SEANCE DU 7 JUILLET 1994
La séance est ouverte à 10 h 15 en présence de tous les conseillers.
Monsieur le Président : Bon, eh bien c'est à vous Monsieur le Ministre d'Etat.
Monsieur FAURE : Merci Monsieur le Président. Je ferai remarquer en premier lieu que les saisissants n'ont pas fait preuve de la plus parfaite bonne foi. En effet, les signataires du recours avaient voté ce texte mais Monsieur MILLAUD les a sensibilisés par la suite à un problème relatif au territoire d'outre-mer et en particulier au Territoire de la Polynésie française. La question qui était posée -à savoir celle de la procédure de consultation des assemblées territoriales au titre de l'article 74 de la Constitution- m'a été gentiment renvoyée hier par Monsieur RUDLOFF. Il nous appartient donc de la régler aujourd'hui.
Nous avons donc été saisis le 28 juin 1994 par le groupe centriste du Sénat de la loi relative aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution.
Le fond même de la loi ne fait l'objet d'aucune critique de la part des sénateurs mais ils mettent en cause la procédure par laquelle cette loi, qui s'applique aux territoires d'outre-mer, a été adoptée. On va retrouver, comme hier, et avec les mêmes questions, le problème de l'application de l'article 74 de la Constitution.
La différence entre hier et aujourd'hui réside dans le fait que le problème n'était pas soulevé à propos de la saisine sur les municipales alors que les défenseurs de la Polynésie française, dont M. Millaud, en font le point névralgique de la leur. Aussi je vous proposerai de préciser les conditions de mise en oeuvre de cet article en tranchant délibérément et clairement cette question.
I. L'objet de la loi déférée :
A/ Contexte général :
L'objet de la loi déférée découle d'un constat : l'absence de cadre juridique législatif en matière de mesures coercitives effectuées par les bâtiments de l'Etat à l'encontre des navires en infraction aux conventions internationales ou aux lois françaises. Son objectif est donc de clarifier les conditions de recours à de telles mesures.
En effet depuis une vingtaine d'années, les compétences de l'Etat en mer se sont radicalement transformées suivant en cela l'évolution générale du droit de la mer.
En premier lieu la souveraineté de l'Etat s'est étendue géographiquement en passant pour la mer territoriale de 3 à 12 milles nautiques (1971). La zone économique s'étend sur 200 milles (1976). En deuxième lieu les droits reconnus à l'Etat par le droit international sont définis de façon beaucoup plus précise. Enfin en troisième lieu, les devoirs de l'Etat se sont accrus, que ce soit en matière de protection de l'environnement marin, de gestion des ressources halieutiques ou du sol et du sous-sol de la mer, ou en matière de sécurité de la navigation maritime.
En France, les compétences des administrations de l'Etat au regard de la mer, se sont développées de telle manière que de très nombreux intervenants sont mobilisés pour l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle. Pour n'en citer que quelques unes, il y a la marine nationale, la gendarmerie maritime, les affaires maritimes pour la surveillance de la pêche, les douanes, etc. Ce n'est qu'à partir du décret de mars 1978 (après la catastrophe de l'Amoco Cadiz) que les Préfets maritimes ont été investis d'une responsabilité générale en ce qui concerne la défense des droits souverains et des intérêts de la Nation, le maintien de l'ordre public et la sauvegarde des personnes et des biens. Ils assurent donc une fonction de coordination des diverses administrations.
Les administrations concernées doivent faire face à plusieurs missions : elles doivent assurer la sécurité de la voie maritime, surveiller et protéger les frontières maritimes, assurer la conservation des ressources halieutiques et réglementer la pêche, protéger le milieu marin contre les risques de pollution, etc.
La difficulté de ces missions et la disparité des intervenants appelés à les exercer sont aggravées par la combinaison des règles nationales et internationales à faire respecter. En effet, ce sont des règles de droit international à travers la Convention de Genève et celle de Montego Bay (signée en 1982 et qui entrera en vigueur en novembre 1994) qui s'appliquent en certaines matières, de telle sorte que les pouvoirs de police s'exercent différemment selon l'espace maritime et la nationalité des navires en cause. Par exemple le régime de la haute-mer précisé par la Convention signée en 1982, si elle fait une large place au principe de liberté ne fait pas moins obligation aux Etats de sanctionner les comportements les plus intolérables, comme le transport d'esclaves, la piraterie ou le trafic de stupéfiants.
