SEANCE DU 13 JANVIER 1994
La séance est ouverte à 14 h 30.
Monsieur le Président : Bien ! C'est tout d'abord Monsieur VALAT.
Monsieur VALAT prend place à la table des rapporteurs adjoints.
Monsieur VALAT : Il me revient donc de rapporter à nouveau sur une demande de Monsieur ESTROSI qui, sous couvert d'une rectification d'erreur matérielle, cherche en fait à vous demander une sorte de révision de votre décision. Cette demande est radicalement irrecevable du fait de l'article 62 de la Constitution. Je dois indiquer toutefois, en dépit de ma vigilance, qu'une erreur matérielle figure dans la décision en ce qui concerne la date du versement à l'association "Les amis de Christian ESTROSI" d'une chèque du R.P.R. En effet, le versement a été effectué le 30 avril et non pas le 30 mars. Je vous prie d'excuser cette erreur. Toutes les autres conclusions de Monsieur ESTROSI tendent à revenir sur l'autorité de la chose jugée et ne sont donc pas recevables. Le projet qui vous est soumis est tout à fait classique.
Monsieur le Président : C'est tout de même bien dommage qu'il y ait eu une erreur même si elle n'a aucune importance pratique. Bien, Lisez,
(Monsieur VALAT lit le projet qui est adopté à l'unanimité. Il quitte la table des rapporteurs adjoints).
Monsieur le Président : Après la séance d'hier, nous avons tenu ce matin une séance de travail. Le projet reprend nos débats d'hier en tentant d'intégrer nombre des remarques qui ont été formulées. Compte tenu de ce nouvel éclairage, Monsieur ROBERT, je vous donne la parole.
Monsieur ROBERT : Oui ! Le groupe de travail est parvenu à un nouveau projet qui vous est distribué, l'essentiel étant l'amendement gouvernemental sur lequel il faut centrer la première partie, mais aussi notre réflexion de fond. En effet, la proposition la loi a un sens en dehors même de l'amendement. Aussi, je vous propose comme solution possible une censure de ce qui correspond à cet amendement. La nouvelle mouture est donc centrée sur la censure de l'article 2 et le problème de l'affectation de l'aide.
Monsieur le Président : J'ai souhaité que le groupe de travail fasse en sorte de "coller" autant que possible aux précédents. La censure de l'article 2 est évidente. L'article 4 pose un réel problème. Aussi ai-je choisi une neutralisante, le problème qui est posé au Conseil est celui de la dissociabilité ou non des dispositions du texte. Cela reste à débattre. On peut peut-être lire ?
(Il est procédé à la lecture du projet).
Monsieur FAURE : L'amortissement n'est pas lié à une durée précise. Faut-il le dire ?
Madame LENOIR : Ce n'est pas le sujet. On est en train de répondre, pour l'article 4 à une question qui n'est pas posée.
(Plusieurs conseillers protestent).
Monsieur ROBERT : La question est plutôt de savoir si l'organisme subventionné est ou non gestionnaire (il lit la variante).
Monsieur le Président : J'en reviens à la dissociabilité qui est la seule question qui n'ait pas été abordée hier.
Madame LENOIR : Ça me paraît dissociable. Après tout, ce sera cohérent avec le raisonnement sur la procédure.
Monsieur FAURE : Moi ça me paraît inutile de tout séparer. Ce qui va rester ne me paraît pas conforme à la volonté du législateur, qui "appelait" tout de même une disposition d'origine gouvernementale. Le texte de la loi serait plus rigoureux sur l'octroi de l'aide.
Monsieur le Président : Oh, ça sera sans doute pris pour une ironie de la part du Conseil constitutionnel contre le législateur, mais après tout, nous donnons raison au Gouvernement lorsqu'il plaide pour la valeur juridique de la proposition initiale. On neutralise l'apport que représente son amendement. Quant aux dispositions restantes, il faudra les appliquer. Elles ont un sens.
Monsieur ABADIE : Moi, je crois que la proposition de Monsieur BOURG-BROC est effectivement applicable "en l'état". Les articles 3 et 4 peuvent s'appliquer même si l'article 69 de la loi Falloux n'est pas abrogé. Je suis pour la dissociabilité.
Monsieur CABANNES : Je maintiens pour ma part que la censure ne s'impose nullement. On peut encadrer la totalité de ce texte pour en limiter la portée. Il est inutile de censurer la totalité ni même une partie du texte.
Monsieur le Président : Plus personne ne demande la parole ? Bien, alors votons sur le projet (le projet définitif sur l'article 2 est lu par Monsieur Robert).
Les conseillers votent pour le projet modifié dans le sens de la dissociabilité, à l'exception de Monsieur CABANNES.
Monsieur le Président : Bien, maintenant que cette affaire délicate a été résolue, je donne la parole à Monsieur FABRE.
Monsieur FABRE : Monsieur le Président, Madame, mes chers
Nous examinons successivement l'objectif, les modalités de cette loi, puis les griefs formulés et les réponses à y apporter.
Mais je vous propose de rappeler d'abord les termes de la loi du 11 décembre 1990 qu'elle même avait modifié le système précédemment en vigueur depuis les lois de 1833 et 1871.
