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COMPTE RENDU DE LA

SEANCE DU

MERCREDI 11 JANVIER 1995

Mao GROSSE

La séance est ouverte à 9 h 30 en présence de tous les conseillers.

Monsieur le Président : Bien ! On va commencer et on s'arrêtera pour faire une pause, peut-être après la première affaire.

Monsieur FABRE : C'est mon dernier rapport en neuf ans et je suis très nostalgique. Mais je dois beaucoup au service juridique, pour ce rapport comme pour tous les précédents. Que les intéressés trouvent ici l'expression de mes remerciements très sincères, d'autant plus que cette affaire est particulièrement délicate.

Nous avons en effet été saisis tardivement par le Premier ministre du texte de la loi ordinaire relative au financement de la vie politique. Sans être exceptionnelles, les saisines du Premier ministre sont rares : on en compte une dizaine avant celle-ci, dont la saisine de la précédente loi ordinaire sur le financement de la vie politique par Monsieur ROCARD (décision du 11 janvier 1990, Rec. p. 21), qui, elle non plus, ne comportait aucun moyen particulier de saisine. Mais si nous avons dû bouleverser notre ordre du jour et statuer dans des délais d'exceptionnelle rapidité, c'est pour un motif de procédure. D’ordinaire, il n'y a pas d'interférence entre le domaine de la loi et celui de la loi organique : il s'agit d'une délimitation constitutionnelle, l'un excluant l'autre. Tel est par exemple le cas du statut de la magistrature, de l'ordonnance de 1959 sur les lois de finances ou encore des conditions dans lesquelles les parlementaires peuvent déléguer leur droit de vote (ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958). La compétence organique est alors totale et le renvoi à des dispositions ordinaires ou réglementaires est, par principe, très limité.

La seule exception, notoire, à ce principe c'est précisément celle du financement de la vie politique. Les règles de base sont incorporées au code électoral, mais leur application engendre des répercussions qui relèvent de la loi organique, soit parce qu'il est prévu un régime d'incompatibilité ou d'inéligibilité pour les parlementaires, qui doit alors donner lieu à une loi organique en application de l'article 25 de la Constitution, soit parce que leur application à l'élection présidentielle relève du domaine de la loi organique en vertu de l’article 6 de la Constitution. En 1988 comme en 1990 et comme aujourd'hui, nous nous trouvons donc confrontés à de tels mécanismes, et la loi organique renvoie à la loi ordinaire. Aussi les problèmes de procédure deviennent-ils alors plus complexes. Ils nous ont conduit, en 1990, à sanctionner une référence organique à des dispositions qui n'étaient pas encore définitivement adoptées. C'est ce précédent qui explique que deux

lois organiques soient soumises à notre examen, la seconde étant une sorte de "loi balai" si vous me passez l'expression, destinée à tenir compte des modifications de réglementation électorale intervenues par le biais de la loi ordinaire. L'article unique de cette seconde loi organique a pour seul objet de modifier l'article 2 de la loi organique originelle. Et nous pourrions annuler le renvoi à tel ou tel article de la loi ordinaire auquel elle procède, dont nous sommes par ailleurs saisi.

Aussi, en dépit des différences de dates de saisine, je crois beaucoup plus simple de vous présenter un rapport d'ensemble portant donc sur les deux lois organiques et sur la loi ordinaire correspondante. J'indique que l'autre loi organique dont nous sommes saisis et qui concerne les incompatibilités ne pose pas le même problème de renvoi à des dispositions de la loi ordinaire et que nous pouvons donc statuer séparément sur celle-ci et sur la loi ordinaire portant sur le même sujet.

Je tiens aussi à dire qu'en dépit de l'existence de deux lois organiques sur l'élection présidentielle, je vous présenterai un projet de décision unique en ce qui les concerne puisque l'article 2 de la loi relative à l'élection du Président de la République est appelé à être remplacé, dès sa promulgation, par l'article unique de la loi organique relative au financement de la campagne pour l'élection du Président de la République. Ce second texte tient compte des modifications introduites par la loi ordinaire qui nous est déférée. J'indique qu'un tel cas de figure n'est pas inédit : nous avons déjà, par une décision unique, statué sur deux lois organiques (n° 77-80/81 DC du 5 juillet 1977, Rec. p. 24). Je commencerai, pour faciliter le débat, par la loi ordinaire.

I. La loi ordinaire relative au financement de la vie politique

A) Présentation générale

Cette loi, dont nous avons été saisis par le Premier ministre le 4 janvier 1995 comporte trois titres et ses sources d'inspiration sont diverses. On peut en distinguer, schématiquement, trois :

- d'abord ce texte est issu du texte de trois propositions de loi présentées par Monsieur Pierre MAZEAUD et provenant du groupe de travail "politique et argent" présidé par Monsieur SÉGUIN, rassemblant des élus des divers groupes parlementaires. Ces propositions ont été "regroupées" en trois blocs : financement des partis et des campagnes électorales, patrimoine et incompatibilités et, enfin, marchés publics. Ces trois blocs ont donné lieu à une discussion générale commune qui a débuté à l'Assemblée nationale le 12 décembre 1994, et pourIl y a un problème ici, on énonce 3 sources d'inspirations et ce paragraphe en constitue une, ce qui est représenté par un tiré. Cependant, ce paragraphe est coupé, mais sur la page 3, ce n'est pas la continuité de celui-ci. Aussi, il manque les 2 autres sources d'inspiration.



Pour le sujet qui me concerne, j'ajoute que cette première source, c'est-à-dire les travaux du groupe de travail de l'Assemblée ont été discutés -et contestés- au sein même des groupes politiques. Le groupe de travail a par exemple tranché un débat assez vif sur les dons des entreprises qui a été illustré notamment en novembre par les marchés publics de la ville de Grenoble, puis par l'annonce du groupe "Lyonnaise des eaux" de suspendre tout financement de la vie politique. La loi a retenu l'interdiction pour toutes les personnes morales de participer au financement des partis et des campagnes électorales. Après avoir envisagé une interdiction limitée aux seules entreprises ayant pour activité la passation des marchés publics, le groupe de travail parlementaire a finalement retenu le principe d'une interdiction généralisée. Elle s'applique, nous le verrons avec l'article 4 de la loi, non seulement aux entreprises mais aussi aux personnes morales quelles qu’elles soient. Mais ce choix, annoncé par le Premier ministre en novembre (Le Monde, 17 novembre 1994), a vivement été contesté, même par une partie de la majorité. En octobre 1992 (J.O. débats, A.N. , 15 octobre 1992, p. 3736), Monsieur MAZEAUD lui-même avait émis des doutes sur la conformité de cette prohibition à la Constitution. Le rapporteur à l'Assemblée nationale, Monsieur Raoul BÉTEILLE, à titre personnel, a émis de fortes réserves sur l'opportunité de l'interdiction de faire financer la vie politique par les entreprises, c'est-à-dire de retenir pour sources exclusivement les sommes versées par l'Etat et les dons des personnes physiques (J.O. débats, A.N., 12 décembre 1994, p. 8861). Il a souligné les risques d'une "réanimation du financement occulte" ou de la "trop grande influence de l'Etat".

Vous le voyez, cette affaire n'a pas été d’un aboutissement facile.

La même source a inspiré de nombreuses dispositions visant à abaisser les plafonds des dépenses électorales.

La seconde source d'inspiration, ce sont nos propres observations suite aux élections législatives. Nous avions en particulier déploré que Monsieur MANOVELLI puisse, sur la base de l'article 9 de la loi de 1988 amasser des millions de francs en ayant présenté, parfois même à leur insu, des personnes sous une étiquette écologiste assez floue. Le but réel de Monsieur MANOVELLI était d'accumuler des voix non pas pour conquérir des sièges mais bien pour avoir droit, pendant cinq ans, à l'aide publique aux formations politiques. Nous avions suggéré divers moyens pour empêcher de telles pratiques, très douteuses.

Sont directement issues de nos propres propositions les dispositions de l'article 9 du texte qui exigent la présentation personnelle de la candidature.

Certes, dans nos observations du 30 mars 1994 nous n'avions pas été aussi loin que le projet sur bien des points.


Vous vous souvenez en particulier que nous n'avions pas retenu, après un long débat, la proposition que nos décisions d'inéligibilité aient des répercussions sur le financement. Pourtant l'article 12 de la loi le prévoit explicitement : c'est en quelque sorte une sanction supplémentaire qui touchera non l'élu mais le parti auquel il appartient. Toute inéligibilité privera de portée les voix correspondantes. Ici encore, on peut penser à des opérations du type "Manovelli". Sont également tirées de l'expérience des législatives, certaines dispositions de moindre importance comme l'interdiction faite au candidat d'être membre de sa propre association de financement. Vous vous souvenez que nous avions été obligés d'admettre telle pratique, dans le silence total de la loi sur ce point [21 octobre 1993, A.N. Tarn-et-Garonne, p. 412]. La loi désormais, et cela me paraît positif, prohibe cette possibilité.

Enfin, la troisième source d’inspiration de ce texte c'est l'ajout de questions qu'on pourrait qualifier d'annexes : suppression du cautionnement (article 8) ou encore tentative de régler la question du financement du fonctionnement des groupes d'élus par des collectivités locales (article 27), ce dernier point n'est pas sans poser, d'ailleurs, des difficultés juridiques.

Il résulte de la combinaison de ces trois sources un texte assez morcelé, dont l'essentiel est l'abaissement des plafonds des dépenses de campagne et la suppression du financement par les entreprises. Si vous en êtes d'accord, je vais maintenant passer à une analyse article par article, puisque toute la loi est déférée. Dans la décision, en revanche, nous ne retiendrons, comme en 1990 que ce qui pose un problème de constitutionnalité.

B) EXAMEN DU TEXTE

J'analyserai les articles les uns après les autres, en commençant donc par le Titre 1er qui modifie les dispositions du code électoral.

L'article premier prévoit qu'un même mandataire financier ne peut être commun à plusieurs candidats. Son texte doit être rapproché de celui de l'article 2 qui interdit à un candidat d'adhérer à sa propre association de financement et à l'expert comptable de la présider ou d'en être trésorier et de l'article 3 qui interdit à l'expert comptable d'être le mandataire financier du candidat. Ceci ne pose pas de difficultés. Certes, il est interdit à un candidat d'adhérer à une association, mais il faut bien dire que l'objet de la loi est de séparer le candidat du mandataire personne physique ou l'association, et que la durée de vie de celle-ci est limitée. Pour ces trois premiers articles, il n'y a donc, selon moi, rien à dire dans la décision.



Un tout autre problème est posé avec l'article 4.

Cet article modifie l'article L. 52-8 du code électoral, qui date de la loi du 15 janvier 1990, afin d'interdire les dons des personnes morales. Je dois ici aborder plusieurs questions qui n'ont pas toutes une répercussion constitutionnelle mais qui, pour certaines d'entre elles, paraissent essentielles car elles auront une incidence sur le contentieux électoral et le déroulement des campagnes.

La première question est celle des personnes sur lesquelles porte l'interdiction. Il s'agit de toutes les personnes morales. Le rapport du Sénat prend le soin d'exclure les entreprises en nom personnel, qui seront régies par les dispositions relatives aux dons des personnes physiques. En revanche toutes les personnes morales sont bien visées par la prohibition. Plus précisément il s'agit des entreprises, des associations, mais aussi des syndicats. On aurait pu voir là une éventuelle atteinte à la liberté syndicale garantie par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Mais il ne me semble pas opportun de retenir cet argument.

Ma deuxième remarque porte sur le champ d'application de ce texte. Sont interdits les dons sous quelque forme que ce soit, est je pense qu'il doit s'agir d'un ajout et donc "et" car je ne vois pas de sujet au singulier dans la phrase la possibilité de fournir des biens services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. Il y a là une prohibition beaucoup plus générale que celle qui résultait de l'ancienne version du code électoral. Je ne puis ici qu'évoquer les difficultés que rencontrera le juge électoral lorsqu'il aura à apprécier par exemple du coût d'une campagne d'affichage pour un livre. Je fais naturellement allusion à notre décision du 21 octobre 1993 (Rec. p. 414). Nous avions alors retenu que Monsieur Juppé avait disposé d'un avantage en nature du fait d'un affichage à un tarif avantageux sur des panneaux situés sur les Champs-élysées. La prohibition de tout avantage indirect à des prix inférieurs à ceux pratiqués donnera donc lieu à une jurisprudence que l'on peut pressentir comme particulièrement difficile à établir.

Il faut ajouter que notre jurisprudence qui avait en tendance limiter j'aurais plutot écrit "limité" car il me semble qu'il s'agissait "d'avoir limité"la portée du mot "don" à la seule remise d'une somme d'argent devient elle aussi dépassée (17 décembre 1993, AN, Lot-et-Garonne, 3ème cire. p. 561). En effet, le législateur a retenu une formule beaucoup plus large incluant notamment la fourniture de biens services ou autres avantages directs ou indirects. Vous voyez donc que désormais c'est une prohibition extrêmement stricte que le juge électoral devra faire respecter.

