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PV1994-07-26-27


Cassandra DUMONT

COMPTE-RENDU DE LA SEANCE DU 26 JUILLET 1994

La séance est ouverte en présence de tous les conseillers à 10 heures.

Monsieur le Président : Nous avons les lois sur la bioéthique. Nous avons deux jours et le libellé de la décision a une très grande importance. Les questions sont horriblement complexes. On va voir, mais on a le temps. Monsieur Robert, c'est à vous.

Monsieur ROBERT : Les projets de loi qui nous sont soumis aujourd'hui ont fait l'objet d'une longue gestation :

- En 1985 a eu lieu un colloque "Génétique, procréation et droit", publié chez Actes-Sud avec la participation de Monsieur Michel SERRES, de Monsieur le professeur HAMBURGER, de Monsieur David et Madame Michelle GOBERT.

- En 1989 est paru le rapport intitulé "De l'éthique au droit" du Conseil d'Etat suivi par l'avant-projet de loi Braibant sur les sciences de la vie et les droits de l'homme.

- En 1991 le rapport de Madame Noëlle LENOIR chargée par le Premier ministre d'une mission sur le droit de la bioéthique et les sciences de la vie.

En 1992 le rapport de la mission d'information sur la bioéthique à l'initiative de la commission des lois et de la commission des affaires culturelles de l'Assemblée rédigé par Monsieur BIOULAC.

- Toujours en 1992 le rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques confié à Monsieur le Sénateur Franck SERUSCLAT "Sur les sciences de la vie et les droits de l'homme".

- Enfin en 1994 le rapport du professeur MATTEI.

Pourquoi une si longue gestation ? En premier lieu, parce que les questions posées sont infiniment complexes et touchent à la conscience de chacun. En second lieu, parce que certains se sont demandés s'il était opportun de légiférer.

J'articulerai mon rapport autour de cinq grandes parties :

I Quels sont les problèmes liés à la bioéthique et comment peut- on les envisager ?

II Quelle est l'économie de la loi qui nous est présentée ?

III Quels sont les principes applicables ?

IV Quels sont les griefs formulés par les requérants ?

V Quelles sont les réponses que notre décision doit apporter ?




I Les problèmes qui se posent et ce que doit faire le juriste

A L'état des problèmes

a) Le droit à la vie et le droit à la mort

Existe-t-il un droit à la vie et un droit à la mort ?

- En ce qui concerne le droit à la vie, il est ignoré des textes classiques et seul le code civil 1'envisage en ce qui concerne les droits de l'enfant conçu. En somme, l'homme n'est pris en considération par le droit qu'à partir de sa naissance. Par la suite, on peut prendre en considération l'article 2 de la Convention européenne qui énonce que chacun a droit à la vie. Mais quel est le contenu du concept de vie ? A quel moment commence-t-elle ? Parle-t-on de la vie biologique, de la vie spirituelle ? La vie est-elle indépendante de la personne humaine ?

- En ce qui concerne le droit à la mort, la vie à n'importe quel prix n'a pas de justification même dans les Ecritures. On peut dégaqer quatre notions différentes :

. Le droit à l'apaisement des souffrances en raison du seuil de l'intolérable.

Le retardement inutile de la mort en raison d ' un but scientifique. Certains ont appelé cela "l'acharnement thérapeutique".

. Le droit à la mort par pitié et sur demande. Mais demande de qui, du médecin, de la famille ou du malade ?

. La libre disposition de son corps peut amener l'intéressé à vouloir mourir ce qui est une forme de suicide. Mais cette demande se heurte à d'autres droits : celui du médecin, celui de l'hôpital et celui de l'Etat. Par exemple, il faut envisager la question du prélèvement d'organes.

b) La procréation artificielle

Il faut envisager le problème de l'insémination artificielle et de la fécondation in-vitro. Cela pose relativement peu de problèmes lorsque il s'agit de vaincre des difficultés mécaniques et lorsqu'elles sont opérées avec le sperme du mari. Mais qu'en est-il avec le sperme d'un tiers ? Les CECOS ont mis au point un code de déontoloqie qui considère que cela doit être fait comme remède à la stérilité et en conservant le secret sur l'identité du donneur. En outre, c'est la philosophie du don de couple à couple qui domine. Cependant, il y a deux difficultés juridiques, celle de la présomption de paternité et les actions qui sont menées en matière de filiation. Enfin, il y a deux problèmes difficiles celui de la demande de la femme célibataire et celui de la revendication éventuelle d'une insémination post-mortem.


. D’autre part, il faut traiter le difficile problème des locations d'utérus ou encore ce que l'on a appelé les mères de substitution. Quelle est la nature de ce marché ? Est-ce un contrat d'entreprise, de transport ou de location ? Ce contrat implique-t-il une obligation de moyens ou une obligation de résultats ? Ce qui voudrait dire que le contrat pourrait être nul si l'enfant est anormal. Deux associations bien connues, "Alma mater" et "Les Cigognes" ont fait l'objet d'arrêts célèbres du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Les deux cours suprêmes ont jugé que l'association "Alma mater" aboutit à détourner l'institution de l'adoption de son véritable objet qui est de donner une famille à un enfant qui en est dépourvu. La Cour de cassation dans un arrêt du 13 décembre 1989 a jugé que ces contrats étaient nuis parce qu'ils contreviennent à l'ordre public lié à l'indisponibilité de l'état des personnes. La Cour pense que l'ordre fondamental de toute société humaine serait gravement menacé si chacun pouvait à son gré maîtriser ses liens de parenté. (La Cour d'appel de Paris dans un arrêt rendu le 15 juin 1990 s'est prononcé dans le sens contraire jugeant que la maternité de substitution doit être considérée comme licite et conforme à l'ordre public. Le don d'enfant est équivalent au don d'organes. Cet arrêt a été cassé en 1991 par la Cour de cassation.

Par ailleurs, certains demandent même que le Conseil constitutionnel reconnaisse le caractère constitutionnel aux principes de l'indisponibilité de l'état des personnes. Est-ce un principe fondamental reconnu par les lois de la République ? Non, il ne se trouve dans aucune loi. Mais ne se déduit-il pas des principes généraux du droit et des règles qui sont communes à toutes les filiations ?

Mais cette interdiction du "don de gestation" n'aboutit-elle pas à priver un couple d'une descendance et en ce sens, serait contraire à l'article 12 de la Convention européenne des droits de l'homme qui proclame le droit de se marier et de fonder une famille ? Mais le droit de fonder une famille ne saurait passer par l'utilisation de n'importe quel moyen et, notamment, de conclure avec un tiers des conventions portant sur le sort d'un enfant à naître.

Le droit de fonder une famille doit s'entendre comme le droit d'avoir des enfants de façon légitime soit par procréation soit par adoption.

Enfin, que doit-on faire des embryons congelés surnuméraires ? Ceux-ci sont le produit de la stimulation ovarienne et permettent de rééditer le transfert d'embryon en cas d'échec. Il y a plusieurs possibilités en ce qui concerne leur avenir. Ils peuvent être détruits au bout d'un certain temps. Ils peuvent être congelés pour une durée dont on dit qu'elle ne peut pas dépasser cinq ans. Ils peuvent être donnés. Enfin, entourés de garanties, ils peuvent faire l'objet d'une expérimentation.




Statistiquement, il y a à l'heure actuelle et ce dans le cadre des CECOS, plus de 22 000 embryons qui ont été congelés entre 1985 et 1991. Ils ont concerné 5 500 couples. Parmi ces embryons, 15 000 ont été décongèles et ont fait l'objet d'un transfert. En 1992, 6 500 embryons ont été congelés pour 1 400 couples et 3 800 ont été décongelés. Il resterait "en garde" environ 9 000 embryons. En dehors des CECOS, on ne possède pas de données bien précises. Le nombre total annuel des embryons congelés serait voisin de 30 000 et le nombre d'embryons en garde serait supérieur à ce chiffre.

Je donnerai, sans entrer dans le détail des questions techniques liées à l'insémination artificielle ou à la fécondation in-vitro, quelques indications statistiques.

Il y a environ 1 500 enfants qui naissent par an par insémination artificielle avec donneur. Il y a environ 20 000 enfants qui naissent en France par procréation médicale assistée et par insémination artificielle. Il y a environ 10 000 enfants qui naissent par fécondation in-vitro. 1 couple sur 5 est amené à consulter pour des problèmes de fécondité. 3 000 couples par an s'adressent au CECOS. Depuis 1973, 8 000 hommes ont donné leur sperme.

Ces données statistiques montrent l'ampleur du phénomène. Les techniques classiques de l'insémination artificielle avec donneur et de la fécondation in-vitro sont maintenant rattrapées par des techniques nouvelles. Par exemple, l'injection intra-ovocytaire d'un spermatozoïde. Cette technique nouvelle pose au moins deux problèmes. Le premier lié au choix du spermatozoïde, choix aujourd'hui sans critère bien défini mais qui demain pourrait être guidé par des données biologiques. Le second qui est lié à l'effraction nécessaire de la membrane protectrice de l'ovocyte.

Plus de 200 enfants sont déjà nés à travers le monde par cette technique nouvelle. C'est certainement une méthode très efficace qui se généralise mais qui est confrontée à certaines risques. En effet, le choix du spermatozoïde peut conduire à choisir le sexe de l'enfant. En outre, il faut pratiquer le transfert du matériel génétique dans l'embryon. Enfin, on ne sait pas trop encore quels peuvent être les risques d'anomalies génétiques qui pourraient se révéler par la suite.

c) Les prélèvements d'organes

Le texte législatif de base dans cette matière est la loi Caillavet du 22 décembre 1976. Elle repose sur la distinction fondamentale entre les prélèvements effectués sur les personnes vivantes et les prélèvements effectués post mortem.

- En ce qui concerne les prélèvements sur les personnes vivantes, ils ne peuvent être faits que sur des personnes majeures et à des fins thérapeutiques. D'autre part, ils doivent être précédés du consentement exprès donné devant un magistrat s'agissant des organes non régénérables. Ce consentement est révocable à tout moment.




- En ce qui concerne les prélèvements sur des personnes décédées, la loi considère que le consentement est présumé dès lors que le prélèvement est effectué à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Cette présomption de consentement ne peut être démentie que si la personne décédée a fait connaître de son vivant son refus.

Cette loi comporte cependant des lacunes :

- En ce qui concerne le consentement présumé en faisant appel à la famille proche sollicitée dans des conditions le plus souvent dramatiques.

- Il n’y a pas de dissociation légale entre les règles relatives au prélèvement et celles relatives à la transplantation.

- Enfin il n’y a pas d'obligation de restauration du cadavre.

B Quelles remarques d'ordre général

Je voudrais souligner d'abord la relativité des problèmes qui nous occupent. Ce sont des problèmes de pays riches. Dans la plupart des pays, le problème est celui de la limitation des naissances plutôt que les méthodes et les techniques qui permettraient de les accroître.

Ensuite, je voudrais souligner l'influence qu'exercent les attitudes, les traditions, les usages et les religions sur la façon d'envisager ces questions. On ne peut évidemment pas dire qu'il y a une parfaite identité entre les vues de la religion de la majorité et les positions officielles des Etats. Cependant, il y a une imprégnation de la société civile de sorte que le droit ne peut venir violenter les normes religieuses même si certaines de ces sociétés ont "évacué Dieu".

- En ce qui concerne l'Eglise catholique, elle est hostile à tout ce qui peut menacer la vie de l'embryon car elle considère que c'est une personne humaine dès le début de son existence. Elle est hostile à tout ce qui fait appel à un tiers extérieur au couple et donc hostile à la fécondation in vitro et aux mères porteuses. En règle générale, elle est hostile à tout ce qui rompt l'unité du couple. De la sorte, elle est hostile à toute dissociation de l'acte sexuel et de la procréation.

Certes, tous les catholiques de par le monde ne respectent pas les incitations de leur hiérarchie mais ce n'est pas une coïncidence si l'Italie est toute entière une zone de non-droit car il lui serait difficile de suivre aussi bien les positions catégoriques de la hiérarchie que d'en enfreindre ouvertement les consignes.



- En ce qui concerne le protestantisme, le couple humain, la procréation humaine ne se mesurent pas seulement en termes de processus biologique mais c'est dans une perspective de l'amour partagé qu’on peut comprendre la procréation médicale assistée qui permet de réassocier la sexualité et la fertilité de manière à faire face à la détresse d'une fertilité persistante. De manière générale, le protestantisme est favorable au diagnostic prénatal et fait confiance à la responsabilité individuelle. Les géniteurs sont les seuls responsables du devenir des embryons. Ce n'est pas une coïncidence non plus si la législation suédoise se trouve influencée par la position des églises protestantes même si la législation suédoise est plus sévère que d'autres.

