COMPTE RENDU DE LA
SEANCE DU
MARDI 10 JANVIER 1995
La séance est ouverte à 15 heures en présence de tous les membres, sauf Monsieur Maurice FAURE, excusé.
Monsieur le Président : Une réforme de la magistrature de plus ? Monsieur CABANNES, c'est à vous.
Monsieur CABANNES : Monsieur le Président, Madame, Messieurs,
Monsieur le Premier ministre nous a transmis le 24 décembre 1994, conformément aux dispositions des articles 46 et 61 alinéa 1er de la Constitution, le texte de la loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature.
Vous savez que s'agissant d'une loi organique il nous appartient non seulement de vérifier que chacune des dispositions qui y figurent a le caractère de loi organique mais aussi qu'elles sont conformes à la Constitution. Il nous appartient également de vérifier que la loi a été adoptée selon la procédure prévue à l'article 46 de la Constitution.
En ce qui concerne ce dernier point, la loi organique concernant le statut de la magistrature a bien été soumise à la délibération et au vote de la première assemblée saisie après l'expiration d'un délai de quinze jours, après son dépôt.
En ce qui concerne le caractère organique des dispositions de la loi relative au statut des magistrats, il a comme fondement l'article 64, 3ème alinéa de la Constitution qui énonce qu'une loi organique porte statut des magistrats.
I. Les principes constitutionnels applicables au statut de la magistrature
Les principes constitutionnels applicables au statut des magistrats ont été largement dégagés par le Conseil constitutionnel dans ses très nombreuses décisions portant sur des modifications de l'ordonnance statutaire ou sur le Conseil supérieur de la magistrature. Je vous rappelle que notre Conseil a encore statué sur le C.S.M. le 27 janvier 1994 à la suite de la révision constitutionnelle qui a modifié l'article 65 de la Constitution. Par ailleurs, la principale décision du Conseil qui peut nous guider est celle du 21 février 1992 qui a modifié profondément l'ordonnance statutaire de 1958.
Les principes constitutionnels applicables sont donc ceux de l'article 64 qui indique que le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire,
qu'il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature et que les magistrats du siège sont inamovibles. L'article 65 comme je l'ai dit est relatif au Conseil supérieur de la magistrature.
De ces principes constitutionnels notre Conseil en a déduit, notamment dans la décision du 21 février 1992 en premier lieu une règle de compétence : la loi organique portant statut des magistrats doit déterminer elle-même les règles statutaires applicables aux magistrats sous la seule réserve de la faculté de renvoyer au pouvoir réglementaire la fixation de certaines mesures d'application des règles qu'elle pose. En second lieu, notre Conseil a posé des règles de fond par lesquelles le principe de l'indépendance de l'autorité judiciaire et la règle de l'inamovibilité des magistrats du siège ainsi que le principe d'égalité de traitement des magistrats dans le déroulement de leur carrière qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, doivent être garantis.
La loi organique qui nous est soumise comporte trois titres regroupant douze articles :
- le titre premier intitulé "Des magistrats exerçant à titre temporaire" compte deux articles mais seul le premier est véritablement intéressant. C'est celui-là qui institue des magistrats recrutés à titre temporaire. Ceux-ci devaient être appelés dans le projet originel "juges de paix". L'article 2, sur lequel nous ne reviendrons pas par la suite, indique que le Gouvernement fera un rapport au Parlement avant le 1er mars 1998 sur le bilan d'application de l'article premier. Cet article ne pose pas de problème puisque le Conseil n'a jamais fait d'objection à ce que le Gouvernement doive présenter des rapports d'information au Parlement
- Le titre II intitulé "Recrutement de conseillers de Cour d'Appel en service extraordinaire" comprend trois articles qui reprennent largement les dispositions que le législateur avait adoptées le 25 février 1992 concernant les conseillers et avocats généraux à la Cour de Cassation en service extraordinaire. Nous verrons que ces dispositions, hormis celle de l'article 4 (deuxième alinéa) qui porte sur une question de droit financier, ne posent pas de problème.
- Le titre III intitulé "Dispositions diverses" comprend 7 articles sur lesquels nous pourrons aller très vite.
J'en viens maintenant à ce qui constitue l'essentiel de cette loi, l'institution des magistrats exerçant à titre temporaire.
