvoir par le Conseil d'Etat, sa formulation étant jugée trop générale et imprécise eu égard aux limites de l'habilitation conférée par la loi au pouvoir règlementaire
De la constatation d'une telle carence du pouvoir réglementaire est née une controverse sur la portée réelle du dispositif de la loi de 1978 relatif au contrôle des clauses abusives des contrats de consommation.
La question était de savoir si une clause pouvait être déclarée abusive, avec les conséquences attachées à cette qualification par l'Article 35 de la loi de 1978, malgré l'absence d'un décret en ayant formellement prononcé l'interdiction.
Les travaux préparatoires de la loi laissaient à penser que cela ne serait pas possible.
Cette situation était d'ailleurs critiquée par la doctrine qui faisait valoir que la compétence exclusive du pouvoir réglementaire pouvait conduire à des aberrations. Le tribunal pouvant prononcer dans le cas d'espèce soumis à lui, la nullité de la clause, celle-ci aurait pu continuer à figurer dans tous autres contrats alors même que dans son rapport annuel, la commission des clauses abusives aurait dénoncé ce type de clause
La controverse est close. La première chambre civile de la cour de Cassation a tranché par un arrêt du 14 mai 1991
Le gouvernement s'apprêtait à consacrer dans la loi, cette jurisprudence et un projet de loi (n° 1 093)
Toutefois, le Gouvernement semble avoir renoncé à ce texte, préférant sans doute emprunter la voie réglementaire. L'objet du projet de décret joint à la saisine du Conseil constitutionnel est légèrement différent puisque :
1) il porte sur la composition de la commission ;
2) et sur le mode de saisine.
LE PROBLEME DE DROIT POSE : LA NATURE JURIDIQUE DES DISPOSITIONS RELATIVES A L'ADMINISTRATION CONSULTATIVE
Observons tout d'abord que la demande du Premier ministre est recevable eu regard des critères de l'article 37. Les
Sur le fond, le problème est complexe, compte tenu de notre jurisprudence subtile et évolutive.
1) La jurisprudence antérieure du Conseil constitutionnel
Elle a évolué avec le temps. Elle a gagné en complexité.
Dans un premier temps, nous avons considéré que dès lors qu'un organisme n'avait que des attributions consultatives, sa saisine fut-elle obligatoire, son institution (composition, mode de saisine...) relevait du domaine du règlement
Puis, à partir des années 1970, nous avons considéré que si en principe la compétence était réglementaire, pour instituer un organe consultatif
1) La nature des pouvoirs de l'organisme :
L'institution d'un organe consultatif dont les avis sont contraignants relève de la loi
2) Le domaine d'intervention concerné :
La procédure de consultation ressortit au domaine législatif si la saisine forte sur une matière de l'article 34 de la Constitution
3) La représentativité de l'organisme :
Il est, dans notre jurisprudence, tenu compte de ce critère. Dans la décision que je viens de citer, on relève que le commission nationale en question est un organisme représentatif des propriétaires forestiers dont l'avis... constitue une garantie essentielle offerte au requérant avant que ne soit prise une décision susceptible de porter atteinte à ses droits de propriétaire (approbation des plans de gestion établis par certains propriétaires.
Depuis 1989, on peut se demander s'il n'y a pas un changement de notre jurisprudence vers la prise en compte du seul critère de la nature des pouvoirs
Néanmoins, concernant la décision de 1989 Monsieur LATSCHA, rapporteur, avait relevé que la composition du collège régional était renvoyée au décret et qu'aucune précision n'était donnée par la loi quant au rôle consultatif de cette instance.
2) La solution proposée
Elle s'inscrit dans la ligne de votre jurisprudence, en retenant les critères qui nous ont conduit à admettre la compétence législative en matière d'administration consultative :
1 ) le domaine d'intervention, non seulement touche le régime des obligation civiles et commerciales, mais met en cause le
2) la composition de la commission avait été minutieusement précisée par la loi ;
3) mais surtout, la nature des pouvoirs de la commission en faisait un organisme dynamique et actif, de par sa capacité d'autosaisine.
Cette solution est, certes, moins simple que celle qui aurait consisté à considérer les dispositions en cause comme de nature réglementaire, au seul motif que la commission des clauses abusives rend des avis qui ne lient pas ceux qui la consultent.
Mais elle est trop simpliste eu égard aux enjeux importants de la procédure consultative. Le législateur attache en général la plus grande importance à son institution et à la création des instances qui conseilleront l'autorité administrative (voir les lois de bioéthique et la commission de la biologie de la reproduction). Permettre en toute hypothèse au pouvoir réglementaire de revenir sur ces procédures, considérées comme des garanties par le législateur, ne serait pas conformes aux tendances qui vont vers un renforcement du pouvoir législatif.