En ce qui concerne la loi juive, la lutte contre la stérilité fait partie des devoirs sacrés du médecin juif. La famille étant la communauté de base, la loi refuse l'insémination de la femme célibataire ou l'insémination post mortem. L'intervention d'un tiers dans le couple heurte de front une interdiction fondamentale celle de l'adultère. L'anonymat du donneur ne peut être respecté si l'on veut éviter l'inceste. Ce n'est pas là non plus une coïncidence si Israël est prudent.

Les mêmes problèmes se posent partout avec les mêmes incertitudes sur l'attitude à adopter. Il est certain que le vide juridique peut être facteur de souplesse mais en même temps d'insécurité.

Face à des écoles qui s'opposent et à une opinion qui ne sait trop que penser, que doit faire le juriste ? Car sur les problèmes de morale et d'éthique, la société française apparaît aujourd'hui très divisée. En gros, on peut distinguer quatre courants :

- un courant libéral et individualiste qui prône la disparition des tabous qui ont bloqué l'évolution de la société bourgeoise traditionnelle.

- un courant sociologique, un peu différent qui veut prendre en compte l'environnement familial et social dans lequel baigne chacun d'entre nous.

- un courant scientiste qui fait totalement confiance à la science, à son développement et à ses progrès. Pour lui, la valeur fondamentale est la connaissance. Tout doit être subordonné à son approfondissement et au succès de la recherche.

- enfin, un courant de désacralisation de l'humain qui est bien analysé dans l'article de Bernard EDELMAN "Nature et sujet de droit" (revue Droits n°1). Cet article montre que l'individu prétend se rendre le maître de son destin biologique. A ce propos, il cite deux exemples. Le premier concerne le transsexualisme. La jurisprudence est en train d'abandonner le principe fondamental de l'indisponibilité de l'état des personnes alors que pour le droit traditionnel, la liberté de la personne se traduit par son identité juridique qui est celle de son état.



L'identité juridique doit être immuable et indisponible. Or, le transsexualisme met en cause cette fiction qui recule au profit d'une maîtrise du sujet sur son propre sexe. Le deuxième exemple concerne l'interruption volontaire de grossesse. Désormais, l'infans n'obéit plus à une fiction juridique (Infans conceptus pro nato habetur) mais à une réalité biologique qui donne à la mère un certain droit sur son destin.

Il est certain que par ces exemples et la jurisprudence que je pourrais citer à cet égard va dans le sens d'un individu qui veut maîtriser sa propre reproduction. Dès lors, quel peut être le rôle du juge et du législateur. Celui-ci n'a pas pour objet essentiel de combler un vide mais simplement d'énoncer ce qui est légitime en démocratie c'est-à-dire aussi de substituer la liberté souveraine des représentants du peuple aux décisions des juges ou aux avis des comités. La tâche qui nous incombe aujourd'hui est d'examiner si le législateur a réalisé un équilibre raisonnable entre toutes les exigences que nous avons énoncées.

Monsieur le Président : Merci, c'était très brillant comme d'habitude. Qu'en est-il de la position des musulmans ?

Monsieur ROBERT : Je ne sais pas.

Madame LENOIR : Ils ne sont pas opposés aux procréations médicales assistées. En revanche, ils sont opposés aux prélèvements post mortem et à l'autopsie. Il y a un arrêt du Conseil d'Etat sur cette question, notamment sur la réparation du préjudice dû à un prélèvement d'organes sur une jeune de confession musulmane.

Monsieur le Président : Quelle est la situation actuelle au sein du Conseil de l'Europe ?

Monsieur ROBERT : Dans le dernier texte du Conseil de l'Europe, on relève l'accord sur les points suivants :

- l'intérêt de l'être humain,

- le consentement,

- la recherche sur les embryons ou les pré-embryons jusqu'au 14ème jour,

- l'interdiction ultérieure des recherches sur l'embryon.

Madame LENOIR : L'avant-projet de convention est en panne. Les anglais n'en veulent pas car ils trouvent qu'il est trop restrictif. Les Suédois n'en veulent pas pour des raisons inverses.

Monsieur le Président : Du côté de la Cour européenne, y-a-t-il des jurisprudences ?

Madame LENOIR : Non ! Sur le transsexualisme seulement. Cependant, je voudrais poser quelques questions et faire quelques observations.





D’accord, il faut être modeste et il faut s’en tenir aux normes globales. Ce texte s'inscrit dans l'évolution scientifique et il est presque déjà en retard. Pa exemple, la micro-injection permet de résoudre le problème de la stimulation ovarienne qui est considérée comme nocive. Ça résout le problème des grossesses multiples en sélectionnant le spermatozoïde. Ça résout aussi la question du droit public international. Cependant des médecins soutiennent que le texte est déjà en retard.

Peut-être le problème de l'embryon surnuméraire sera-t-il résolu par la congélation des ovocytes.

- Quant aux taux de réussite on le dit d'environ 15 % alors que par les voies naturelles il est de 25%.

Je rappelle en outre que ce qui est transféré ce n'est pas du tout un embryon c'est un zygote. La loi utilise un langage clair. Dès le début, il n'y a pas de bouton embryonnaire en tout cas pas avant le 14ème jour.

Le texte permet de ménager des évolutions et il ne faudrait pas se mettre en marge des évolutions européennes. Il y aura d'autres textes.

Ce qui est protégé, c'est la personne : son libre choix, son libre consentement et la forme libre de la famille du moins chez les Espagnols et les Anglais.

Dans un autre type de législation, par exemple celle de l'Allemagne, ce qui est protégé c'est la dignité de la personne. Elle justifie les restrictions apportées aux libertés de la personne.

D'autres pays réalisent d'autres types d'arbitrages et, en somme, je suis pour qu'on reste elliptique.

Monsieur le Président : Merci ! Qui souhaite poser des questions ?

Monsieur RUDLOFF : Quels sont les pays où il n ' y pas de législation du tout ?

Monsieur ROBERT et Madame LENOIR : Les Pays-Bas, l'Italie, la Belgique, la Norvège, il y a seulement un projet.

Madame LENOIR : Il est certain que maintenant c'est notre législation qui est la plus extensive.

Monsieur FABRE : Dans les pays musulmans, ils sont certainement contre les prélèvements d'organes puisqu'on ne peut pas se mutiler. Je remercie le professeur Robert pour son exposé. Tout à l'heure certainement, on abordera le problème financier. En effet, on ne peut occulter ce point de vue et on va aborder les questions d'égalité ou d'inégalité. On ne peut pas perdre de vue que certaines familles pourront accéder à ces techniques et d'autres non !



Monsieur ROBERT : La réponse des pays musulmans à ces questions, c'est seulement de stopper les naissances.

Monsieur CABANNES : A l'origine de cette tradition musulmane, c'est la même que celle de la religion juive car l'enfant conçu est une bénédiction.

Monsieur le Président : Mais qu'en pense la communauté musulmane de France ?

Monsieur ROBERT : Il n'existe pas d'institution officielle qui la représente.

Monsieur le Président : En la matière pour les Juifs, chacun peut s'instituer grand rabbin. Il est aussi faillible qu'un autre. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas d'autorité officielle.

Madame LENOIR : Il y a une forte proportion de musulmans en France qui souhaitent lutter contre la stérilité.

Monsieur le Président : Pour répondre à Monsieur FABRE, je crois que chaque enfant conçu par les techniques modernes revient à 300 000 F.

Monsieur FAURE : Le taux de réussite va en progressant.

Monsieur le Président : La situation du Conseil constitutionnel est difficile. Nous ne sommes pas le législateur, ni un comité d'éthique. Il faut être très prudent. Evitons de prendre des positions qui seront très vite en contradiction avec la science. Nous sommes une institution laïque.

(La séance est suspendue à 11 h 25. Elle est reprise à 11 h 35).

Monsieur ROBERT : Je voudrais en venir maintenant au projet de loi qui nous sont soumis. La grandeur du juge constitutionnel est de rester modeste. Tout contrôle de la loi qui viendrait figer les nonnes de référence risquerait demain d'empêcher les évolutions qu ' appellera nécessairement les progrès des techniques et des comportements. Et puis, entre deux solutions ne convient- il pas de préférer toujours celle qui exige le moins de droit et laisse le plus aux moeurs et à la morale ? Ne sommes-nous pas dans un domaine où la logique et la raison rejoignent le sacré. Comme le disait Platon : "L'être mortel participe à l'immortalité par la fécondation et la génération. Ne n'étonne donc pas si tout être prise sa descendance car c'est en vue de l'immortalité que chacun a reçu ce zèle et cet amour".




II Pour revenir à des considérations plus prosaïques, je voudrais analyser le projet de loi relatif au respect du corps humain. Il comporte trois titres :

I Du respect du corps humain

II De l'étude génétique des caractéristiques d'une personne et de l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques

III De la filiation en cas de procréation médicalement assistée

Chacun de ces titres apporte une modification ou un ajout soit au code civil soit au code pénal soit au code de la propriété intellectuelle.

Je reprends le titre I du respect du corps humain. Ce titre modifie l'intitulé du titre premier du livre I du code civil. Il remplace l'intitulé : "De la jouissance et de la privation des droits civils par "des droits civils". De la même manière il modifie le chapitre II et, "de la privation des droits civils" devient "du respect du corps humain".

Les principes proclamés par ce titre sont au nombre de cinq :

- par le premier, la loi assure la primauté de la personne humaine, interdit tout atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect humain dès le commencement de sa vie.

- par le deuxième, la loi garantit le respect du corps humain et proclame qu'il est inviolable. Le corps, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l'objet d'un droit patrimonial. L'intégrité du corps ne peut être atteinte qu'en cas de nécessité thérapeutique pour la personne et avec son consentement.

- par le troisième, la loi garantit le respect de l'espèce humaine. Elle interdit tout pratique eugénique tendant à l' organisation d ' une sélection des personnes. Elle interdit toute transformation des caractères génétiques dans le but de modifier la descendance d'une personne.

- par le quatrième, la loi proclame la non commercialisation et déclare la nullité des conventions ayant pour effet de conférer un droit patrimonial sur le corps ses éléments et ses produits. Elle proclame aussi la nullité de toute convention sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui. Enfin, elle interdit l'identification du donneur et du receveur et de leur information réciproque.

Le titre II s'intitule : "De l'étude génétique des caractéristiques d'une personne et de l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques". Ce titre porte :



A/ Sur l'étude génétique

L'étude génétique d'une personne est possible à des fins seulement médicales ou de recherches scientifiques. Elle ne peut être entreprise qu'avec son consentement. La recherche de l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques n'est permise que dans des cas bien précis : enquête ou instruction diligentée par un juge, fins médicales ou de recherches, actions en matière de filiation. Ces identifications ne peuvent être faites que par des personnes agréées. Les contrevenants sont punissables.

B/ Sur les infractions en matière d'éthique biomédicale

C'est tout un titre nouveau du code pénal qui est introduit. Il comporte quatre sections :

- la section I, intitulée "De la protection de l'espèce humaine", interdit toute pratique qui tend à sélectionner les personnes.

- la section II, intitulée "De la protection du corps humain", interdit et punit :

. l'obtention d'un organe contre paiement

. le prélèvement d'un organe sur une personne vivante majeure sans son consentement

. l'obtention contre paiement, de tissus, de cellules ou de tout autre produit du corps

. le recueil ou le prélèvement des gamètes sur une personne vivante sans son consentement écrit ou contre paiement

opérer des prélèvements ou des transplantations dans un établissement non autorisé

. enfin procéder à une insémination artificielle avec sperme frais en violation de l'article L. 673-3 du code de la santé publique.

- la section III, intitulée "De la protection de l'embryon humain", interdit et punit :

. d'obtenir des embryons frais contre paiement

. procéder à la conception in vitro d'embryons humains à des fins industrielles et commerciales

. expérimenter sur l'embryon humain en violation de l'article L. 152-8 du code de la santé publique

. procéder au diagnostic prénatal sans autorisation

. méconnaître le code de la santé publique relatif au diagnostic pré-implantatoire

. procéder à des activités d'assistance médicale à la procréation sans autorisation

La section IV, intitulée "Dispositions diverses" punit les personnes physiques coupables d'une peine d'interdiction de la profession au maximum de dix ans. Les personnes morales sont responsables pénalement.



Enfin le titre III est intitulé "De la filiation en cas de procréation médicalement assistée". Ce titre proclame quatre principes :

- Le premier : en cas d'IAD aucune lien de filiation ne peut être ét-abl i entre l'auteur du don et l'enfant issu de la procréation. Aucune action de responsabilité ne peut être intentée contre le donneur.

- Le deuxième principe : en cas d'IAD les époux et concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale, nécessitant l'intervention d'un donneur, doivent donner leur consentement à un juge ou à un notaire.