Autre exemple : si l'on prend la pratique de la pêche qui a fait l'objet d'une réglementation contraignante tendant à la conservation des ressources, on trouvera un concentré de règles internationale, communautaire et nationale qui vont de l'accès aux zones de pêche, aux maillages des filets en passant par la taille et la quantité des poissons pris.
Dès lors, ainsi que nous le disions au tout début, la loi qui vous est soumise a pour objet de fixer les procédures
- Considération de fait, parce que depuis 1984 date à laquelle la marine nationale a tiré après sommations en direction de chalutiers espagnols, jusqu'en 1993 date à laquelle des chalutiers italiens ont été arraisonnés pour pêche illicite de corail au large de la Corse, les incidents mettant en cause l'ordre public en mer n'ont pas cessé: "Guerre de l'anchois" entre basques et français, "guerre du thon" entre français et espagnols en 1992 au large de l'Irlande, etc.
- Considération de droit, parce que le seul texte régissant, à ce jour, l'usage de la force en mer est une instruction du Premier ministre en date du 20 juin 1989 qui remplace celle d'octobre 1982. C'est sur son fondement qu'est intervenu le tir de 1984. On soulignera en premier lieu que cette instruction est limitée à la pêche ; qu'en second lieu, elle n'est pas publiée et qu'en troisième lieu, on peut douter de son caractère légal... A l'exception de cette instruction, aucun texte législatif ne détermine les possibilité d'action des agents chargés de faire respecter l'ordre en mer en cas de refus d'obtempérer d'un navire en infraction.
B/ L'objectif de la loi :
Le texte qui vous est soumis a donc précisément pour objet de combler les lacunes juridiques qu'on vient d'évoquer en :
- définissant les moyens susceptibles d'être utilisés par les administrations de l'Etat, en conformité avec le droit international, pour faire respecter le droit souverain,
- et en encadrant précisément les actions des agents de l'Etat chargés de la police en mer.
L'habilitation :
L'article premier de cette loi confère aux commandants des bâtiments de l'Etat et les commandants de bord des aéronefs, chargés de la surveillance en mer, sont habilités, pour assurer le respect des dispositions qui s'appliquent en mer en vertu du droit international ainsi que des lois et règlements de la République, à exercer et à faire exécuter les mesures de contrôle et de coercition prévues par le droit international, la législation et la réglementation française.
Les mesures :
La loi a le mérite de fixer les conditions de mise en oeuvre des différentes mesures qu'on peut appliquer pour faire respecter la
Le champ d'application :
Aux termes de l'énoncé de la loi comme de l'exposé des motifs, tous les domaines d'activités en mer sont concernés. Par ailleurs, aux termes de son article 2, la loi s'applique aux navires français dans tous les espaces maritimes sous réserve des compétences reconnues aux Etats par le droit international et aux navires étrangers dans les espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française ainsi qu'en haute mer conformément au droit international.
La loi ne s'applique pas aux navires de guerre.
II. Le grief des requérants portant sur le défaut de consultation en temps utile :
Les griefs des requérants ne portent pas sur le fond de la loi mais sur sa procédure d'adoption.
En effet, le groupe centriste du Sénat rappelle les termes de l'article 74 de la Constitution dans sa rédaction issue de la réforme constitutionnelle du 25 juin 1992 et particulièrement ses premier et troisième alinéas :
"Les territoires d'outre-mer de la République ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République..."
Le second alinéa qui est, comme vous le savez, le résultat de l'amendement Leontieff, dispose que les statuts des TOM sont fixés par des lois organiques qui définissent notamment les compétences après consultation de l'assemblée intéressée. Enfin le troisième alinéa dispose que les autres modalités de leur organisation particulière sont définies et modifiées par la loi après consultation de l'assemblée.
- D'une part, ils montrent que la consultation de l'assemblée territoriale a été fait tardivement et qu'aux termes de votre jurisprudence, cette tardiveté vicie la procédure d'adoption de la loi et la rend inconstitutionnelle.
- D'autre part, ils tentent de démontrer que la consultation de l'assemblée territoriale était obligatoire.
Sur le premier point : il ne fait guère de doute que l'argumentation des requérants est fondée. En effet, selon votre jurisprudence issue de la décision du 8 août 1985 (n° 85-196 DC ) relative à la loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie, il résulte que "l'avis émis en temps utile par l'assemblée territoriale, consultée avec un préavis suffisant, doit être porté à la connaissance des parlementaires, pour lesquels il constitue un élément d'appréciation nécessaire, AVANT l'adoption en première lecture de la loi par l'assemblée dont ils font partie..."