Monsieur le Président : Très bien, c'est un rapport très complet, très document
Monsieur LATSCHA : Pas tout de suite...
Monsieur ROBERT : Je suis à 100 % d'accord avec le rapporteur pour soutenir le projet A qui confère aux dispositions dont le Gouvernement demande le déclassement en matière législative. On est en face d'une loi protectrice des droits des consommateurs, qui prévoit des 2 articles minutieux le détail de la composition et des modalités de sa saisine. Cette saisine est très largement ouverte aux consommateurs, aux professionnels, elle peut se saisir d'offre et peut être saisie par le Ministre. Or qu'est-ce qu'on nous propose ? On nous propose de faire quelque chose de fermement réglementaire. J'avoue que j'ai été choqué par la note juridique du Secrétariat Général du Gouvernement. On nous propose qu'il n'y ait pas que le juge qui puisse saisir la Commission. On écarte alors totalement les intéressés ! Le juge, nous dit-on, interviendra éventuellement lors d'un procès. Ce n'est pas normal qu'on supprime un droit accordé aux citoyens !
Monsieur le Président : Je me demande si le projet de décret n'est pas mauvais ! Effectivement son article 4 prévoit la saisine par le juge, mais on ne sait pas trop ce que deviennent les autres autorités qui pouvaient saisir la commission. Je pense que dans l'esprit du Gouvernement, on conserve les autres modes de saisine. Mais on ne sait pas très bien s'ils ont voulu une adjonction ou une suppression des autres saisissants ?
Madame LENOIR : Je n'ai pas pu le savoir !
Monsieur LATSCHA : Les deux décisions de 1989 et 1990 que nous avons rendues portaient sur des points différents de celle que nous avons à rendre aujourd'hui. La 1e décision portait sur une procédure purement consultative et ne touchait pas aux principes fondamentaux. Dans la deuxième décision, la commission consultative n'intervenait pas dans l'octroi des prêts. Les domaines sont très différents. Je suis perplexe sur le sort de l'acitivté de la commission des clauses abusives...
Monsieur ROBERT : En fait, même si on retient l'hypothèse de la saisine la plus large, c'est dire d'une simple adjonction de la saisine du juge aux autres saisissants, le problème reste entier. Les dispositions sur lesquelles nous devons décider sont-elles du domaine réglementaire ou du domaine législatif ?
Monsieur FABRE : On va vraiment vers un abus de la part du Gouvernement en matière de demande de déclassement. Je partage entièrement l'indignation de Jacques ROBERT. Le Gouvernement fait jouer au Conseil constitutionnel le rôle de brimer le Parlement ! Changer la composition d'une commission, modifier ses conditions de saisine doit faire l'objet d'une loi. Je suis pour le projet A.
Monsieur ABADIE : Oublions un moment si vous le voulez bien, le projet de déclassement. Partons des principes de base. Les organismes consultatifs relevaient aux termes de votre jurisprudence, du pouvoir réglementaire. Evidemment, il y a des exceptions en raison de l'évolution des droits et libertés. Le Parlement a donc créé par une loi une commission des clauses abusives dans le but de protéger le consommateur. L'existence de la Commission n'est pas en cause. Ce qui est en cause c'est sa composition et la procédure de saisine. Sont-elles de nature législative, telle est la question : les garanties fondamentales sont-elles en cause ?
Il n'y a pas d'avis conforme requis de la commission.
Enfin c'est la saisine qui définit le domaine d'intervention et la portée de la consultation.
Mais concernant la décision sur les groupements forestiers, la commission était représentative des intérêts. En revanche, la Commission des clauses abusives n'est pas représentative des intérêts des consommateurs ou des vendeurs ! La composition de la Commission est assurément réglementaire. Peut-être la procédure de saisine est-elle conjoinctive de la défense des droits et libertés.
Monsieur RUDLOFF : Je penche plutôt dans le sens de Monsieur ABADIE. Je n'ai pas encore trouvé ce raisonnement juridique, mais intuitivement, les dispositions me semblent de nature réglementaire. La composition est certainement de la compétence
Monsieur FAURE : A priori, il me semble que la composition de l'organisme n'a pas le caractère législatif pour diverses raisons. Quant à l'article 37, même si on enlève la saisine d'office, ça ne change pas grand chose. Je suis plutôt partisan du projet B.
Monsieur CABANNES : Au départ j'étais plutôt partisan de la thèse législative, mais nous avons notre jurisprudence du 4 mai 1990. Je suis pour le projet B.