- Le troisième principe : en cas de consentement il ne peut y avoir de contestation ultérieure de la filiation, sauf s'il est prouvé que l'enfant n'est pas issu de la PMA ou que le consentement a été privé d'effet (cas de décès, de dépôt d'une requête en divorce ou de séparation ou en cas de révocation par écrit donnée avant la PMA).

- Le quatrième principe : celui qui, après avoir consenti à l'lAD, ne reconnaît pas l'enfant, engage sa responsabilité envers la mère et l'enfant. Est par ailleurs juridiquement constatée la paternité hors mariage de celui qui après avoir recouru à l'assistance médicale à la procréation, ne reconnaîtrait pas 1'enfant.

Je voudrais analyser maintenant le deuxième projet de loi qui est relatif au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal

On peut les regrouper en plusieurs catégories :

I Principes généraux au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain

1) Consentement préalable du donneur

2) Pas de publicité

3) Pas de paiement

4) Anonymat :

Le donneur ne peut connaître 1'identité du receveur ou le receveur celle du donneur.

II Les organes et les prélèvements

A) Les organes :

La moelle osseuse est considérée comme un organe.




B) Les prélèvements :

1 ) Sur une personne vivante, ils ne sont autorisés que dans l’intérêt thérapeutique direct du receveur. Celui-ci doit être le père, la mère, le fils, la fille, le frère, la soeur, sauf en cas de prélèvement de moelle osseuse en vue d'une greffe. En cas d'urgence, le donneur peut être le conjoint. Le donneur doit donner son consentement devant le Procureur du Tribunal d'instance.

2) Sur une personne décédée, le prélèvement n'est autorisé qu'à des fins thérapeutiques ou scientifiques. Il peut être effectué dès lors que la personne concernée n'a pas fait connaître de son vivant, son refus, d'un tel prélèvement. Ce refus est mentionné sur un registre national automatisé.

Aucun prélèvement à des fins scientifiques autres que celles ayant pour but de rechercher les causes d'un décès ne peut être effectué sans le consentement du défunt exprimé directement ou par le témoignage de sa famille.

Les médecins qui constatent la mort et ceux qui effectuent le prélèvement doivent être différents.

Les prélèvements ne peuvent être opérés que dans des centres agréés.

3 ) Les transplantations : elles ne peuvent se faire que dans des organismes agréés.

III Les tissus, cellules et produits

1 Le prélèvement ne peut se faire, sur une personne, que dans un but thérapeutique ou scientifique.

2 La conservation et l'utilisation se font uniquement dans des centres agréés (établissements publics de santé ou organismes à but non lucratif autorisés pour 5 ans -renouvelables- par l'Administration et selon des règles strictes à préciser par décrets.

IV L'assistance médicale à la procréation (conception in vitro, transfert d'embryons, insémination artificielle :

Son but est de remédier à l'infertilité dont le caractère a été médicalement diagnostiqué et d'éviter la transmission à l'enfant d'une maladie d'une particulière gravité.

1 ) L'IAD

Les conditions mises à l'octroi de l'IAD sont :

- Etre en âge de procréer, être marié au sein d'un couple, vivant ensemble depuis au moins deux ans et dont les deux membres hommeet femme y consentent.



2) La fécondation in vitro

a) Les conditions sont les mêmes que pour l’insémination mais il faut que les gamètes proviennent d ' un des deux membres du couple.

b) Les deux membres du couple peuvent décider par écrit que sera tentée la fécondation d'un nombre ovocytes pouvant rendre nécessaire la conservation d'embryons dans l'intention de réaliser leur demande parentale dans un délai de cinq ans. Chaque année, on les consultera pour savoir s'ils maintiennent leur demande parentale.

c) Le couple pourra, par écrit, consentir à ce que les embryons conservés soient accueillis par un autre couple qui ne peut procréer sans donneur. L'autorité judiciaire donnera son autorisation si toutes les conditions sont réunies.

d) Aucun paiement n'est effectué.

e) L'embryon ne peut être conçu ni utilisé à des fins commerciales et industrielles.

La conception "in vitro" est interdite à des fins d'étude ou d'expérimentation.

A titre exceptionnel, le couple peut accepter par écrit que soient menées des études sur leurs embryons, à finalité médicale et sans porter atteinte à l'embryon.

f) Les embryons, existant à la date de la promulgation de la loi, qui ne font plus l'objet d'une demande parentale et qui ne font pas l'objet d'une opposition à un accueil par un couple tiers pourront être confiés à un couple remplissant les conditions. Si l'accueil de ces embryons est impossible et s'ils ont plus de 5 ans, il est mis fin à leur conservation.

3) Les dons et utilisations de gamètes

Le donneur doit faire partie d'un couple qui a procréé. Le consentement des deux couples par écrit est nécessaire. L'insémination avec du sperme frais n'est plus possible. Un même donneur ne peut faire naître plus de cinq enfants. L'insémination artificielle doit être pratiquée uniquement dans des centres agréés et aucune rémunération à l'acte ne peut être perçue. L'établissement est autorisé pour 5 ans. Il doit présenté un rapport annuel d'activité au ministre.

V) Le diagnostic prénatal

"Détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité".


a) Uniquement dans des centres agréés

b) Le problème de l'interruption volontaire de grossesse

Article L. 162-12 du code de la santé publique : "L'interruption volontaire de grossesse peut, à toute époque, être pratiquée si 2 médecins attestent, après examen et discussion, que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic".

Ajouter à cet article : "En outre, si l'interruption volontaire de grossesse est envisagée dans le second cas, l'un des 2 médecins doit exercer ses activités dans un centre de diagnostic prénatal pluridisciplinaire.

c) le diagnostic biologique effectué à partir de cellules prélevées sur l'embryon "in vitro" n'est autorisé qu'à titre exceptionnel :

- il faut qu'un médecin exerçant dans un centre agréé atteste que le couple, vu sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ;

- le diagnostic ne peut être effectué que lorsqu'à été préalablement et précisément identifiée, chez l'un des parents, l'anomalie ou les anomalies responsables d'une telle maladie ;

- le consentement du couple ;

- le but de diagnostic est de rechercher l'affection pour la prévenir et la traiter.

V Sanctions pénales et relatives à l'utilisation des éléments et produits du corps humain

- retrait de l'autorisation des établissements agréés ;

- sanctions pénales ;

- nouvel examen de la loi dans un délai de 5 ans après l'évaluation de son application par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques.

VI Médecine prédictive et identification génétique

1 . L'examen des caractéristiques génétiques d'une personne ou son identification par empreintes ne peuvent être entreprises que dans le code d'une procédure judiciaire ou à des fins médicales et de recherche scientifique et avec son consentement.



A titre exceptionnel, quand cette étude est entreprise à des fins médicales, le consentement de la personne peut ne pas être recueilli dans son intérêt et dans le respect de sa confiance.

2 Des sanctions pénales peuvent être ordonnées en cas d¹ infractions

VII Le comité consultatif national d'éthique donne des avis sur les problèmes éthique soulevés par les progrès de la connaissance

Madame LENOIR : Je voudrais faire trois observations : le système de sanctions est très précis. L'accès aux procréations médicales assistées est réglé par la charte de déontologie des CECOS. Il y a le don de sperme limité aux hommes mariés et aux couples consentants. Il y a d'ailleurs un exemple d'un jeune homme qui était devenu stérile après un don de sperme, par conséquent les CECOS ont inclus dans leur charte la nécessité d'être marié !

En outre, cette loi est très précise sur le diagnostic préimplantatoire : c'est très très précis. Le professeur TESTART en a fait son cheval de bataille et a soutenu que si on l'autorisait, on allait directement à une pratique de l'eugénisme. Mais ce débat n'existe qu'en France.

Monsieur FABRE : Le problème c'est celui de l'embryon comme objet d'étude. Cela veut dire quoi ?

Monsieur ROBERT : La loi distingue les études de l'embryon qui sont permises et les expérimentations qui sont interdites.

Madame LENOIR : Cet article a été inspiré par M. MATTEI pour encadrer le diagnostic préimplantatoire. L'embryon demeure, ainsi, dans son intégrité mais la notion d'étude permet un diagnostic.

Monsieur CABANNES : La loi prévoit une avalanche de sanctions. Est-ce que les saisissants critiquent cette liste ?

Monsieur ROBERT : Non !

Monsieur le Président : Peut-être pourrait-on passer aux principes applicables au contrôle de la loi déférée ?

Monsieur ROBERT : Bien, je commence mon rapport sur les principes.

III Les principes constitutionnels

Je partage le sentiment de l'auteur de cet article intitulé : "La difficile appréhension de la bioéthique par le droit constitutionnel" (Les Petites Affiches, 19 juin 1993, n° 70 Bertrand MATHIEU)


- Difficultés à trouver dans nos textes constitutionnels non pas des rèqles, mais des lignes directives

Le droit international est -lui- plus malléable, plus évolutif et, jusgu'à présent il a occupé l'espace vacant.

Confronté aux lacunes du droit, à l'inconstitutionnalité des principes moraux, aux progrès de la science, au foisonnement des exigences et des engagements individuels et collectifs, le juge tente de canaliser l'évolution, tardivement secondé par le législateur.

 

1) Typologie sommaire des normes constitutionnelles potentielles

A. Les principes constitutionnels applicables au droit de la bioéthigue

a ) Les textes constitutionnels sont peu nombreux :

Les textes constitutionnels :

a) Il n'y a rien dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

b) Dans le Préambule de 1946, on trouve :

- "Tout être humain possède des droits inaliénables et sacrés" ;

- "La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ;

- "Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs" ;

- "La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture".

b) Les principes constitutionnels dérivés :

- la responsabilité civile,

- la liberté personnelle.

c) Les principes du droit civil :

Le Code civil de 1804 pouvait être le support de principes fondamentaux reconnus par les lois de la Républigue.


Mais il faudrait faire rester le débat dans le cadre des juridictions républicaines.

Art. 1128 Code civil. Il n'y a que les choses qui sont dans la commerce qui peuvent être l'objet de conventions. Cet article pourrait servir de fondement au principe de l'indisponibilité du corps humain.

B. Les fausses "normes" constitutionnelles

1. La référence au droit international

. USA : La Cour Suprême considère qu'il existe des principes non écrits, de droit positif témoignant de la volonté démocratique de protéger certaines libertés dans l'intérêt de tous. Mais parmi ces principes, quels sont ceux qui ont valeur constitutionnelle ? Utiliser la technique du faisceau d'indices : principes à la fois dégagés traditionnellement par le juge civil et reconnus en droit international.

Mais, en tant que tel, le droit international ne peut être utilisé que comme source de normes de référence (v. FAVOREU "Droits" le juge constitutionnel et la vie, 1991, n° 13, p. 75).

Le juge constitutionnel doit seulement -à partir du droit national- présumer la constitutionnalité de la loi qui lui est soumise.

2. La référence à la théorie portugaise de "la liste ouverte" des droits

Il y a des droits non proclamés par la Constitution, mais qui, par leur valeur, doivent être intégrés du droit de la Constitution.

Exemple :

- le droit à un patrimoine génétique non manipulé ;

- le droit des enfants à le reconnaissance de l'identité de leur patrimoine génétique.

Mais le juge constitutionnel ne s'érige-t-il pas en constituant ?

3. L'extension de la catégorie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République à des dispositions législatives postérieures à 1946.

Il est évident que certaines dispositions législatives postérieures à 1946 relèvent de principes dont l'élévation au rang constitutionnel paraît souhaitable : 

- inviolabilité du corps humain ;

- indisponibilité de la personne et de son corps ;

- protection du patrimoine génétique.

Ceci constituerait un socle d'ordre public destiné à garantir la dignité de la personne humaine. Mais la reconnaissance de la valeur constitutionnelle d'un principe contenu dans une disposition législative postérieure à 1946 ne peut qu'être indirecte, médiatisée par le recours à un texte formellement constitutionnel ou un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

C. Les sources internationales

La référence systématique aux conventions internationales entraîne une imitation des modèles étrangers et des exigences éthiques sont peu propices à faire l'objet de négociations internationales.

Seule, la constitutionnalisation de certains droits reconnus comme essentiels est à même de protéger les conceptions éthiques nationales.

La commission VEDEL pour la réforme de la Constitution souhaitait que soit constitutionnalisé le droit de chacun au respect de sa vie privée et de la dignité de sa personne.

1. Quels droits à constitutionnaliser ?

Dans la vacance du droit constitutionnel -et pendant longtemps législatif- le comité d'éthique forge la doctrine française de la bioéthique et le juge tranche dans l'incertitude (d'autant que la loi sera révisée dans cinq ans ! ).

a) Le droit à la vie et à la mort

Depuis 1975, "le droit de tout être humain dès le commencement de la vie" est un principe constitutionnel. Il ne peut lui être porté atteinte qu'en cas de nécessité et sous certaines conditions. Deux sources à ce droit :

- le droit à la protection de la santé de l'enfant (1946, Préambule) ;

- un principe fondamental reconnu par les droits de la République tiré du code civil : "infans conceptus pro ato habetr" (mais cela ne vaut que pour la matière successorale mais on pourrait l'étendre).