La loi de 1990 avait introduit dans le code électoral deux innovations dont, du fait des mesures transitoires, le plein effet ne devait se produire qu'à partir de mars 1998 :
- Le renouvellement intégral tous les six ans des conseils généraux à compter de mars 1992 et par voie de corollaire l'élection du Président du conseil général aussitôt après ce renouvellement intégral pour une durée de six ans ;
- L'organisation concomitante, à compter de cette date, des élections cantonales et régionales, ces dernières devant avoir lieu le même jour que le premier tour de l'élection des conseillers généraux ;
Etait prévu à titre transitoire la modulation d'une part de la durée du mandat des conseillers généraux élus en 1985 et en 1994, d'autre part de la durée des fonctions des bureaux des Conseils généraux élus en 1992 et en 1994 de façon à obtenir à partir de mars 1998 un rythme parfaitement concomitant entre le renouvellement des conseils généraux et les renouvellements correspondants des conseils régionaux.
A l'époque, la réforme de 1990 avait été présentée par le Gouvernement comme une mesure d'ordre technique destinée à réduire l'abstentionnisme électoral moyennant la concomitance des deux élections concernées.
Toujours à l'époque, le Sénat s'était opposé à cette réforme.
1⁰ le Sénat contestait en premier lieu le postulat liant le taux d'abstention à la fréquence des consultations électorales. Monsieur SOURDILLE ajoutait qu'il était peu vraisemblable que le regroupement d'élections soit de nature à réduire l'abstentionnisme de façon significative. Il donnait l'exemple du 16 mars 1986 qui, en dépit du regroupement des élections législatives et des élections régionales, ne montrait qu'un taux de participation très légèrement supérieur au précédent scrutin.
2° Il contestait un regroupement à son avis inapproprié entre deux types de mandats, le mandat cantonal et le mandat régional, dont il disait qu'ils étaient essentiellement différents.
3° Le rapporteur M. Sourdille faisait valoir que le regroupement des élections générales et régionales s'opérerait dans des conditions susceptibles d'obscurcir les enjeux réels de la consultation puisque l'élection régionale à la représentation proportionnelle ne comporte qu'un tour tandis que l'élection cantonale au scrutin majoritaire est organisée en deux tours. En fait, derrière cet argument, se profile la crainte de la part des sénateurs que l'influence du scrutin régional ne conduise à plus ou moins long terme à la modification du mode de scrutin pour l'élection des conseillers généraux et que finalement le système de la proportionnelle finisse par être adopté pour les deux élections.
Rejeté par le Sénat ce texte avait cependant été adopté par l'Assemblée nationale et soumis à l'appréciation du Conseil constitutionnel qui a rendu la décision n° 90-280 DC du 6 décembre 1990. Cette loi n'a pas été déclarée contraire à la Constitution.
Abordons la loi du 11 décembre 1993 soumise à votre examen. La loi n'a pas pour objet de rétablir purement et simplement la situation antérieure à l'adoption de la loi de 1990. En effet, la loi ne revient pas sur le principe du regroupement des élections cantonales et régionales - elle l'étend au contraire aux élections municipales - mais elle apporte au code électoral les modifications nécessaires pour que sa mise en oeuvre soit compatible avec le retour à la règle du renouvellement par moitié des conseils généraux.
Il reste cependant que l'essentiel de la loi tient évidemment au retour à une règle qui est aussi ancienne que l'élection des conseils généraux elle-même puisqu'elle remonte d'une part à la loi du 21 juin 1833 et surtout au début de la même République à la loi célèbre du 10 août 1871.
Aux yeux du Gouvernement, le renouvellement triennal par moitié aurait l'avantage de garantir la stabilité des exécutifs départementaux que le renouvellement intégral pouvait compromettre. Il fait valoir qu'ainsi les conséquences des mouvements de l'opinion publique sont atténuées et que la continuité de la conduite des affaires du département est assurée. Enfin, il soutient que le renouvellement triennal permet à une partie de la population du département de s'exprimer tous les trois ans et non pas seulement tous les six ans et constitue à ce titre un facteur de resserrement des liens entre les électeurs et les élus. Enfin, et là est sans doute la principale préoccupation des auteurs du projet de loi, serait ainsi garantie la pérennité d'un mode de scrutin majoritaire dans le cadre cantonal.
Quant aux modalités proposées elles sont techniquement très simples :
l'article 1er redonne à l'article L. 192 du
- les autres articles du titre 1er, articles 2 à 6, en tirent les conséquences et modifient ou abrogent des dispositions qui deviennent sans objet ;
- quant au titre II, il rassemble des dispositions diverses et transitoires dont les plus importantes ont pour objet d'adapter au rétablissement du renouvellement triennal par moitié des conseils généraux les mécanismes permettant d'assurer la concomitance des élections locales. Désormais, le renouvellement d'une des deux séries de conseillers généraux aura lieu en même temps que les élections municipales et l'autre série sera renouvelée à la date où il sera procédé aux élections régionales. Pour enclencher ce que l'on peut qualifier "le regroupement alterné" la loi propose, en son article 8, de proroger d'un an le mandat des conseillers généraux qui seront élus en 1994 de manière à ce que leur renouvellement intervienne en 2001, année où seront tenues des élections municipales. Quant aux conseillers généraux de l'autre série, ils verront leur mandat expirer normalement en 1998 en même temps que celui des conseillers régionaux élus comme eux en 1992 et seront donc renouvelés en même temps qu'eux.
Selon les députés, auteurs de la saisine, l'ensemble des dispositions décrites ci-dessus méconnaît à la fois le droit de suffrage garanti par l'article 3 de la Constitution, le principe de libre administration des collectivités territoriales posé aux articles 34 et 72 et enfin le principe d'égalité, si bien que c'est l'intégralité de la loi déférée qu'ils demandent au Conseil constitutionnel de censurer.