II. Les dispositions relatives aux magistrats exerçant à titre temporaire
Ils font l’objet des articles nouveaux 41-10 à 41-16 de l’ordonnance statutaire de 1958. L’objectif de la loi, en créant ces nouveaux magistrats, a pour objet selon le rapporteur de l'Assemblée nationale d'améliorer le fonctionnement de la justice de proximité rendue par les tribunaux d'instance. Elles se situent dans le cadre des deux autres projets concernant la justice, la loi de programme et la loi ordinaire dont nous sommes saisis par ailleurs. Ces textes ont pour objet explicite de désengorger les tribunaux d'instance et de développer la catégorie des juges citoyens non professionnels. C'est la raison pour laquelle ces magistrats devaient s'appeler juges de paix bien que certaines critiques à l'égard de cette appellation aient été formulées pendant le débat parlementaire et que finalement le législateur a retenu l'appellation "magistrat exerçant à titre temporaire", formule directement issue de notre décision du 21 février 1992. J'ajouterai que c'est essentiellement la commission des lois du Sénat qui a insisté pour qu'on ne les appelle pas "juges de paix", catégorie qui avait été supprimée en 1958 et qui pouvait faire penser qu'ils seraient amenés à juger plutôt en équité qu'en droit. Or, refusant de créer une nouvelle catégorie de juges, la commission préférait que leur appellation ne les distingue pas, quant à leurs attributions des autres juges d'instance.
Quant au principe même de l'exercice des fonctions de magistrat à titre temporaire, notre décision du 21 février 1992 a posé les principes. Je les rappelle :
- Les fonctions de magistrat de l'ordre judiciaire doivent en principe être exercées par des personnes qui entendent consacrer leur vie professionnelle à la carrière judiciaire.
- La Constitution ne fait pourtant pas obstacle à ce que pour une part limitée des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière celles-ci puissent être exercées à titre temporaire par des personnes qui n'entendent pas pour autant embrasser une carrière judiciaire.
- Cette possibilité est pourtant subordonnée à l'existence de garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d'indépendance qui est indissociable des fonctions judiciaires.
Dès lors, le Conseil accepte cette catégorie de magistrats, à condition qu'ils soient soumis aux droits et obligations applicables à l'ensemble des magistrats, sous la seule réserve des dispositions spécifiques qu'impose l'exercice à titre temporaire de leurs fonctions. Je n’ai fait là que paraphraser les considérants même de la décision du 21 février 1992. Il nous reste à examiner rapidement si les
dispositions des articles 41-10 à 41-16 nouveaux du statut correspondent aux critères que le Conseil a posés.
Les articles 41-10 à 41-13 et 41-15 et 41-16 nous semblent satisfaire aux critères de la jurisprudence constitutionnelle :
1) Le critère de la part limitée est satisfait. En effet, au titre du premier alinéa du 41-10 ces magistrats ne peuvent exercer que des fonctions de juges d'instance ou d'assesseurs dans les formations collégiales des tribunaux de grande instance. En outre, lorsqu'ils sont affectés dans un tribunal d'instance, ils ne peuvent y assurer plus du quart des services tel qu'ils sont prévus par l'article L. 321-5 du code de l'organisation judiciaire et y sont répartis selon les modalités fixées par l'ordonnance annuelle prévue par ce même code. Enfin, Lorsqu'ils sont affectés en qualité d'assesseurs dans une formation collégiale, il ne peut y avoir plus d'un magistrat ainsi recruté, dans lesdites formations.
2) Les critères de l'indépendance et de l'inamovibilité des magistrats du siège nous semblent également satisfaits. En premier lieu, je soulignerai que ces magistrats exerçant à titre temporaire sont nommés pour une période de sept années non renouvelable. Cette absence de renouvellement est évidemment une garantie d'indépendance. En second lieu, l'ensemble des droits et obligations applicables à ces magistrats sont ceux du statut de la magistrature. C'est ce que précise l'article 41-13 qui indique : "que les magistrats recrutés dans le cadre du présent chapitre sont soumis au présent statut". Cette soumission garantit tant les conditions dans lesquelles ils sont recrutés que leur formation et leur expérience professionnelle.