Monsieur LATSCHA : Dans la décision du 4 mai 1990, il s'agissait d'une commission qui ne fonctionnait qu'à l'intérieur de l'appareil administratif. On est en revanche avec la présente décision tout à fait à la limite de la protection des consommateurs définie par une loi et qui constitue une garantie des obligations civiles. Certes c'est une interprétation qui va très bien, mais dans cette optique, il faudrait dire que la composition de la Commission et la procédure de saisine sont liées. Le projet A doit alors être retenu.
Monsieur le Président : Oui, la composition de la Commission est profondément changée. Dans le projet de décret, il y a un accroissement des professionnels et une diminution des magistrats. Moi, je sais pourquoi ! Ils n'ont tout simplement pas envie de participer à ce genre de commissions.
Monsieur LATSCHA : Il faudrait éclaicir le point sur les autorités qui peuvent saisir le commission. Il faut interroger le Secrétariat Général du Gouvernement à ce sujet.
(La séance est suspendue à 13 h 05).
(La séance reprend à 14 h 40).
(Monsieur ABRAHAM s'installe à la table des rapporteurs-adjoints).
Monsieur le Président : Monsieur le rapporteur, c'est à vous.
Monsieur ABRAHAM : Deux sièges étaient à pourvoir dans le cas de la MEUSE. Le premier a été pourvu dès le premier tour. Au deuxième tour, Monsieur RUFIN est élu avec 367 voix. C'est le sénateur sortant. Il devance Monsieur BIWER, sans étiquette, qui obtient 336 voix et Monsieur DOSÉ, candidat du parti socialiste, qui obtient 124 voix. Il y a 76 bulletins blancs ou nuls. Monsieur BIWER vous saisit de deux moyens ; le premier porte sur
A titre subsidaire, Monsieur BIWER soutient qu'il y a eu des atteintes au secret du vote car les électeurs ont été obligés de s'enquérir du nom de son suppléant, révélant ainsi leur intention de vote, mais il s'agit là d'une allégation. Enfin, le deuxième grief fait état de "confusion et désordre" dans le déroulement des opérations. Mais ce grief n'est assorti d'aucun commencement de preuve, et je vous propose donc de ne pas retenir cette argumentation.
Monsieur le Président : Madame, Messieurs ? Pas de remarques ? Procédez à la lecture du projet.
Monsieur le Président : Très bien. On passe au vote.
Monsieur RUDLOFF : Est-il nécessaire de mettre le deuxième alinéa ?
Monsieur ABRAHAM et Monsieur le Secrétaire Général : C'est la réponse à l'un des arguments de la requête.
Monsieur le Président : Que souhaitez-vous ? Qu'on le supprime ?
Monsieur RUDLOFF : Non, je me rallie.
Monsieur le Président : Allons-y pour la NOUVELLE-CALEDONIE.
Monsieur ABRAHAM : Pour l'élection du 27 septembre 1992 en Nouvelle Calédonie, il y avait 388 grands électeurs :
- au premier tour il n'y a pas eu d'élu
- au second tour : Monsieur LOUECKOTE RPCR, Monsieur WAMYTAN FLNKS, Monsieur UKEIWE, sénateur sortant, dissident RPCR, sont en présence. Il y a 385 suffrages exprimés : Monsieur LOUECKOTE obtient 192 voix, Monsieur WAMYTAN 188, Monsieur UKEIWE 5. Il y a donc, 4 voix d'avance.
Vous êtes saisis des requêtes de M. WAMYTAN (n° 92-1153), candidat battu, et de trois autres conseillers territoriaux :
Messieurs NAISSELINE (n° 92-1161), BOUANAOUE (n° 92-1152) et MAPOU (n° 92-1154). Les moyens sont largement communs, je procéderai à un examen commun et le projet retient naturellement une jonction pour décision unique.
Les requêtes développent trois séries de moyens :
1 ⁰ ) les deux premiers moyens mettent en cause la régularité de la désignation des électeurs sénatoriaux par les conseils municipaux ;
2°) une deuxième série de griefs est tirée de diverses pressions qui auraient été exercées sur les électeurs ;
3°) un dernier moyen est tiré de ce que cinq délégués suppléants ont pris part au vote au lieu et place de conseillers municipaux de Nouméa empêchés. C'est le plus embarrassant. J'examinerai successivement ces moyens.
I Régularité de la désignation des électeurs sénatoriaux
Deux moyens sont invoqués à ce titre, le premier à titre principal, le second à titre subsidiaire.