Est-il utile que je vous rappelle les textes de référence ?
On rappellera en premier lieu qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution, "la loi fixe les règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires et des assemblées locales;" Evidemment, ce pouvoir du Parlement ne s'exerce que sous réserve des règles et des principes de valeur constitutionnelle. Mais dans cette limite, comme le rappelle souvent la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, le législateur est libre d'ajouter, modifier ou abroger les dispositions d'une loi antérieure pour peu qu'elles lui semblent inadaptée ou inutiles
Or, le législateur par la loi qui vous est soumise a décidé de revenir au système électoral en vigueur avant la loi de 1990, c'est à dire au renouvellement triennal par moitié des Conseils généraux. Sachant que le Conseil constitutionnel ne dispose pas
Je vous rappelle en premier lieu l'article 3 de la Constitution, dans son troisième alinéa rédigé de la façon suivante : "Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret".
En second lieu que l'article 72 de la Constitution dispose que "les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d'outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi". Le deuxième alinéa de ce même article énonce que "ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi."
Les députés saisissants contestent en premier lieu, l'article 8 dont on a vu qu'il allongeait d'une année le mandat des conseillers généraux élus en 1994 afin de faire coïncider le renouvellement de la série des cantons en cause avec les élections municipales qui se tiendront 6 ans après celle de 1995, c'est-à-dire en 2001.
La question posée par les saisissants est la suivante : l'allongement de la durée du mandat des conseillers généraux élus en 1994 d'un an qui repousse d'autant l'exercice du droit de suffrage par le corps électoral est-il contraire à l'article 3 de la Constitution précitée ?
Ils s'appuient, sur un considérant de votre décision en date du 6 décembre 1990 (cs 17).
Nous avions eu en effet à nous prononcer à cette date sur les dispositions transitoires qui étaient la conséquence de la volonté de faire concorder le renouvellement partiel des conseils généraux avec le renouvellement intégral des conseils régionaux. Ces dispositions transitoires avaient déjà pour effet soit d'allonger soit de raccourcir le mandat des conseillers. Vous aviez répondu à l'époque que les différences quant à la durée du mandat étaient limitées dans le temps et devaient se résorber à terme. Que ces conséquences étaient le résultat de la volonté de réforme du législateur et qu'enfin les différences de traitement qui en résultaient, trouvaient ainsi une justification dans des considération d'intérêt général en rapport avec l'objet de la loi.
Il est clair que le droit de suffrage exige entre autres conséquences que des élections aient lieu suivant une périodicité raisonnable. De même ce droit est impliqué par l'article 72 de la Constitution. Mais, mise à part cette exigence bien compréhensible s'agissant d'un pays démocratique, d'ailleurs consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme, qui veut que les électeurs soient appelés à exercer leur droit pour la désignation des conseils des collectivités locales, on ne peut pas considérer que l'allongement de la durée d'un mandat d'une période aussi limitée et seulement à titre transitoire constitue une violation de l'exercice du droit de suffrage. De même, on ne peut retenir le grief des saisissants qui consiste à soutenir que le renouvellement par moitié des conseils généraux restreint l'influence du choix des électeurs sur l'évolution et la composition des assemblées locales et sur le degré de stabilité de leurs organes exécutifs. Le principe de libre administration des collectivités locales qui est un principe constitutionnel exigeant que les organes délibérants soient élus par le suffrage universel n'est nullement remis en cause par l'objet de la loi.
Ainsi pas plus que le droit de suffrage, la libre administration des collectivités territoriales n'est remise en cause par la réforme voulue par le législateur. C'est ce que je vous proposerai de répondre sur ces deux points, comme nous l'avions fait en 1990.
L'argumentation des saisissants est plus complexe s'agissant du principe d'égalité car elle se développe selon trois formes :
1/ Ils avancent en premier lieu que le prolongement d'une année du mandat des conseillers généraux à élire en 1994 provoque des différences de situation injustifiées. Ils font valoir que la concomitance alternée entre les élections municipales et cantonales d'une part et les élections cantonales et régionales d'autre part crée de façon permanente des différences de situation au bénéfice de certains candidats aux élections cantonales sollicitant le renouvellement d'un mandat municipal. Ils soutiennent en effet que la concomitance avec les élections municipales avantagera considérablement, surtout en milieu rural, les candidats aux élections cantonales qui seront en même temps maires sortants et candidats tête de liste à leur réélection. Or cet effet de synergie avec les élections municipales ne joue pas entre élections cantonales et régionales compte tenu des tailles de circonscriptions et des modes de scrutin.
La rupture d'égalité serait encore accrue s'agissant des élections concernant les communes de plus de 3500 habitants du fait du système électoral qui leur est propre dit des "des listes bloquées". En revanche dans les communes de moins de 3500 habitants le système de panachage des listes diminue l'effet de synergie relevé plus haut.
2/ Deuxième argument : Ils soutiennent que les effets de la loi organique du 30 décembre 1985 tendant à la limitation du cumul
3/ Enfin troisième argument : ils font valoir que la loi déférée rompt l'égalité entre les catégories de collectivités territoriales au regard de l'application de l'article 72 précité de la Constitution, dans la mesure où les départements seront les seules collectivités territoriales dont les exécutifs ne seront pas renouvelés d'un seul coup.
Reprenons ces arguments un à un :
1/ L'égalité serait tout d'abord rompue entre les candidats des deux séries de conseils généraux.