En effet, comme nous l'avons vu, ils doivent remplir soit les conditions prévues à l'article 22 pour l'intégration directe dans le corps judiciaire soit être membres ou anciens membres des professions libérales juridiques et judiciaires et justifier de sept années d'exercice professionnel. Les nominations interviennent après avis conforme de la commission d'avancement prévues à l'article 34 du statut parmi les candidats proposés par les assemblées générales des magistrats du siège des cours d'appel. On soulignera que cette commission se prononce après l'accomplissement par les candidats d'une période de formation organisée par l'ENM et par la prestation de serment de l'article 6 du statut avant leur affectation.
Toujours pour faire respecter l'indépendance de l'autorité judiciaire l'article 41-15 prévoit que le pouvoir disciplinaire exercé à l'égard de ces magistrats relève du chapitre VII du statut.
Enfin, pour faire respecter le principe de l'inamovibilité des magistrats du siège, l'article 41-16 indique qu'il ne peut être mis fin aux fonctions de ces magistrats qu'à leur demande ou au cas où aurait été prononcée la sanction y mettant fin.
3) Un certain nombre de dérogations au statut sont rendues nécessaires par la situation spécifique de ces magistrats.
La première dérogation concerne les articles 13 et 76 du statut qui concernent l'une, l'astreinte à résidence et, l'autre, la limite d'âge de 65 ans. On comprend que ces magistrats à titre temporaire ne soient pas astreints à résider (dès lors que nous verrons que par la suite que
La deuxième dérogation concerne l'article 27-1 du statut relatif à la procédure dite "de transparence". C'est la disposition qui permet de faire connaître notamment aux syndicats les projets de nomination. Cette exclusion permet de comprendre la raison pour laquelle, au 4ème alinéa de l'article 41-12, les parlementaires ont préféré indiquer qu'avant leur affectation les magistrats prêtaient serment et non avant leur première affectation. Autrement dit, il résulte clairement de la loi que ces magistrats seront nommés pour sept années sans pouvoir bénéficier d'aucun avancement ni aucune mutation. Cette exclusion qui concernait déjà les conseillers à la Cour de cassation en service extraordinaire n'avait pas suscité de la part de notre Conseil d'objection dès lors que ces magistrats n'ont pas vocation à faire carrière dans la magistrature. Dans le même ordre d'idées, on comprendra que comme pour les conseillers à la Cour de cassation, les magistrats non-professionnels ne peuvent être membres ni participer à la désignation des instances du Conseil supérieur de la magistrature ou de la Commission d'avancement.
La troisième dérogation concerne les attributions de ces juges d'instance qui, s'ils traitent des contentieux civil et pénal, ne pourront assurer la répartition prud'homale. En effet, les parlementaires ont souhaité qu'un magistrat professionnel n'intervienne pas dans un litige opposant des non-professionnels.
Pour terminer sur ces articles, je voudrais souligner la petite difficulté que j'ai rencontrée avec la 4ème dérogation prévue au statut. En effet, le quatrième alinéa de l'article 41-13 précise que ces magistrats sont indemnisés dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat. Or, à l'article 42 du statut, il est prévu que les traitements des
magistrats sont fixés par décret en Conseil des Ministres. Dans ces observations, le Gouvernement nous fait valoir qu’en raison de leur situation spécifique, il est prévu un régime particulier d'indemnisation et non un régime de rémunération. Que si un décret en Conseil des Ministres est nécessaire pour fixer un régime de rémunération en revanche, s'agissant d'un régime indemnitaire, un décret simple aurait suffi. Nous pouvons accepter ce raisonnement dès lors que ces magistrats exerçant à titre temporaire peuvent exercer comme nous le verrons par la suite une autre activité professionnelle. Je proposerai seulement d'encadrer un tout petit peu le décret en Conseil d'Etat pour dire qu'il ne devra comporter que des dispositions de nature pécuniaire et ne pourra pas comporter des règles qui porteraient atteinte à l'indépendance des magistrats ou au principe d'égalité.
Monsieur le Président : Bien, on va s'arrêter là une seconde. Y-a-t-il des questions ?
Monsieur LATSCHA : La date limite du départ en retraite, c'est 65 ans ?
Monsieur CABANNES : Oui, en principe, mais en pratique cela peut aller beaucoup plus loin.
Monsieur le Président : Cela permet-il aux magistrats concernés de poursuivre leur activité jusqu'à 70 ans ? Est-ce que les majorations peuvent aller jusque là ?