1°) A titre principal, les requérants soutiennent (c'est le moyen sur lequel ils s'étendent le plus que dans quatre communes de moins de 9000 h (Bourail, Voh, Canala et l'île des Pins). La désignation des grands électeurs (et de candidats suppléants) a été irrégulière, car certains conseillers municipaux empêchés ont donné mandat à leurs collègues pour voter en leur nom. Les requêtes soutiennent que ce procédé du mandat, qui est admis en principe pour les votes au sein des conseillers municipaux par l'article L 121-12 du Code des Communes, ne peut pas être légalement mis en oeuvre pour les votes destinés à désigner les grands électeurs sénatoriaux des les territoires d'Outre-Mer.
II faut distinguer ici entre Messieurs WAMYTAN, BOUANAOUE et MAPOU d'une part, et NAISSELINE, d'autre part.
Les trois premiers ne sont pas recevables à invoquer le moyen, car ils n'ont pas saisi le Tribunal Administratif d'un recours contre le tableau des élections sénatoriales avant l'élection sur le fondement de l'article L 292 du Code Electoral ou plutôt l'article 15 de l'ordonnance du 15 novembre 1958 étendu aux Territoires d'Outre Mer par une ordonnance du 4 février 1959.
Or, vous jugez qu'un requérant qui n'a pas utilisé l'article L 292, ou, dans les Territoires d'Outre Mer, l'article 15 de l'ordonnance de 1958, ne peut invoquer pour la première fois devant le Conseil constitutionnel un moyen tiré de l'irrégularité de la désignation des délégués, qui met nécessairement en cause la régularité du tableau des électeurs sénatoriaux arrêté par le Préfet (par exemple 5 février 1975, élections sénatoriales de Nouvelle Calédonie, Rec. p. 55).
Il n'en va autrement que si le requérant n'est pas au nombre des personnes qui peuvent exercer le recours prévu à l'article L 292, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, les trois étant conseillers territoriaux, donc membres à ce titre du collège électoral sénatorial.
En revanche, la requête de Monsieur NAISSELINE est recevable, car il a fait un recours au Tribunal Administratif, contre le tableau en tant qu'il concernait la commune de Voh, en invoquant précisément ce grief, rejeté par jugement du 22 septembre 1992 dont il demande aussi l'annulation).
Mais elle n'est recevable que dans la limite des conclusions présentées devant le Tribunal Administratif, c'est-à-dire pour la seule commune de Voh. Le moyen est efficace s'il est fondé, car Voh désigne 5 électeurs et il y a eu 4 voix d'écart. Mais ici, le moyen s'avère non fondé : l'article 10 de l'ordonnance du 15 novembre 1958, étendu aux Territoires d'Outre-Mer par l'article 3 de l'ordonnance du 4 février de 1959 dispose : "dans les communes élisant 15 délégués ou moins (soit les communes de moins de 9000 habitants) l'élection des délégués et celle des suppléants ont lieu. . dans les conditions prévues à l'article 51 de la loi du 5 avril 1884".
Il faut donc se référer à l'article 51 loi de 1884 dans sa rédaction applicable à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 4 février 1959 -et non pas comme le font à tort les requérants- dans sa réclamation d'origine.
Ce texte, tel que modifié par le loi du 6 septembre 1947, prévoyait qu'"un conseiller municipal empêché d'assister à une séance peut donner à un collègue de son choix pouvoir écrit de voter en son nom". Il est devenu l'article L 121-12 du Code des Communes. L'adjonction de la loi de 1947 s'incorpore à la loi de 1884, si bien que le renvoi fait à l'article 10 de l'ordonnance de 1 958 doit se comprendre corne visant aussi le nouvelle disposition ajoutée en 1947, et non pas seulement l'article 51 de la loi de 1884 dans sa version d'origine.
Au surplus, l'article 122-12 a été étendu par la loi du 8 juillet 1977,1e Tribunal Administratif a donc bien jugé, et vous écarterez donc le grief, de même que vous regretterez la dernière demande d'annulation du jugement du Tribunal de Nouméa.
2°) A titre subsidiaire, les requérants soutiennent que les instructions contradictoires adressées aux maires par le Haut Commissariat ont faussé la désignation des délégués.
En effet :
- la circulaire du 24 août 1992 prévoit que dans les communes de moins de 9000 h, les conseillers municipaux peuvent donner mandat. Celle-ci est parfaitement régulière. En revanche,
Les requérants soutiennent qu'en admettant, contrairement à leur moyen principal, que le vote par mandat était possible, cette dernière circulaire a eu pour résultat de fausser le vote, car elle a eu pour effet de dissuader des conseillers municipaux qui, étant empêchés de voter, auraient voulu donner mandat, de le faire.