Dans le cas d'espèce, il est constant que le Haut-commissaire de la République en Polynésie a saisi le Président de l'assemblée territoriale le 27 mai 1994 du projet de loi alors que celui-ci avait été voté en première lecture à l'Assemblée nationale le 3 mai. Comme vous le dites dans votre décision de 1985, le fait que cet avis, négatif d'ailleurs, et sur lequel nous reviendrons ait été transmis, aussitôt recueilli, aux parlementaires ne peut pas avoir eu pour effet de régulariser la procédure dès lors que vous avez affirmé qu'il constituait un élément d'appréciation nécessaire qui devait être porté à leur connaissance en temps utile, avant l'adoption en première lecture.
D'ailleurs la consultation du Congrès du territoire de Nouvelle- Calédonie et des îles de Wallis et Futuna a été effectuée en temps utile puisque ces territoires ont été saisis le sept avril 1994 par le Haut Commissaire. La Nouvelle-Calédonie a rendu un avis favorable le 21 avril. Quant à l'assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna elle a rendu un avis favorable seulement le 3 mai mais ayant été saisie dans les délais, son avis est réputé avoir été rendu le 25 avril.
La question qui se pose est la suivante : pourquoi la Polynésie française n'a-t-elle pas été saisie en même temps que les autres territoires ? J'ai posé la question aux représentants du Gouvernement au cours de la rencontre assez misérable d'ailleurs que nous avons eue. Ils m'ont répondu que la demande de saisine avait bien été adressée au Haut commissaire par télécopie le premier avril mais qu'elle n'était jamais parvenue. C'est donc seulement le 27 mai que la saisine de l'assemblée a été réitérée.
Monsieur le Président : C'est vraiment un très mauvais argument dont se sert le Gouvernement. C'est quand même à l'expéditeur de
Monsieur FAURE : C'est ce qu'ils soutiennent en tout cas. Enfin pour être complet sur ce sujet, on attirera l'attention sur le fait que la Nouvelle-Calédonie, comme les îles Wallis et Futuna ont émis un avis favorable au projet de loi relatif aux modalités de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer.
Il vous reste donc à examiner une question : la procédure de consultation des assemblées des territoires étaient-elles constitutionnellement obligatoire ? Si elle ne l'était pas, quelles sont les conséquences à en tirer ?
La jurisprudence administrative retient le fait que si une autorité a décidé de se soumettre à une procédure de consultation facultative, elle ne pourra pas a posteriori, se soustraire à la censure du juge en faisant valoir qu'elle aurait pu prendre la décision sans recourir à ladite procédure. En somme, il faut qu'une autorité administrative joue correctement le jeu dans lequel elle entre librement. (CE. Ass. 22 juin 1963, Albert, et Ass. 9 décembre 1966 Berland). Une nuance est apportée parfois, affirmant que l'irrégularité de la procédure suivie n'entraîne l'irrégularité de la décision que si elle a en fait exercé une influence sur la décision prise. (CE, section, 19 mars 1 976, Bonnebaigt).
Reste qu'une telle jurisprudence n'est pas transposable à mon avis car nous n'avons pas affaire à une administration qui prend une décision mais au législateur lui-même qui n'est tenu qu'au respect des exigences constitutionnelles. Dès lors, si constitutionnellement la consultation des assemblées territoriales n'est pas exigible, sa méconnaissance, quelle que soit la forme qu'elle revêt, serait inopérante au regard de la constitutionnalité de la loi.
C'est bien le dernier point que nous avons à examiner : la consultation était-elle obligatoire ?
III. La consultation était-elle obligatoire ?
A/ L'argumentation des requérants :
C'est en tout cas ce que soutiennent les sénateurs !
En effet ils font valoir que le statut de la Polynésie du 6 septembre 1984 modifié en 1990 et encore tout récemment en ce qui concerne les compétences en matière de service public pénitentiaire, reconnaît aux termes de son article 2 une compétence de droit commun au territoire. Cette compétence de droit commun inclut par exemple la matière fiscale et douanière. L'Etat n'est compétent aux termes de l'article 3 que pour les matières qui y sont énumérées. Bref l'Etat dispose d'une compétence d'attribution.
Enfin ils font valoir que la décision du 25 juillet 1991 des communautés européennes relative aux TOM permet de considérer comme originaire de ces territoires les produits tirés de leurs mers et donc aussi de son usufruit. C'est la raison pour laquelle ils veulent être rendus destinataires du bénéfice des amendes et saisies effectuées sur les navires en infraction.