Monsieur CABANNES : Oui, avec les divers systèmes de majoration on peut aller au-delà. Les chefs de cours vont jusqu'à 68 ans. Une prolongation pour charges de famille pour une durée d'un an est possible. En outre, les départs se font au 30 juin de chaque année. L'actuel Premier Président, Monsieur DRAI étant né un 30 juillet, il partira en retraite à 70 ans. Si vous conciliez tous les cas de figure, certains magistrats peuvent rester en place jusqu'à 73 ans.
Madame LENOIR : Mais la différence, c'est le statut. Pour les personnes visées par ce texte, le statut organique ne s'applique pas en totalité. Il s'agit en quelque sorte de magistrats temporaires, comme il existe des fonctionnaires "au rabais".
Monsieur le Président : Je serais curieux de voir ce que cela va donner. Lisons.
Monsieur CABANNES (commence la lecture de la page 1 à 5 du projet).
Monsieur LATSCHA : Cette ordonnance, on ne l'a pas encore examinée ?
Monsieur le Président : Non, non.
Monsieur CABANNES : Mais il faut bien la mentionnée (il poursuit jusqu'à la page 8).
Monsieur SCHRAMECK page 8 : Il vaut mieux mettre "a pu prévoir".
Monsieur CABANNES : Oui, c'est une meilleure formule.
Monsieur ABADIE : En ce qui concerne le 41-15, je me pose une question. Si un suppléant change de domicile professionnel et qu'il est conduit à exercer ses fonctions dans le ressort du Tribunal de Grande Instance où il est magistrat, est-ce que les sanctions disciplinaires sont susceptibles de s'appliquer ?
Monsieur le Président : Mais non, dans ce cas c'est une incompatibilité. S'il réside à Paris et qu'il exerce à Créteil, et s'il choisit de résider à Créteil et d'y transplanter son entreprise, cela n'est pas possible.
Monsieur LATSCHA : S'il s'agit naturellement d'une fonction juridique, s'il est chef d'entreprise commerciale, c'est différent.
Monsieur ABADIE : Et s'il ne démissionne pas ?
Monsieur le Président : Mais c'est incompatible, il ne peut donc pas exercer la fonction.
Madame LENOIR : Moi, je m'interroge sur la réserve qui est faite sur les conseils des Prud'hommes. Je ne comprends pas son fondement. On leur permet pourtant d'être juge en matière pénale.
Monsieur CABANNES : Oh, c'est un peu la spécificité de la composition des conseils qui le justifie. Je poursuis.
En résumé, il me semble qu'à part la réserve qu'appelle l'article 41-13, les articles 41-10 à 41-13 et 41-15 et 41-16 ne portent atteinte ni à l'indépendance des magistrats ni au principe: d'égalité.
III. L'exercice concomitant d'une activité de magistrat et d'une activité professionnelle
Bien entendu, le second problème que pose la loi organique réside dans l'amendement qui a été apporté par la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'initiative de son rapporteur Monsieur BASTIANI. Cet amendement prévoit que par dérogation de l'article 8 du statut, "les juges de paix" peuvent exercer une activité professionnelle concomitamment à leurs fonctions judiciaires sous réserve que cette activité ne soit pas de nature à porter atteinte à la dignité de la fonction et à son indépendance. Cette disposition a été âprement discutée et âprement contestée par M. Jean-Pierre MICHEL à l'Assemblée nationale. En effet, certains étaient sensibles au fait que
d'empêcher les magistrats exerçant à titre temporaire d'avoir une activité professionnelle, conduirait à ne recruter que des inactifs alors qu'on cherchait précisément à ne pas se priver de l'expérience professionnelle de véritables juges- citoyens. D'autres, comme M. MICHEL notamment, étaient sensibles au fait que l’activité professionnelle pouvait nuire à l'indépendance de l'autorité judiciaire et que s'agissant par exemple des membres des professions juridiques et judiciaires, certains avocats pouvaient se retrouver plaideurs dans le ressort d'un tribunal et juges dans l'autre.
Monsieur le Président : Ce sont toutes les activités professionnelles qui sont visées ?
Monsieur CABANNES : Oui.
Monsieur le Président : Par exemple, un commerçant ?
Monsieur CABANNES : Oui.
Monsieur le Président : Et un commerçant déclaré en faillite personnelle, il peut être magistrat ?
Monsieur CABANNES : Il y a des procédures de déport.