L'embryon est-il constitutionnellement protégé ? Oui, en général. Mais l'Allemagne et l'Espagne admettent l'avortement en cas de viol, en cas de risque pour la santé de la mère ou de déficiences irrémédiables pour l'enfant.


Dans la plupart des Etats, les droits de l’embryon doivent être consiliés avec le droit à la vie et à la santé de la mère.

Mais ces droits ne sont pas équivalents. La vie humaine intra-utérine est moins protégée que la vie humaine d'une personne née.

Et les embryons surnuméraires ? N'y a-t-il pas atteinte au principe d'égalité (entre les embryons implantés et les autres) et atteinte à la dignité de la personne humaine ?

b) Les manipulations de la vie humaine

a' ) L'indisponibilité et 1'inviolabilité du corps humain

Le fondement d'un tel principe peut être trouvé dans l'article 1128 du code civil précité. Cet article s'inscrit dans la tradition française et républicaine des droits de l'homme.

b') La procréation médicale assistée

Interdiction de connaître ses parents biologiques faite à l'enfant. Est-ce que cela ne porte pas atteinte aux droits de l'enfant à connaître ses origines ?

Une telle disposition n'est-elle pas contraire à la protection de la famille, alors éclatée entre famille biologique, famille de gestation, et famille éducative ?

Par ailleurs, pour l'insémination, l'existence d'un couple, en âge de procréer, stérile et ayant un projet parental, renvoi! à une définition constitutionnelle de la famille. Mais où est inscrite cette définition ?

c') La question des brevets sur les gênes humains

Il est interdit de breveter. Mais les gênes humains ne peuvent-ils pas faire l'objet d'un droit de propriété ?

En fait c'est au constituant à fixer les repères (v. propositions de la commission VEDEL).

Le brevet

Dans son avis du 2 décembre 1991 "sur la non-commercialisation du génôme humain", le comité d'éthique estime que "les séquences d'ADN ne sont pas brevetables ; elles doivent seulement être considérées comme une information et déposées dans des banques de données accessibles à toute la communauté scientifique !


Pour autant, n'est pas exclue la protection par brevet des produits ou procédés issus de ces bases de données lorsqu'ils sont le résultat d'une réelle inventivité et d'applications industrielles convenablement décrites et dont le caractère original a été prouvé.

Le droit du brevet porte sur une invention, c'est-à-dire une création abstraite, et non sur une chose corporelle.

II- LES TEXTES CONSTITUTIONNELS INTERNATIONAUX :

A. Les textes du Conseil de l'Europe font référence aux principes suivants :

a) la protection de l'être humain dans sa dignité et son identité ;

b) le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales à l'égard des applications de la biologie et de la médecine ;

c) l'intérêt de l'être humain doit prévaloir sur celui de la science ;

d) le consentement ;

e) le corps humain n'est pas une source de profit ;

f) la recherche sur les embryons ne peut pas avoir lieu au-delà des 14 premiers jours ;

g) pas de constitution d'embryons uniquement pour la recherche ;

h) possibilité de tests génétiques seulement pour raisons de santé.

B. La Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948 :

- à l'article 1, "Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit. Ils sont doués de raison et de conscience" ;

- à l'article 3, "Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne" ;

- à l'article 16, "A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le même droit de se marier et de fonder une famille... La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a le droit à la protection de la société et de l'Etat" ;




C. Convention européenne des Droits de l'Homme :

On trouve à l'article 2 "le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi" et à l'article 12 "à partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille, selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit".

D. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques :

On trouve à l'article 6 "le droit à la vie est inhérent à la nature humaine. Ce droit doit être protégé par la loi". A l'article 23, "La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'Etat. Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l'homme et la femme à partir de l'âge nubile". On trouve à l'article 24 : "Tout enfant, sans discrimination..., a droit de la part de sa famille, de la société et de l'Etat, aux mesures de protection qu'exige sa condition de mineur. Tout enfant doit être enregistré immédiatement après sa naissance et avoir un nom".

E. La Convention relative aux droits de l'enfant (20 novembre 1989) :

Figure en premier lieu dans le Préambule, "L'enfant, pour l'épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial dans un climat de bonheur, d'amour et de compréhension". En second lieu, "L'enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle a besoin d'une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d'une protection juridique appropriée avant comme après la naissance".

A l'article 6, "Tout enfant a un droit inhérent à la vie".

A l'article 7, "L'enfant a le droit à un nom dès la naissance. L'enfant a le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, de connaître ses parents et d'être élevé par eux".

A l'article 9, "L'enfant a le droit de vivre avec ses parents".

Ainsi, pourrait se dégager de l'ensemble de ces textes quelques principes fondamentaux sur lesquels on pourrait se mettre d'accord :

1 . La distinction des personnes et des choses. Les premières sont hors commerce. On ne peut pas commercialiser son corps



2. L'indivisibilité du corps et de l'esprit d'où il résulte que le corps est à la fois inviolable et indisponible. Nul ne peut porter atteinte au corps d'autrui ni disposer de son corps sauf si la loi l'y autorise. C'est comme pour le droit de grève : il s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.

3. Le respect de la dignité de la personne humaine qui implique le respect de la vie, même embryonnaire, et le respect dû aux morts.

4. Respecter les structures de la parenté, c'est-à-dire deux parents et non trois ou un, ce qui impliquerait que la femme célibataire ne pourrait avoir droit à une procréation médicale assistée et qu'elle ne pourrait pas non plus être inséminée par le sperme d'un conjoint décédé.

5. Le droit à la santé et le droit à la vie privée qui doivent se combiner dans la réglementation des fichiers.

6. La liberté de la recherche.

7. Le principe de proportionnalité des moyens et des fins qui doit être observé s'agissant de la recherche, de la procréation assistée et du diagnostic prénatal.

De l'ensemble de ces principes, découlent trois règles d'ordre public :

a) l'exigence du consentement libre et éclairé ;

b) la gratuité ;

c) la finalité. On ne peut consentir à n'importe quoi. Exclusion de la finalité commerciale. On ne retient que la finalité thérapeutique.

F. Les principes constitutionnels que nous pourrions dégagés :

1° La liberté de l'enseignement et de la recherche :

Nous pourrions nous appuyer sur trois décisions du Conseil constitutionnel :

- celle du 23 novembre 1977 qui fait de la liberté de 1'enseignement un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Son 2ème considérant énonce l'obligation faite aux maîtres par la Loi Debré de respecter le caractère "propre" de l'établissement et l'obligation de réserve même dans 1'enseignement ;



- celle du 20 janvier 1984 qui sanctionne l’abrogation de la loi Faure par la loi Savary car la loi E. Faure donnait aux enseignants des garanties constitutionnelles qui ne figurent plus dans la nouvelle loi et ne sont pas remplacées par d ' autres, équivalentes ;

- celle du 28 juillet 1993 : Non-conformité de la loi qui autorisait les universités à adopter des statuts dérogatoires par rapport à la loi Savary au motif que le Parlement avait abandonné une de ses compétences de l'article 34 pour l'application des règles de fonctionnement des établissements publics, privant ainsi les intéressés des "garanties légales" qui doivent être apportées aux "principes de caractère constitutionnel que constituent la liberté et l'indépendance des enseignants chercheurs", découlant de l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme (libre communication des pensées et des opinions).

2° Principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie (personne réelle ou personne potentielle) ;

3° Le respect de la dignité humaine ( pendant la vie comme après la mort) intégrité, indisponibilité, identité).

4° La protection de la santé de l'enfant.

5° La protection de la famille.

Y ajouter également le droit de chacun à disposer de son propre corps et la liberté de la recherche.

Du rapport LENOIR, loi-cadre fixant les grands principes de l'éthique médicale, on pourrait énoncer :

- Le respect du corps humain et sa non commercialisation :

Affirmer clairement que le corps, ses éléments et ses produits (tissus, sang, organes) sont hors commerce.

Sanctions pénales à prévoir dans l'hypothèse d'une utilisation commerciale du corps humain (trafic clandestin d'organes, cas des mères porteuses). Il s'agissait là de compléter la loi (Déclaration du 22 décembre 1976 sur le don d'organes et de tissus).

- La procréation médicale assistée :

Si loi il devait y avoir, celle-ci devrait assurer :

a) la finalité thérapeutique des procréations médicales assistées ;


b) la protection des intérêts des enfants issus de ces procréations médicales assistées en interdisant les actions en désaveu de paternité d'un père qui a préalablement consenti à 1'insémination de sa femme ;

c) encadrer la recherche sur l'embryon en considération du principe du respect de la dignité humaine.

- Le droit à la famille (fonder une famille et un foyer) :

Va-t-il jusqu'au droit à l'enfant ? Quel enfant ? Quelle famille ?

- Le droit à la vie et celui de la transmettre ?

Reconnu aux hommes nés. Les déclarations de droits ne visent pas les embryons. Mais quelle vie ? (acharnement thérapeutique).

- Le droit à la libre disposition de son corps :

a) Son propre corps :

- le suicide ;

- la prostitution (et non le proxénétisme) ;

- le don d'organes ;

- le don de sperme ;

- le don du sang ;

Respect du corps humain et sa non-commercialisation.

b) Le corps qu'on porte :

C'est un crime : le foetus (Loi Weil)

C'est un don : le foetus d'un autre (la mère porteuse)

- Le droit d'association

La Cour européenne rejette le recours des mères porteuses. L'association s'était pourvue devant la Cour européenne sur la base de l'atteinte, par la législation d'Alsace-Lorraine, à la liberté d'association admise par le reste du pays.


Monsieur le Président : Merci ! Vous avez rappelé les possibilités et vous avez rappelé aussi la tentation qui pourrait être la nôtre d'accroître les principes à valeur constitutionnelle, c'est d'ailleurs une tentation de toutes les cours constitutionnelles. La première observation que je voudrais faire est la suivante : quand le Parlement le veut, il lui est toujours possible d'inscrire des principes dans la Constitution. J'en voudrais comme exemple la révision constitutionnelle qui a précédé la ratification du traité de Maastricht ou bien encore l'inscription de la langue française comme langue de la République dans la Constitution elle-même. Le législateur aurait pu à l'occasion de cette loi proclamer des principes constitutionnels. Il ne l'a pas fait. Des lors, nous ne pouvons pas nous substituer au Constituant. Nous ne déclarons, nous Conseil constitutionnel, de principe que lorsque nous trouvons un ancrage. Il nous faut un filin même ténu. On ne peut pas sortir un principe constitutionnel de notre chapeau.

A partir de là, il est vrai que la recherche s'avère difficile.

Vous avez évoqué plusieurs possibilités :

- Une possibilité large qui nous conduirait à inscrire plusieurs principes constitutionnels dans la décision.

- Une possibilité moins large qui inclurait tout de même la liberté de la recherche. S'agissant de la recherche scientifique ? Quelles en seraient les conséquences ? Je ne peux pas, au stade actuel, les envisager. En revanche, je vois un risque immense de constitutionnaliser ce principe à l'occasion du sujet qui nous est soumis.

On pourrait retenir aussi dans cette perspective moins large le principe de la liberté de disposer de son corps. Mais en fait, on est passé de la police de la santé à la police des moeurs. Dire dans le texte de loi qu'il faut être marié pour donner son sperme, c'est de la police des moeurs. Un sperme vigoureux provient-il nécessairement d'un homme marié ?

On peut dire que toute discrimination qui est de l'ordre de la police des moeurs doit être censurée. D'ailleurs, personnellement je me rallierais volontiers à cette conception. Si on peut disposer de son corps, alors il n'y a pas d'autres restrictions ni autres limitations que celles qui peuvent résulter de la police de la santé. J'avoue cependant que je ne vois pas d'ancrage constitutionnel à la liberté de disposer de son propre corps. En outre, nous serions conduits si un tel principe existait à censurer les limitations qui sont énoncées par la loi elle-même. Si en revanche, on ne censure pas, à quoi cela servirait-il de proclamer la liberté de disposer de son corps ? Il y a là un choix fondamental. Si on retient une option large, nous serons conduits à une censure extrêmement large.

Donc personnellement, j'en reviendrais à un spectre de principes


relativement étroit : la proclamation de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Au moins pour ce principe, nous avons une référence qui figure dans le Préambule de la Constitution de 1946. Là on a une mention de la victoire remportée par les peuples libres sur ceux qui ont tenté d ' asservir et de dégrader la personne humaine. En ce qui concerne ce principe, nous sommes en phase avec toutes les démocraties modernes. Certes, l'ancrage avec le préambule du Préambule est ténu mais il existe. J'avais souhaité en 1989 que l'on procède à un complément à la Déclaration de 1789 sur cette question. Pour des raisons spécifiques, cela n'a pas été possible.