B/ Les réponses possibles :
Répondre à la question de l'obligation de la consultation, c'est aborder de nouveau comme hier la portée de l'article 74 de la Constitution et notamment de son premier alinéa.
En effet, dans les territoires d'outre-mer, s'applique le principe de spécialité législative dont l'origine remonte à l'ancien régime (Lettre royales de 1744 et de 1746) et se trouve encore confirmé par le Sénatus consulte du 3 mai 1854. La justification profonde du principe de spécialité législative repose sur la nécessité "de tenir compte des particularités insulaires de ces territoires, de leur dispersion sur de grandes étendues, de leur faible densité démographique et des difficultés de communication..." Je ne fais que citer là un extrait de votre considérant 2 de la décision 80-122 DC portant sur la loi rendant applicables le code de procédure pénale dans les TOM.
Quel est donc le contenu de ce principe de spécialité ? Sur cette question, l'ensemble des commentateurs ainsi que la jurisprudence du Conseil d'Etat sont d'accord pour dire qu'il emporte deux éléments :
- La loi métropolitaine ne s'applique pas de plein droit outre-mer.
- Elle ne s'y applique qu'à la double condition d'avoir fait l'objet d'une extension spéciale et d'y avoir été localement promulguée.
Le principe de spécialité a été implicitement maintenu dans la Constitution de la Vème République dès lors qu'aux termes de l'article 76 de la Constitution "les TOM peuvent garder leur statut au sein de la République". En outre, l'article 74 dit explicitement que les TOM ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République.
Ainsi le fait que nous ayons un article 11 dans la loi qui vous est soumise, article d'extension aux TOM et à Mayotte est
Les textes qui s'appliquent de plein droit aux TOM ont été définis par la jurisprudence du Conseil d'Etat et celle de la Cour de Cassation. Il s'agit:
-des lois constitutionnelles
-des textes régissant l'activité des juridictions suprêmes
-des principes généraux du droit.
Quant aux conventions internationales, elles définissent elle- mêmes leur champ d'application. Par ailleurs le Conseil constitutionnel a jugé le 30 juin 1993 que la loi de ratification était une loi ordinaire qui en l'espèce avait été précédée d'une consultation des territoires.
. Il semble bien d'ailleurs que telle ait été la solution envisagée initialement par le Gouvernement, solution mentionnée dans le rapport du Sénat (n° 488, p. 46). La question de l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer pouvant apparaître comme une prérogative de souveraineté.
Reste cependant une question : dans quelle mesure le principe de spécialité est-il nécessairement corrélé à l'exigence de consultation ?
On peut à cet égard soutenir deux positions :
1 / On peut partir d'une lecture stricte de l'article 74 de la Constitution, d'autant plus que la réforme constitutionnelle du 25 juin 1992 a renforcé la garantie accordée aux statuts et aux compétences des TOM en exigeant des textes qui les concernent qu'ils revêtent le caractère de lois organiques. Je rappellerai encore une fois que cet article range bien évidement les statuts et les compétences au rang de l'organisation particulière et que le troisième alinéa dudit article dispose "que les autres modalités de leur organisation particulière sont définies et modifiés dans la même forme, après consultation de l'assemblée territoriale intéressée".
On peut donc déduire de cet article qu'il y a deux sortes de textes qui concernent les TOM, ceux qui revêtent le caractère de loi organique et ceux qui revêtent le caractère de loi ordinaire. Mais on fera remarquer que dans l'un et l'autre cas, la consultation de l'assemblée territoriale est exigée. On pourrait donc soutenir comme le fait B. Genevois dans son ouvrage
1.Les textes qui s'appliquent de plein droit aux TOM ont été définis par la jurisprudence du Conseil d'Etat et celle de la Cour de Cassation. IL s'agit:
-des lois constitutionnelles
-des textes régissant l'activité des juridictions suprêmes
-des principes généraux du droit.
Quant aux conventions internationales, elles définissent elle- mêmes leur champ d'application. Par ailleurs le Conseil constitutionnel a jugé le 30 juin 1993 que la loi de ratification était une loi ordinaire qui en l'espèce avait été précédée d'une consultation des territoires.
2. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, principe directeur, STH, pages 316 et 317.
La solution serait alors tout à fait claire : ou bien on est dans le cadre d'une loi qui s'applique de plein droit aux TOM et alors il n'y a ni article d'extension ni consultation ; ou bien on est dans le cadre de la spécialité et il faut, et l'article et la consultation.