Je dois ajouter quelque chose sur lequel il faut également attirer l'attention. Le II de cet article abroge le 4ème alinéa de l'article 52-8 du code électoral qui concernait la prohibition des dons des personnes morales de droit public. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que ces dons vont être



autorisés. Bien au contraire la même rigueur va leur être appliquée. Cela signifie ici encore qu'une partie de notre jurisprudence va devenir obsolète. Cela signifie également que vont se poser à nouveau de redoutables problèmes de mise à disposition de moyens officiels au profit de candidats. Si nous avons pu jusque là donner une interprétation souple de l'aide apportée par certaines collectivités locales à des candidats, l'application de la prohibition aux personnes de droit public impliquera désormais une jurisprudence plus stricte. Je n'ai pas besoin ici d'insister d'avantage sur les questions posées par l'usage d'un service officiel de voyages, d’une voiture de fonction, de matériel appartenant à une municipalité ou de l'usage d'une machine à timbrer. Il est évident que l'on peut assimiler cela à de la fourniture de services, et que désormais c'est une prohibition très stricte qui va s'appliquer.

Quels sont les principes constitutionnels éventuellement en cause ? Dans son intervention, que j'ai citée tout à l'heure, en 1992 Monsieur Mazeaud en voyait deux. D'abord, l'article 4 de la Constitution tel qu'il a été interprété dans notre décision du 11 janvier 1990.

Je vous rappelle que nous avions alors indiqué qu'il ne saurait être question d'admettre que soit compromise l'expression démocratique des divers courants d'idées et d'opinions. De la même manière il est clair que le fait que les partis peuvent "exercer leur activité librement" me paraît devoir impliquer que le système d'aide exclue toute atteinte à l'indépendance du fonctionnement des partis et, comme nous l'avons retenu en 1990, d'empêcher l'expression de nouveaux courants d'idées et d'opinions. Je dois dire qu'au regard de ces principes, la question de la conformité de l'article 4 à la Constitution peut se poser. En effet, le problème concret est de savoir si les partis pourront arriver à vivre sans financement de la part des entreprises et si de nouveaux partis pourront naître en s'adressant uniquement au public. Mais il s'agit là davantage de problèmes d'appréciation concrète que de questions de constitutionnalité. Interdire une source de financement ce n'est pas interdire nécessairement la libre activité des partis politiques en cause. Aussi, je ne suis pas conduit à vous proposer une censure sur ce point.

Une autre question constitutionnelle incidente est celle de la liberté de l'industrie et du commerce. Mais je vous rappelle que ce principe n'est ni général ni absolu et qu'il nous appartient de combiner son respect avec d'autres principes. Ici, l'atteinte me paraît particulièrement limitée. Il est interdit à toute entreprise de pratiquer des prix inférieurs à ceux du marché au profit de candidats. Mais il s'agit d'une restriction de portée très limitée.

 Enfin, il reste le libre exercice de l'activité syndicale. Mais, après tout, celle-ci ne doit pas forcément s’étendre à l'activité électorale.

 Pour tous ces motifs, et tout en soulignant la très grande rigueur de cet article, je ne suis pas conduit à vous proposer une censure de cette prohibition générale. Je tenais simplement à souligner l'assimilation qui est faite à cet égard entre les personnes morales de droit public et les entreprises.

Je dois également souligner que cette prohibition ne paraît jouer que pour le champ d'application de la loi. Comme l'indique le rapporteur au Sénat Monsieur Christian Bonnet (n° 159 p. 37), les communes et les cantons de moins de 9 000 habitants et les élections sénatoriales demeurent en dehors du champ d'application de cet article.

 J'en arrive au III de cet article, qui comporte une disposition nouvelle. Il prévoit la possibilité d'assurer une publicité par voie de presse aux seules fins de solliciter les dons des personnes physiques. Ce qui paraît le plus étrange dans cette disposition c'est que la possibilité de faire des encarts publicitaires est réservée à la presse écrite. Mais ici encore, sauf à retenir une conception particulièrement restrictive du principe d'égalité entre les médias, je crois qu'il vaut mieux ne pas traiter de cette question. On peut aussi se demander si le coût de cette publicité doit bien figurer dans les comptes de campagne des candidats. Je crois que la réponse est inévitablement positive.

 J'en ai donc terminé avec la totalité de cet article qui est l'un des plus importants de cette loi. Je vous propose donc, même si certaines interprétations peuvent poser des difficultés de ne pas en traiter dans la décision.

Monsieur le Président : Quelqu'un veut-il ajouter quelque chose ? Non ! Bon, Monsieur FABRE vous pouvez donc continuer.

Monsieur FABRE : Alors, j'en arrive à l'article 5. Il s'agit d'un abaissement des plafonds visés à l'article L. 52-11 du code électoral. En ce qui concerne les élections des conseillers généraux et régionaux, l'abaissement est de 30 % environ. En ce qui concerne l'élection des conseillers municipaux, l'abaissement est le même pour les listes présentes au premier tour. En revanche, pour les listes qui sont présentes au second tour, le plafond est maintenu à l'identique pour toutes les villes de moins de 30 000 habitants pour celles de 100 000 à 150 000 habitants et pour les villes de plus de 250 000 habitants. Mais il est modifié pour toutes les autres villes. Mis à part les quelques cas que je viens de citer pour le seul second tour, le plafond pour les élections municipales est donc modifié. Il y a naturellement, comme dans l'ancienne version de ce tableau des effets de seuils un peu curieux. Mais il n'y a là aucune



 difficulté constitutionnelle. J'ajoute que le plafond des dépenses pour les législatives n'est pas touché par cet article et reste fixé à 250 000 Francs, plus un franc par habitant de la circonscription.

 L'article 6 modifie les conditions du remboursement forfaitaire auquel procède l'Etat en fonction des dépenses électorales des divers candidats. Jusqu'à maintenant, l'article L. 167 prévoyait un remboursement pour les dépenses que l'on pourrait qualifier d'officielles : bulletins de vote, affiches, circulaires. Ce remboursement était prévu pour les candidats ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés.

 En outre, les autres dépenses électorales des candidats étaient, à la même condition, forfaitairement remboursées dans la limite d'un plafond égal au 1/5 du montant du plafond visé à l'article L. 52-11. Il s'agit des trois derniers alinéas de l'actuel article L. 167 qui prévoyait les conditions de ce remboursement forfaitaire. Ce remboursement ne peut excéder le montant des dépenses du candidat telles qu'elles sont retracées dans son compte de campagne. Il n'est pas effectué en cas de non dépôt du compte de campagne, de dépassement du plafond des dépenses ou de non dépôt de la déclaration de patrimoine.

 Ce système est modifié. Le remboursement est porté par l'article 6 à la moitié du plafond des dépenses, sans pouvoir excéder le montant des dépenses des candidats retracées dans le compte de campagne. Le taux de remboursement antérieurement en vigueur était de 20 % . Les cas de privation de ce remboursement demeurent. Il y a là une difficulté constitutionnelle. Dans notre décision de 1990, nous avons admis le principe d'une aide de l'Etat à condition que cela ne fasse pas dépendre l'activité d'un parti politique de cette aide. Mais nous avions aussi dans un considérant sur le détail duquel je dois revenir, précisé dès 1988 que : "quelque soit le mécanisme d'aide retenu, il ne doit conduire ni à établir un lien de dépendance d'un candidat à l'égard de quiconque contribue au financement de ces dépenses, ni à compromettre l'expression démocratique des divers courants d'idées et d'opinions, ni enrichir une personne physique ou morale" (cons. 26 de la décision n° 88-242 DC du 10 mars 1988). Nous avons réaffirmé cette dernière exigence en 1990 au sujet de l'élection présidentielle (4 mai 1990, p. 57). Il s'agit donc là d'une pluralité de critères que l'aide doit respecter. On peut se demander si le principe du remboursement par l'Etat de la moitié des dépenses respecte ou non une telle exigence et notamment s'il n'aboutit pas à un enrichissement sans cause.

 Le Gouvernement a fourni une fiche car nous l'avons interrogé sur cette question. Le problème est de savoir dans quelle mesure il peut y avoir un enrichissement personnel du candidat. Selon le Gouvernement le montant du remboursement forfaitaire doit être "limité à la part des dépenses que le candidat a, à titre définitif, personnellement acquittées ou dont



il demeure débiteur". Cette formule a été reprise dans diverses circulaires de 1988 que le Gouvernement a joint à ses fiches. Elle vise notamment des cas où un candidat a fait un emprunt. Elle vise aussi les avances remboursables fournies par exemple par un parti politique. Le Gouvernement dans ses fiches donne des exemples. L'apport personnel ne se confond donc pas avec les dons, en particulier avec ceux qui émanent de formations ou de groupements politiques.

 Je crois donc que les choses sont assez claires dans la pratique. Mais celle-ci reposera plus sur une interprétation de nos décisions de 1988 et de 1990 que sur une affirmation écrite incontestable. Le remboursement ne peut excéder le montant des dépenses retracées dans les comptes de campagne et il doit s'agir d'éviter tout enrichissement personnel du candidat. Nous l'avons affirmé en 1988. On peut être hésitant sur le point de savoir s'il convient de rappeler ces principes à l'occasion de l'examen de l'article 6. Ce qui plaide pour leur réaffirmation c'est qu'il s'agit ici d'une modalité nouvelle de remboursement personnellement versé au candidat et que l'interdiction de l'enrichissement personnel n'a été affirmée en 1988 qu'à propos de l'aide aux candidats selon des modalités qui, formellement, n'existent plus depuis 1990.

 Je voulais donc ouvrir le débat qui me paraît moins porter ici sur l'existence de principes déjà affirmés que sur l'opportunité ou non de rappeler ces principes dans notre décision. Je vous propose compte tenu du montant important du remboursement et du fait que l'affirmation de 1988 pourrait être considérée comme dépassée, de préciser que l'interdiction de l'enrichissement personnel trouve ici un champ d'application nouveau. J'observe qu'en 1990 nous avons fait plusieurs interprétations neutralisantes sans censurer des articles, ce qui est possible compte tenu du fait que toute la loi nous est déférée.

Monsieur le Président : Poursuivez.

Monsieur FABRE : Passons à l'article 2. Il modifie l'article 52-12 du code électoral sur plusieurs points. Tout d'abord il exclut des dépenses électorales celles de la campagne officielle. Ensuite, il exclut dans la définition des dépenses l'accord "même tacite" du candidat. Vous vous souvenez que nous avions eu à débattre de la portée de cette mention dans notre décision du 9 décembre 1993 concernant la 1ère circonscription du Loir-et-Cher. Désormais, de nombreux de candidats de mauvaise foi pourront souligner que la dépense n'avait pas leur accord. Encore faut-il dire que la position du Gouvernement demeure très stricte. Mais la latitude dont dispose le juge sera donc plus importante quant à l'existence ou non d'un tel accord.

 Le nouveau texte vise également les partis et groupements politiques créés en vue d'apporter un soutien au


candidat. Il s’agirait par exemple d'un comité de soutien à une candidature.

 Il est ensuite précisé que le compte de campagne ne peut présenter un déficit. Sur ce point, la loi sera désormais en accord avec notre jurisprudence (n° 93-1657, 4 novembre 1993, M. TRIFFAUT p. 447). Cet article prévoit également de supprimer la publication des dons des personnes morales. Toutefois, l'article 25 de la loi précise que cette disposition ne produira des effets qu'une fois que l'interdiction des dons prendra effet.

 Je dois ici évoquer une difficulté juridique importante : il s'agit de l'application de cet article de loi ordinaire aux élections législatives en ce qui concerne l'irrégularité qui relève de la loi organique. En effet le second alinéa de l'article L.O. 128 du code électoral qui prévoit l'inéligibilité renvoie expressément aux articles L. 52-11 et L. 52-12 du code électoral. Pour le premier, il n'y a pas de difficultés : le plafond spécifique aux législatives est maintenu. En revanche, l'article L. 52-12, nouvelle mouture, est modifié par la loi alors que l'article L.O. 128 ne l'a pas été. Aussi il aurait dû, comme les autres nouveaux cas de rejet du compte à bon droit, être reporté dans la loi organique. Or, il ne la pas été. La difficulté provient de notre propre jurisprudence et plus précisément de notre décision du 11 janvier 1990 (cons. 3, p. 19) : "Considérant que dans la mesure où les dispositions nouvelles du code électoral relatives au financement des campagnes sont destinées à régir des matières qui ressortissent à la compétence de la loi organique, elles ne pouvaient être rendues applicables à ces matières que dans le respect des règles de la procédure législative régissant les lois organiques". Les nouveaux cas d'inéligibilité -par exemple l'existence d'un rejet du compte en déficit- relèvent bien du domaine de la loi organique (décision n° 84-177 DC du 30 août 1984).