Deux réponses, aboutissant à la même conclusion, peuvent être apportées selon le terrain sur lequel on se situe :
- En effet, on pourrait se situer dans le prolongement de la décision du 6 décembre 1990 du Conseil constitutionnel et dire qu'il n'y a pas atteinte au principe d'égalité. Dans son considérant 18 le Conseil avait, s'agissant du regroupement des élections aux conseils généraux et des élections aux conseils régionaux, considéré que c'était des élections distinctes. Que le choix opéré en faveur d'un regroupement dans le temps de ces consultations doit s'accompagner de modalités matérielles d'organisation destinées à éviter toute confusion dans l'esprit des électeurs. Et enfin que si la dualité de candidatures à ces élections est susceptible d'exercer une influence sur le libre choix des électeurs concernés par chaque consultation, elle n'est en rien contraire à la Constitution. En définitive, eu égard au modalités distinctes des deux consultations, le Conseil n'avait pas dit qu'il y avait rupture d'égalité entre les candidats. Il n'avait même pas dit que cette éventuelle rupture se justifierait eu égard à des situations différentes. Il y avait certes une influence sur le libre choix des électeurs, mais que ce n'était en rien contraire à la Constitution.
Si on se situait sur le même terrain que celui de 1990, on dirait que les élections cantonales et les élections municipales d'une part et les élections régionales et cantonales de l'autre sont des élections différentes. Qu'au surplus, elles obéissent à des règles de droit électoral différentes, les unes au scrutin proportionnel, les autres au scrutin majoritaire doublé de règles différentes s'agissant des élections municipales puisque le système des listes bloqués au dessus de 3500 habitants est différent de celui qui est applicable aux communes dont la population est inférieure.
On répondrait ainsi comme le soutient le gouvernement dans ses observations, qu'il n'y a atteinte ni à un principe ni à une règle de valeur constitutionnelle.
- Il me paraît préférable de retenir un autre terrain qui est effectivement celui du principe d'égalité. Rappeler en premier lieu comme nos considérants de principe le font systématiquement que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général dès lors que les différences de traitement qui en résultent sont en rapport avec l'objet de la loi.
Ce deuxième terrain semble meilleur dans la mesure où le regroupement des élections cantonales et municipales de façon alternée n'est pas de même nature que le regroupement des élections cantonales et régionales sur lesquelles le Conseil avait statué en 1990. Il est certain que l'influence et la prime aux candidats qui sollicitent les suffrages des électeurs dans le cadre des élections municipales, doublé du fait des règles différentes qui régissent les communes de plus ou moins 3500 habitants introduit une certaine inégalité entre les candidats. Vous répondrez alors si vous me suivez que si la loi introduit certaines différences entre les candidats, celles-ci n'apparaissent que comme la conséquence d'une réforme qui répond à la volonté du législateur d'assurer la mise en oeuvre des objectifs qu'il s'est fixé, en vous inspirant alors de la rédaction du considérant n° 17 de la décision de 1990.
2/ La rupture d'égalité eu égard aux effets de la loi sur le cumul des mandats :
En fait dans cette argumentation les saisissants remettent en cause les effets de la loi organique n° 85-1 405 du 30 décembre 1985 limitant le cumul des mandats électoraux et des fonctions électives par les parlementaires. Je rappelle que cette loi a été jugée constitutionnelle par le Conseil dans une décision n°85-205 du 28 décembre 1985.
Là encore on pourrait répondre radicalement en invoquant l'autorité de la chose jugée. Ou bien, répondre sur le même terrain que précédemment, c'est à dire sur celui du principe d'égalité. Comme les saisissants, on peut apercevoir une différence entre le candidat qui se présente simultanément à des élections cantonales et municipales organisées le même jour, si cette dernière concerne une commune de moins de 20 000 habitants ; mais pas si cette commune a plus de 20 000 habitants, sauf à démissionner de l'un des deux mandats. En fait, il y a bien une différence de traitement entre les candidats selon qu'ils se présentent dans une commune de plus ou moins vingt mille quant à l'obligation d'opter s'ils sont élus par ailleurs à une autre élection mais elle est voulue par la loi elle-même sur le cumul des mandats. Donc
3/ Enfin une rupture d'égalité invoquée entre les différentes catégories de collectivités locales :
Certes il existe une différence entre le régime électoral qui est applicable aux départements et celui qui est applicable aux autres collectivités territoriales de la République. Mais il n'existe pas, de principe d'égalité applicable entre des scrutins différents dès lors que chaque mode de scrutin respecte en tout état de cause le caractère universel, égal et secret du suffrage. Cette différence de traitement répond à une différence de situations existant entre les différents types de collectivités. Elle s'inscrit, d'ailleurs comme nous le rappelions au début de cet exposé, dans une longue tradition historique.
Au total, il me semble que sur ce point, comme sur les deux autres mentionnés précédemment, vous pourriez répondre sur le terrain du principe d'égalité qui admet des différences de traitement pour des collectivités placées dans des situations différentes.
Voilà j'en ai terminé avec cet exposé d' une loi qui revient sur celle de 1990, sans doute pour des raisons qui n'ont pas grand chose à voir avec la volonté de stabiliser les exécutifs départementaux mais qui ne m'apparaît pas inconstitutionnelle, à moins de penser que le régime sous lequel les collectivités territoriales ont vécu depuis plus de 120 ans était lui-même inconstitutionnel.
Monsieur le Président : Qui demande la parole ?