Dans le sens de cette solution on citera la décision n° 84-169 DC du 28 février 1984 portant sur la loi relative à la prévention et au règlement amiable des entreprises en difficulté qui ne comportait aucune disposition spécifique aux territoires d'outre-mer mais seulement un article d'extension. Le Conseil a censuré cet article en raison de la communication tardive des avis émis aux assemblées territoriales.
2/ La seconde position partirait d'une lecture différente de l'article 74 qui consisterait à lire son premier alinéa comme s'il y avait "peuvent avoir une organisation particulière". Ainsi on distinguerait entre les modalités d'organisation particulières des territoires et les modalités d'organisation normales qui ne présenteraient pas de spécificité par rapport aux territoires de la métropole. Dans ce sens, on citera la décision n° 87-241 DC du 19 janvier 1988 relative à la loi portant statut du territoire de la Nouvelle Calédonie. En effet le considérant 6 est très clair : "le législateur, compétent pour fixer l'organisation particulière de chacun des territoires d'outre-mer en tenant compte de ses intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République, PEUT PREVOIR, pour l'un d'entre eux, des règles d'organisation répondant à sa situation spécifique".
Ainsi, a contrario, les lois qui s'appliquent aux TOM et qui ne touchent en rien aux modalités d'organisation particulière des territoires seraient dispensés de consultation préalable.
- Dans ce sens, on citera aussi la décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet 1980 relative à la loi rendant applicable le code de procédure pénale dans les TOM. Dans cette décision, le Conseil a relevé certaines dispositions spécifiques du code de procédure pénale applicables aux TOM et a conclu que "cette loi, qui établit pour la justice pénale dans les territoires d'outre-mer une organisation spécifique tenant compte des conditions propres à chacun d'eux, constitue un élément de l'organisation particulière de ces territoires et aurait dû, en application de l'article 74 de la Constitution être précédé d'une consultation des assemblées intéressées".
- De la même façon vous avez écrit, dans la décision 81-129 DC des 30 et 31 octobre 1981 relative à la loi portant dérogation au monopole de la radiodiffusion, "par son objet, la
- On pourrait citer encore de nombreux exemples (sur l'exploration et l'exploitation des ressources minérales des grands fonds marins, n° 81-131 DC) jusqu'au dernier en date, celui de la décision relative au code de la nationalité (20 juillet 1993) dans laquelle vous avez censuré une disposition qui ramenait Wallis-et-Futuna au droit commun alors que ce territoire avait des dispositions spécifiques.
C/ Un considérant de principe :
Le Conseil constitutionnel a semblé flotter à certains moments entre les deux positions, l'une maximaliste qui implique une consultation systématique dès lors que les lois métropolitaines s'appliquent aux TOM, l'autre restrictive qui implique que la consultation n'ait lieu que lorsque les dispositions législatives touchent l'organisation particulière. Cette hésitation est même la raison pour laquelle le Gouvernement a la tentation de consulter systématiquement les assemblées territoriales. On en voudra pour preuve que les documents qui nous ont été fournis par le SGG pour ce dossier nous ont révélé que l'assemblée de Nouvelle-Calédonie avait été consultée sur le déplacement des élections municipales en juin.
Enfin pour nous assurer complètement, on se référera à la position adoptée au Conseil d'Etat sur cette question qui figure clairement exprimée dans le Rapport public 1993 :
"Une loi portant sur une matière de la compétence de l'Etat, tel que le droit électoral, et qui ne modifie ni n'introduit aucune disposition spécifique aux territoires d'outre-mer peut être rendue applicable dans ces territoires sans consultation de leurs assemblées. C'est seulement si le texte rendu applicable outre-mer y introduit ou y supprime des dispositions particulières que la consultation de l'assemblée territoriale est requise" (p. 144).
A quelques nuances près qui tiennent à la formulation, je vous proposerai de trancher le problème pendant, en adoptant un considérant de principe sur cette question inspirée des termes du Conseil d'Etat.
Si vous me suivez, il restera alors encore une question à examiner dans le cas d'espèce : la loi qui vous est déférée porte-t-elle sur une matière de la compétence de l'Etat et introduit-elle ou supprime-t-elle une modalité d'organisation particulière du territoire.
D/ Compétence de l'Etat et modalité d'organisation particulière ?
Comme le dit le rapport de l'Assemblée nationale, le texte qui vous est soumis a été renvoyé à la Commission de la défense et des forces armées et il vise des missions de surveillance générale et de contrôle des activités maritimes. Il revêt un double caractère de police administrative et de police judiciaire. Cette mission s'exerce en mer et les mesures de contrôle, comme on l'a vu, sont étroitement inspirées de stipulations de conventions internationales. Enfin, je rappelle que la marine nationale et la gendarmerie sont mobilisées pour faire respecter les règles internationales et nationales.