 En d'autres termes, l'article L.O. 128 du code électoral, aurait, formellement, dû être modifié, comme l'a été la loi de 1962 en ce qui concerne les présidentielles. Il y a là un "manque" qui pourrait poser des difficultés dans l'avenir. Ce que je suggère, bien entendu -ce n'est pas de censurer- mais d'attirer l'attention du Gouvernement sur ce point par un moyen qui reste à définir.

Monsieur le Président : Sur ce point qui est important ? Vous proposez une neutralisante. On peut lire le passage du projet ? (Assentiments).

Monsieur FABRE lit les pages 1 et 2.

Monsieur le Président : Très bien.




Monsieur ABADIE : Ça résulte bien du texte lui-même : il y a une différence entre les dépenses des candidats et les dépenses électorales des candidats !

Monsieur le Président : La clarté est nettement préférable.

Monsieur ABADIE : Oui ! Nous ne faisons pas un effort d'interprétation, c'est logique.

Monsieur CABANNES : Oui !

Monsieur le Président : C'est bien "dès lors" ?

Monsieur le Secrétaire général : Oui ! C'est la formule de 1990.

Monsieur le Président : Oui ! C'est un point délicat.

Monsieur le Secrétaire général : On verra comment le Gouvernement prendra la chose. Le Conseil m'autorise-t-il à téléphoner au secrétariat général du Gouvernement ?

Monsieur le Président : Oui ! Il vaut mieux le téléphone qu'autre chose. D'accord (assentiments).

Monsieur ABADIE : Il n'y a plus le "même tacite", c'est donc notre jurisprudence Lang qui est mise à bas.

Madame LENOIR : Non ! On peut considérer cela comme extensif. Dans les travaux préparatoires, le texte vise toute forme d'accord.

Monsieur le Président : C'est la condition du consentement qui doit être remplie. Ce n'est pas un contrat civil. Inutile d'exiger un acte écrit. Il n'y a pas de difficulté. Il faut que le candidat ait consenti à la dépense. Peu importe la forme de ce consentement (assentiments). Notre jurisprudence n'est pas remise en cause. Bien, poursuivez.

Monsieur FABRE : L'article 8 abroge les dispositions relatives au cautionnement. Il faut dire que certains des articles du code électoral prévoyaient un cautionnement purement formel. L'article 213 du code électoral applicable au candidat aux élections cantonales retenait un cautionnement de ... 50,00 francs ! On peut considérer que cette suppression, même pour les élections législatives où le cautionnement était de 1 000 francs (art. L. 158) est une mesure de simplification et qu'il ne posera pas de difficulté.

 L'article 9 est une disposition souhaitée par le Conseil constitutionnel dans ses observations sur les élections des 21 et 28 mars 1993. Il exige que la déclaration de candidature soit remise personnellement par le candidat. C'est une mesure naturellement destinée à éviter une manoeuvre consistant à


présenter des candidats sans lien avec la circonscription dans le seul but d'en tirer des avantages financiers. Je répète, en outre, que cette disposition a été souhaitée par le Conseil.

 L'article 10 rétablit des inéligibilités pour certaines condamnations. S'agissant d'un article introduit par voie d'amendement, on peut s'interroger sur le point de savoir si il respecte bien notre jurisprudence sur le cadre dans lequel les amendements sont recevables. Je souhaite faire observer en réponse à cette question que les articles du code pénal peuvent toucher des méthodes de financement occulte des partis ou des cas de corruption ou de prise illégale d'intérêt. Il ne pose donc pas de véritable problème au regard de notre jurisprudence sur le droit d'amendement. Sur le fond, cette inéligibilité est définie strictement.

 L'article 11 tire les conséquences du nouveau système d'aide et il abroge les trois derniers alinéas de l'article L. 167 du code électoral. C'est-à-dire que sont maintenus dans cet article les remboursements des frais d'impression des bulletins, circulaires et affiches officielles.

 J'en ai terminé avec le titre I de la loi.

 Le titre II modifie la loi du 11 mars 1988 sur la question du financement des partis et groupements politiques.

 Avant d'aborder les dispositions précises de la loi je voudrai vous rappeler brièvement quelles sont les règles actuelles fixées par la loi du 11 mars 1988 modifiée en 1990 et par la loi dite "Sapin" du 29 janvier 1993 L'aide de l'Etat est fixée par la loi de finances. En 1994 elle atteint 526 Millions de Francs et pour 1995 les crédits votés s'élèvent à 526,5 Millions de francs.

 Cette aide est ensuite répartie en deux fractions équivalentes. La première fraction est répartie en fonction du nombre de suffrages obtenus au premier tour des élections à l'Assemblée nationale. Je vous rappelle que dans la décision du 11 janvier 1990 nous avons annulé, en raison de son montant, un seuil de 5 % de voix pour participer à la répartition. Je vous rappelle également que nous avions suggéré au Gouvernement dans nos observations du 30 mars 1994 de fixer un seuil plus bas... Cette suggestion n'a pas été suivie.

 La difficulté juridique que pose la répartition de cette première partie c'est essentiellement l'influence de nos propres décisions. Je dois vous indiquer qu'en définitive le décret de répartition tient compte de nos décisions lorsque nous annulons des voix (voir le décret du 4 mars 1994 J.O. p. 3585). Je dois enfin rappeler que la loi de 1993 a abaissé à 50 le nombre de candidatures nécessaires pour bénéficier de l'aide. Le Conseil d'Etat vérifie si ce seuil est bien rempli et il a même été


jusqu'à annuler dans un arrêt du 9 novembre dernier un décret qui avait réparti l'aide en excluant le mouvement des démocrates alors que celui-ci a pu justifier devant le juge que le seuil des 50 candidats avait bien été atteint par lui.

 La deuxième fraction est répartie en fonction du nombre de sièges obtenus par chaque formation dans les deux assemblées.

 Les dispositions du titre II ne touchent que très peu à ce système. Ne sont remis en cause ni le principe de l'aide ni le principe de sa répartition en deux fractions égales, ni même les critères de cette aide.

Monsieur le Président : Qui souhaite intervenir ici ? Personne. Bien ! Continuez.

Monsieur FABRE : L'article 12 prévoit qu'il n'est pas tenu compte pour la répartition pour la première fraction des suffrages obtenus par les candidats déclarés inéligibles par le Conseil constitutionnel. J'attire l'attention sur le fait que l'article L.O. 128 du code électoral est visé dans sa totalité et que par conséquent toutes les inéligibilités sont prises en compte même celles qui proviennent du non dépôt d'une déclaration de patrimoine.

 On ne peut voir là aucune inconstitutionnalité et je vous propose de ne pas traiter de cet article dans notre décision.

 L'article 13 tend a créer une aide aux petits partis. Pendant une durée de trois ans, il met en place un système au profit de partis ne bénéficiant pas de l'une des deux fractions de l'aide prévue par la loi de 1988. Ces partis pourront bénéficier de 2 Millions de francs par an. Les critères pour en bénéficier sont d'avoir reçu au moins 10.000 dons de personnes physiques dont 500 élus répartis en 30 départements au moins. Les sommes ainsi amassées doivent représenter au moins 1 Million de francs. C'est cette "assise" qui conditionne l'ouverture au bénéficie de l'aide publique.

 On voit bien que ces critères ont pour objet à la fois d'éliminer les partis politiques dont l'assise nationale n'est pas suffisante, mais aussi, et c'est pour cela qu'il est fait référence à un minimum d’élus, d'éliminer les sectes qui peuvent trouver plus facilement qu'on ne le croit 10.000 donateurs.

 Au regard de notre jurisprudence, cette aide ne créera pas un lien de dépendance vis-à-vis de l'Etat et elle est bien de nature à faire naître de nouveaux courants d'idées. Je ne suis pas sûr que compte tenu des critères choisis, elle vise précisément une formation politique. En effet la plupart des partis qui peuvent trouver 10.000 personnes physiques donateurs


dont 500 élus ont présenté au moins 50 candidats aux élections législatives.

 On passe ensuite à des dispositions qui tirent simplement les conséquences formelles de la suppression de la possibilité pour les personnes morales d'effectuer des dons aux partis. Tel est le cas de l'article 14 (obligation de déposer les dons sur un compte bancaire ou postal unique) de l'article 15 (état récapitulatif annuel) ou de l'article 17 (publication de la liste des personnes morales donateurs).

 Je ferai une place à part à l'article 16 puisque c'est lui qui supprime, à l'article 11-4, le principe de l'autorisation pour les personnes morales de contribuer au financement des partis. Ici nous retrouvons la problématique que nous avons déjà évoqué avec l'article 4. Il est clair, concrètement que certains partis auront du mal à assurer leur financement en dehors de cette aide. Si l'on se réfère aux comptes des partis publiés le 19 novembre 1994, on ne peut qu'être frappé par le caractère assez important des dons des entreprises : 35 millions de francs sur un budget de 290 millions de francs pour le parti socialiste ; 47 millions de francs sur un budget de 358 millions de francs pour le R. P. R. Ce sont là les comptes les plus détaillés, mais ils montrent bien que la nouvelle loi risque de soulever des difficultés concrètes d'application.

 Ici encore je dois constater que la prohibition qui s'appliquait aux personnes morales de droit public est désormais englobée dans une interdiction plus large. Ici encore, nous pourrions le cas échéant, constater que l'aide proviendra essentiellement de l'Etat et nous interroger sur l'éventuel lien de dépendance ainsi créé. Mais je crois que les critères d'octroi de l'aide sont suffisamment objectifs pour que nous n'ayons pas à nous poser la question de la constitutionnalité de ce mécanisme.

Monsieur ROBERT : La référence aux 500 élus, est faite pour éviter les sectes ?

Monsieur FAURE : Oui, d'autant qu'il faut au moins trente départements.

Monsieur le Président : 500 élus, c'est rien !

Monsieur ROBERT : C'est vrai, tel petit maire d'une commune rurale.

Monsieur le Président : Il n'y a pas de minimum du montant d'un don. C'est regrettable.

Monsieur RUDLOFF : Oui ! Mais il y aura des difficultés. Les élus ne veulent pas verser et beaucoup de groupuscules n'ont pas 10.000 donateurs. Cette aide sera très limitée



 Monsieur le Président : En tous cas, il n'y a pas de problèmes de constitutionnalité ! Poursuivez.

Monsieur FABRE : L'article 18 supprime une disposition de 1993 selon laquelle la commission des comptes de campagne était auditionnée par les partis politiques. Cela me paraît être une bonne chose. D'ailleurs cette audition du "contrôleur" par les "contrôlés" n'a jamais eu lieu.

 J'en arrive au titre III intitulé "dispositions diverses".

 L'article 19 ramène à 56 millions de francs le plafond des dépenses électorales pour les élections des représentants au Parlement européen. Il était jusqu'alors fixé par la loi de 1990 à 80 millions de francs, c'est à dire compte tenu de la revalorisation réglementaire en fait à 85,6 millions de francs. Aux élections européennes du 12 juin dernier, les comptes publiés le 2 décembre 1994 font apparaître de la liste qui a dépensé le plus, celle de M. de Villiers a inscrit 63,6 millions de francs dans son compte. L'abaissement du seuil ne paraît pas poser de problème concret pour toutes les autres listes.

Madame LENOIR : Monsieur de VILLIERS avait un bon financier ! (Sourires).

Monsieur FABRE : J'en arrive à l'article 20 qui résulte de longues négociations entre les assemblées. Cet article prévoit, très curieusement, l'existence de deux seuils de dépenses pour les prochaines municipales.

 Il a fait l'objet de très longs débats et la solution finalement trouvée résulte d'un compromis. Cet article prévoit que le plafond des dépenses actuellement en vigueur sera maintenu en ce qui concerne les dépenses totales pour les prochaines élections municipales. Il prévoit en revanche que dès que le nouveau plafond prévu à l'article 5 entrera en vigueur, c'est à dire dès la promulgation de la loi, il s'appliquera aux dépenses faites à partir de ce moment là.

 Dans notre décision du 6 juillet 1994, nous avons admis un report de la date des prochaines élections municipales pour lesquelles les citoyens se prononceront au mois de juin 1995. Tel est l'objet de la loi du 15 juillet 1994. Cette loi a également prévu que les dons seraient comptabilisés pendant une durée de quinze mois, puisque la période de collecte avait déjà commencé et que les dépenses resteraient fixées conformément à l'article L. 52-12 qui renvoie à l'article L 52-4 c'est-à-dire à l'année précédant le premier jour du mois pendant lequel l'élection a lieu. Cette période court donc à partir du mois de juin. Vous comprenez donc l'intérêt de l'article 20 de la loi. Il s'agit pour des dépenses engagées depuis le premier juin et jusqu'à sa promulgation, de ne pas faire jouer l'abaissement du plafond et


de ne faire appliquer cet abaissement qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

 J'observe immédiatement que la solution est différente pour les élections présidentielles où le plafond est abaissé pour tous les candidats et pour toutes les dépenses.