Après un bref débat, les conseillers font part de leur accord. Le texte est adopté à l'unanimité.
Monsieur le Président : Bien, il nous reste une affaire rapportée par Madame LENOIR.
Madame LENOIR : Concernant la "mosaïque" que représente le D.D.O.S., nous ne sommes saisis que des deux articles, et le premier soulève une difficulté constitutionnelle réelle.
L'ARTICLE 67
Cet article figurait dans le projet initial. Il a pour objet de valider les décisions prises par les caisses régionales d'assurance maladie en matière de tarification d'accidents du travail et de maladies professionnelles pour l'année 1989.
Avant d'examiner les moyens invoqués par les Sénateurs à l'encontre de cet article, il convient d'en préciser la portée et d'évoquer le contexte dans lequel s'inscrit la validation en cause.
I - LA PORTEE DE L'ARTICLE AU REGARD DU CONTEXTE QUI EN A MOTIVE L'ADOPTION
a) Le régime de tarification des accidents du travail et des
Ce régime est fixé par les dispositions des articles L. 241-5 du Code de la Sécurité Sociale et suivants. Il revêt un caractère original :
- D'abord, les cotisations ne sont dues que par les employeurs ;
- Ensuite, le taux de cotisation est déterminé pour chaque catégorie de risque, les risques étant classés dans chaque catégorie par chaque caisse régionale d'assurance maladie au titre de chaque établissement. Cette disposition a pour but de permettre de faire dépendre le taux de la cotisation de la fréquence et de l'importance des sinistres et ainsi d'inciter les employeurs à développer une politique de prévention des accidents du travail ;
- La dernière originalité de ce régime réside dans le principe de sa gestion autonome par rapport au régime de l'assurance maladie.
C'est ainsi gue l'article L. 221-1 du Code de la Sécurité Sociale donne pour rôle à la Caisse Nationale de la 1'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés "1°) d'assurer sur le plan national, en deux gestions distinctes, le financement, d'une part, des assurances maladie, maternité, invalidité, décès, et, d'autre part, des accidents du travail et maladies professionnelles et de maintenir l'équilibre financier de chacune ces gestions ;
2°) "De promouvoir la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles".
Le lien établi entre l'attitude de l'employeur face au risque accident du travail et le taux de cotisation qui lui est imposé chaque année est consacré dans l'arrêté interministériel d'application prévue par l'article L. 242-5 du Code de la Sécurité Sociale. Cet arrêté, en date du 1er octobre 1976, prévoit que "le taux net de cotisations applicable à chaque établissement est obtenu par addition de majorations à un taux brut, élément essentiel du dispositif, calculés d'après le rapport de la valeur du risque propre à l'établissement à la masse totale des salaires au cours des trois dernières années". L'une de ces majorations est plus particulièrement inégalitaire, pesant plus lourdement sur les entreprises qui connaissent davantage d'accidents du travail. Car cette législation vise à pénaliser les entreprises au sein desquelles la prévention est la moins bien assurée.
b) La pratique des caisses d'assurances maladies et les annulations contentieuses opérées par le Conseil d'Etat.
La fixation des taux par les caisses régionales d'assurance maladie en fonction de ces majorations résultant chaque année d'arrêtés interministériels, a fait l'objet de contestations.
* Ces contestations ont porté d'abord sur les arrêtés intervenus en 1987 pour fixer le montant des cotisations pour 1988.
Les groupements patronaux, auteurs des recours (le Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales et la Fédération Nationale du Bâtiment, ainsi que la Chambre Syndicale de la Construction de la Région Parisienne) ont obtenu satisfaction. Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 26 février 1992 (commentaire dans la Revue Droit Social n° 5 de mai 1992), a annulé les arrêtés ministériels en cause comme entachés d'une erreur manifeste d'appréciation.
Le Conseil d'Etat s'est inspiré du principe d'autonomie de gestion du risque des accidents du travail et maladies professionnelles. Il a considéré que la fixation des taux de cotisation par les arrêtés contestés n'en tenait pas compte, étant d'un montant trop élevé "eu égard à l'importance des excédents dégagés par la gestion du compte des accidents du travail et des maladies professionnels au cours des années antérieures".
Il ressort des conclusions de Commissaire du Gouvernement que le Conseil d'Etat a entendu censurer la constitution d'un véritable "trésor de guerre" accumulé depuis plusieurs années et représentant environ 20 % des dépenses prévisionnelles du compte pour 1988, cet excèdent étant vraisemblablement utilisé pour alimenter le compte de l'assurance maladie. Cette fongibilité entre les deux régimes d'assurance contredit, en effet, l'objectif même du régime du risque des accidents du travail qui est d'inciter les entreprises à développer des comportements préventifs. A la suite de cet arrêt du Conseil d'Etat, avait été introduit dans la loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d'ordre social, une disposition validant les décisions individuelles prises vis à vis des entreprises en matière de tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles pour 1988. Cette validation évitait le remboursement du trop perçu par le régime pour l'année considérée. Cependant la loi de 1993 instituait, par ailleurs, une compensation par le biais de la mise en place d'un abattement de 4 % sur les cotisations des entreprises appelées en 1993.
* La même situation se reproduisit pour les cotisations dues au titre de l'année 89. Un certain nombre d'organisations patronales (celles déjà citées et d'autres organisations comme la Fédération des Industries Mécaniques et Transformatrices des Métaux et la Chambre Syndicale des Constructeurs d'Automobiles) intentèrent un recours contre les arrêtés interministériels
C'est dans ce contexte que le gouvernement a décidé d'introduire dans le projet de loi sur la santé publique et la protection sociale qui nous est aujourd'hui déféré un article portant validation des décisions individuelles des caisses régionales d'assurance maladie en matière de tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles pour 1989.