Aujourd'hui, à l'occasion de l'examen de ces lois, nous en avons la possibilité. Il est possible de consacrer la valeur constitutionnelle de la dignité de la personne humaine avec toutes les conséquences qui en découlent : l'intégrité, l'inviolabilité, la non-patrimonialité.

Il est bon qu'aujourd' hui, contre toutes les tentations qui pourraient survenir demain, on consacre ce principe de la sauvegarde de la dignité humaine.

Maintenant, faut-il aller plus loin et faut-il retenir en premier lieu la liberté de la recherche et faut-il en second lieu retenir le principe de la libre disposition de son corps ?

Monsieur CABANNES : Comme il est déjà 1 heure moins le quart, je crois que l'on ne peut pas commencer à aborder un tel problème.

Monsieur le Président : Oui, je crois que nous allons faire une interruption et reprendre ultérieurement.

(La séance est suspendue à 13 heures et reprise à 14 h 45).

Monsieur FAURE : Bien, nous en étions aux principes applicables pour cette loi.

Madame LENOIR : Je voudrais apporter quelques précisions sur la notion de respect de tout être humain dès le commencement de la vie, c'est-à-dire sur ce que l'on proclame au deuxième considérant en haut de la page 3 du projet. Je crois qu'il ne faut pas s'écarter des sources constitutionnelles écrites. On va nous dire que nous sortons ce principe de notre chapeau. Passe encore pour la dignité humaine mais s'agissant du respect de la vie, si nous le tirons du Préambule de 1946, nous aurons procédé à une double création. Le respect de tout être humain dès le commencement de la vie n'est pas un principe constitutionnel.

Monsieur le Président : Mais en faisant cela, est-ce que l'on ne se borne pas à tirer les conséquences de ce que nous avons dit le 15 janvier 1975 ?

Madame LENOIR : Non, en l'élevant au rang de principe constitutionnel, on rompt un équilibre extrêmement fragile.


Monsieur LATSCHA : Pourtant il me semble que le considérant de la décision de 1975 est très clair. Il y a le principe du respect de tout être humain dès son commencement. Certes, il n'y a qu'un seul texte qui reconnaît explicitement le droit à la vie, c'est la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le Président de l'Assemblée nationale, M. Philippe SEGUIN nous incite dans sa lettre de saisine à reconnaître ce principe. Je suis d'accord sur le principe de la dignité humaine et il y en aura peut-être d'autres tels que le respect de l'intégrité de la personne et le respect de l'être humain dès le commencement de la vie. On verra à la fin de la décision sur quel principe on s'appuie. On verra si ce sont des principes ou s'il découle seulement de la notion d'intégrité de l'homme. Cela n'est pas la même chose d'admettre des principes qui sont tous au même niveau ou bien d'en prendre un et d'en faire découler un certain nombre de conséquences. Pour l'instant, je m'en tiens à cette distinction.

Monsieur ROBERT : Si vous biffez de ce deuxième considérant des normes applicables, le respect de tout être humain dès le commencement de la vie, vous ouvrez la porte à n'importe quoi. Il faut bien que nous ayons des principes qui s'opposent de façon à parvenir à une conciliation. Mentionner à nouveau le respect de la vie, c'est seulement un rappel de 1975 qui ne nous empêche pas de le limiter. Je crois qu'il ne faut pas tout permettre.

Madame LENOIR : Je pense qu'on peut s'en tirer avec le seul principe de la dignité humaine. D'une certaine façon, avec le respect de tout être humain dès le commencement de la vie, nous ne faisons que la moitié du chemin. Je vous renvoie d'ailleurs à ce sujet aux conclusions éclairantes de M. David KESSLER, à propos de l'affaire MILLAU sur le respect de la dignité après la mort. Pourquoi mettre l'accent sur le commencement de la vie alors que les questions qui se posent sur le respect de l'être humain après la mort sont au moins aussi nombreuses ?

Monsieur LATSCHA : Je crois qu'il ne faut pas descendre au- dessous d'un certain seuil sinon la décision n'aurait pas de sens.

Monsieur ROBERT : Le respect dû au commencement de la vie n'exclut nullement le respect qui est dû au-delà de la mort.

Monsieur le Président : Il est certain que la dignité de l'homme inclut le respect dû au cadavre. Mais je me pose une autre question quant à la portée exacte de notre considérant de 1975.

Madame LENOIR : Je crois que le doyen FAVOREU indique cette portée assez précisément (elle lit un passage des grandes décisions du Conseil constitutionnel se rapportant à la décision du 15 janvier 1975 sur l'IVG). En fait, M. FAVOREU exprime assez . bien l'idée que l'on n'a pas vraiment constitutionnalisé ce principe.

Monsieur le Président : Mais le Professeur MATHIEU à l'article


du Jurisclasseur écrit que ce principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie a été explicitement reconnu. M. MATHIEU est certainement très attaché à cette constitutionnalisation mais je ne suis pas sûr qu’il fasse une interprétation exacte de notre décision.

Monsieur CABANNES : Ce que dit M. MATHIEU est certainement l’opinion la plus communément reçue.

Monsieur le Président : Il faut surtout éviter de faire monter ce principe à un degré de protection supérieur à celui que nous avons effectivement proclamé en 1975. J'ai beaucoup plus le sentiment que le Conseil en citant cet article de loi en a déduit qu'il n'avait pas méconnu la Constitution sans pour autant élever cet article au rang constitutionnel. Si maintenant nous proclamions le principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie, j'ai l'impression que nous ferions un bond en avant. Je voudrais y regarder de plus près et je voudrais qu'on me descende le procès-verbal relatif à la décision de 1975.

(Après une suspension de séance qui permet de consulter le procès-verbal de la décision de 1975, la séance reprend).

Monsieur le Président : Il m'apparaît clairement, au vu du procès-verbal, que la position de M. GOGUEL est qu'il n'existe pas sur ce sujet de principe à valeur constitutionnelle. D'accord, une partie de la doctrine dit le contraire. M. LUCHAIRE dit même que ce respect de tout être humain dès le commencement de la vie s'entend dès la conception. Mais la portée véritable du considérant, c'est qu'il n'existe pas de principe fondamental reconnu par les lois de la République. La décision de 1975 ne proclame pas de principe. Elle se borne à citer l'article 1er de la loi. D'ailleurs, je ne vois pas d'où on sortirait ce principe. Il faut conserver ce que nous avons dit en 1975 mais je ne propose pas d'en faire une interprétation telle qu'elle nous conduirait à hausser d'un cran la valeur juridique de ce principe.

Monsieur FAURE : Mais alors, si l'on garde dans le considérant du haut de la page 3 la notion de liberté individuelle proclamée dans les articles 1, 2 et 4 de la Déclaration de 1789, nous n'aurons plus de limite à y opposer.

Monsieur le Président : Je vous propose qu'on lise la partie concernant les principes applicables.

(Monsieur ROBERT lit la partie en question).

Monsieur le Président : Voilà, la proclamation de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine à valeur constitutionnelle. C'est la philosophie du Préambule de 1946 et c'est l'essentiel. C'est d'ailleurs une audace limitée.

Monsieur LATSCHA : Je réserve ma décision pour la fin.


Madame LENOIR : Je crois qu'il faudrait ajouter le terme d'asservissement après la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement ou de dégradation.

Monsieur le Président : Je crois qu'il faut faire sauter l'expression à la quatrième ligne "selon ses termes".

Monsieur LATSCHA : Je crains qu'à la lecture de ce considérant la liberté individuelle ne prenne des proportions trop vastes.

Monsieur le Président : Pour l'instant, je propose qu'on en reste là. Comment traiter la saisine de Monsieur SEGUIN ?

Monsieur CABANNES : M. BEAUMONT signataire de la saisine parlementaire soutient que le recours de M. SEGUIN est irrecevable.

(Monsieur SCHRAMECK lit le mémoire complémentaire de M. BEAUMONT).

Monsieur le Président : Il ne dit pas que le recours n'est pas recevable c'est seulement une observation. Bon, Monsieur le Professeur, allons-y pour votre rapport sur les questions posées par les saisissants.

Monsieur ROBERT :

IV Les demandes d'annulation portent :

- Sur la loi sur le don :

1° articles L. 152-1 à L. 152-9 : tout ce qui concerne l'assistance médicale à la procréation (pages 10 à 12).

2° article L. 671-7 : prélèvement d'organes sur une personne décédée (page 5) ;

. article L. 672-5 (page 7) ;

. article L. 162-16 : le diagnostic prénatal (page 17) ;

. article L. 162-16-1.

3° article 8 bis sur les embryons (avant et après la loi ) .

- Sur la loi sur le respect du corps humain :

1° article 311-19 : questions en matière de filiation du donneur ;

2° article 311-20 : le consentement d'un couple receveur.




Le droit à la vie est le premier des droits fondamentaux de la personne humaine.

D'après la Déclaration des droits de l'homme, article 1 : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits".

D'après le Préambule de 1946, "Tout être humain possède des droits inaliénables et sacrés".

Le droit à la vie a été proclamé dans la Convention européenne des Droits de l'Homme.

Or l'embryon est un être humain, un sujet de droit.

Or l'article 8 bis (en fait l'article 9) prévoit dans certains cas la destruction des embryons.

Certes, le Conseil constitutionnel a admis une atteinte à la vie dans sa décision du 15 janvier 1975 mais il y avait là un conflit entre le droit de la mère et celui de l'enfant. Ici, rien de tel.

De plus, les articles 10 bis et 10 quater (en fait les articles 12 et 14) autorisent le diagnostic prénatal ou le diagnostic biologique.

Donc les médecins, en accord avec les parents, décideront librement quels sont les enfants qui n'ont pas le droit de voir le jour. D'où deux catégories d'êtres humains.

Que faire des embryons si on ne les décongèle pas au bout de 3 ans ?

Il y a deux solutions :

1 ° on peut les implanter tous successivement à la femme ;

2° on peut les conserver indéfiniment, au risque d'une détérioration de leur état.

Le diagnostic pré-implantatoire n'est possible qu'après constatation que les parents sont atteints d'une maladie héréditaire, parce qu'il est alors prouvé qu'il y a une forte probabilité que le foetus soit malformé !

Le principe d'égalité :

1° rupture entre les embryons implantés et les autres ;

2° rupture de l'égalité entre les embryons donnés à des



couples tiers et ceux qui ne le seront pas ;

3° rupture de l'égalité entre les embryons existant à la date de la promulgation de la loi dont certains pourront être détruits, et ceux conçus après la date de la loi (qui seront régis par une nouvelle loi dans 5 ans).

Mais le principe d'égalité ne s'applique qu'aux personnes seulement. Or les embryons ne sont que des personnes potentielles.

Ou bien alors, si on applique le principe d'égalité, il faut montrer que les embryons ne sont pas dans une situation égale, pour de simples motifs de fait.

De plus, il n'y a pas risque d'eugénisme car il n'y a pas de choix opéré entre les embryons. Les seuls, écartés, sont ceux que, de toute façon, la nature aurait rejetés.

Le don à un autre couple est un libre choix des parents qui sont propriétaires de leurs embryons.

Le principe du respect de l'intégrité de la personne et du corps humain :

L'article L. 152-8 (article 8, page 12) permet à l'homme et à la femme formant un couple d' accepter qu'à des fins médicales -et sans porter atteinte à l'embryon- on mène des études sur leurs embryons.

L'embryon devient une chose.

Ce n'est pas une expérimentation. "Toute expérimentation sur l'embryon est interdite" (article L. 152-8, alinéa 2). Mais, après la décongélation, au bout de 5 ans, quid ? Mais s'agit-il encore d'un embryon ?

A titre exceptionnel, l'homme et la femme formant le couple peuvent accepter que soient menées des études sur leurs embryons.

Ces études doivent avoir une finalité médicale et ne peuvent porter atteinte à l'embryon.

Le principe de la protection du patrimoine génétique de l'humanité :

Est-il constitutionnel ? Aujourd'hui, non.

Il n'y a pas de sélection des embryons (entre ceux qui sont réimplantés et ceux qui sont en surnombre).



Mais c'est vrai que le diagnostic prénatal ou biologique conduit, en fait, à l'interruption volontaire de la grossesse.

Mais, aujourd'hui, est-ce qu'il y a une protection du patrimoine génétique de l'individu après la loi Veil ?

Le droit de la famille :

D'après le Préambule de la Constitution de 1946, "La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement".

Dans sa décision du 23 janvier 1987, le Conseil reconnaissait à la protection des droits de la famille une valeur constitutionnelle.