Le moyen est-il recevable, étant invoqué pour la première fois devant le juge de l'élection ?
J'ai hésité sur ce point. On pourrait soutenir qu'il ne s'agit pas d'un grief relatif à la régularité de la désignation des grands électeurs, et qu'il n'aurait donc pu être utilement invoqué devant le tribunal administratif.
En effet, dans les communes (la plupart) où le mandat n'a pas été utilisé, le scrutin ne s'est pas déroulé dans des conditions formellement irrégulières, l'absence de mandat ne révélant pas elle-même aucune irrégularité, même si elle résulte des renseignements erronés donnés aux conseillers municipaux.
Mais à la réflexion, je pense qu'il s'agit bien d'un grief qui aurait pu être utilement invoqué devant le tribunal administratif à l'appui d'un recours contre le tableau des électeurs, car si de tels renseignements erronés ont faussé le vote, c'est bien la régularité de celui-ci, et par suite celle du tableau des électeurs, qui est mise en cause.
Donc :
- le grief n'est pas recevable en tant qu'il est soulevé par Messieurs WAMYTAN, BOUANAOUE et MAPOU dans la mesure où il n'y a pas eu de recours préalable ;
- il ne l'est pas non plus en tant qu'il est soulevé par Monsieur NAISSELINE, pour deux raisons :
- Monsieur NAISSELINE n'a attaqué que le tableau concernant la commune de Voh, qui est précisément l'une des quatre communes dans lesquelles il n'a pas été tenu compte des instructions erronées du Haut Commissaire ; le grief présentement examiné n'a de sens que s'il est dirigé contre la désignation des délégués des autres communes, mais non contesté devant le tribunal administratif.
- Surtout, mêmes s'il l'on suppose que dans la commune de Voh certains conseillers municipaux informés des dernières instructions du représentant de la République, ont été dissuadés de donner mandat, Monsieur NAISSELINE n'a pas invoqué le grief
Or, il me semble qu'il faut, pour rendre recevable un moyen relatif à la régularité de la désignation des grands électeurs invoqué devant le Conseil constitutionnel que non seulement le recours préalable du tribunal administratif ait été exercé, mais aussi qu'au soutien de ce recours le requérant ait invoqué spécifiquement le grief qu'il soumet au juge de l'élection (réserve faite, peut-être, des moyens d'ordre public). Toutefois, il n'y pas de jurisprudence sur ce point mais cette solution est dans la logique.
Pour la complète information de la section, même si le moyen devait être regardé corne recevable pour l'ensemble des communes, il ne serait pas fondé, car il ressort des pièces du dossier que la désignation des délégués n'a pas été affectée, en fait, par le caractère erroné des indications figurant dans la deuxième circulaire du Haut Commissaire.
II Deuxième série de moyens : diverses pressions exercées sur le collège électoral sénatorial
Il y a, de plus, un grief tiré de ce que le RPCR aurait obligé ses grands électeurs à fournir, à leur sortie du bureau de vote, les deux bulletins WAMYTAN et UKEIWE. Ce grief n'est pas non établi.
J'aborde la troisième catégorie de moyens : un grief, tiré de ce que cinq conseillers municipaux de Nouméa (qui, ayant plus de 30 000 habitants, possède donc des délégués de droit) ont été remplacés (pour cause d'empêchement) par des délégués suppléants.
Selon Messieurs BOUANAOUE et WAMYTAN, seuls les délégués élus (dans les communes de plus de 30 000 habitants) pourraient être suppléés, mais non les délégués de droit.
Ils se fondent, pour parvenir à cette conclusion, sur une argumentation peu convaincante, c'est-à-dire sur une interprétation a contrario du décret du 11 mars 1959 pris pour l'application des dispositions de l'ordonnance du 15 novembre 1958 étendues aux Territoires d'Outre-Mer par l'Ordonnance du 4 février 1959. L'article 17 de ce texte dispose que : "Si un délégué élu décide ou est dans l'impossibilité de participer à l'élection par suite de maladie ou d'empêchement grave, son mandat de délégué est attribué" à un suppléant.
Mais ce texte ne suffit pas par lui-même à exclure la suppléance des délégués de droit II faut rechercher s'il n'existe pas un autre texte organisant la suppléance des délégués de droit.
Or, force est de reconnaître qu'on chercherait en vain ce texte.
Les défendeurs invoquent l'article 11 avant-dernier alinéa, de l'ordonnance du 15 novembre 1958. Mais l'argument est peu convaincant, car le texte paraît bien viser les délégués élus.