Cette disposition comporte cependant une variante par rapport à celle introduite dans la loi DMOS précédemment évoquée. En effet, aucune compensation analogue à l'abattement, celui prévu dans la loi de 1993, ne figure dans le nouveau texte.
Le mémoire du secrétariat général du gouvernement explique les raisons de cette différence :
D'abord, cette disposition était juridiquement fragile dans la mesure où les entreprises ayant cotisé en 1988 ne sont pas les mêmes que celles qui auront à cotiser pour l'année 1994 ;
- Ensuite et surtout, cet abattement aurait eu pour effet d'accroître le déficit de la branche accidents du travail provoqué par l'abattement sur les cotisations de 1993 et qui s'est élevé au titre de cette dernière année à près de 500 000 000 francs (sur un total environ de 42 000 000 000 francs).
II - LA SAISINE DES SENATEURS
a) Les moyens de la saisine
A l'appui de leur saisine, les sénateurs invoquent trois moyens tirés d'une part, des dispositions de l'article 14 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 et, d'autre part, de votre jurisprudence en matière de validation législative.
* L'article 14 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, je le rappelle, pose le principe de "la nécessité de la contribution publique".
* Se référant à votre jurisprudence sur les validations, les sénateurs font en premier lieu observer qu'il n'y a pas de proportionnalité entre l'objectif d'intérêt général de toute validation qui est d'assurer la sécurité juridique et la mesure de validation en cause.
Pour eux, la réponse apportée
L'absence d'une telle mesure correctrice conduit, en second lieu, les Sénateurs à invoquer l'atteinte à l'intérêt général réalisée par la validation incriminée. En effet, celle-ci est contraire à l'objectif de prévention des accidents du travail qui est au fondement du mécanisme de calcul des taux des cotisations fixés par établissement. La fixation des taux a été soulignent-ils, inspirée en fait du souci de faire contribuer le régime "accidents du travail" au financement de l'assurance maladie.
b) L'argumentaire présenté par le gouvernement
En réponse aux moyens de la saisine, le gouvernement invoque les motifs ayant justifié la validation en cause. Son argumentaire tend à démontrer qu'elle répond à des nécessités d'intérêt général :
- d'une part, assurer le fonctionnement continu du service public ;
- d'autre part, maintenir l'équilibre financier des régimes sociaux.
* Sur le premier point, le gouvernement fait essentiellement valoir qu'aucune des solutions possible, en l'absence de validation n'était réellement envisageable :
1) Il reconnaît qu'en stricte application de la chose jugée, l'absence de validation devait conduire au remboursement des seules entreprises ayant contesté devant les juridictions les décisions relatives à leurs cotisations pour 1989. Ces entreprises sont au nombre de 40 et le trop perçu à leur rembourser se serait élevé, d'après le SGG, à 19,6 millions de frs. Toutefois, fait observer le mémoire du Secrétariat Général du Gouvernement, cette solution aurait été "politiquement difficile à mettre en oeuvre" et c'est pourquoi "il est apparu indispensable au gouvernement d'éviter une source majeure de contentieux avec les organisations patronales",
2) La deuxième solution aurait consisté, selon le SGG, à restituer le trop perçu auprès de toutes les entreprises (environ 1 500 000) ayant cotisé en 1989. Mais cette restitution avait entraîné des coûts prohibitifs et, de plus, était matériellement impossible :
- d'une part, les archives des Unions de Recouvrement ne sont conservées que trois ans ;
- d'autre part, pour les entreprises ayant disparu depuis 1989, la restitution est bien entendu exclue
- l'assiette des cotisations, enfin, plafonnée en 1989, ne l'est plus depuis le 1er janvier 1991, ce qui aurait rendu encore plus malaisé le calcul du trop perçu.
La fixation de nouveaux taux de majoration n'aurait pas manquer, fait valoir le mémoire du SGG, d'engendrer des contestations contentieuses.
* Le second motif d'intérêt général avancé par le gouvernement pour justifier la mesure de validation est d'ordre financier.
Le mémoire du SGG relève que l'abattement de 4 % sur les cotisations de 1993 a entraîné, et ce pour la première fois depuis plusieurs années, un déficit de la branche accidents du travail. Aussi un tel abattement n'était pas reconductible pour 1 994.
Avant d'examiner l'argumentation des saisissants au regard de celle développée par le SGG, il convient de rappeler les principes de votre jurisprudence en matière de validation législative.
III - EXAMEN DES MOYENS DE LA SAISINE
a) Les principes de votre jurisprudence en matière de validation législative.
Les validations conduisent le législateur à interférer dans le cours de la Justice. Aussi leur constitutionnalité n'a-t- elle pas paru d'emblée évidente à la doctrine.
Votre jurisprudence qui s'est affinée à l'occasion d'une succession de douze décisions rendue de 1978 à 1991, est maintenant relativement bien établie.
1 ) Vous avez admis la constitutionnalité des validations. La décision de principe est celle du 22 juillet 1980 sur la validation des décisions prises sur avis, proposition ou désignation du Conseil Supérieur des Universités dont le décret institutif avait fait l'objet d'une annulation contentieuse. Vous avez, dans cette décision, confirmé la faculté pour le législateur de procéder à des validations législatives, comme accessoire normal des compétence issues de l'article 34 de la Constitution. Le législateur dispose en effet du privilège de rétroactivité sauf en matière répressive.