Monsieur LATSCHA : C'est assez curieux, en effet !
Monsieur CABANNES : J'avoue pour ma part avoir beaucoup hésité. Je trouve qu'il est vraiment choquant que les magistrats puissent exercer en même temps une activité professionnelle salariée ou non. Mais cela est-il pour autant inconstitutionnel ? Je ne le pense pas.
En effet, je noterai tout d'abord que l'exercice de fonction de juge est déjà très largement ouvert à des personnes exerçant par ailleurs une activité professionnelle. Il y a par exemple 1 624 assesseurs de tribunaux pour enfants, 3 273 juges non professionnels aux tribunaux de commerce, 14 646 juges aux Conseils de prud'hommes etc...
Je noterai ensuite, qu'à l'heure actuelle, aux termes de l'article L. 213-2 et L. 311-9 du code de l'organisation judiciaire, le président d'une formation collégiale de cour d'appel ou de tribunal de grande instance peut demander à un avocat de venir compléter la formation du tribunal.
Je noterai aussi, que s'agissant des magistrats de carrière, l'article 8 de l'ordonnance statutaire admet déjà, à son deuxième alinéa, que l'on puisse accorder des dérogations individuelles à l'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou salariée pour exercer "des fonctions ou activités qui ne seraient pas de nature à porter atteinte à la dignité du magistrat et à son indépendance".
Bien entendu, cet état du droit actuel est insuffisant pour empêcher qu'une activité professionnelle ou salariée particulière fasse, par sa nature, son lien avec le litige ou sa localisation, peser un doute sur l'impartialité objective du magistrat, même en l'absence de toute expression de parti pris par ce dernier. C'est la raison pour laquelle le législateur a encadré cette possibilité d'exercer une activité professionnelle. Cet encadrement est-il suffisant ? Là est la question.
1) Je ne reviens pas sur le fait que certaines activités professionnelles peuvent porter atteinte à la dignité de la fonction et à l'indépendance et qu'elles sont proscrites par l'article 41-14 de la loi.
2) A l'exception des fonctions de professeur ou de maître de conférences qui bénéficient d'une liberté constitutionnellement garantie par notre Conseil, ces magistrats ne peuvent exercer une activité d'agent public.
L'exception, c'est la possibilité de participer au Conseil constitutionnel. II y a des exemples célèbres : PATIN, qui a même continué ses fonctions après avoir terminé son mandat de conseiller ; DUBOIS, et, je suis confus de me citer ... moi-même.
Monsieur le Président : Hein ? On peut être à la fois magistrat et Membre du Conseil constitutionnel ?
(Il interroge Monsieur PAOLI sur les précédents).
Monsieur PAOLI : Oui, je le confirme, j'en suis sûr pour DUBOIS.
Monsieur le Président : J'espère que de tels précédents ne figurent pas dans la décision.
Monsieur CABANNES (riant) : Non, non. En tout état de cause, les activités professionnelles exercées par les magistrats à titre temporaire sont soumises à un contrôle initial et permanent. En effet, je rappelle que ce sont les assemblées générales des magistrats du siège qui proposent les candidats ; qu'ensuite, ils ne peuvent être nommés qu'après avis conforme de la commission d'avancement ; enfin leur activité professionnelle est nécessairement contrôlée par la formation du siège du Conseil supérieur de la magistrature au moment de leur nomination.
A ce contrôle initial, succède un contrôle permanent. Effectivement, en cas de changement d'activité professionnelle, le magistrat doit en informer le premier président de la cour d'appel qui lui fait connaître, le cas échéant, que sa nouvelle activité n'est pas compatible avec l'exercice de fonctions judiciaires. Certes, si le premier président ne peut sanctionner le magistrat au cas où celui-ci n'en tirerait pas les conséquences, le Conseil supérieur de la magistrature peut exercer la procédure disciplinaire qui pourrait aboutir à ce
qu'il soit mis fin aux fonctions du magistrat. Ainsi, c'est le CSM qui, du début à la fin, contrôle les éventuelles incompatibilités.