J'ai donc été tenté un moment de considérer que la suppléance des délégués de droit, n'était prévu par aucun texte (et pas davantage d'ailleurs dans le Code électoral applicable en métropole), et donc qu'elle n'était pas possible.
J'ai prudemment écarté cette solution pour des raisons de simple logique.
Dans les communes de plus de 9000 et moins de 30 000 habitants, il n'y a pas de délégués élus, il n'y a que des délégués de droit, les conseillers municipaux. Mais les textes (c'est-à-dire l'article 11, 1er alinéa de l'ordonnance de 1958 pour les Territoires d'Outre-Mer ; et l'article L 289 du code électoral pour le droit commun) prévoit l'élection de suppléants dans ces communes comme dans les autres.
Il faut bien en déduire que les suppléants peuvent ainsi remplacer les délégués de droit empêchés, sinon leur élection n'aurait aucun sens.
Mais on bute alors sur une seconde difficulté, qui touche aux modalités de la suppléance des délégués de droit : selon quel critère doit être désigné le suppléant appelé à remplacer un conseiller municipal empêché ? Rien dans les textes ne permet de répondre à la question.
Les suppléants étant élus selon un scrutin de liste à la proportionnelle (article 11 de l'ordonnance de 1958) il y a là une difficulté réelle.
Le vide a été comblé en pratique par les circulaires du Ministère de l'intérieur, dont la circulaire du 23 juillet 1992 relative à la désignation des conseillers municipaux, reprise par les Départements et Territoires d'Outre-Mer. La valeur juridique de l'argument est donc douteuse.
Vous avez le choix entre trois solutions :
- considérer que la suppléance des délégués de droit n'étant prévue et organisée par aucun texte, elle est impossible. Ce serait rendre sans objet l'élection des suppléants dans les communes de 9 à 30 000 habitants ;
- considérer que cette suppléance est dans son principe prévue par la loi, mais qu'à défaut de l'intervention de textes réglementaires organisant les modalités de cette suppléance, le principe législatif est inapplicable ;
- considérer que dans le silence des textes, et pour rendre effective une suppléance prévue par la loi, le Ministre de
C'est cette troisième solution qui aurait notre faveur, même si elle suppose un certain effort juridique qui s'écarte de l'orthodoxie.
Mais en l'espèce, il ne vous est pas nécessaire de prendre parti sur la portée des circulaires ministérielles.
En effet, ce ne sont pas les modalités de la suppléance qui sont contestées, mais son principe même.
Il vous suffira de dire qu'il résulte nécessairement des dispositions législatives qui prévoient l'élection des suppléants dans toutes les communes, y compris celles dans lesquelles il n'y a pas de délégué élu (c'est-à-dire celles dont la populatioon est comprise entre 9000 et 30 000 habitants) que les suppléants ont vocation à remplacer non seulement les délégués élus mais aussi les délégués de droit.
Je vous propose une rédaction nouvelle du projet sur ce point.
"Considérant qu'il résulte des articles 10 et 1 1 de l'ordonnance n° 58-1098 du 15 novembre 1958 que dans toutes les communes les conseils municipaux procèdent à l'élection de suppléants ; que si, en vertu de l'article 7 de la même ordonnance, il y a lieu à l'élection de délégués d'une part dans les communes de moins de 9000 habitants, et d'autre part en complément des conseillers municipaux qui sont tous délégués de droit, dans celles qui comptent au moins 31 000 habitants, il résulte du même texte que les conseils municipaux des communes dont la population est supérieure à 9 000 habitants mais inférieure à 31 000 habitants, dont tous les membres sont délégués de droit, ne procèdent qu'à l'élection de suppléants ; que ces dispositions impliquent nécessairement que les suppléants élus ont pour fonction de remplacer, le cas échéant, non seulement les délégués élus mais aussi ceux qui appartiennent de droit au collège des électeurs sénatoriaux ; que part suite le grief susanalysé doit écarté".
J'ai terminé ce rapport.
Monsieur le Président : Bien, merci. Procédez à la lecture du projet. Commencez par les considérants.
(Monsieur ABRAHAM lit les considérants sur le 1er et le 2e grief).
Monsieur ROBERT : Est-ce que les suppléants ont été désignés sur la base de la circulaire erronée ?
Monsieur ABRAHAM : On ne sait pas, mais ce n'est pas certain.
Monsieur le Président : Passez à la lecture de la partie finale du projet.
(Monsieur Abraham lit la fin du projet de décision).
Monsieur le Président : Bien, Madame, Messieurs ?
(Le projet est adopté à l'unanimité).