 L'argumentation du Gouvernement dans sa fiche consiste à dire que des candidats ont déjà engagé des dépenses dans le cadre d'une stratégie de campagne fondée sur l'ancien plafond. En particulier, comme les dépenses d'affichage sont interdites pendant les trois mois précédant le mois de juin prochain certains ont commandé ou réalisé des campagnes d'affichage. Mais j'observe que cette inégalité de fait existe aussi pour les élections présidentielles. Certains candidats sont déjà déclarés, ont déjà commencé à dépenser et leur campagne sera modifiée du fait de l'entrée en vigueur du nouveau plafond. Et puis je dois ajouter que le Gouvernement dans sa fiche demeure muet sur un problème matériel : à la vue du compte de campagne il est impossible de savoir si la dépense a été faite avant ou après une date précise.

Monsieur le Président : Oui, cela consiste à savoir si, quand vous entrez dans un magasin et que vous partez sans avoir payé, la dépense est faite au moment de la signature du chèque ou au moment du règlement ?

Monsieur FABRE : Cela posera de toutes façons des problèmes même s'il est possible de vérifier.

Monsieur LATSCHA : C'est à la commande, si elle est ferme, que la naissance de l'obligation se situe. C'est le jour de l'engagement.

Monsieur ROBERT : Mais le jour où la réalisation est faite peut être postérieure à l'engagement.

Monsieur FAURE : La dépense "faite", le mot est très malvenu.

Monsieur ROBERT : Vous commandez, vous n'êtes pas tenu de recevoir...

Monsieur le Président : C'est le moment où l'accord est conclu.

Monsieur RUDLOFF : Mais vous arrivez à un système paradoxal. Vous ne pouvez pas renoncer à une commande faite.

Monsieur FABRE : Il est certain qu'il peut y avoir là source de tricherie.

Monsieur le Président : Vous voulez interpréter ?


Monsieur RUDLOFF : Non ! Le rapporteur propose une censure, je crois.

Monsieur FABRE : En effet. Je vais terminer mon rapport sur l'article 20. Même si la présentation des comptes était modifiée, il resterait des difficultés concrètes : certaines dépenses peuvent donner lieu à plusieurs opérations de paiement, voir <il est écrit "voir" mais il semblerait qu'il faille écrire "voire">à un paiement final qui couvrira la totalité d'une opération. En pratique donc il serait très aisé pour chaque candidat de faire rentrer pour partie les dépenses dans l'une ou l'autre des catégories.

 Notre analyse ne peut être que constitutionnelle et c'est le principe d'égalité qui est en cause. Je ne crois pas que l'on puisse soutenir que les candidats sont dans une situation juridiquement distincte selon qu'ils ont ou non commencé leurs dépenses. La période de comptabilisation prévue par la loi est fixée à un an et elle englobe toutes les dépenses.

 La disposition de l'article 20 aurait pour effet de favoriser ceux qui ont déjà commencé à dépenser. Elle créerait à leur profit un incontestable avantage : ils ont déjà commencé leur campagne, ils peuvent donc dépenser d'avantage que les autres ! En outre en termes d'égalité du suffrage, comment pourrions nous admettre qu'à la même élection s'appliquent deux règles de plafonnement différentes ? Cela me paraît impossible.

 Je vous propose donc une censure fondée sur la nécessaire égalité de la compétition électorale et sur le fait que la dérogation vise à créer deux catégories de dépenses pour les mêmes candidats.

J'ajoute, au regard de ce que notre jurisprudence sur le principe d'égalité admet, que cette dérogation ne peut en aucun cas être justifiée par l'intérêt général, ni même par les objectifs que le législateur s'est assigné qui consistent à abaisser le plafond des dépenses et non pas à soumettre les mêmes campagnes électorales à deux règles différentes.

Je suis donc conduit à vous proposer une censure partielle de l'article 20. Mais comme toutes ces dispositions sont indissociables, c'est tout l'article qui me paraît devoir être censuré. En effet, la situation est très différente que dans le cas des décisions sur la prolongation des mandats électoraux : c'était alors la même règle pour tous. Ici, au contraire, il s'agit d'appliquer deux règles différentes selon le moment où la dépense est effectuée.

Monsieur ABADIE : La même inégalité se trouve dans la loi organique sur la campagne de l'élection présidentielle. Du fait de la possibilité de bénéficier de dons de personnes morales jusqu'à la promulgation de la loi, on va se trouver en présence d'une inégalité au regard des ressources des candidats. C'est


d'ailleurs ce qui résulte de la fiche du Gouvernement sur les dépenses. Le Gouvernement indique que c'est les candidats eux-mêmes qui se sont placés dans cette situation d'inégalité. Nous nous trouvons dans un cas parallèle où certains auront déjà fait des dépenses, d'autres non. Il faut faire attention à ce parallèle au regard du principe d'égalité.

Monsieur le Secrétaire général : J'apporte un élément d'information. Il y a une différence. Pour l'élection présidentielle, le Conseil constitutionnel a considéré que pourrait être appliquée une nouvelle règle de plafond. L'inégalité est seulement de fait. Ici le schéma est différent, on aboutit à un résultat où un candidat se trouve à la fin de la période dans une inégalité de droit et non de fait. L'inégalité est différente et plus grave. Pour répondre à l'observation de Monsieur le Préfet ABADIE, l'argument doit être utilisé à l'appui du projet. Dès lors que le Conseil a dit au Gouvernement : "Vous pouviez adopter une autre règle", le Gouvernement savait que le Conseil constitutionnel admettrait un autre mode d'application de la loi.

Monsieur ABADIE : Je comprends la distinction entre inégalité de droit et de fait. Ici, c'est une inégalité de droit. Pour les élections présidentielles c'est une inégalité de fait. Mais pour écrire cette différence, ça va être dur. L'inégalité de fait pour les présidentielles résulte d'une inégalité de droit. Comment écrire que l'on privilégie dans un cas le droit et dans l'autre les faits ? Quant au texte proposé par le rapporteur, je ne vois pas comment on pourrait juger différemment et donc ne pas censurer le texte sur les présidentielles. Comment passer de l'un à l'autre ? Il faut que les rédactions soient homogènes.

Monsieur CABANNES : Je voudrais vérifier le texte exact qui s'applique au Président de la République.

Madame LENOIR : Pour le Président de la République, il n'y a pas d'inégalité. Cet article ne vaut que pour les municipales. Il n'a pas d'équivalent dans les autres textes.

Monsieur ABADIE : Mais si ! Certains candidats auront des dons de personnes morales et d'autres seulement des dons de personnes physiques. Il y a donc une inégalité de traitement. Certes, on ne peut pas faire autre chose dès lors qu'une nouvelle législation s'applique.

Monsieur LATSCHA : Je dois dire que je partage assez la position de Monsieur ABADIE. Ici, nous consacrons un changement des règles du jeu alors que le jeu est déjà lancé. Je vois mal, en lisant l'article 3 de la loi relative à l'élection du Président de la République, la différence avec ce que l'on nous présente aujourd'hui.


Monsieur CAMBY : Il y a une différence juridique. Dans un cas on abaisse le plafond, dans l'autre cas on dit qu'il y a deux plafonds applicables à des candidats pour la même élection.

Monsieur RUDLOFF : Mais y a-t-il le même plafond pour tout le monde s'agissant du Président de la République et concernant les dépenses ?

Monsieur SCHRAMECK : Oui.

Monsieur RUDLOFF : Alors ici, il y a deux plafonds de dépenses ?

Monsieur le Président : Oui ! Ce qui compte ce sont les dépenses, ce sont elles qui sont importantes au regard du suffrage des électeurs.

Monsieur ABADIE : Je suis d'accord en ce qui concerne les dépenses, mais que se passe-t-il en ce qui concerne les recettes ? Il y a un vrai problème d'inégalité dans la capacité de recevoir des recettes.

Monsieur le Président : Monsieur PAOLI ?

Monsieur PAOLI : Il y a une différence juridique entre une inégalité de fait et un inégalité de droit Par exemple, en matière d'âge de la retraite, si vous dites gue l'on passe de 65 ans à 68 ans, vous avez des régimes législatifs qui se succèdent dans le temps. Mais ici, nous avons des régimes simultanés et concurrents. Le principe d'égalité est heurté dans la mesure où les personnes seront dans des situations différentes.

Monsieur le Président : Prenons l'exemple d'une commune comme celle de Levallois qui a plus de 100.000 habitants. Les candidats ont droit à combien de dépenses ?

Monsieur CAMBY : Si c'est plus de 100 000 habitants, c'est au moins 500.000 francs.

Monsieur le Président : 500 000 francs pour sa campagne ! Avant la loi, est-ce qu'on pouvait dépenser 700.000 francs ? (Assentiments). Donc avec ce texte les uns pourraient dépenser 700.000 francs et les autres 500.000 francs ? Je ne suis pas sûr que cela soit la portée de la nouvelle loi !

Monsieur CAMBY : Si, Monsieur le Président. C'est bien cela.

Monsieur ABADIE : C'est un "plus" de dépenses faites. Si un candidat fait 700.000 francs de dépenses, elles sont admises. S'il en dépense 500.000, il est plafonné à ses 500.000 francs.

Monsieur le Président : A compter de la promulgation de la loi, le plafond change.


Monsieur ABADIE : Oui, mais celui qui aura déjà atteint le plafond avant l'entrée en vigueur de la loi ?

Monsieur le Président : Personne n'aura atteint ce plafond mais il y a bien un avantage pour celui qui a commencé plus tôt. Il y a bien deux plafonds.

Monsieur ABADIE : Je suis d'accord sur le fait que l’inégalité touche les dépenses. Mais ça me gêne qu'on l'évoque en ce qui concerne les recettes.

Madame LENOIR : Il y a des inégalités de fait ! Selon qu'on a beaucoup dépensé ou non mais ce n'est pas le problème. Il fait se placer en droit par rapport à l'objet de la loi : là il y a une inégalité de droit. C'est une rupture d'égalité.

Monsieur FAURE : On ne peut se baser sur le fait que le sortant est plus connu. Ça c'est du fait. Mais ici il s'agit bien d'appliquer deux règles distinctes à la même élection.

Monsieur le Président : Mais la différence entre 500.000 et 700.000, est-ce une inégalité ?

Monsieur RUDLOFF : C'est sûr ! Mais après tout pourquoi sanctionner ce qui a commencé plus tôt ?

Monsieur le Président : Il n'est pas sanctionné, l'égalité est rétablie en cas de censure. Ou bien vous favorisez le dernier partant ou bien le premier partant ! Vis-à-vis du corps électoral il faut avoir les mêmes chances, donc avoir le même plafond. Donc, il faut aller vers la censure.

Monsieur ABADIE : Je suis d'accord au titre des dépenses. Mais je souhaite qu'on enlève la référence aux recettes.

Monsieur le Président : Les candidats riches seront favorisés.

Monsieur CABANNES : Sous réserve du délibéré sur les présidentielles. Je suis d'accord pour la censure.

Monsieur le Président : Vous allez lire, mais ne le votons pas et nous le mettrons de côté.

Monsieur FABRE procède à la lecture de l'article 20 du projet.

Monsieur ABADIE : J'en reviens aux recettes...

Monsieur le Président : Mais qu'est-ce que ça peut faire ? L'important c'est ce qu'on dépense en vue des élections.

Monsieur ABADIE : Je prends un exemple : les uns pourront avoir 20 % de recettes ou dons de personnes morales, d'autres 40 %. Ils sont dans une situation inégale.

Monsieur le Président : Nous avons eu à discuter de cette situation. Donc finissons sur ce débat. Monsieur le rapporteur, vous proposez de censurer eu égard à l'inégalité des candidats ?

Monsieur FABRE : Oui.

Monsieur PAOLI : En ce qui concerne la situation applicable aux présidentielles et aux municipales, il n'y a qu'une inégalité de pur fait.

Monsieur le Président : Oui, c'est un cas classique : celui de la succession des législatives avec ces scrutins différents. Monsieur PAOLI a raison de comparer cela avec le cas de la limite d'âge des 65 puis 68 ans. La différenciation ne crée pas d'inégalité. En revanche, ici il y a bien une inégalité. Vous pouvez lire.

Monsieur FABRE (lit la partie correspondante à la censure).

Monsieur le Président page 3 : Il faut enlever "d'une manière dérogatoire...". Cela ne se justifie pas. Et pourquoi mentionner "Plus ou moins importantes" ?

Monsieur le Secrétaire général : Cela traduit l'inégalité entre ceux-ci.

Monsieur le Président : Oui, oui. (Assentiments). Bien, vous pouvez poursuivre.