J'ajouterai que le législateur a prévu une procédure spécifique de renvoi lorsqu'un litige présente un lien avec l'activité professionnelle du magistrat. Le renvoi peut être demandé non seulement par le magistrat lui-même mais aussi et surtout par l'une des parties. Pour renforcer le nécessaire respect des incompatibilités professionnelles qui me semble être le point le plus crucial, je vous propose d'indiquer que les dispositions prévues par le législateur doivent s'entendre strictement et faire obstacle "en toutes circonstances à ce qu'un magistrat puisse avoir à connaître d'un litige touchant quelque question que ce soit avec ses autres activités professionnelles".
Enfin, je terminerai en soulignant que le législateur a prévu des incompatibilités géographiques supplémentaires pour éviter que les professionnels du droit en exercice dans le ressort du tribunal puissent siéger au lieu même de leur activité. C'est l'échelon du ressort du TGI qui a été retenu.
Compte tenu de l'ensemble de ces garanties et de la réserve d'interprétation que je vous propose, le texte de l'article 41-14 me semble conforme à la Constitution.
Monsieur ROBERT : Que se passe-t-il si le Président n'est pas saisi ?
Monsieur CABANNES : Légalement, rien ne s'oppose à ce que le magistrat continue alors à siéger. Moi, j'ai eu un cas lorsque j'étais à la Cour de cassation. Je me suis déporté.
Monsieur le Président : Permettez-moi de vous dire ce que je pense de ce texte. Pour ce qui est de la justice consulaire et de l'observation de Noëlle LENOIR tout à l'heure, le fondement est différent. Sur le plan théorique, il repose sur l'idée qu'on doit être jugé par les siens. Ici c'est différent, il s'agit de donner des fonctions de juge à des personnes qui sont normalement en retraite. On paye à la vacation. C'est honteux. Je le dis comme je le pense, c'est honteux. Pendant ce temps là on ne recrute pas de jeunes magistrats. C'est offusquant pour la jeunesse. C'est l'avenir des étudiants qui est en cause. Vous allez avoir des magistrats pâtissiers : entre deux gâteaux, ils iront faire une décision ! Je le répète comme je le pense, pour faire des économies budgétaires, on laissera quelques jeunes diplômés au chômage
Madame LENOIR : On a mobilisé les moyens d'un peu partout. La loi de programmation a prévu quelques recrutements, et ici la mesure s'ajoute.
Monsieur RUDLOFF : Si je puis intervenir pour justifier non pas le texte lui-même mais son objectif, je crois que la chancellerie a eu en tête l'idée d'une justice de proximité. On en a tous entendu parler ici ou là. L'idée c'est de recopier le modèle britannique.
Monsieur le Président : Oui, mais il y a une différence. Les juges en Angleterre ne sont pas payés du tout. Quel avocat sérieux ira remplir ses fonctions à mi-temps ? Aucun ! Ce sont des fonctions qui n'intéresseront que des gens qui sont retraités ou médiocres. On fait rempiler les vieux !
Monsieur FABRE : Moi, je me suis toujours battu dans ma carrière politique contre ce type de disposition.
Monsieur le Président : Cette mesure est scandaleuse. Cela dit, je crois qu'on peut passer à la lecture, car elle n'est pas anticonstitutionnelle.
Monsieur CABANNES (lit la partie correspondante).
Monsieur le Président page 13 : Mettons plutôt "faire obstacle". N'allons pas donner des injonctions (assentiment).
Monsieur CABANNES (lit la partie sur l'article 2).
(Assentiments).
Monsieur CABANNES : Sur les dispositions concernant le recrutement des conseillers de cour d'appel en service extraordinaire
Ces dispositions qui figurent aux articles 3, 4 et 5 de la loi n'appellent en elles-mêmes aucune remarque particulière dans la mesure où elles ne font que démarquer les dispositions qui avaient été adoptées en février 1992 relatives aux conseillers et aux avocats généraux à la cour de cassation en service extraordinaire.
Cependant, l'article 4, à son dernier alinéa mentionne que "les conseillers des cours d'appel en service extraordinaire sont nommés en surnombre de l'effectif organique de la cour d'appel et de l'effectif budgétaire global du premier groupe du premier grade". Comme le reconnaissent les observations du Gouvernement sur cet alinéa, je cite, il ne peut y avoir des emplois en surnombre de l'effectif budgétaire global prévu par une loi de finances. En effet, en vertu de l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances "les créations et transformations d'emploi ne peuvent résulter que de dispositions prévues par la loi de finances". Par conséquent, la loi organique qui nous est soumise ne pouvait pas dire que les conseillers de cours d'appel sont nommés en surnombre de l'effectif budgétaire. C'est sans doute une maladresse de
rédaction qui a conduit le législateur organique à méconnaître les dispositions de l'article premier de l'ordonnance de 1959. Je vous propose donc de la censurer.