(Monsieur ABRAHAM quitte la salle des séances)
Monsieur le Président : Nous reprenons maintenant la discussion sur la commission des clauses abusives.
Monsieur LATSCHA : Il me semble difficile de diviser les dispositions qui concernent d'une part la composition et celles qui concernent la saisine. La situation est différente de celle des décisions que nous avons rendues en 1989 et 1990. Le problème est délicat. Ce qui est important c'est l'arrêt de la Cour de Cassation qui a permis à tout requérant de saisir les tribunaux de certaines clauses abusives.
Monsieur le Président : Monsieur ROBERT ?
Monsieur ROBERT : II y a commission consultative et commission consultative. Elles ne se ressemblent pas toutes. La commission des clauses abusives est là pour la protection des consommateurs. Abandonner la composition au pouvoir réglementaire, je veux bien, mais le mode de saisine, non ! Il fait partie de la protection des libertés. Ce n'est pas réglementaire.
Monsieur le Président : Remontons un peu en arrière, si vous le voulez bien. Au titre de l'article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales. Est-on dans ce domaine ? Oui, sans doute ! 2e question. Mais même, si on est dans ce domaine, tout n'est pas du ressort de la loi : ce n'est pas parce que le Parlement a décidé de statuer dans ce détail que c'est législatif. Est-ce q'un organisme consultatif est une garantie ? Quand la consultation est-elle obligatoire ?
Madame LENOIR : Dans le cadre de l'article 35, lorsque l'administration veut prendre un décret en Conseil d'Etat pour interdire une clause contractuelle.
(Le Président relit la décision du Conseil constitutionnel n° 90-164 L du 4 mai 1990).
Madame LENOIR : On est d'accord pour affirmer que ce n'est pas toute l'administration consultative qui, en toute hypothèse, est du domaine du règlement. On n'est jamais allé jusque là. Pour qu'il n'en soit pas ainsi il faut qu'il y ait deux éléments :
- un avis d'une commission qui touche aux domaines énumérés par l'article 34,
- et d'autres indices qui montrent que la consultation est une garantie.
Le comité de financement de l'agriculture ne touche pas aux garanties fondamentales. Donc ses avis sont d'ordre réglementaire.
Monsieur le Président : Donc le problème c'est le domaine d'intervention. Mais la motivation que nous avions donnée dans la décision du 4 mai 1990 c'est qu'un avis consultatif ne touche pas aux garanties fondamentales. En quoi la consultation purement facultative d'une commission constitue-t-elle une garantie essentielle ? Sur ce premier point, nous sommes tous d'accord.
Madame LENOIR : Le projet B conclut que du seul fait que c'est consultatif, que ça tombe dans ce domaine réglementaire. C'est très dangereux les commissions consultatives seraient à la merci du Gouvernement. Dès lors qu'elles ne plaisent plus au Gouvernement, on pourrait les supprimer. On ne peut décider que tous les avis consultatifs sont du domaine réglementaire. Cette décision serait inédite et inopportune. J'étais au départ pour une solution mixte : la composition serait réglementaire alors que la saisine, elle, serait législative
Celle-ci constitue une garantie essentielle à la disposition des consommateurs. Voyez à propos de la bioéthique ! Les commissions sont présentées comme protectrices des droits. J'ai hésité à proposer la solution mixte, inspirée de la décision de 1977 sur l'enseignement.
(Madame LENOIR lit cette décision n° 77-96 L du 27 avril 1977, con 1 et 2 rec p 52).
Si j'ai opté pour la solution législative, c'est en raison de l'ingérence dans le droit des contrats et du fait que la loi avait voulu faire de cette commission une garantie essentielle des consommateurs. La commission est créée avec une certaines solennité. Elle s'auto-saisit. Elle rend public son rapport annuel. Elle est saisie par les consommateurs de n'importe quel type de contrat. Donc je serais assez partisan du tout législatif. Mais si on choisit le projet B, on ne pourra pas dire que la procédure consultative est entièrement réglementaire.
Monsieur le Président : Procédons par degrés.
Nous sommes d'accord pour dire que le domaine visé touche aux matières énumérées par l'article 34 de la Constitution. Est- ce qu'une commission consultative constitue une garantie ? On peut dire que c'est une garantie ? On peut dire que c'est une garantie importante que les associations puissent la saisir. Une chose est la commission, autre chose est la composition et autre chose encore la saisine. Est-ce que si c'est une garantie essentielle quant à la matière, la composition de l'organisme est du même coup une garantie essentielle ? Quand on a décidé de la création législative d'une commission, peut-on dire que sa composition est aussi législative. Moi, je suis perplexe, la saisine est une modalité procédurale. Sa procédure, ai-je besoin de le dire, est une affaire réglementaire sauf en matière pénale.