Or le législateur -en légalisant l'I.A.D. permet à des couples qui peuvent être non-mariés la possibilité d'avoir des enfants dont le père naturel est un "tiers donneur". C'est une nouvelle conception de la famille. L'adoption est toute différente.

Il n'y a pas rupture de la famille traditionnelle mais adaptation du droit de la famille aux nouvelles techniques médicales.

L'enfant né par I.A.D. est légitime. Il a pour père le mari qui, consentant, ne pourra plus intenter une action en désaveu.

Le tiers donneur, anonyme, n'a été qu'un moment passager dans la vie du couple qui s'est refermé après son passage.

Le droit à la santé de l'enfant et au libre épanouissement de sa personnalité :

D'après la Constitution de 1946, "La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement".

D'après le Préambule de 1946, "La Nation garantit à l'enfant la protection de la santé (décisions du 15 janvier 1975 et du 18 janvier 1978).

Or la loi n'institue aucune protection de l'embryon. Les enfants conçus in vitro sont plus souvent prématurés ou handicapés que les enfants issus de la procréation naturelle.

De plus, les enfants nés de l'i.A.D. ne connaîtront pas leur père et leur identité.

Ainsi, on fait passer le droit des parents de procréer




avec le droit de chaque être humain de connaître son identité et sa filiation.

Je me demande si une authentique transparence n’est pas le prix à payer pour éviter la déshumanisation des nouvelles techniques de procréation.

Et puis, aujourd'hui, aucun obstacle ne s'oppose à ce qu'un pupille de l'Etat, fût-il adopté en la forme plènière, ait accès à son dossier conservé par les services des affaires sociales.

Les psychiatres ne relèvent-ils pas le traumatisme que peut causer l'absence de réponse aux questions que chaque enfant se pose à un moment de sa vie ? Quelques indications concernant les enfants nés de cette façon apaiseraient les inquiétudes et les frustations.

Mais la vérité est-elle contraignante ou libératrice ?

Y a-t-il vraiment un droit à connaître ses origines ? Rien ni personne ne pourra jamais faire oublier que nous n'étions pas là quand notre petite étincelle de vie s'est mise à scintiller.

On peut comprendre les raisons avancées en faveur de l'anonymat. Mais peut-on priver irrévocablement un être humain de la possibilité de savoir d'où il provient ?

Sans doute, pour certains (ex. Monseigneur Lustiger), n'a-t-on pas tenu assez compte des avis des psychologues et des psychanalystes. Les guerres ont laissé des enfants du hasard et du malheur nés de parents inconnus.

Même adoptés et aimés, de quelles blessures ne souffrent-ils pas à la recherche d'une identité insaisissable ?

Le droit à une vie familiale normale (arrêt cf. MARCKK contre la Belgique) rendu par la Cour européenne des droits de l'homme le 13 juin 1979 consacre le droit à connaître ses origines.

L'article 8 al. 1 qui prévoit que chacun a le droit au respect de la vie privée et familiale -implique le droit fondamental de tout enfant d'avoir "une vie familiale normale" et, corrélativement, l'obligation positive pour les Etats qui ont ratifié la convention de réformer leur législation de manière à ce qu'elle n'entrave pas l'établissement de biens juridiques entre l'enfant et les plus proches membres de sa famille, en l'occurence la mère et les grands parents maternels, a fortiori son père.

La loi suédoise permet à l'enfant de rechercher après 18 ans, son père biologique.


 

Cependant, je pense que le libre épanouissement de l'enfant s'effectue dans le cadre d'une famille à deux parents et la perturbation viendrait précisément de la révélation qui serait faite à l'enfant que le père avec lequel il vit n'est pas le vrai.

Anatole FRANCE ("La vie en fleur"), "j'aime la vérité. Je crois que l'humanité en a besoin, mais elle a bien plus grand besoin encore d'un mensonge".

La responsabilité personnelle et la recherche de paternité maternelle

- Le droit de l'enfant de rechercher sa paternité (loi du 16 novembre 1912) n'est-il pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République ?

- Un géniteur peut-il, par avance, renoncer à sa descendance ?

- Nul ne peut-être exonéré de sa responsabilité (D.C. 22 oct. 1982, art. 1382 code civil).

Le principe de la séparation des pouvoirs

Art. 184-3 p. 16

- Création d'une "Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal".

Art. 152-8 p. 12

L'avis conforme de la Commission est une limite à l'étude pratiquée sur l'embryon (art. L. 152-8 al. 4).

Or, il n'y a aucune garantie sur la composition de cette Commission.

- La délégation de tels pouvoirs à une autorité administrative est une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le législateur ne pouvant déléguer ses compétences dans les matières qui touchent aux droits de l'homme (R.D.C. 17 janvier 1989 sur le C.S.A.).

Monsieur le Président : Bien, nous allons donc aborder la question de la condition juridique de l'embryon. Il est certain que si c'est une personne humaine, nous avons un rupture d'égalité. Si ça ne l'est pas, nous n'avons pas de problème. Derrière l'argumentation des saisissants, il y a certainement l'espoir de nous voir procéder à cette reconnaissance.

Monsieur ABADIE : A l'Assemblée nationale, Mme BOUTIN a proposé un amendement en ce sens qui a été repoussé.



Monsieur le Président : Effectivement, cet amendement tendait à dire que l'être humain est une personne dès sa conception.

Monsieur ABADIE : Cet amendement a été repoussé et nous ne pouvons pas nous substituer au législateur.

Monsieur le Président : Est-ce qu'il nous appartient vraiment de nous prononcer sur ce sujet ? En avons-nous vraiment la compétence ? Avons-nous les moyens scientifiques de reconnaître ce qui est et ce qui n'est pas une personne humaine ?

Monsieur ROBERT : Nous avons seulement des éléments qui nous permettent de dire que l'embryon n'est pas une personne. Je vous renvoie à ce sujet à l’avis du comité d'éthique et au rapport de la Cour européenne des droits de l'homme en date du 13 mai 1980 qui affirme que l'article 2 de la Convention ne visait pas l'enfant à naître.

Madame LENOIR : Dans ce débat, ce qui me gêne c'est que nous parlons tout le temps d'embryon alors que médicalement ce n'en est pas un. La loi emploie un langage courant qui ne renvoie à aucune définition précise par exemple la loi anglaise distingue l'embryon du pré-embryon. Il n'y a pas véritablement d'embryon avant le 14ème jour.

Monsieur FAURE : L'embryon c'est le premier stade de la vie. Nous n'avons pas à dire si c'est un être vivant ou pas. Si on devait donner une réponse à cette question, chacun de nous répondrait en fonction de son passé religieux, personnel, voire syndical etc.. Moi je vous le dis ma réponse serait non. Mais je serais peut-être le seul.

(Trois autres conseillers opinent dans le même sens).

Monsieur le Président : Je suis d'accord avec vous, cependant il faut répondre car les saisissants font grief sur ce point à la loi. Si c'est une personne dès le commencement de la vie, nous ferons sauter toute une partie de la loi.

Monsieur LATSCHA : Il y a une chose qui me frappe dans le droit à la vie. Il est affirmé dans deux textes internationaux, dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et à l'article 2 de la CEDH. Je constate que nous avons une grande difficulté à aller jusqu'au bout de cette conception. La vie c'est quand même ce qui conditionne tout le reste. S'il n'y a pas de vie, il n'existe plus rien. Il n'existe plus aucun droit. Avec l'embryon, nous sommes entre la chose et la personne. L'embryon c'est en quelque sorte une personne humaine potentielle. L'idée d'être humain fait l'objet d'un accord au sein de l'Eglise gui explique l'opposition très profonde qu'elle a contre l'IVG et la conservation des embryons. Cette situation intermédiaire de l'embryon entre la personne et la chose est difficile à cerner. Est-ce qu'au regard de l'article 152-4 et 152-5 de la loi on peut dire que l'anonymat est préservé ?



Monsieur ROBERT : Sur ces questions, je ne vois pas de problèmes.

Monsieur LATSCHA : Mais pour les dons d'organes, il existe un problème, on le retrouvera avec l'article 16 de l'autre texte qui nous est soumis.

Monsieur FABRE : Je crois que depuis vingt ans c'est un vrai problème qui n'a pas reçu de solution satisfaisante. En outre, je crois qu'il ne trouvera de solution que dans la philosophie de chacun. Par ailleurs, il faut prendre en compte les progrès de la science que personne n'arrêtera. Le droit s'essouffle à les rattraper. Ce n'est pas à nous, à nous substituer aux philosophes et aux savants qui ont colloqué pendant des lustres et qui n'ont pas pu se mettre d'accord. Ce n'est pas à nous d'affirmer des principes.

Monsieur CABANNES : Je suis en complet accord avec le rapporteur. Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer sa propre appréciation.

Monsieur le Président : D'ailleurs, je ferais observer que si la double conjonction du principe de l'anonymat et de la gratuité est élevée, il n'y aurait plus de donneur.

Monsieur ROBERT : On pourrait tout de même concevoir un système qui permette d'identifier le "père" sans que cela crée des obligations et des responsabilités pour ce "père".

Monsieur LATSCHA : L'anonymat est certainement un point très délicat.

Monsieur FAURE : Quitte à choisir entre l'un et l'autre, je préfère l'anonymat.

Monsieur RUDLOFF : En outre, si on lève cet anonymat, n'y aura-t- il pas des problèmes liés à la nationalité du donneur ? Si celui- ci est Suédois par exemple, qu'est-ce qui régira le droit en la matière ?

Monsieur le Président : C'est toujours la nationalité de l'enfant qui est prise en considération.

Madame LENOIR : Le principe du droit à reconnaître ses origines est reconnu en Allemagne par une loi de 1989. Cependant, notre tradition à nous est différente.

Monsieur le Président : Il est certain que là-dessus, la Cour européenne aura du mal à assurer une quelconque harmonisation.

Monsieur ABADIE : Nous ne pouvons résoudre la question de l'anonymat qu'à travers la prise en considération de la santé de l'enfant. Or, à cet égard, il y a autant de raison pour l'anonymat que contre. Par suite, nous ne pouvons pas trancher.




Monsieur le Président : Tout à fait d'accord et je vous propose qu'on passe à la lecture des pages 3, 4 et 5 du projet.

(Monsieur ROBERT lit lesdites pages).

Monsieur le Président : Alors, sur ce coeur de la décision ? Qui veut prendre la parole ? Il me semble que l'économie du projet est claire. Nous disons que le législateur a fait un choix et qu'en quelque sorte, il ne nous appartient pas d'y substituer le nôtre.

Madame LENOIR : Ce qui me gêne, c'est que l'article liminaire de l'autre loi sur le respect et la dignité du corps humain justifie ce que le législateur a voulu en matière d'expérimentation ou de manipulation. Mais ce principe de la dignité n'est pas absolu. Cependant, il est applicable y compris aux embryons mais il est mis en balance avec le principe de la liberté de la recherche.

Monsieur ROBERT : Oui, mais le texte précise qu'on prend en considération les embryons eu égard à leur état de développement.

Madame LENOIR : Le législateur a estimé qu'au-delà de cinq années de conservation, on pouvait y mettre fin.

Monsieur le Président : Que souhaiteriez-vous comme formulation ?

Madame LENOIR : L'expression : "Ne leur était pas applicable" me gêne.

Monsieur ROBERT : On a l'air de dire que la vie commence à la conception.

Monsieur le Président : C'est parce que nous sommes gentils avec le législateur car en fait, nous voulons dire que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie ne leur est pas applicable.

Madame LENOIR : Je préférerais comme formule : "Que le principe du respect ne s'applique aux embryons qu'eu égard à leur état de développement".

Monsieur le Président : Si ce principe leur était applicable, on ne pourrait pas les détruire au bout de cinq ans. Ce que nous disons est purement descriptif. C'est d'ailleurs logique et ça a le mérite d'être gentil avec le législateur.

Monsieur LATSCHA : Il faut bien se rendre compte aussi que l'appréciation que nous portons sur l'état de développement dés embryons va changer avec 'état des sciences et des techniques.

(La formule du deuxième considérant du projet de la page 8 est changée et au lieu de dire "qu'eu égard à leur état de développement il a estimé que le principe du respect...", la décision dit simplement : "qu'il a estimé que le principe du respect ...")


Monsieur ROBERT : Pourquoi ne précise-t-on pas les conditions dans lesquelles la fin de la conservation peut intervenir c’est- à-dire celles qui sont liées à l'absence d'accueil ?

Monsieur le Président : A-t-on besoin de le préciser ?

Monsieur RUDLOFF : Je ne vois pas le rapport qu'il peut y avoir entre le respect de la vie et la possibilité d'accueil.