Monsieur LATSCHA : Dans la décision, on ne met pas en surnombre de l’effectif tel qu'il résulte de la loi organique.
Monsieur SCHRAMECK : Non, des surnombres, par rapport à des tableaux d'effectifs ne seraient pas entachés d'inconstitutionnalité.
Monsieur CABANNES lit la partie correspondante.
Monsieur CABANNES finit son rapport : Sur les dispositions diverses du titre III.
Celles-ci sont plus intéressantes du point de vue juridique :
- L'article 3 de l'ordonnance statutaire est complétée dans la liste des emplois de magistrats hors hiérarchie.
- L'article 3-1 de la même ordonnance est relatif aux magistrats que l'on appelle "placés". La loi modifie les cas et conditions dans lesquels ces magistrats peuvent remplacer temporairement des magistrats indisponibles. Plus intéressante est la nouvelle disposition qui permet d'utiliser ces magistrats placés non pour effectuer des remplacements mais pour venir renforcer certaines juridictions afin d'assurer le traitement du contentieux dans un délai raisonnable. On reconnaîtra là, bien sûr, le souci de se mettre en règle avec la jurisprudence issue de la convention européenne des droits de l'homme et notamment de son article 6.
Cette nouvelle possibilité est elle aussi encadrée par la loi puisqu'elle est d'une durée maximum de quatre mois fixée par l'ordonnance du premier président et qu'il ne peut y être mis fin qu'à la seule demande du magistrat concerné. Cette disposition tient compte du principe de l'inamovibilité des magistrats. Enfin, le nombre de ces magistrats placés ne peut excéder pour chaque cour d'appel le quinzième des emplois de magistrat de tribunaux d'instance.
Les autres dispositions de l'article 7 de la loi relèvent de là coordination.
Je ne m'étendrai pas non plus sur les dispositions de l'article 8 qui démarquent exactement celles qui sont applicables aux conseillers référendaires à la cour de cassation et qui leur permet de choisir une nouvelle affectation en cas de suppression d'une juridiction. Nous avions jugé dans notre décision du 16 janvier 1991 qu'elles étaient conformes à la Constitution.
Les dispositions de l'article 9 se bornent simplement à enregistrer la suppression de la commission consultative du parquet par la loi organique du 5 février 1994 qui a tiré des conséquences de la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 sur le Conseil supérieur de la magistrature.
L'article 10 apporte une précision utile quant à l'intervention du Conseil supérieur de la magistrature pour les mises en position de détachement, de disponibilité ou "sous les drapeaux". La loi organique précise que ces positions sont prononcées après avis du CSM sans avoir le caractère de conformité.
L'article 11 périnise des dispositions transitoires de l'article 76-1 de l'ordonnance statutaire qui tendent à ce que la cessation de fonction de magistrats prenne effet à la seule date du 30 juin de chaque année.
L'article 12 prolonge jusqu'au 31 décembre 1999 la possibilité pour les magistrats atteints par la limite d'âge d'être maintenus en activité pour une période non renouvelable de trois ans.
L'ensemble de ces dispositions diverses n'est contraire à aucun principe ni aucune règle de valeur constitutionnelle Au moment de finir ce rapport qu'il me soit permis d'adresser mes remerciements au secrétaire général et aussi à Eric SPITZ qui a montré qu'il connaissait aussi bien la matière que n'importe quel magistrat (rires).
J'en ai terminé et vous remercie de votre attention.
Monsieur le Président : Bien, vous pouvez lire.
Monsieur CABANNES (procède à la lecture du reste du projet).
Monsieur le Président : Pourquoi est-ce qu'on parle des magistrats "placés" ? Cette notion de placement ne me convient guère.
Madame LENOIR : Elle est utilisée dans toute la terminologie juridique.
Monsieur le Président : Oui, mais vous me concéderez qu'elle n'est pas utilisée par la loi. Ce placement, ça fait un peu jeune fille au pair. Je préférerais qu'on le supprime (assentiments).
Le projet est modifié en ce sens. Le vote est acquis à l'unanimité.
La séance est levée à 17 heures.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.