Tout semble apparenter ce texte de loi à un texte de souveraineté qui n'aurait pas eu besoin d'un article d'extension aux TOM comme nous l'avons expliqué. Sur ce point, on peut suivre l'argumentaire du Gouvernement qui soutient que la loi déférée, relative à l'exercice par l'Etat de prérogatives régaliennes en matière de sécurité et d'ordre public, relève de cette catégorie.
Il reste que cet article d'extension existe et que vous devez vérifier s'il entre bien dans la compétence de l'Etat aux termes du statut de la Polynésie française du 6 septembre 1984 modifié et s'il ne comporte pas d'adaptations particulières.
On relèvera en premier lieu, et cela me semble un argument essentiel qu'au terme de l'avant dernier alinéa de l'article 3 qui énumère les compétence de l'Etat, ce dernier exerce ses droits de souveraineté et de propriété sur son domaine public et privé, terrestre, maritime et aérien. Autrement dit les activités de surveillance qui n'ont rien à voir avec l'exploration et l'exploitation des ressources du fond de la mer sont de la compétence de l'Etat.
En second lieu, je relèverai que le texte s'applique indifféremment et sans appeler de mesures d'adaptation spécifique, à l'ensemble du territoire. D'ailleurs la loi n'innove pas vraiment, comme nous l'avons vu, puisqu'elle a pour objet de fixer avec précision les conditions dans lesquelles les autorités françaises peuvent exercer des contrôles en mer, en leur donnant une base législative incontestable.
En troisième lieu, l'Etat est compétent en matière de relations extérieures et de contrôle des étrangers. Or le contrôle et la surveillance en mer impliquent des mesures qui s'adressent aux navires étrangers. D'autre part, on a vu que les Etats sont chargés de faire respecter les prescriptions du droit international.
En quatrième lieu, l'Etat est compétent en matière de communications extérieures en matière de navigation, desserte maritime et aérienne.
En cinquième lieu, il est compétent en matière de défense.
Ainsi, je vous propose de dire que les mesures liées à l'exercice par l'Etat de ses pouvoirs de contrôle en mer sont de la compétence de l'Etat et que la loi ne modifie, n'introduit ni ne supprime aucune modalité d'organisation particulière du territoire. L'article 11 est donc inutile. Donc le défaut de consultation de l'assemblée territoriale est inopérant.
Voilà j'en ai terminé.
Monsieur le Président : Merci beaucoup pour ce rapport fort intéressant.
Monsieur FABRE : Je voudrais dire qu'au-delà même de l'intérêt du rapport, le problème plus vaste qui me préoccupe est celui des élus des territoires d'outre-mer qui ont la volonté d'aller vers une indépendance de plus en plus grande vis-à-vis de la métropole. Il me semble qu'il est important de donner un coup d'arrêt à cette dérive. Par conséquent, je suis d'accord avec le rapporteur.
Monsieur FAURE : D'ailleurs au cours des débats parlementaires, Monsieur MILLAUD avait dit : je ne sais pas si j'obtiendrai les 60 signatures et encore moins si le Conseil me donnera raison.
Monsieur ROBERT : De deux choses l'une. Ou bien nous nous trouvons devant une loi de souveraineté et alors l'article 11 de la loi est inutile. Ou bien on se trouve dans le cadre de la modification des statuts d'outre-mer et la consultation de l'Assemblée exigée au titre de l'article 74 de la Constitution n'a pas été faite dans des conditions régulières. Pour ce qui me concerne, je pense qu'il s'agit là d'une loi applicable de plein droit.
Monsieur RUDLOFF : Je suis tout à fait d'accord avec les conclusions de Monsieur FAURE. Il faut faire bien attention. L'article 11 de la loi est absurde. Il n'y a pas d'obligation de consultation ni même d'obligation de faire figurer un article d'extension aux territoires d'outre-mer. Le souverain peut faire ce qu'il veut. Le statut c'est le statut français. Sur certains points, le souverain aurait pu décider autre chose. L'article 11
Madame LENOIR : Je suis d'accord. Une loi d'organisation et une loi portant sur la répartition des compétences ce n'est pas la même chose. Le principe de spécialité n'implique pas qu'il soit nécessaire de consulter si la loi n'a pas de conséquence sur l'organisation particulière du territoire. Le Conseil n'a pas besoin d'affirmer le principe général qu'une loi de souveraineté est exempte de la consultation. Nous devons juger au cas par cas. C'est ce que l'on a fait pour les contrôles de police en haute mer en retenant qu'il n'y avait pas d'organisation particulière qui soit mise en cause. Nous devons, je le répète, apprécier au cas par cas...Je suis dans le sens du projet.