Monsieur ABADIE : Je suggère donc la suppression de "comme en ce qui concerne les recettes".

Monsieur le Président : Oui ! D'accord (le projet est ainsi modifié). Bien ! Poursuivez !

Monsieur FABRE : L'article 21 tend à aligner le régime fiscal des cotisations aux partis politiques sur celui des dons.

L'article 22 supprime la référence aux dons des personnes morales en matière de déductibilité et l'article 23 fait de même en ce qui concerne l'objet social des entreprises. Toutefois j'observe que le II de cet article prévoit de supprimer le droit de communication dont bénéficient les actionnaires sur la liste des dons. Mais le Gouvernement a indiqué, que tant qu'elle existera, la liste pourra toujours être consultée car l'article 168 de la loi sur les sociétés vise toujours l'article 238 bis AA du code général des impôts et donc les déductions pratiquées antérieurement à la présente loi.

L'article 24 tient compte en matière pénale de la suppression des dons des personnes morales.

L'article 25 maintient la publication de ces dons tant qu'ils existeront.

L'article 26 rend la loi applicable à Mayotte et dans les T.O.M.

Je dois être un peu plus long sur l'article 27. Il résulte d'un amendement du groupe communiste de l'Assemblée nationale (13 décembre 1994 p.8989). Il s'agit du fonctionnement du groupe d'élus dans les assemblées délibérantes des collectivités locales importantes.

La loi du 29 janvier 1993 avait prévu, en effet, que le fonctionnement des groupes d'élus pourrait faire l'objet de délibérations. Un décret devait intervenir. Nous n'avons pas statué sur cette question dans notre décision du 20 janvier 1993. En pratique, le décret n'est jamais intervenu. Le Conseil d'Etat a donc jugé, notamment pour les délibérations antérieures, que les subventions aux différents groupes politiques ne présentaient pas un caractère d'utilité communale et, sur la base de l'article 161-26 du code des communes, a annulé de telles délibérations (C.E., ville de Lyon contre Lavaur, 20 juin 1994). Sont en effet classiquement interdites les subventions destinées à satisfaire des intérêts politiques (C.E., 16 juillet 1941 syndicat des contribuables de Goussainville). La loi prévoit donc à la fois de préciser la portée de ces autorisations, en particulier en limitant le contenu des délibérations qui visent les frais de documentation, courrier et télécommunication mais également elle comporte un III qui, "valide les actes pris en application des délibérations sur le même objet" intervenus avant l'entrée en vigueur de la loi.

Vous connaissez notre jurisprudence sur les validations. Elles peuvent concerner les délibérations des assemblées territoriales (30 décembre 1982, Rec. p.88). Mais vous en connaissez aussi les limites : la validation doit être à la fois précise, ne pas remettre en cause les droits nés de décisions de justice passés en force de choses jugées (29 décembre 1988 p. 267), ne pas enfreindre les principes de rétroactivité et de non-rétroactivité en matière pénale et surtout répondre à un motif d'intérêt général (24 juillet 1985 p. 56). Je vous proposerai donc de censurer la présente disposition de validation. En effet, elle porte sur un objet particulièrement vague et nous n'avons jamais été confrontés à une disposition pareille. Il s'agit de valider toutes les délibérations "sur le même objet" et non pas une question ponctuelle comme les résultats d'un concours ou la perception d'une taxe. Et même si vous ne me suiviez pas sur le terrain du caractère "trop vague" de cette validation, nous serions confrontés au problème de l'appréciation de cette validation au regard de l'intérêt général.

Pour tout dire, cette disposition ressemble étrangement à une sorte d'amnistie au champ très imprécis. Le Gouvernement d'ailleurs reconnaît que le III est "juridiquement séparable" de

l'article 27 et que s'il n'existait pas, ceci pourrait conduire des élus à être regardés comme gestionnaires de fait.

Monsieur ROBERT : Je suis le rapporteur. Il faut faire très attention. Cela devient délirant !

Monsieur RUDLOFF : Mais il y a eu de nombreuses annulations. C'est pourtant l'intérêt général qui est en cause. Comment faire pour éviter, dans un prochain texte, la censure qui, ici, me paraît difficilement évitable. Il y a eu une loi non suivie d'effets à cause de l'administration et il faut bien que cette situation soit résolue par le législateur. Comment s'y prendra-t-il si nous censurons ? Mais ce sont des arguments de fait, j'en conviens.

Monsieur FAURE : Je ne vois pas ce qui justifie la censure.

Monsieur le Président : Ce qui la justifie, c'est que ce n'est pas dans l'intérêt général de la collectivité. Le décret n'est jamais sorti. Le Gouvernement et le Ministre de l'intérieur sont très réticents pour approuver ce système. Si le Trésor public ne réclame pas le remboursement des sommes versées, cela passera. Mais s'il le fait, il y aura des difficultés majeures.

Monsieur ROBERT : On ne valide législativement que dans la mesure où on ne peut pas faire autrement. Tel est le cas pour les concours. Je ne vois pas que l'intérêt général soit à ce point important pour justifier une validation aussi générale.

Monsieur FAURE : Je ne vois pas l'argument de base qui justifie la censure. On dit que la mesure est trop générale. Ça ne suffit pas. On déclarera gestionnaires de fait des deniers publics des personnes qui ont agi en toute bonne foi au vu d'une loi. Je suis de l'avis de Monsieur RUDLOFF. La situation est inextricable. Comment le législateur pourrait-il s'en sortir ?

Monsieur le Président : Vous voyez les risques de la censure - quels actes sont ainsi validés ?

Monsieur RUDLOFF : Quelques délibérations ont conduit à des distributions de fonds. C'est vrai. Certains sont conformes à la loi. Il y a eu aussi des indemnités qui ont permis de rémunérer du personnel ou des élus. Mais dans la majorité des cas, la censure va poser des difficultés pratiques évidentes.

Monsieur le Président : Ces délibérations ont existé et sont entrées en vigueur. Le législateur dit : "Je valide et j'interdis".

Monsieur RUDLOFF : Les délibérations ont été annulées au motif que la loi ne permettait pas de prendre des délibérations aussi larges.


Madame LENOIR : Je vois cela en tant que membre du Conseil constitutionnel où j'avais été battue sur une proposition de censure d'une validation pour laquelle je considérai que l'intérêt général n'existait pas. J'ai été battue. Ici, il y a un intérêt général à la validation. La validation, en l'état de la législation, se conçoit, car il y a un intérêt général à valider ici.

Monsieur FAURE : Plus le champ de la validation est grand, plus il y a de chances pour qu'il y ait eu des subventions versées. En général, ces subventions ont été les mêmes pour chaque élu. C'est tout de même à la loi de valider. Le Conseil d'Etat ne peut pas se substituer aux assemblées délibérantes qui ont voté cela de bonne foi : il y a un texte de loi, c'est l'administration qui est fautive.

Monsieur ROBERT : On ne peut pas confondre le conseil régional et le Conseil d'Etat. Ce n'est pas le même rôle.

Monsieur FABRE : L'ennui c'est que si on valide, ça implique que l'inégalité se perpétue.

Monsieur le Président : Si on valide, on valide pour le passé.

Monsieur ABADIE : Si vous validez, la délibération perdurera, même en ce qu'elle a d'excessif et de contraire au texte de loi. Lisez le texte : sa portée va au-delà de la loi.

Monsieur le Président : En validant, on fait une amnistie.

Monsieur le Secrétaire général : Il y a différentes séquences possibles :

I. - Est validée la situation née avant la loi du 6 février 1992 modifiéj,par la loi de 1993. La validation vaut en ce qui concerne ces actes et on aurait pu tout faire.

II. - La loi du 29 février 1993, rend la subvention au fonctionnement de groupes d'élus possible. Les délibérations ne peuvent modifier le régime légal indemnitaire des élus. Il fallait aussi un décret en Conseil d'Etat, lequel n'est pas intervenu. Ce faisant le III vise les deux types de situations sans limitation.

On aurait pu valider ce qui est lié à la non-intervention du décret. Ce qui soulève une difficulté c'est le membre de phrase : "le même objet". Jamais le Conseil constitutionnel n'a eu à se prononcer sur une telle validation. Le Conseil d'Etat devient restrictif. La mesure me paraît comble. Il y a un problème de respect de l'indépendance du juge administratif. Il y a là une mise en cause de l'indépendance du juge administratif.


Monsieur CABANNES : Le "même objet" vise les actes. On ne valide pas les délibérations.

Monsieur RUDLOFF : La délibération est annulée.

Madame LENOIR : C'est une forme d'amnistie, c'est vrai, ce qui est visé par le II, mais les assemblées locales ont été de bonne foi, pour la plupart d'entre elles. La censure est assez dure.

Monsieur FAURE : Oui, enfin ! La plupart l'ont été : il y avait une loi.

Madame LENOIR : Mais l'interprétation est plus restrictive au premier alinéa du nouveau I de l'article... Précisons donc l'objet de la validation. Comme cela, la jurisprudence prendra un tour plus restrictif.

Monsieur LATSCHA : Je suis sensible à l'argument d'Olivier SCHRAMECK. Ce qui me gène, c'est le fait qu'on valide tout en même temps : la loi vise les "délibérations ayant le même objet". Cela veut dire quoi ?

Monsieur RUDLOFF : Ce texte correspond à une réalité. Ces mesures sont faites en faveur des groupes d'opposition et pas de ceux de la majorité qui ont mille et une manières de trouver des financements. En droit, cela ne change rien mais, en fait, on voit bien la gêne qui résulterait de la censure, sans nul doute très sévère. Peut-être faut-il trouver une sorte d'interprétative. Qu'est-ce qu'on va reprocher aux responsables locaux ? Si je prends mon cas, je suis gestionnaire de fait pour avoir subventionné les écologistes et les membres du Front national. Et je répète qu'il y a une loi.

Monsieur FAURE : Cela profite aux adversaires... C'est bien dans l'intérêt général. Moi je n'ai jamais rien voté à personne. Il n'y avait pas de groupes politiques. Mais au conseil régional à Toulouse, où il y a une hypertrophie, à la demande de la majorité, une résolution a été présentée et votée à l'unanimité. Pour le passé, tous ceux qui ont adopté des délibérations vont devoir rembourser des sommes fantastiques...

Madame LENOIR : Ma position est qu’il s'agit bien d'une amnistie, mais qui répond à un intérêt général. Mais le Conseil doit accroître le contrôle des validations dans les cas en cause : le contrôle est, en matière de validations, seulement formel et c'est insuffisant.

Monsieur ROBERT : C'est l'inverse que dit le Conseil d'Etat. L'annulation a été prononcée parce que cela ne correspond pas à l'intérêt général.

Monsieur ABADIE : Je m'interrogeais sur une interprétative. L'intérêt général est visé dans le I et le II. La validation est


possible dans les mêmes limites. 95 % des opérations vont se trouver en fait validées. Mais pas ce qui dépasse l'objet des I et II. C'est là qu'il faut mettre un point d'arrêt.

Monsieur le Président : Donnez lecture de l'arrêt du Conseil d'Etat de juin 1994.

Monsieur CAMBY (donne lecture de l'arrêt du Conseil d'Etat concernant la ville de Lyon).

Monsieur le Président : La formule est terrible. C'est un coup d'arrêt très fort.

Madame LENOIR : La décision du Conseil d'Etat se conçoit pour marquer un coup d'arrêt à ces subventions qui atteignent des sommes incroyables à Lyon, plus élevées que le budget de certaines communes. Notre décision va s'imposer à tous, le contribuable communal va devoir verser un surcoût.

Monsieur ABADIE : C'est l'inverse, ce sont les élus bénéficiaires qui vont verser.

Madame LENOIR : Ce n'est pas possible. Il ne peuvent pas restituer. C'est énorme ! La censure rendra donc la situation impossible.

Monsieur RUDLOFF : En attendant, c'est le maire de Lyon qui est comptable de fait de l'ensemble des sommes versées.

Monsieur le Président : L'arrêt du Conseil d'Etat est radical. Il vise tout. Il annule toutes les délibérations. Les groupes d'élus vont avoir à repayer. Alors, je recommence. A partir de l'arrêt du Conseil d'Etat, dans toutes les communes, les groupes d'élus devront repayer ! Il n'y aura pas d'impôts nouveaux. Je comprends que le Gouvernement ne se soit pas pressé de prendre ce décret. Le législateur intervient et dit qu'il valide : c'est une amnistie. Il passe l'éponge. Question au Conseil constitutionnel : est-ce que le législateur a méconnu sa compétence en validant ? Notre problème est de savoir : est-ce que le Parlement avait le pouvoir de procéder à cette amnistie ?

Monsieur le Secrétaire général : Certains actes ont été annulés, d'autres non. Il y a tout une série de précédents. Mais à chaque fois il s'agit d'actes précis. Ici la validation est très imprécise.