2) Les mesures de validation, pour être conforme à la Constitution, eu égard au principe de la séparation des pouvoirs, doivent respecter deux conditions : d'une part, répondre à un motif d'intérêt général et, d'autre part, assurer le respect de l'autorité de la chose jugée. C'est ainsi que les mesures de validation prévoient en général expressément de réserver les "décisions de justice devenues définitives".
3) La validation ne peut viser les actes définitivement annulés ou déclarés illégaux par le juge. Elle ne peut porter que sur les actes, réglementaires, ou non réglementaires, pris sur leur base. La validation n'a d'ailleurs pour effet que de conférer une base légale a ces actes qui, pour le surplus, restent attaquables pour tout autre motif devant le juge.
En l'espèce, sont exclusivement mis en cause les motifs d'intérêt général ayant justifié la mesure de validation. Votre jurisprudence s'est peu à peu précisée quant à la nature de ces motifs.
* A l'origine, les validations législatives avaient surtout pour objet d'éviter de remettre en cause des mesures individuelles de promotion et de recrutement d'agents publics, dès lors que les actes au fondement de ces mesures avaient été déclarés illégaux par le juge. Le but était de préserver la stabilité des situations individuelles concernées. C'est ainsi que votre décision du 22 juillet 1980 se réfère à la sauvegarde du "fonctionnement continu du service public" et du "déroulement normal des carrières du personnel". (Dans le même sens, voir vos décisions en date du 19 juillet 1983, 24 juillet 1985 et 26 juin 1987) .
* Puis à partir de 1986, l'habitude a été prise par le législateur d'introduire des dispositions de validation dans les lois en matière économique et financière. Ces validations sont le plus souvent présentées comme ayant valeur de lois interprétatives de la doctrine fiscale de l'administration, lorsque celle-ci a été mise à mal par le juge à la suite d'annulations contentieuses. Pour éviter le remboursement des sommes dues en exécution de ces décisions de justice, l'administration fait régulièrement adopter par le législateur des dispositions de validation. Vous en avez admis la constitutionnalité dans votre décision de principe en date du 29 décembre 1986. Le considérant n° 7 de cette décision (Par ailleurs critiquée par la doctrine, dans la Semaine Juridique de 1987, sous la plume du Prof NGUYEN QUOC DINH) relève que "le législateur, en précisant avec effet rétroactif la portée de certaines dispositions de la loi fiscale, a entendu éviter que ne se développent des contestations dont l'aboutissement aurait pu entraîner, soit pour l'Etat, soit pour les collectivités territoriales, des conséquences dommageables". En l'occurrence, le but était de préserver les finances locales, s'agissant d'impositions directes locales. L'enjeu budgétaire s'élevait, selon les affirmations du gouvernement pendant les débats
b) Examen de la saisine
La jurisprudence dégagée par les décisions de principe du 22 juillet 1980 et du 29 décembre 1986 est applicable en 1'espèce.
Elle doit, à mon sens, conduire sans hésitation à la censure de la mesure de validation critiquée.
* Reprenons l'argumentaire du gouvernement. Celui-ci admet qu'en droit strict l'arrêt du Conseil d'Etat lui imposait seulement de restituer le trop perçu auprès des entreprises ayant contesté leur taux de cotisations pour 1989, à savoir : 40 entreprises dont le trop perçu s'élève, d'après le mémoire du SGG, à 19,6 millions de francs. La restitution de cette somme ne soulève pas au demeurant de difficultés insurmontables ainsi qu'il ressort de la lettre adressée en 1992 par le Président de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat au Ministre des Affaires Sociales.
C'est uniquement parce que cette restitution très partielle lui est apparue "politiquement difficile à faire admettre par les organisations patronales", que le gouvernement a invoqué devant le Parlement et maintenant devant nous l'équilibre financier des régimes sociaux. Mais cette restitution globale en faveur du 1,5 millions d'entreprises ayant cotisé en 1989 n'est absolument pas induite par la décision du Conseil d'Etat de 1993. Elle relèverait de la pure volonté politique du gouvernement.
Dans ces conditions, on peut s'interroger sur la nécessité de la validation incriminée au regard du principe qu'elle met en cause, à savoir la séparation des pouvoirs. Considérer ici qu'elle répond à un impératif d'intérêt général reviendrait à admettre sans limitation toutes les validations. Il suffirait que l'administration fasse valoir sa gène à reconnaître qu'elle a mal agi ou qu'elle s'est trompée, sans que l'absence de validation entraîne par elle-même un véritable trouble dans le fonctionnement du service public.
Ce serait, à mon sens, aller beaucoup trop loin, et surtout, courir le risque de voir à tout propos remettre en cause la stabilité des situations que le droit des validations a au contraire pour objet d'assurer.
Le nombre des validations augmente considérablement d'année en année, dans les domaines les plus divers. Les limites de leur extension me parait opportun (voir la loi sur l'urbanisme et la construction).