Monsieur le Secrétaire général : Je crois qu'il ne faut pas se focaliser sur les conditions précises qui permettent de mettre fin à la conservation car il y en a de nombreuses qui "autorisent" la suppression des embryons mal formés.

Monsieur FAURE : Ce que nous rédigeons se rapporte seulement aux embryons existant aujourd'hui.

Monsieur le Président : Effectivement, ça se rapporte au stock existant aujourd'hui qui, s'il n'est pas demandé d'ici cinq ans, pourra être détruit. C'est le massacre des innocents.

Monsieur ABADIE : D'ici cinq ans, la loi pourrait avoir changé.

(Monsieur ROBERT lit le dernier considérant de la page 8).

Monsieur le Président : Devons-nous dire "le choix ainsi opéré par le législateur" ? Ne faut-il pas dire "opinion" ?

Monsieur ROBERT : La "position" adoptée par le législateur ?

Monsieur le Secrétaire général : Peut-être faudrait-il mettre "disposition" ?

Monsieur le Président : Oui, d'accord : les dispositions prises par le législateur.

Monsieur FABRE : Mais je ne comprends pas, ça veut dire que si nous avions d'autres connaissances scientifiques, on dirait autre chose.

Madame LENOIR : C'est certain que lorsqu'on congèlera les ovules, engranger les embryons ne sera plus nécessaire. Ne pourrait-on pas cependant déplacer l'expression : "l'état des connaissances" ?

Monsieur le Secrétaire général : Cela n'a plus du tout le même sens. Je crois qu'il faut préserver la jurisprudence pour l'avenir.

Monsieur le Président : Oui, mais on se met à la remorque de la science.



Monsieur ROBERT : C'est différent de dire que c'est le législateur qui le veut ou les connaissances scientifiques qui l'exigent.

Monsieur RUDLOFF : J'hésite. Je me demande si ça rajoute quelque chose.

Monsieur FAURE : Je ne suis pas loin de penser la même chose.

Monsieur le Secrétaire général : Si je peux essayer de trouver une justification, je dirais que par là, le Conseil constitutionnel se refuse à se prononcer.

Monsieur LATSCHA : Au Sénat, il y a eu toute une hésitation autour de l'article 152-3 qui prévoit justement la formulation : "compte tenu de l'état des techniques médicales...".

Monsieur FAURE : Si les connaissances scientifiques changent, le législateur changera ou ne changera pas les dispositions qu'il a édictées. S'il ne les change pas, nous n'y pourrions rien. Si nous sommes saisis, alors que les connaissances ont changé, on appréciera.

Monsieur ABADIE : Ce n'est pas à nous d'apprécier l'état des connaissances scientifiques.

Monsieur FABRE : Nous avons souvent utilisé la formule selon laquelle nous ne détenions pas un pouvoir d'appréciation identique à celui du Parlement, mais jamais en précisant une réserve du type : "en l'état des connaissances scientifiques".

Monsieur le Président : Ça nous arrive souvent d'utiliser la formule : "en l'absence de disproportion manifeste". Mais je préfère la formule "en l'état des connaissances" ce serait mieux.

Madame LENOIR : Pour ma part, je préfère la formule : "en l'état des techniques". D'ailleurs, on l'a utilisée dans la décision sur la communication.

Monsieur CAMBY : Ce qui est gênant, c'est que l'appréciation du Conseil dépendrait de l'état des connaissances alors que votre débat montre bien que ce sont d'autres considérations qui président à votre décision.

Monsieur RUDLOFF : Qu'est-ce que cela vous apporte ? Cela voudrait-il dire qu'une censure pourrait s'appuyer sur une erreur scientifique ?

Monsieur le Président : Oui. Je voudrais revenir à ce qu'à dit Monsieur CAMBY. Il y a quelque chose de vrai dans l'idée que nous avons l'air d'englober dans le bloc de constitutionnalité, des éléments de fait.

Monsieur le Secrétaire général : Mais il est normal qu'il y ait



des considérations de fait.

Monsieur ABADIE : On entre beaucoup dans la discussion de l'état des connaissances. Cela nous donne une responsabilité qui me paraît difficile d'assumer.

Monsieur le Président : Plus vous rendez floue votre décision, mieux c 'est. Il ne faut pas que nous ayons l'air d'abandonner notre compétence.

Monsieur ROBERT : Effectivement, ce n'est pas possible.

Monsieur le Secrétaire général : Dans l'hypothèse où les techniques évolueraient de telle manière que les embryons surnuméraires n'existent plus, le terme de technique me paraît un peu restrictif.

Monsieur le Président : Soyons prudents. Voyez quel souci nous avons dans la gestion de la jurisprudence. Je crois que la formule la plus vague est la meilleure. On peut se borner à mettre : "au regard des connaissances et des techniques".

(Cette formulation est adoptée et les conseillers passent à la lecture de la page 9 du projet).

Monsieur LATSCHA : La première phrase concernant l'existence et la protection génétique du patrimoine de l'humanité dont nous disons qu'elles ne ressortent d'aucune disposition constitutionnelle est trop abrupte. Car nous pourrions faire découler la notion de patrimoine génétique du Préambule de 1946.

Madame LENOIR : Je retirerais le terme de collectif pour parler d'un droit à la protection du patrimoine génétique. S'agissant de l'individu, le patrimoine génétique évolue. La thérapie génique et la chimiothérapie modifient le patrimoine génétique.

Monsieur LATSCHA : On pourrait se contenter de dire qu'aucune disposition du Préambule ne confère...

Monsieur le Président : Non, vous êtes forcés de dire qu'aucune disposition du Préambule ni aucun principe à valeur constitutionnelle ne consacre le droit à la protection du patrimoine génétique de l'humanité.

Madame LENOIR : Je crois qu'il vaut mieux dire : "n'énonce" plutôt que "ne consacre".

Monsieur ABADIE : Le patrimoine commun de l'humanité, c'est cela que nous voulons protéger. En effet, vous avez des traitements médicaux qui ne sont possibles qu'avec la modification du patrimoine génétique. Ce qui est important, c'est le patrimoine commun et non pas le patrimoine individuel.

Monsieur ROBERT : Le patrimoine génétique c'est la totalité :


individuel et collectif. Si vous mettez seulement "commun", vous excluez le patrimoine individuel.

Monsieur ABADIE : C'est bien mon idée, il faut admettre la possibilité de modifier le patrimoine individuel.

Madame LENOIR : Il faut répondre sèchement.

Monsieur le Président : Est-ce que les requérants posent la question "d'un droit collectif" à la protection ?

Monsieur le Secrétaire général : On peut supprimer le terme de collectif, ce n'est pas dans la saisine.

Monsieur le Président : Mais pourquoi énoncer cette phrase générale : "Considérant que l'existence d'un droit collectif à la protection du patrimoine génétique de l'humanité ne ressort d'aucune disposition ni d'aucun principe à valeur constitutionnelle" ?

Monsieur le Secrétaire général : Parce que le moyen est soulevé.

Monsieur le Président : Ce que les saisissants veulent, c'est la consécration d'un principe constitutionnel. Personnellement, j'hésite à ce qu'on se prononce sur le droit à la protection du patrimoine génétique de l'humanité. Je voudrais qu'on gomme l'aspect flamboyant d'une déclaration qui affirme de but en blanc qu'il n'existe pas de droit à la protection du patrimoine génétique. Je préférerais une formule que j'ai essayé de rédiger : "Considérant que, s'agissant de la sélection des embryons, il n'existe contrairement à ce que soutiennent les saisissants, aucune disposition ni aucune principe à valeur constitutionnelle consacrant la protection du patrimoine génétique de l'humanité".

(Tous les conseillers se mettent d'accord sur cette formule et on passe à l'examen des articles 12 et 14 de la loi. Monsieur ROBERT fait son rapport sur ces deux articles).

Monsieur ROBERT : (rapport sur l'article 12 et 14).

Monsieur le Président : Je ferais une extrême réserve sur l'argumentation car cela voudrait dire qu'il ne pourrait y avoir aucune nouvelle forme d'IVG. Sur ce sujet, qui souhaite intervenir ?

Monsieur le Secrétaire général : Je crois qu'on pourrait se borner à dire que le moyen manque en fait.

Monsieur le Président : Oui, la vraie réponse c'est le dernier considérant. Pourquoi dire et affirmer que le diagnostic prénatal ayant pour but de détecter les anomalies du foetus n'est pas une nouvelle forme de l'IVG ?


Monsieur le Secrétaire général : Effectivement, si on analyse l'article L. 162-16 du code de la santé résultant de l'article 12, on peut très bien montrer qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle forme d’IVG. Le moyen manque en fait. Je n'aborderais donc pas cette question sous l'angle du respect de tout être humain dès le commencement de la vie pour pouvoir en rester au flou de la décision de 1975.

Monsieur LATSCHA : On peut se contenter de dire que les articles 162-16 et 162-17 ne concernent pas l'IVG.

Monsieur le Président : Ou que l'article 162-17 ne concerne pas

Monsieur LATSCHA : ... l'IVG.

Monsieur ABADIE : Est-ce que l'interruption de grossesse thérapeutique n'est pas réintroduisible ?

Madame LENOIR : Pas du tout.

Monsieur ABADIE : Le 162-16 vise le diagnostic prénatal in utero. Ça aboutit à une ITG (interruption thérapeutique de grossesse) et non une IVG.

Monsieur le Président : L'argumentation des requérants c'est que ça facilite l'IVG. En fait, c'est une aide technique apportée dans le cadre existant des possibilités d'interruption thérapeutiques.

Monsieur le Secrétaire général : En fait, il faut distinguer deux cas : celui du 162-16 qui ne concerne que le diagnostic prénatal et le 162-17 qui ne concerne que les diagnostics effectués à partir de cellules prélevées d'un embryon in vitro.

Monsieur le Président : Je ne veux pas qu'on puisse prêter la main à une quelconque remise en cause de la législation sur l'avortement.

(Monsieur le Secrétaire général propose une nouvelle rédaction des deux considérants qui terminent l'examen des articles 12 et 14 de la loi. Ces deux considérants sont adoptés à l'unanimité des conseillers).

On passe à l'examen de l'article 10 de la loi relative au respect du corps humain.

Le projet de décision sur cet article 10 est adopté à l'unanimité sous réserve d'une modification introduite au dernier considérant statuant sur cet article remplaçant la formulation : "ne prohibe les conditions d'anonymat et d'irresponsabilité du tiers donneur posé par le législateur" par la formulation : "ne prohibe les interdictions prescrites par le législateur d'établir un lien de filiation entre l'enfant issu de la procréation et l'auteur du



don et d'exercer une action en responsabilité à l'encontre de celui-ci".

(La séance est levée à 18 h 30).




SEANCE DU 27 JUILLET 1994

La séance est ouverte à 10 heures en présence de tous les conseillers.

Monsieur le Président : Bien, Monsieur ROBERT c’est à vous pour votre rapport sur l'ensemble des dispositions des lois soumises à l'examen du Conseil constitutionnel.

Monsieur ROBERT : Il y a de nombreuses raisons de faire une troisième partie dans la décision. En effet, il y a beaucoup de dispositions dans cette loi et finalement il y en a assez peu qui ont été attaquées. En deuxième lieu, il y a évidemment la saisine de M. SEGUIN. Enfin, en troisième lieu, il y a une réponse à apporter sur les principes législatifs dégagés par le législateur. Il s'agit de vérifier si ces principes sont conformes au principe constitutionnel que nous dégageons. Donc finalement dans la décision, il y a trois parties :

1) les nonnes de constitutionnalité applicables

2) les réponses aux griefs formulés par les requérants

3) nous disons enfin dans une troisième partie voilà les principes dégagés par les législateurs que nous jugeons conformes aux normes constitutionnelles ; ce qui n'implique pas que nous en fassions des principes constitutionnels ni que nous les jugions intangibles.

Monsieur le Président : Très bien, c'est la hiérarchie des normes qui veut çà. Nous procédons à leur clarification. Il y a les principes législatifs et les principes constitutionnels.

Monsieur ROBERT : Les principes législatifs sont l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain. Le problème se pose de savoir si on intègre le principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie dans ses principes.

Monsieur le Président : On l'a enlevé des normes constitutionnelles. Il faut incontestablement le mettre là. D'ailleurs c'est l'article 2 de la loi.

Monsieur LATSCHA : Et oui, il a été déclassé ... Il faut le remettre au niveau des principes législatifs.

Monsieur CABANNES : Si je me rallie à cette solution, c'est que le droit au respect de tout être humain est compris dans le Préambule de 1946.

Monsieur le Président : Mais vous êtes d'accord pour le rappeler à propos de l'article 12. Si nous allons au-delà de la décision de 1975, nous constitutionnalisons ce droit. Ce qui ressort du délibéré de 1975, c'est bien le niveau législatif de ce principe. Certes, par la suite une partie de la doctrine avec le Professeur



LUCHAIRE a cru que c'était un principe constitutionnel. C'est une erreur.