Monsieur le Président : C'est effectivement une nouveauté, et c'est là qu'il peut y avoir une difficulté.

Monsieur le Secrétaire général : Le projet ne se prononce pas sur l'intérêt général. Le législateur a, lui, considéré que c'était l'intérêt général.


Monsieur le Secrétaire général : Le projet ne se prononce pas sur l'intérêt général. Le législateur a, lui, considéré que c'était l'intérêt général.

Monsieur le Président : Pour nous, où se situe notre appréciation ?

Monsieur le Secrétaire général : Sur ce point, le législateur a clairement justifié de l'intérêt général pour ce qui concerne le I et le II. Mais le projet retient que le III est beaucoup plus large. Le Conseil constitutionnel a trois façons de répondre : soit il retient le projet, soit à l'inverse la validation est jugée admissible, soit il retient une démarche intermédiaire, avec deux chemins possibles :

 a) celui suggéré par Madame LENOIR, consistant à définir l' "objet" de la validation,

 b) indiquer que la validation est possible eu égard à l'intérêt général, mais qu'en l'occurrence elle paraît trop large. Cela permettrait au législateur de reprendre un texte, ce qui est mieux que la censure proposée du point de vue des situations concrètes évoquées par M. RUDLOFF.

Madame LENOIR : On a admis que l'intérêt général pouvait être compromis par un remboursement excessif ! Pourquoi ne pas être en accord avec cette jurisprudence aujourd'hui. Il ne s'agit pas de renforcer l'impression de corruption qui plane sur tous les élus. Sur le reste, je suggère l'interprétation restreinte : "ayant le même objet" peut servir à limiter le champ de la validation. On peut le faire. Ce n'est pas si difficile. On peut exclure la validation des augmentations des indemnités d'élus, par exemple, ou des délibérations illégales.

Monsieur le Président : Si nous procédons ainsi en indiquant que le III a le "même objet", ce sont les juges qui apprécieront. Donc ce n'est pas la peine de faire interpréter cette notion par- le Conseil. Ce qui me préoccupe est l'intérêt général défini par le législateur. C'est lui qui le définit. La validation est trop large, c'est dire que l'intérêt a été mal apprécié. Ici, c'est une amnistie.

Monsieur FAURE : Moi je voterai le texte tel qu'il est.

Madame LENOIR : Ici, le terrain est celui du champ de validation. On dit que le législateur est resté beaucoup trop vague sur le champ des validations. Voilà ce qu'on dit.

Monsieur le Président : Notre décision ne parle pas de séparation des pouvoirs. On parle de l'incompétence négative.

Monsieur ROBERT : On fait allusion à la séparation des pouvoirs.


Monsieur le Président : Mais non ! On ne méconnaît pas la séparation. C'est une position d'incompétence. Ce qu'on reproche au législateur c'est de ne pas avoir fixé le montant et la nature des avantages. Qu'est-ce que devrait faire le législateur ?

Monsieur le Secrétaire général : Si on avait admis dans le passé que le législateur pouvait valider d'une manière aussi large, la jurisprudence ne comporterait aucune limitation !

Monsieur LATSCHA : Le législateur a fixé un cadre dans le I et le II. Le "même objet", ce serait faire référence aux I et II.

Monsieur FAURE : Mais la validation ne peut pas être limitée au I et au II seulement.

Madame LENOIR : On ne peut pas admettre une "validation-balai", cela est sûr.

Monsieur FABRE : Il s'agit d'un sujet plus politique que juridique. Si nous abandonnons la censure que je propose, dont je n'avais pas compris toutes les conséquences concrètes mais qui se justifie juridiquement, que faire ? Puisqu'il s'agit d'une amnistie, je ne comprends pas qu'on puisse faire un moyen tenue. Ou on sanctionne, ou on fait silence.

Monsieur le Président : Non ! Il me semble qu'il y a trois possibilités : nous fermons les yeux, on censure le texte ou on rédige une interprétative. Voyons comment nous pouvons interpréter. Je voudrais voir ce qu'elle donne.

Monsieur ABADIE : J'ai calculé l'effet d'une interprétative pour Lyon. Ils auraient probablement à verser un million sur les trois millions payés aux groupes politiques.

Monsieur FAURE : Moi je suis pour accepter ce texte tel quel.

Madame LENOIR : Non ! Ce n'est pas possible de faire cela.

Monsieur le Président : Nous sommes très en retard. Je propose de suspendre. Nous reprendrons la séance ce soir jusqu'à 18 heures au moins.

(La séance est levée à 12 h 40 et reprise à 14 h 40.)

Monsieur le Président : Reprenons. C'est la nouvelle version ?

Monsieur le Secrétaire général : Oui ! Les modifications sont pages 5 et 8.

Monsieur le Président : Voyons !

Madame LENOIR : Je suis d'accord sur le principe d'une interprétative.


Monsieur le Président : Lisez celle-là, ensuite on verra.

Monsieur FABRE (procède à la lecture).

Monsieur le Président : Mettons aux voix.

Monsieur CABANNES : C'est inutile pour l'instant !

Monsieur le Président : Si ! Il faut en finir (le vote est acquis à l'unanimité). Bien ! On peut passer à la loi organique.

Monsieur FABRE : Le volet financier applicable à l'élection présidentielle a été fixé pour la première fois en 1988. Compte tenu d'un réaménagement de 1990, intervenu par la loi organique du 10 mai, les règles ont été précisées dans le sens d'une sévérité accrue.

Le candidat est actuellement tenu de déposer un compte de campagne et de respecter les plafonds tels qu'ils sont fixés.

Ils sont actuellement de 120 millions de francs pour le premier tour et de 160 millions de francs pour le second tour, compte tenu de la revalorisation forfaitaire de 1,07. Ce sont ces plafonds qui sont actuellement applicables. Un remboursement forfaitaire du 20ème du plafond intervient. Il est porté à un quart de ce plafond pour les candidats qui dépassent 5 % des suffrages exprimés au premier tour. Le Conseil constitutionnel en 1988 a fait publier pour la première fois les comptes de campagne (J.O du 16 juillet 1988). Monsieur MITTERRAND a dépensé 99,8 millions, M. CHIRAC environ 96 millions, M. BARRE 64 millions et M. BOUSSEL 4 millions. Le Conseil à l'époque n'était pas juge des comptes, ce qu'il sera en 1995 du fait de l'intervention de la loi organique du 10 mai 1990. Le présent projet de loi organique se contente de tirer les conséquences des principes qui sont adoptés pour toutes les autres élections : abaissement de 30 % du plafond des dépenses, limitation des possibilités d'obtenir des fonds publics importants sous couvert d'une campagne électorale.

J'ai déjà exposé les éléments "architecturaux" de ces deux décisions, et je n'y reviens pas. Je me contenterai, si vous en êtes d'accord, d'analyser les articles dans l'ordre de la loi. Je traiterais toutefois à part l'article 7 pour lequel je vous proposerai une censure.

L'article premier ajoute les membres de l'assemblée de Corse parmi les personnes susceptibles de parrainer un candidat.

L'article 2 fixe la liste des articles du code électoral applicables à l'élection présidentielle. Cet article n'est pas destiné à s'appliquer puisqu'il est remplacé par l'article unique de l'autre loi organique. Il tient compte des abrogations auxquelles il a été procédé depuis 1990 et il intégrera les


nouvelles modalités de vote par procuration, désormais particulièrement larges (article L. 71 du code électoral).

L'article 3 abaisse les plafonds des dépenses électorales qui seront donc de 90 et de 120 millions de francs. A la différence des municipales, il n'y a pas de doubles comptes concernant les dépenses : le nouveau plafond sera applicable à tous les candidats. Il en ira de même de l'impossibilité de faire financer la campagne par les entreprises, qui s'appliquera à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi. Bien entendu il peut y avoir là une inégalité de fait entre ceux qui auront collecté des dons et ceux qui n'en auront pas collecté. Bien entendu, le changement de la règle du jeu en cours de route sera dommageable à ceux qui ont déjà commencé leur campagne, et plus précisément à ceux qui ont déjà beaucoup dépensé. Mais l'inégalité provient ici simplement de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Nous sommes dans une situation assez proche de celle dans laquelle il y a un report de date d'élection, c'est à dire dans le champ de notre décision du 6 juillet 1994. Le législateur avait allongé de trois mois la durée pendant laquelle les recettes pouvaient être collectées. Nous n'avons pas censuré cela. Je crois simplement qu'une précision s'impose dans la rédaction. Il ne faudrait pas empêcher qu'à cette occasion le législateur en arrive à bloquer totalement les moyens de campagne dont dispose un candidat. On pourrait en effet imaginer qu'un seuil soit fixé trop bas ou trop tard et qu'un candidat ait déjà tout dépensé. C'est pour cela qu'il faut préserver l'exercice du droit de suffrage. Sous cette réserve nous ne pouvons qu'affirmer que le principe d'égalité n'a pas été méconnu.

L'article 4 prévoit que le Conseil fixera, en cas du dépassement du plafond, le montant d'une somme égale à ce dépassement que le candidat devra reverser au Trésor public. Il s'agit de l'alignement de l'élection présidentielle sur les autres compétitions électorales.

L'article 5 prévoit la publication des comptes par les soins du Conseil dans le mois qui suit leur transmission et la publication des décisions sur ces comptes postérieurement sans qu'un délai ne soit prévu. A la demande du Conseil il a été fait référence au rôle des rapporteurs adjoints pour nous assister dans cette tâche. Même si nous n'avons aucun délai, en pratique on sait bien que les candidats seront impatients puisque la publication de nos décisions, et l'acceptation du compte conditionne le remboursement forfaitaire qui leur est applicable, si le compte n'est pas rejeté.

L'article 6 ramène de 3 à 1 million de francs le montant de l'avance.

L'article 8 maintient sensiblement les montants de remboursement qui sont applicables, indépendamment de l'abaissement du plafond.


L'article 9 souhaité par le Conseil, supprime la référence selon laquelle l'inéligibilité court à compter de l'élection, ce qui nous permettra de la faire débuter à compter de notre propre décision.

L'article 10 ajoute dans les règles de limitation du cumul des mandats le cas des conseillers de Corse.

Quant à l'article unique de la deuxième loi organique, il s'agit de la loi balai dont j'ai déjà traité, et mis à part le problème du vote par procuration désormais très large et de l'interdiction du financement de la campagne par les entreprises il ne change pas les règles applicables mais tient compte de diverses suppressions d'articles du code électoral. Seront donc applicables à l'élection présidentielle les dispositions relatives à l'interdiction des dons des entreprises (L. 52-8) la suppression de l'expression "même tacite" (L. 52-12) et la possibilité de faire de la publicité pour collecter les dons des personnes physiques.

Je dois donc faire un sort particulier au seul article 7 de la première loi organique. Il résulte d'un amendement du Sénat. Il prévoit la création de bureaux de vote à l'étranger dans les localités où existe une agence consulaire. Outre un problème de contrôle car cela permettrait de créer 500 bureaux, et la dérogation très générale concernant la composition des bureaux, dont le fonctionnement est assuré par des fonctionnaires français, il y a une difficulté dans le fait que le décret indispensable à la mise en oeuvre de ce texte pourra "adapter" les dispositions de la loi organique du 31 janvier 1976 aux conditions de fonctionnement de ces bureaux de vote. Nous pouvons admettre qu'un décret applique une loi si besoin est. Nous pouvons même admettre, mais déjà d'une manière plus restreinte qu'il applique une loi organique dont le domaine est constitutionnellement protégé. Mais nous ne pouvons pas admettre qu'il adapte toute une loi organique déjà dérogatoire comme il l'entend.

Le Gouvernement objecte que cette expression figure à l'article 13 de la loi organique de 1976. C'est vrai. Mais elle ne concerne que les modalités concrètes du vote par procuration pour les français résidant à l'étranger et non pas l'adaptation de toute une législation organique. Alors il nous faut incontestablement censurer le décret

Le reste du texte en est indissociable. La composition des bureaux par exemple, les horaires, le dépouillement ne sont pas fixés. Et j'ajoute que le contenu du texte lui même peut être sujet à caution. Le contrôle serait, je le répète, très difficile à exercer sur ces bureaux.

Je vous propose donc de censure la totalité de cet article.


J’en ai terminé.

Monsieur ROBERT : Je dois dire que je n'y suis pas très favorable. On cherche du détail.

Madame LENOIR : Sur le reste, c'est organique, mais on voit bien sur le plan des principes de la hiérarchie des normes, que c'est inacceptable.

Monsieur le Secrétaire général : C'est un problème de hiérarchie des normes, en effet.

Monsieur le Président : Moi je pense qu'on peut censurer (assentiments). Lecture !

Monsieur ABADIE (page 7) : Les dispositions sont inséparables ?

Madame LENOIR : Mais oui, on ne comprend pas : il s'agit de bureaux de vote, de listes spéciales. Il y a une inconstitutionnalité. Le ministère est incapable de dire de quoi il retourne.