Monsieur ABADIE : Pour les excellentes raisons formulées par Monsieur le Ministre d'Etat, je suis d'accord avec le projet. Mais je voudrais faire une réflexion sur le fond car le droit de visite des bateaux offre une certain "cousinage" avec le droit de visite des automobiles. Evidemment, il ne s'agit pas ici d'officiers de police judiciaire et il n'y a pas d'infraction apparente. Mais tout de même, il y a guelque chose d'identique avec ce que nous allons voir sur les automobiles...
Monsieur le Président : Ce n'est pas le moment...
Monsieur LATSCHA : Le droit de visite est tout à fait spécifique au droit de la mer. Je partage les conclusions du rapporteur et cette décision offre l'occasion de décider d'un considérant de principe pour éviter tout dérapage relatif à la formulation de l'article 74 de la Constitution. Nous avons effectivement à faire à un texte de souveraineté. Donc, il n'y a pas de problème lié à la consultation. Ce sur quoi je m'interroge en revanche, c'est sur l'article d'extension. Si c'est un texte de souveraineté, l'article 11 n'est pas nécessaire. Si on laissait la question ouverte, on retrouverait tôt ou tard les mêmes problèmes. On pourrait penser qu'il n'y a pas lieu à extension. Ça mérite réflexion. On pourrait dire que l'article 11 est inutile dès lors que nous sommes dans le cadre d'une loi de souveraineté...
Monsieur CABANNES : Tout le monde est d'accord avec le rapporteur et moi aussi.
Madame LENOIR : Nous n'avons pas à nous poser la question si c'est une loi de souveraineté ou non. Nous n'avons pas à constitutionnaliser cette notion. Cela risquerait de susciter des réactions curieuses. J'approuve donc le projet.
Monsieur FAURE : On ne peut pas interdire au Gouvernement d'ajouter des dispositions inutiles. L'inconvénient est que le Gouvernement, dès qu'il est dans le doute, est tenté de consulter d'autant plus que ces territoires sont éloignés géographiquement et juridiquement. C'est un peu l'inverse de ce qui s'est passé
Monsieur ROBERT : Il ne nous revient pas de dire si l'article 11 est ou non inutile. Cela ne fait pas partie de nos attributions. Il s'agit simplement de rappeler que la loi de souveraineté s'applique partout.
Madame LENOIR : Y a-t-il sur ce point de la jurisprudence du Conseil d'Etat ? Je ne le crois pas. La question est de savoir s'il y a un lien entre une loi d'extension et une véritable consultation. Je ne crois pas que les consultations doivent être systématiques.
Monsieur SCHRAMECK : La jurisprudence du Conseil d'Etat a eu tendance à exiger que l'article d'extension figure systématiquement, mais le Conseil constitutionnel, pour sa part, en reste à l'idée que l'extension peut être prévue et qu'il lui revient de déterminer si cette extension exige ou non que les assemblées territoriales soient consultées. La jurisprudence est lapidaire, peu précise ce qui explique la position de Bruno Genevois qui est contredite par celle de François Luchaire. Dans le cas d'espèce qui nous est soumis la question nous est clairement posée, dès lors que le Gouvernement a pris l'initiative de faire figurer à la fin de la loi l'article d'extension et ce, sur l'avis du Conseil d'Etat. En assemblée générale, le Conseil d'Etat a clairement dit que la consultation des assemblées territoriales ne s'imposait pas. Le problème vient de ce qu'immédiatement après le Gouvernement a fait le contraire ; il a consulté les assemblées dans des conditions déplorables puisqu'il ne s'est pas aperçu que la télécopie n'était jamais arrivée. Le projet de loi tel qui vous est soumis va dans le sens de la jurisprudence du Conseil d'Etat.
Monsieur le Président : Le deuxième point le plus important ce sont les conséquences de l'article d'extension.
Monsieur SCHRAMECK : Il existe deux précédents dans lesquels on a abordé la question de l'article d'extension : une décision de 1980 et votre décision relative au code de la nationalité du 20 juillet 1993.
Monsieur le Président : En ce qui concerne la régularité de la procédure, ce que nous soulignons dans la décision, c'est que le fait de faire figurer l'article d'extension à la fin n'implique pas la consultation des assemblées territoriales. Il convient d'être prudent par rapport à la jurisprudence du Conseil d'Etat.