(Monsieur le Président lit le considérant de la décision n° 77-97 L du 27 avril 1977).
Madame LENOIR : Le problème de droit c'est celui de la saisine d'office. Le Gouvernement pourrait la supprimer ou ...
Monsieur LATSCHA : Oui ! C'est un problème que celui de la saisine automatique. Mais ce n'est pas cela que l'on nous demande de déclasser.
Monsieur le Président : Il n'y a guère que des règles de procédure qui soient touchées. Il ne s'agit pas de règles de procédure civile, ou nous jugerions que de telles dispositions sont règlementaires. On consacrerait ici, pour une procédure consultative, ce qui, pour la procédure civile, est réglementaire.
Monsieur RUDLOFF : Le juge peut demander une consultation. Mais le Conseil n'est pas tenu de répondre.
Monsieur le Président : Il peut répondre.
Monsieur RUDLOFF : Mais ce n'est pas une obligation.
Monsieur le Président : Chacun est tenu de prêter son concours à la justice. Monsieur GENEVOIS ?
Monsieur le Secrétaire général : L'article 10 du Code Civil dispose que "Chacun est tenu d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu'il en a été légalement requis, peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peine d'astreinte ou d'amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts". Mais le Conseil d'Etat a parfois été gêné,
Monsieur le Président : Il s'agit d'opérer la distinction entre ce qui relève d'une procédure civile et ce qui n'en relève pas. Il ne peut pas induire de tout ceci qu'il existe un principe législatif du fait que certaines règles sont applicables dans le seul cadre d'un procès.
Monsieur le Secrétaire Général : Si le Conseil statuait dans le sens de la compétence législative, il sacraliserait la saisine d'office. Je suis assez perplexe !
Monsieur le Président : Que le fait de prendre l'avis d'une autorité administrative soit une garantie essentielle dans certains cas, je veux bien. Mais il s'agit là de conventions qu'on compare à un modèle ! Je suis très perplexe ! Mais je ne demande qu'à être convaincu !
Madame LENOIR : Mais en analysant les modèles de contrats d'adhésion, la commission a un pouvoir important : ce type d'annulation de clauses a un effet "erga omnes". La référence au modèle de contrat est importante. Cela n'atténue pas la valeur législative bien au contraire ! Je défends l'idée qu'on ne puisse scinder le principe d'une consultation obligatoire et l'auto- saisine. La commission se saisit et publie son avis. En se fondant là dessus, le Gouvernement prend un décret. Il ne faut pas scinder ces éléments : l'autosaisine relève du pouvoir législatif. C'est une garantie pour les consommateurs.
Monsieur le Président : Non ! La consultation c'est, ici, un pouvoir uniquement et exclusivement consultatif. C'est totalement différent d'un pouvoir d'intervention dans les contrats, qui, lui, relève du législateur. On est ici dans un domaine réglementaire. Annuler des contrats, cela n'a rien à voir avec délivrer un avis.
Monsieur ROBERT : Je suis d'accord sur la distinction faite entre le modèle et le contrat. Mais le pouvoir de saisine par des individus c'est une garantie qui s'applique à ces contrats types.
Monsieur le Président : Mais l'administration peut ne pas tenir compte de l'avis. Les clauses types peuvent changer.
Monsieur LATSCHA : C'est très difficile, dès lors que l'on touche à quelque chose d'essentiel. Il y a deux procédures : celle de l'article 35 se situe à un niveau très élevé : ce qui est abusif sera réputé non écrit ! L'article 37 est différent : il organise une simple procédure de recommandation. Alors, il me semble que ce dernier est réglementaire.
Monsieur le Président : Bien ! Je dois me rendre à l'Elysée à 17 heures. Voulez-vous que nous votions maintenant (assentiment) ou que nous reprenions à 18 h 30 (dénégations). Bien. Alors, il y a le projet "A" et le projet "B". On peut dissocier, sur l'article 36 la composition est réglementaire ? (assentiment). Bon. Sur l'article 37 qui est favorable à la thèse législative ? (Votent pour Messieurs ROBERT, FABRE et Madame LENOIR). Bien ! Qui est pour la compétence réglementaire (les autres conseillers se prononcent favorablement). Bon ! Alors Madame le Rapporteur, veuillez lire le projet "B".
(Madame LENOIR lit).
Qui est pour ce libellé ?
(Tous les conseillers votent pour, à l'exception de Monsieur ROBERT).
La séance est levée à 16 h 45.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.