Monsieur le Secrétaire général et Monsieur CAMBY : Oui.

Monsieur ABADIE : C'est bien l'article dans sa totalité qui est visé ?

Monsieur le Président : Je suis pour l'inséparabilité : sans le décret il n'y a pas de texte.

Monsieur le Président : J'aimerai revenir sur le premier point. Cela fait environ six millions de francs pour le premier tour ?

Monsieur FABRE : Oui ! Et même 7,2 pour la prochaine élection.

Monsieur le Président : Il y aura des amateurs, c'est certain.

Monsieur ABADIE : Cela fait à peu près 12 000 francs par élu signataire !

Monsieur RUDLOFF : Voilà un calcul précis ! (rires)

Monsieur FABRE termine la lecture.

Le vote est acquis à l'unanimité.

Monsieur FABRE : Voilà ! C'était mon dernier rapport, et il y a deux censures à la clef, ce qui n'enlève rien à la nostalgie !

Monsieur le Président : Merci ! On peut donc passer aux incompatibilités.

Monsieur FAURE : La loi organique relative à la déclaration de patrimoine des membres du Parlement et aux incompatibilités applicables aux membres du Parlement et à ceux du Conseil constitutionnel fait partie d'un train législatif original. Suite


à ce qu'il est convenu d'appeler les "affaires" une sorte de course de vitesse parlementaire s'est déroulée entre l'initiative parlementaire et les services du Premier ministre et de la Chancellerie.

Concernant le texte sur les incompatibilités que je rapporte aujourd'hui, c'est plutôt le Parlement qui a "gagné". Son Président, M. Seguin, avait mis en place un groupe de travail rassemblant des représentants de tous les groupes politiques. Il en est sorti 18 propositions de loi les unes organiques, les autres ordinaires. Cet "émiettement" permettait d'accélérer la procédure. Le fait qu'il s'agisse de propositions de loi dispense en effet les textes d'un examen par le Conseil d'Etat et seules les contraintes procédurales de l'article 46 de la Constitution pèsent sur leur examen. Cet émiettement permettait aussi de faciliter la recherche d'accords ponctuels entre les deux assemblées et donc de faire adopter une partie du dispositif avant le dépôt d'un éventuel projet de loi. Avant d'aborder le fond, je dirai donc quelques mots de la procédure.

I.- La genèse du texte et le respect de l'article 46 de la Constitution

Le texte est issu de deux propositions de loi n° 1706 et 1708, déposées le 22 novembre 1994 par le Président de la commission des lois, M. MAZEAUD. Leur contenu est alors issu des travaux du groupe de travail et il est plus strict que le texte finalement adopté. Il retient par exemple l'incompatibilité du mandat parlementaire avec les fonctions de membre d'un cabinet ministériel ou l'interdiction de commencer à exercer, en cours de mandat, une activité professionnelle privée ou la démission d'office sans délai du député qui n'a pas déposé sa déclaration de patrimoine. Sur ces divers points, le texte adopté est nettement en retrait par rapport aux textes déposés.

La discussion commune des deux propositions s'est engagée à l'Assemblée nationale le 13 décembre 1994, le Sénat a examiné le texte en première lecture le 22 décembre 1994. Une navette, portant notamment sur la question des incompatibilités applicables aux membres du Conseil constitutionnel, a permis aux deux Assemblées de parvenir à une adoption de la loi en termes identiques les 22 et 23 décembre 1994. Il n'y a pas eu de commission mixte paritaire.

Je rappelle brièvement les prescriptions de l'article 46 de la Constitution :

 - respect d'un délai de 15 jours entre le dépôt et la délibération de la première assemblée saisie ;

 - vote dans les mêmes termes par les deux assemblées des lois organiques "relatives au Sénat" ;


 - saisine automatique du Conseil constitutionnel.

Le délai de 15 jours

S'agissant de proposition de loi, ce délai court à compter du dépôt du texte initial et non du rapport de la commission sur lequel la discussion s'engage (décision n° 87-228 DC du 26 juin 1987). Ici, ce délai est largement respecté. Je rappelle en outre que l'article 127 du Règlement de l'Assemblée nationale vise le dépôt "effectif" du texte. En pratique c'est donc l'enregistrement -qui date du 22 novembre 1994- qui fait courir le délai.

La loi organique est-elle relative au Sénat ?

Dans la décision n° 85-195 DC du 10 juillet 1985 (Rec. p. 20) au sujet de l'élection des députés, le Conseil a considéré qu'il fallait entendre par les termes "lois organiques relatives au Sénat", les dispositions qui ont "pour objet, dans les domaines réservés aux lois organiques, de poser, de modifier ou d'abroger des règles concernant le Sénat ou qui, sans se donner cet objet à titre principal, ont pour effet de poser, de modifier ou d'abroger de telles règles". Or ici nous sommes confrontés à des éléments qui touchent au statut des députés. Mais l'article L.O. 296 du code électoral prévoit que les inéligibilités sont, pour les sénateurs, les mêmes que celles qui s'appliquent aux députés. L'article L.O. 297 du même code fait de même en ce qui concerne les incompatibilités applicables aux députés visées aux articles L.O. 137 à L.O. 153. Les modifications du statut des députés introduites par la loi organique concernant ces articles sont donc, même en l'absence d'une disposition expresse du texte, applicables aux sénateurs.

Dès lors que les articles 2 à 6 entrent dans ce cadre, la loi organique est relative aux sénateurs. Quant à l'article 1er il prévoit explicitement que la déclaration de patrimoine s'applique également aux sénateurs. Tel était déjà le cas avec la loi du 11 mars 1988.

Il faut donc, me semble-t-il, considérer que le texte est relatif au Sénat puisqu'il touche des éléments essentiels du statut de ses membres et les pouvoirs de son Bureau. Dans ce cas, il suffit de mentionner dans la décision que la procédure a respecté l'article 46 de la Constitution et notamment son 4ème alinéa.

La saisine est intervenue le 24 décembre 1994. S'agissant d'une loi organique, l'examen de toutes les dispositions s'impose.

II.- Le contenu du texte

En ce qui concerne le fond, j'analyserai les articles les uns après les autres.


L'article 1er modifie le régime des déclarations de patrimoine des parlementaires. Les modifications introduites par cet article par rapport à l'ancienne version de 1988 sont les suivantes :

 - la déclaration de patrimoine est adressée à la commission pour la transparence financière de la vie politique et non plus au Bureau de l'assemblée concernée.

Je rappelle que cette commission a été créée par l'article 2 de la loi du 11 mars 1988 et qu'elle reçoit en vertu de cette loi les déclarations de patrimoine des membres du Gouvernement et des élus les plus importants, jusqu'aux maires des communes de plus de 30 000 habitants lors de leur entrée en fonction et à l'achèvement de celle-ci. Au total 300 personnes déclaraient leur patrimoine à la commission, composée du Vice-Président du Conseil d'Etat, du premier président de la Cour de Cassation et du premier président de la Cour des Comptes. Le texte "ajoute" donc les parlementaires à la liste des personnes qui ressortissent à la compétence de la commission. Il s'agit donc d'une sorte d'unification du régime applicable à ceux-ci et aux autres élus.

 - Une autre différence tient à l'évaluation de biens déclarés. Jusqu'ici le silence de la loi permettait à un déclarant de faire figurer la valeur d'achat du bien concerné. La loi prévoit que ces biens sont évalués à la date du fait générateur de la déclaration, c'est-à-dire, en clair, de l'élection pour ce qui concerne les parlementaires.

 - Il est en outre prévu qu'à l'initiative du déclarant, les modifications substantielles de patrimoine sont, elles aussi, déclarées.

 - Le régime de la déclaration est légèrement retouché. En particulier, la "déclaration de sortie" n'est plus exigée si moins de six mois se sont écoulés depuis la précédente déclaration.

Toutes ces modifications, applicables au Sénat au fur et à mesure du renouvellement des séries posent des problèmes de principe : soumission des parlementaires au contrôle d'une commission, obligation de déclarer les modifications jugées substantielles, sanction du non dépôt par l'inéligibilité...

Pour autant, je ne crois pas qu'il y ait là de problèmes constitutionnels : le principe d'égalité n'est pas en cause et cette obligation ne porte pas atteinte à l'indépendance des parlementaires. Je vous propose donc d'admettre la conformité de cet article à la Constitution.

Monsieur le Président : Sur ce point, y a-t-il des observations ? Non ! Bien, poursuivez.


Monsieur FAURE : Je souhaite, en effet, évoquer un dernier problème concernant cet article : l'article 3-1 de la loi du 6 novembre 1962 fait obligation aux candidats à l'élection présidentielle de remettre au Conseil, sous pli scellé une déclaration "conforme aux dispositions de l'article L.O. 135-1 du code électoral". Cela signifie notamment que les règles nouvelles d'évaluation des biens seront applicables aux candidats. Mais les autres obligations s'appliquent-elles au Président de la République ? Je vous rappelle que nous avons publié dans le recueil de 1988 la déclaration de l'élu. Je ne vois pas de raison de changer ce principe en 1995. Mais la question qui peut se poser consiste à savoir si le Président élu doit ou non déposer une déclaration en cours de mandat si son patrimoine se modifie substantiellement et s'il doit ou non déposer une "déclaration de sortie". Je pense qu'il vaut mieux trancher ce point : la seule obligation prévue à l'article 3-1 de la loi de 1962 c'est la déclaration initiale et sa conformité aux dispositions de 1 article L.O. 135-1 du code électoral vise le contenu et non la procédure. Certes, cela fait perdre une partie de sa raison d'être à ce mécanisme, plutôt destiné à mesurer les variations de patrimoine qu'à faire connaître le patrimoine lors de l'entrée en fonctions. Mais cette interprétation est conforme au texte. D'ailleurs, dans la loi organique sur la campagne électorale pour l'élection présidentielle, l'article L.O. 135-1 du code électoral n'est pas mentionné. La seule obligation qui pèsera sur les candidats à l'élection présidentielle, c'est donc la déclaration initiale. En mentionnant le 1er alinéa de l’article L O. 135-1 du code électoral, dans la décision, pour ce qui concerne l'élection présidentielle, nous apportons cette précision qui me paraît utile.

L’article 2 organise une procédure, calquée sur celle qui est applicable aux comptes de campagne, de saisine du Conseil constitutionnel en cas de non dépôt de l'une des déclarations prévues à l'article premier. Il s'agit à la fois de déclaration initiale, des rectifications en cours de mandat et de la déclaration finale. Le mécanisme est à double détente. Sur l'initiative de la commission des lois de l'Assemblée nationale, il a été prévu que la commission saisissait le Bureau de l'assemblée concernée qui, à son tour, saisit le Conseil constitutionnel. Il n'y a là qu'un seul problème, pratique : il s'agit de savoir si la commission et le Bureau sont dans une situation de compétence liée ou s'ils conservent une liberté d'appréciation pour renvoyer l'affaire devant le Conseil d'Etat. On peut être hésitant. La situation de la commission des comptes de campagne, nous l'avons expérimenté pour les dernières élections législatives, est celle de la compétence liée : dès qu'il n'y a pas de compte, que le compte n'en est pas un, qu'il est rejeté à bon droit ou que la commission estime que le plafond des dépenses est dépassé, elle nous saisit, en vertu de l'article L.O. 136-1 du code électoral. Le présent de l'indicatif employé par cet article a été considéré comme impératif. Le Gouvernement,


dans ses observations, affirme que le Bureau a compétence liée, en soulignant que lorsque tel n'est pas le cas, la loi retient une possibilité d'interprétation comme en ce qui concerne les incompatibilités pour lesquelles la saisine intervient "s'il y a doute". D'ailleurs, nous avons en mémoire un cas où le Bureau de l'Assemblée a choisi de ne pas renvoyer au Conseil un cas dans lesquels un député avait laissé, par inadvertance, figurer sa qualité dans une publicité relative à une entreprise financière. Le Bureau de l'Assemblée n'avait renvoyé au Conseil que la seule appréciation de l'incompatibilité des fonctions de dirigeant d'une société avec le mandat de ce député (n° 89-91 du 6 mars 1990, M. Tapie).

Mais le rapport du Sénat plaide pour la thèse de l'appréciation discrétionnaire du Bureau. Le Président Larché note (rapport de M. Bonnet p. 19) que le Bureau "conserve un plein pouvoir d'appréciation".

Voilà les termes du débat sur cet article. L'appréciation risque surtout de trouver sa place en cas de modification "substantielle" du patrimoine : fallait-il ou non une déclaration ?

Il me semble que la loi est volontairement floue quant aux pouvoirs du Bureau. On peut considérer que la commission est, comme la commission des comptes de campagne, dans une situation de compétence liée. Mais le Bureau de l'Assemblée concernée n'est peut-être pas dans une situation identique.