Monsieur CABANNES : Je ne demande pas qu'on le mentionne mais je dis qu'il est impliqué dans le Préambule.

Madame LENOIR : C'est très important ce dernier considérant car c' est là que nous sommes attendus. La loi a voulu dresser la liste des droits de la troisième génération. Bien entendu, il y a le statut du corps humain. Et il faut rappeler comme le fait l'article 16-4 du code civil l'intégrité de l'espèce humaine. Enfin, il faut le respect du droit à la vie quitte à maintenir l'ambiguïté. Les uns y verront une conséquence directe du Préambule, les autres y verront un principe législatif intégré dans la dernière partie de notre décision.

Monsieur ROBERT : Ainsi, je me résume statut du corps humain, protection de l'espèce humaine, respect du droit à la vie.

Monsieur le Président : Oui, ce sont là les principes énoncés par le législateur lui-même.

Monsieur LATSCHA : On est parti du Préambule de 1946 et on en a tiré le principe de la dignité humaine. Celle-ci a une valeur constitutionnelle mais du même coup on a retiré la référence au respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Je pense que la solution adoptée qui consiste à dire ce que sont les principes législatifs est la bonne si on y inclut le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. En outre, ce serait bien de dire que ces principes assurent la sauvegarde de la dignité humaine. Enfin, pour ma part, je reste réservé sur la notion d'intégrité de l'espèce.

Monsieur ROBERT : L'intégrité de l'espèce est liée à l'intégrité de l'individu.

Madame LENOIR : Il y a aussi l'idée de sélection qu'on veut interdire et je trouve un peu dommage de passer cela sous silence.

Monsieur le Président : On ne peut pas faire moins que le législateur. Il faut rappeler l'intégrité de l'espèce humaine même si ce n'est pas une bonne formule.

Madame LENOIR : La formule antérieure était celle du patrimoine génétique.

Monsieur le Secrétaire général : De toute façon, nous ne serons pas complets. On peut mentionner les principes qui découlent de la dignité humaine.

Monsieur ROBERT : Ce sont ceux des articles 16-1, 16-2 et 16-3. Ils sont bien cités.



Monsieur LATSCHA : Il y a une sorte de fonds commun de principes et la question de l'anonymat n'y figure pas. Nous parlons de l'ensemble de la loi et de l'ensemble des dispositions. Faut-il entendre que les principes sont posés et qu'on ne peut plus y revenir par la suite ? Ce qui veut dire qu'on les sort de la loi pour les mettre en exergue. Est-ce que cela signifie qu’ils ont une sorte de prééminence ? Imaginons que la science progresse et finisse par porter atteinte à l’inviolabilité du corps humain. C'est peut-être inutile d'énumérer tous ces principes.

Monsieur le Secrétaire général : L'esprit du considérant c'est de dire que ces principes sont attachés à l'idée de dignité. Ils n'ont pas un caractère constitutionnel. Ce sont des modalités possibles de protection du principe constitutionnel mais ce ne sont pas les seuls. On pourrait en substituer d'autres.

Monsieur CABANNES : S'il existe un principe tel que le respect de tout être humain dès le commencement de sa vie, il faut le mettre en tête de la décision sur les normes de constitutionnalité applicables à la loi déférée et non pas à la fin.

Monsieur LATSCHA : C'est plus compréhensible si nous concevons ce principe du droit à la vie comme l'application de celui de la sauvegarde de la dignité humaine.

Monsieur ABADIE : L'important c'est de qualifier ces principes que nous énumérons à la fin. En fait, dans notre esprit, ce sont des garanties apportées au principe de la dignité. C'est le terme de garantie qu'il faut mettre.

Monsieur LATSCHA : Moi aussi j'ai pensé au terme de garantie.

Monsieur FAURE : Je me demande si c'est bien opportun de rajouter le respect de la vie puisque ce principe n'a pas valeur constitutionnelle.

Monsieur CABANNES : On n'a jamais dit cela.

Monsieur FAURE : Mais si c'est le délibéré de 1975 qui le fait apparaître.

Monsieur LATSCHA : Le délibéré n'a pas de valeur juridique par lui-même. La seule chose que l'on peut dire sur cette question c'est qu'il existe un débat.

Monsieur le Président : Je reprends les principes que nous énumérons. Ce sont les plus importants mais nous pouvons les compléter. L'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain, l'inviolabilité ainsi que sa mise hors commerce.

Madame LENOIR : On pourrait faire figurer la notion d'intégrité de l'espèce humaine mais c'est plutôt une garantie comme l'eugénisme.




Monsieur le Président : Le terme d'intégrité est ambigu car la sélection des embryons supprime des tares et on peut ne pas y être défavorable. Je pense plutôt que c'est un principe à valeur législative et je suis plutôt partisan de le mettre.

Monsieur ROBERT : L'eugénisme, on ne sait pas ce que c'est et d'ailleurs l'espèce humaine non plus.

Monsieur le Président : C'est nous tous.

Monsieur FAURE : Quelle gloire !

Monsieur le Président : On rattache ces principes législatifs à la dignité.

Monsieur LATSCHA : Oui, en tant que garanties.

Monsieur le Président : Mais alors cela veut dire que l'on ne peut plus y toucher ?

Monsieur le Secrétaire général : Vous pourriez mettre "tendent à garantir", la formule serait plus souple.

Monsieur le Président : Je préfère la formule : "tendent à assurer le respect de".

Monsieur ROBERT : Il y a aussi le principe de l'anonymat qui figure dans le texte. Que doit-on en faire ?

Madame LENOIR : Moi, je crois qu'il y a deux grandes idées : l'une qui est celle de la liberté de l'individu et qui recouvre celle du consentement personnel donné par lui et celle de la préservation de son intégrité. La seconde idée est celle de l'homme qui a une valeur en lui-même et celle-ci recouvre les notions de dignité, d'indisponibilité et de non patrimonialité. Ainsi, on a, d'une part, la préservation de la liberté individuelle et, d'autre part, celle de la dignité de l'homme en général. D'une certaine façon, l'une limite l'autre. On a rappelé cet équilibre au début de la décision et on le reprend plus concrètement à la fin de la décision. Le seul problème qui reste en discussion c'est de savoir si on mentionne à ce stade, c'est- à-dire à la fin les principes du respect de l'être humain depuis le commencement de la vie et celui de l'intégrité de l'espèce humaine.

Monsieur le Président : Je pense qu'il faut le mettre car ils y sont "expressis verbis" dans la loi. La seule question que je pose c'est de savoir s'il faut mettre l'adverbe notamment ou pas.

Monsieur le Secrétaire général : Monsieur PAOLI suggère qu'on mette la formule "les lois énoncent un ensemble de principes au nombre desquels figurent...".

(La suggestion de Monsieur PAOLI est adoptée).




Madame LENOIR : Je vois un double avantage à cette formule : d’une part elle est plus juridique et d'autre part elle ne diminue pas le rang hiérarchique des principes qui ne sont pas retenus par exemple celui de l'anonymat.

Monsieur le Président : D'accord. Passons à la lecture du texte du projet. Je souligne que le législateur est saisi de la frénésie proclamatoire. Ce texte a une valeur symbolique particulière. Nous pouvons mettre les principes proclamés tous sur le même plan sauf celui de la dignité que nous élevons au niveau constitutionnel. Aussi, je ne vois pas de raison de supprimer la primauté de la personne.

Madame LENOIR : Parce que cela renvoie à des pratiques particulières.

Monsieur le Président : La primauté de la personne c'est la dignité mais cela n'est pas complètement indifférent de le mentionner car cela renvoie à l'opposition avec la nature. Primauté de la personne par rapport à la nature. C'est un débat qui anime les écologistes radicaux aux Etats-Unis qui se demandent pourquoi l'être vivant aurait une primauté juridique sur les animaux et sur les autres espèces vivantes.

Monsieur ROBERT : Oui, mais cela peut vouloir dire aussi primauté de la personne par rapport à la société et ça c'est dangereux.

Monsieur ABADIE : Pourquoi ne rappelle-t-on pas que c'est au titre du respect du corps humain et non pas au regard de la société ?

Monsieur le Président : Bon, on va laisser cela avec son ambiguïté.

Monsieur ROBERT : Oui, car ou nous reprenons les termes de la loi et nous les reprenons tous, ou nous reprenons seulement ceux qui ont une signification précise et qui se rattachent à notre raisonnement.

Monsieur le Président : La primauté de la personne c'est le premier des principes affirmés par le législateur, pourquoi ouvrir la voix à une discussion si nous l'omettons au nom de quoi cette omission ?

Monsieur ROBERT : Alors il faut prendre aussi l'anonymat.

Monsieur le Président : Prenons-les tous alors. Il ne s'agit pas de faire un concours sur la meilleure loi mais de savoir quels sont les principes proclamés par le législateur et de savoir ce que nous retenons. Pourquoi omettre le premier principe proclamé ? Ce n'est pas inconstitutionnel que je sache. Alors pourquoi l'omettre ? Parce que c'est "con", parce que c'est mal "foutu" ? On ne peut pas.




Monsieur ROBERT : Parce que cela ne veut rien dire.

Monsieur le Président : Cela ne veut rien dire la primauté de la personne ? Peut-être est-ce inutile ? Mais le législateur l'a dit.

Madame LENOIR : Si on laisse l'ambiguïté, cela permet de renvoyer à tout, les arbres, les choses ... On ne sait pas quoi.

Monsieur le Président : La seule question technique c'est de savoir comment relier la primauté à la dignité de la personne humaine. Est-ce que la libre disposition de son corps est en cause ?

Monsieur ABADIE : Cela n'est pas dans le texte.

Monsieur LATSCHA : On peut y faire allusion puisque c'est dans le frontispice de la décision.

Monsieur le Président : Est-ce qu'on peut raccrocher cela à l'espèce humaine ?

Monsieur ROBERT : Je crois qu'il faut tout mettre sauf le libre consentement et l'inviolabilité de l'être humain.

Monsieur ABADIE : Cela permettra les pratiques eugéniques.

Monsieur le Président : Oui, c'est vrai, il faut interdire les chimères. Il s'agit d'énoncer ici des principes qui ne sont pas eux-mêmes constitutionnels mais qui "mettent en oeuvre des normes constitutionnelles".

(Monsieur SCHRAMECK relit le dernier considérant).

Monsieur le Président : Ce qui fait l'intérêt de la décision, c'est l'affirmation de la dignité de la personne humaine. Si nous mentionnons à la fin les principes législatifs, c'est qu'ils assurent la sauvegarde de la dignité.

(Monsieur le Président critique le fait qu'on mentionne certains principes et non pas l'ensemble de ceux qui sont énoncés par le législateur).

Monsieur le Président : Mais enfin, il y a d'autres principes ! Pourquoi ne pas les mentionner ?

Monsieur ROBERT : Mais non la structure du projet c'est :

1) les normes de constitutionnalité applicables,

2) les principes législatifs qui viennent conforter ces normes.

Monsieur le Président : Le législateur énonce des principes. Bien sûr, il y a ceux que nous rappelons mais il y en a d'autres. Pourquoi énoncer seulement ceux-là ? Les autres ne heurtent aucun principe constitutionnel ?




Monsieur le Secrétaire général : Le considérant rédigé par Monsieur LATSCHA correspond à cette logique. Le législateur formule des principes. Ceux-ci assurent le respect de la dignité et enfin l’ensemble des dispositions lui aussi tend à assurer le respect de ce principe.

(Suspension de la séance qui permet de rédiger un nouveau considérant tenant compte de toute la fin de la discussion. La séance est reprise à 11 h 45).

Monsieur le Secrétaire général : Je vous lis le considérant auquel on est parvenu : "Considérant que lesdites lois énoncent un ensemble de principes au nombre desquels figurent la primauté de la personne humaine, le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, l'inviolabilité, l'intégrité et l'absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l'intégrité de l'espèce humaine ; que les principes ainsi affirmés tendent à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine".

(Tous les membres donnent leur accord à cette rédaction).

Monsieur CABANNES : Je vote l'ensemble de la décision mais par la dernière partie.

Monsieur le Président : Si vous êtes en désaccord, il faut procéder autrement. Je vais faire voter sur chacune des parties de la décision. En ce qui concerne la première partie, sur les normes constitutionnelles applicables ?

(Tous les conseillers approuvent).

En ce qui concerne la deuxième partie sur les dispositions contestées de la loi ?

(Tous les conseillers approuvent).

En ce qui concerne la troisième partie sur l'ensemble des dispositions de la loi soumise à l'examen du Conseil ?

(Tous les conseillers approuvent à l'exception de Monsieur CABANNES).

La séance est levée à 12 h 15.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.