* J’ajoute que le Conseil d'Etat, dans son avis sur le projet de loi ayant donné lieu au texte déféré avait disjoint l'article 67 (alors article 35), considérant qu' "aucun risque de trouble grave dans le service public ne justifie... la validation proposée". Le Conseil d'Etat confirmait sur ce point la position déjà prise par lui vis-à-vis de la mesure de validation proposée en 1992 dans le cadre du projet de loi portant DMOS évoqué plus haut. Pour être exhaustive, je signale que dans sa lettre du 27 novembre 1992 au Ministre des Affaires Sociales sur les modalités d'exécution de la décision du Conseil d'Etat du 26 février 1992, le Président de la section du rapport et des études avait estimé que la mesure alors envisagée ne remplissait pas "les conditions constitutionnelles d'intervention d'une loi de validation".
Je propose donc de censurer l'article 67, au motif que la mesure de validation, eu égard au caractère très limité de la rectification à opérer en application de l'arrêt du Conseil d'Etat, ne répond pas au critère d'intérêt général exigé par votre jurisprudence au fil des 12 décisions prises en la matière.
Monsieur le Président : Qu'en pense le Conseil ?
Monsieur ROBERT : Une fois encore nous voyons revenir le procédé de la validation législative. Il constitue une atteinte à la séparation des pouvoirs qui, sur le principe me choque. Certes le Parlement est souverain Et il faut qu'il puisse revenir sur une imperfection juridique. C'est de son droit. Mais il faut bien mesurer les conséquences de tout cela. Lorsqu'on est confronté par exemple à l'annulation d'un concours, on ne peut pas faire autrement que de valider la liste. Il n'y a pas d'autre solution. Mais en dehors de ce cas, je crois qu'il faut mettre un frein à des procédés qui ne sont guère conformes à la séparation des pouvoirs.
Monsieur ABADIE : Je relève que le Secrétariat général du Gouvernement dit qu'il n'est plus possible d'opposer une fin de non recevoir aux entreprises qui demanderaient le remboursement. Il s'agit d'un nombre très important d'entreprises. Or, les archives n'existent plus. Il n'y a plus de base pour les cotisations, mais les entreprises pourraient réclamer le remboursement. Certaines entreprises ont déjà intenté des recours. Vous vous rendez compte de l'incidence de notre décision ? Soit toutes les entreprises seraient remboursées, et alors ce contentieux juridique va durer des années, soit on ne remboursera que celles qui ont déjà fait une demande et alors il y a une rupture très nette du principe d'égalité devant l'impôt, certaines seront remboursées et d'autres non.
Madame LENOIR : L'argument du Secrétariat général du Gouvernement est un faux semblant. Ou alors il n'y a plus de juridiction constitutionnelle. Si les incidences de notre décision doivent seules être prises en compte, et qu'on juge en fonction du fait que cela embarrasse l'administration, on ne fait plus du droit. Et le Secrétariat général du Gouvernement envisage la solution
Monsieur LATSCHA : Cette situation est agaçante et surtout en matière fiscale. Jusqu'à présent nous nous sommes fondés sur trois types d'éléments. D'abord les règles spécifiques applicables en matière pénale. Le juge répressif est dans une situation spécifique en matière de rétroactivité pour les lois plus douces ou plus sévères. Ensuite le respect de la séparation des pouvoirs qui se manifeste par la nécessité de ne pas revenir sur des décisions passées en force de chose jugée. Enfin, nous tenons toujours compte de l'intérêt général qui est apprécié par le Parlement. Ce n'est pas à nous à intervenir à la matière, sauf si le Parlement n'a pas tenu compte de l'intérêt général, ce qui serait très grave. Or, en l'espèce, il en tient compte. Par conséquent, je ne suis pas le rapporteur.
Monsieur CABANNES : Oui, je suis d'accord avec ce que M. LATSCHA vient de dire. Nous nous substituerions à l'appréciation du Parlement si nous censurions.
Monsieur FAURE : Je suis aussi d'accord.
Monsieur le Président : Je voudrais d'abord constater qu'en matière de concours, le législateur valide toujours sous réserve de l'autorité de chose jugée. Je voudrais ensuite observer que jamais le Conseil constitutionnel n'a censuré une validation législative. Il faudrait que l'on dise que le Parlement a méconnu l'intérêt général, bref qu'il y ait quelque chose d'éclatant, de manifeste. Or, ici ce n'est certainement pas le cas. Je veux bien que l'on inverse la jurisprudence, mais, franchement, ce n'est pas la bonne occasion. Le cas n'est pas suffisamment net. Donc je ne vous suivrai pas. Nous devons en rester ici à notre jurisprudence.
Madame LENOIR : Je suis inquiète de la décision vers laquelle le Conseil se dirige. En effet, des règles du jeu ont été fixées et on en a changé en cours de route. Si le Conseil ne censure pas, il entérinera l'injustice ainsi commise. C'est le principe même de l'application d'une décision de justice qui est en cause. Il n'y aurait aucune difficulté à appliquer la décision du juge.
Monsieur le Président : Le problème c'est qu'il manque un temps dans votre raisonnement. En effet, c'est le législateur qui couvre cela. C'est à lui et non à vous que votre remarque peut être appliquée.
Madame LENOIR : Je dis simplement que si le législateur est bien maître de définir l'intérêt général, la validation en l'espèce porte atteinte à des principes fondamentaux.
Monsieur le Président : Mais je ne vois pas quel est le principe constitutionnel en cause Je souhaiterais que vous me le citiez. Et s'il n'y a pas, je ne vois pourquoi nous sortirions de notre jurisprudence classique. Bien, je crois que tous les arguments
(Madame Lenoir vote pour, les autres conseillers votent contre).
(Le procès verba contient des annexes)
La séance est suspendue à 12 h 30. Elle est reprise à 12 h 50.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.