Il me semble aussi que ce n'est pas à nous qu'il incombe de trancher cette dernière question tout en retenant que la commission, elle, est dans une situation de compétence liée. Je voulais simplement ouvrir le débat sur ce point. C'est un des deux points délicats. Vous ne pourrez pas conclure ! On verra comment cela se passera.

Monsieur ROBERT : Je crois que la compétence de la commission est liée. Ce qui me gêne, c'est l'équivoque. Si on laisse le flou, on laisse l'Assemblée décider. C'est précisément ce qu'on a voulu éviter sous la Vème République. Donc je pencherai plutôt pour la compétence liée.

Monsieur FAURE : Bien sûr ! Mais quelle serait la sanction d'une "non saisine" ?

Madame LENOIR : Ce qui est sûr, c'est que l'interprétative est possible. S'il y avait compétence liée, on l'aurait dit. Mais beaucoup d'éléments vont dans le sens du pouvoir discrétionnaire.

Monsieur FAURE : Dans certains cas, le parlementaire pourrait "passer" immédiatement au Conseil constitutionnel. Le texte dit : "Le Conseil constitutionnel saisi par le bureau...". Le Bureau peut saisir mais rien ne peut l'y contraindre.


Monsieur ABADIE : Si nous interprétions et que le Bureau de l'Assemblée ne nous saisissait pas, notre décision serait donc sans effet !

Monsieur FAURE lit le projet de décision pages 2, 3 jusqu'à la fin du deuxième considérant.

Monsieur FAURE : Je vous ferai remarquer que j'ai repris le texte de la loi.

Monsieur le Président : Bref, on ne dit rien... Ce n'est pas au Conseil de pousser sa compétence plus loin. Je suis d'accord !

Monsieur FAURE : L'article 3 comporte une disposition nouvelle qui interdit à tout parlementaire de commencer "à exercer une fonction de conseil qui n'était pas la sienne avant le début de son mandat". Ici encore il y a une grande ambiguïté : s'agit-il de fonctions permanentes ou occasionnelles ? S’agit-il nécessairement de fonctions rémunérées ? Sans entrer dans le débat, il est clair que cet article sera l'objet d'interprétations. Je me contente à cet égard de rappeler une jurisprudence portant sur les incompatibilités visées à l'article

L. O. 146 du code électoral (direction d'une entreprise sous le contrôle de l'Etat). Le Conseil a jugé que le fait que les fonctions soient exercées "à titre bénévole" ne les rend pas ipso facto compatibles avec 1 exercice du mandat parlementaire. Ici, préciser serait réécrire, bonne formule, Monsieur CAMBY (rires). Je ne vous proposerai pas de le faire, tout en sachant que le Conseil sera sûrement saisi, concrètement, de l'application de cet article. Il nous est d'ailleurs applicable, j'y reviendrai à propos de l'article 7.

Ce dispositif a été jugé "incompréhensible et inapplicable" par M. Larché (rapport de M. Bonnet p. 21). Mais il vise des cas précis évoqués par le groupe de travail de l'Assemblée (p. 112 et s.) et on peut effectivement voir à quoi cette prohibition s’applique : il s'agit par exemple d'interdire des contrats d'études qui n'ont d'autre but que de faire rémunérer un élu par une entreprise ou de tourner, tant qu'elle existait, la législation sur le plafonnement des dons des entreprises. Il s'agit aussi d'éviter les intérêts "croisés" entre un élu et un groupe de pression dont il serait le "consultant". Il s'agit surtout d'empêcher que de tels groupes ou des entreprises ne "démarchent" des élus. Mais il faut reconnaître que si, à coup sûr, les contrats d'étude, les consultations payantes, les fonctions de conseil dans les conseils d'administration sont visés, le champ d'application potentiel de ce texte est beaucoup plus large.

Je prends simplement un exemple : un député peut être nommé pour moins de six mois chargé de mission par le Gouvernement en application de l'article L.O. 144 du code électoral. Prise au


pied de la lettre, cette disposition lui interdirait de remplir sa mission en faisant des propositions au Gouvernement.

Plusieurs conseillers : Non ! Non ! Ce n'est pas cela.

Monsieur FAURE : Bien sûr ! Je prends à dessein un cas limite. Mais je crois que nous aurons donc à apprécier, de nombreuses fois, la portée de ce nouvel article. Pour aussi large qu'il soit, il n'est cependant nullement inconstitutionnel. J'ajoute enfin qu'une réserve est faite dans la loi pour certaines professions libérales dont le Gouvernement a fourni une liste.

Monsieur le Président : Sur la fonction de conseil ?

Monsieur ROBERT : Ce n'est pas inconstitutionnel. C'est vague ! Mais on verra au coup par coup.

Madame LENOIR : Ils avaient initialement visé les seuls contrats d'étude, mais cela était trop restreint.

Monsieur ROBERT : Ce n'est pas la participation à des commissions ou des missions.

Monsieur FAURE : Vous interprétez déjà.

Monsieur LATSCHA : Est-ce qu'on se borne à des conseils rémunérés ?

Monsieur le Président : Le Gouvernement dit que ça concerne des conseils rémunérés. Nous n'avons aucune raison de préciser nous-mêmes, et la jurisprudence du Conseil n'est pas dans ce sens.

Monsieur FAURE : Les articles 4 à 6 posent moins de problèmes : il s'agit d'adaptations mineures de dispositions dont la portée est très limitée : ajout de la Cour de justice de la République en ce qui concerne les possibilités d'exercer la profession d'avocat, précision de la prohibition de cet exercice compte tenu d'une modification du code pénal, passage à deux mois du délai dans lequel un parlementaire doit se démettre d'un mandat incompatible. Tout cela ne pose pas de problèmes de constitutionnalité. Toutefois le II du 6 recèle la même ambiguïté que celle de l'article 3.

En effet, elle fait obligation à tout député de déclarer non plus seulement ses activités professionnelles, mais aussi ses activités "d'intérêt général, même non rémunérées". Je n'insiste pas davantage sur l'imprécision volontaire de cette mention, l'absence de déclaration étant sanctionnée par la démission d'office !

L'intérêt général est, certes, défini juridiquement mais c'est une notion très large : associations, participation à des


organismes extra-parlementaires, missions confiées par le Gouvernement... Bref ici encore la pratique posera de multiples problèmes.

J’en arrive enfin à l'article 7 qui nous concerne directement. Je vous demande donc d'être attentifs (rires). Il s'agit de rendre applicable aux membres du Conseil constitutionnel des incompatibilités professionnelles applicables aux députés, dont celle de "conseil" que nous avons déjà traitée. Il s’agit également d'affirmer l'incompatibilité de notre fonction avec l'exercice de tout mandat électoral. Ceux qui parmi nous en possèdent encore pourront les terminer. Les autres ne pourront en briguer, sous réserve d'être remplacés dans leur fonction. Le délai d'option ouvert au I est de huit jours.

Cette prohibition -au moins celle concernant les mandats électoraux- avait déjà été adoptée par le Sénat avec la réforme -non aboutie- de 1990. La navette a notamment permis aux mandats en cours d'aller jusqu'à leur terme.

Au-delà des considérations d'opportunité, je dois dire que trois aspects du texte doivent retenir notre attention : son application aux membres de droit, même si elle est théorique aujourd'hui, la procédure en cause et le nécessaire respect de l'indépendance.

Sur le premier point nous avons jugé par deux décisions du 7 novembre 1984 et du 8 juin 1993 qu'il ne fallait pas confondre inéligibilité et incompatibilité. Certes ! Mais ici il faut aller plus loin : un membre de droit ne peut en effet être "remplacé" puisqu'il n'est pas nommé. Une partie de l'article est donc inapplicable aux membres de droit, et il faut bien que nous l'affirmions. Dès lors qu'ils ne siègent pas, je crois que le texte ne leur est pas applicable. On voit mal qui et par quelle procédure pourrait reprocher à un ancien Président de la République d'exercer une profession s'il le souhaite ou de commencer des activités de "conseil". Pour autant, l'incompatibilité étant faite pour empêcher la confusion de certaines fonctions, je crois que dès lors qu'il y aurait un membre de droit qui choisirait de siéger, les règles applicables aux membres nommés devraient également s'appliquer à celui-ci. En tout état de cause, une précision sur ce point s'impose.

Monsieur le Président : L'exemple de Valéry GISCARD d'ESTAING qui est retourné à la vie parlementaire est significatif : les incompatibilités s'appliquent. S'il venait siéger, celles-ci s'appliqueraient. A-t-on besoin de le mentionner ?

Monsieur LATSCHA : Un membre de droit fait partie du Conseil.

Monsieur CAMBY : Jusqu'à maintenant, le Conseil constitutionnel a indiqué dans sa décision du 7 novembre 1984, confirmée par une décision du 8 juin 1993, que, dès lors que le membre de droit


avait un mandat électoral, il ne pourrait plus siéger. Mais maintenant les incompatibilités sont plus étendues. Il y a les incompatibilités nouvelles qui s'appliquent à tous les parlementaires. Le Conseil pourrait statuer sur cette question nouvelle au regard de sa jurisprudence.

Monsieur RUDLOFF : Daniel MAYER avait fait savoir à Valéry GISCARD d'ESTAING que s'il venait siéger, il devrait abandonner ses mandats.

Monsieur le Président : Qu'il vienne ou qu'il ne vienne pas, ce n'est pas le problème. C'est la mesure de droit et les incompatibilités s'appliquant à lui en tant que membre. Il n'en est pas exonéré.

Monsieur le Secrétaire général : Le projet ne dit rien d'autre.

Monsieur le Président : Lisons...

Monsieur FAURE : Non ! Je finis d'abord mon rapport sur cet article... La seconde question est plus simple : pris isolément, cet article pourrait permettre un remplacement automatique du Conseiller en situation d'incompatibilité. Au contraire, l'article 10 de l'ordonnance de 1958 prévoit, sauf démission, le remplacement après un constat par le Conseil constitutionnel. Naturellement, ceci est une garantie d'indépendance très forte et il faut préciser que cet article 10 continue de s'appliquer, même dans le cas des dispositions transitoires visées au III. Sur ce point une réserve s'impose, car les deux dispositions ne sont pas forcément compatibles et on pourrait très bien imaginer que de tels remplacements échappent à la procédure visée à l’article 10.

Monsieur ABADIE : Oui, les deux délais s'ajoutent.

Monsieur CABANNES : Ils sont cumulatifs et pas alternatifs.

Monsieur FAURE : Enfin, mais c'est anecdotique, le texte prévoit que si l'un d'entre nous est nommé au Gouvernement ou au Conseil économique et social, il est "remplacé". Cette nomination pourrait être "involontaire". Mais je ne vous propose pas une réserve explicite sur ce point. Si un Gouvernement se livrait à une telle manoeuvre sans l'accord du membre concerné, ce serait incroyable, et l'article 10 qui nous assure une protection collégiale trouverait à s'appliquer.

J'en ai terminé. Je vous remercie de votre attention.

(Le rapporteur passe à la lecture du projet, page 3 sur l'article 3 et jusqu'à la page 7). Voilà !

Monsieur CABANNES (page 7 du projet, premier considérant) : Quel intérêt de mettre cela ?


Monsieur CABANNES (page 7 du projet, premier considérant) : Quel intérêt de mettre cela ?

Monsieur FAURE : C'est le texte de référence pour l'avenir.

Monsieur ABADIE : On tranche un problème de fond. On fait une différence entre membre de droit et membre siégeant. Les incompatibilités ne s'appliquent qu'aux siégeants. C'est clair. On peut le dire.

Monsieur LATSCHA : C'est une réponse écrite à une question qui s'est déjà posée et que nous confirmons. Compte tenu des incompatibilités nouvelles, je crois utile de préciser.

Monsieur FAURE (continue la lecture de la page 7 jusqu'à la fin).

Madame LENOIR : Je pense à l'UNESCO. C'est une activité consultative, je fais partie de plusieurs comités.

Monsieur le Président : Est-ce rémunéré ?

Madame LENOIR : Non ! Je perçois des indemnités. Ce n'est pas une activité de conseil.

Monsieur CABANNES : Seul le Conseil est juge. On verra au cas par cas.

Monsieur le Président : S'agit-il de fonctions de conseil ?

Monsieur RUDLOFF : Peu importe le caractère consultatif ou non rémunéré.

Monsieur le Président : Moi je songe à des conseils à l'étranger. Supposons que je demande une rémunération. Cela entrerait alors dans le champ d'application du texte.

Monsieur FABRE : Souvenez-vous de Marcel DASSAULT. Le Conseil a eu à statuer plusieurs fois.

Monsieur le Président : Nous apprécierons cela au fur et à mesure en fonction des cas concrets. Je vais mettre aux voix la totalité du texte.

Le vote est acquis à l'unanimité.

Cette décision comporte des annexes

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.