Madame LENOIR : Il y a au moins un précédent c'est notre décision de décembre 1982 sur la loi de planification qui comportait un article d'extension sans que la loi ait fait l'objet d'une consultation. Ça fait au moins un précédent.
(On passe à la lecture du projet. A la fin de la lecture des
Monsieur SCHRAMECK : Cette rédaction un peu longue permet la neutralisante énoncée par Monsieur le Ministre d'Etat. Si on fait l'économie de l'énumération, la rédaction est alors beaucoup plus aventureuse. C'est la première phrase qui est très importante.
Monsieur FABRE : Si on mettait page 5 du projet : "les autorités de l'Etat sont compétentes notamment dans les matières suivantes..."
Monsieur le Président : Mais enfin c'est une citation, on ne peut pas rajouter un mot...
Madame LENOIR : Si, il suffit d'enlever les guillemets.
Monsieur le Président : Vous avez raison, on peut, mais ça ne change pas grand chose.
Monsieur ROBERT : Il suffit de mettre ce qui est topique.
Madame LENOIR : On répond à l'argument majeur des saisissants.
Monsieur le Président : Peut-être faudrait-il suivre la suggestion de Monsieur FABRE et ne pas faire l'énumération complète.
Monsieur LATSCHA : En ce qui me concerne, je préfère la solution adoptée par le rapporteur.
(Les conseillers se mettent d'accord pour conserver l'énumération complète des alinéas de l'article 3 du statut, puis on passe à la lecture de la page 7 du projet).
Monsieur le Président : On ne répond pas sur le fait que l'article 11 concernant l'extension figure dans la loi.
Monsieur ABADIE : Et par là, on paraît avaliser la thèse du Conseil d'Etat qui veut que l'application du territoire d'outre-mer d'une loi résulte de son article d'extension. Je rappelle qu'il y a deux éléments à prendre à compte. D'une part, si elle est applicable de plein droit, il n'y a pas lieu à extension ni à consultation, d'autre part, si ce n'est pas une loi de souveraineté, il faut que l'article d'extension fiqure et qu'on consulte.
Monsieur le Président : Si dans le deuxième considérant de la page 7, on met "dès lors elle était applicable sans consultation", qu'advient-il des consultations régulières ? En fait, il vaut mieux laisser la formule "dès lors qu'elle pouvait lui être rendue applicable".
Monsieur le Président : Pourquoi rappeler en bas de la page 4 une partie de l'article 74 de la Constitution déjà citée.
Monsieur FAURE : C'est de façon à souligner les attributions de l'Etat.
Monsieur le Président : Ce rappel est-il indispensable ?
Madame LENOIR : Pour ma part, je suis contre.
Monsieur ROBERT : Si on supprime ce considérant du bas de la page 4, on passe alors directement de la citation de l'article 74 à la loi statutaire.
Monsieur SPITZ : Cela semble un rappel mais, on ajoute le mot "seuls" pour indiquer que seuls les statuts et les autres modalités particulières des TOM sont modifiés par la loi après consultation. Cela sous-entend qu'il y a une troisième catégorie de mesures qui n'exige pas de consultation.
Monsieur le Président : Certes, mais on prend position trop clairement contre une interprétation favorable aux collectivités territoriales et on va encore nous dire qu'on encadre sévèrement l'article 74. Notre jurisprudence est déjà plus rigoureuse que celle du Conseil d'Etat puisqu'on ne prend pas en compte la régularité de la procédure pour la constitutionnalité du texte. Je trouve qu'on va trop loin dans la restriction des intérêts des collectivités territoriales d'outre-mer.
Monsieur FAURE : En ce qui concerne la procédure consultative, il est normal que la jurisprudence soit différente de celle du Conseil d'Etat qui est seulement juge de la légalité des arrêtés alors que nous, nous sommes juges de la constitutionnalité des lois .
Monsieur LATSCHA : Le mérite de cette décision est de trancher une question qui avait été laissée ouverte. Je crois que ce vous dites Monsieur le Président sur la suppression du dernier considérant de la page 4 peut parfaitement se concevoir dès lors que page 7, on dit exactement la même chose.
Monsieur SCHRAMECK : Tout à fait d'accord. Et si on veut lier la loi statutaire à l'article de la Constitution qu'on cite, on peut modifier la rédaction du considérant de la page 7 et ajouter :"...telle qu'elle est prévue par l'article 74 de la Constitution...".
(Le vote est acquis à l'unanimité).
(La séance est levée à 12 h 30).
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.