SEANCE DU 19 JANVIER 1995
La séance est ouverte en présence de tous les conseillers à 10 h 05.
Monsieur le Président : Bien allez-y !
Monsieur RUDLOFF : Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 décembre 1994 de la loi relative à la diversité de l'habitat sur le fondement de l'article 61, alinéa 2 de la Constitution par les députés du groupe socialiste. Bien qu'ils vous saisissent de la loi telle qu'elle a été adoptée par le Parlement, ils n'articulent dans leur requête que des griefs à l'encontre du II de l'article 7 de la loi.
Pour la clarté de l'exposé je rappellerai en premier lieu les objectifs de la loi relative à la diversité de l'habitat.
En deuxième lieu j'exposerai les griefs des requérants concernant l'article 7 de la loi.
Enfin je vous proposerai une solution qui tout en rejetant les arguments des requérants ne devrait pas être tout à fait sans portée sur les principes constitutionnels protégés par notre Conseil.
I. - Les objectifs de la loi relative à la diversité de l'habitat : apporter un remède aux difficultés d'application de la loi d'orientation sur la ville :
La proposition de loi de M. le député Gilles CARREZ a son origine dans les difficultés d'application de la loi d'orientation pour la ville (n° 91-662) du 13 juillet 1991, difficultés qu'il avait analysées dans un rapport remis au ministre du logement en juillet dernier.
Cette loi avait un objet clair sur lequel il y a un consensus : la nécessité de diversifier l'habitat : rédigée et discutée à la suite des affrontements de Vaulx en Velin, elle avait comme objectif affichée de lutter cotre la ségrégation sociale dans les grands ensembles. Dès lors les objectifs poursuivis étaient :
- de développer le logement social là où il était inexistant,
- de maintenir la diversité de l'habitat dans les quartiers anciens là où celle-ci existait,
- enfin, essayer de réinsérer les grands ensembles dans le tissu urbain.
Pour réaliser ces objectifs, la loi avait prévu deux dispositifs essentiels :
- Il s'agissait en premier lieu de faire participer les communes à la diversité de l'habitat (PDH). Ces
dispositions ont été codifiées aux articles L. 332-17 à L. 332-27 du code de l'urbanisme. Les communes peuvent instaurer une contribution mise à la charge des constructeurs en vue de les faire participer à la réalisation de logements locatifs sociaux.
- Il s'agit en deuxième lieu d'imposer à certaines communes comprises dans une agglomération de plus de 200 OOO
Aux termes du même article, les communes s'acquittent de cette obligation :
. soit en versant une contribution égale à 1 % de la valeur locative des immeubles imposés à la taxe foncière des propriétés bâties et non bâties, à des organismes habilités à construire des logements ou à procéder à des acquisitions foncières pour les réaliser
. soit elles engagent elles-mêmes ces actions dans un délai de trois ans.
Ce sont au total 466 communes qui étaient concernées par ce PLH. 242 se sont engagées dans l'élaboration de ces plans mais à la date d'aujourd'hui seules une centaine de communes a pu y parvenir bien que la date d'entrée en vigueur de la loi ait été repoussée deux fois pour être fixée finalement au 1er janvier 1995. Cet échec a deux raisons majeures :
La complexité des procédures et la rigidité des objectifs particulièrement inadaptés aux petites communes comme l'avait fait remarquer en son temps le Sénat. Dès lors, ou bien le législateur repoussait encore une fois l'application de la loi d'orientation sur la ville (LOV), ou bien il adaptait ses conditions de mise en oeuvre. C'est exactement ce qu'a choisi la proposition de loi CARREZ.
La principale modification que la loi relative à la diversité de l'habitat apporte à la loi d'orientation sur la ville, outre le fait que le dispositif ne s'applique plus aux communes de moins de 3500 habitants, porte sur le domaine d'utilisation de la contribution financière résultant des obligations communales. Elle n'est plus limitée aux seuls logements locatifs sociaux mais elle est étendue à tous les logements sociaux, aux logements réhabilités avec l'aide de l'A.N.A.H. et dont le loyer est conventionné ainsi qu'aux locaux d'hébergement réalisés dans le cadre du plan pour l'hébergement d'urgence des personnes sans abri prévu par l'article 21 de la loi du 21 juillet 1994 relative à l'habitat.
Elle s'étend aussi aux terrains d'accueil réalisés dans le cadre du schéma départemental prévu par l'article 28 de la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement mais cette disposition sera introduite par amendement au Sénat (20 déc. 1994, p.7 869) par M. Larcher rapporteur de la Commission. Le Gouvernement s'en remettant à la sagesse de l'Assemblée.
Cette modification principale a fait l'objet des articles 7 et 8 de la loi. L'argumentaire de la saisine porte sur l'article 7 seul.
II.- Les arguments de la saisine :
Les requérants veulent profiter de cette loi pour s'interroger avec vous sur la notion de logement social et sur les obligations constitutionnelles qui pèsent sur le législateur en cette matière.
En effet, dans la loi qui vous est déférée, l'article 5 substitue, dans l'article L. 302-6 du code de la construction, la notion de logements sociaux au sens de l'article L. 302-8 à la notion de logement à usage locatif au sens du L. 351-2. Cette substitution implique évidemment un élargissement de la notion et permet aux communes de se libérer de leurs obligations en prenant en compte un nombre plus grand de leurs actions.
En premier lieu, sur le plan des normes constitutionnelles, les saisissants invoquent l'alinéa 10 du Préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel : "La nation assure à l'individu et à la famille les conditions de leur développement" ; l'alinéa 11 aux termes duquel la nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Ils invoquent en outre le droit de mener une vie familiale normale que vous avez constitutionnalisé dans votre décision du 13 août 1993, pour argumenter qu'il n'est pas possible de la mener sans disposer d'un logement décent.
Ils en concluent ainsi qu'il appartient au législateur de mettre en oeuvre ces normes en prenant des dispositions pour assurer des conditions minimales de logement, comme le législateur a pris par ailleurs des dispositions pour assurer un revenu minimum d'insertion.
En second lieu, sur le plan des techniques de la mise en oeuvre, ils soutiennent que le législateur en retenant les modalités qu'il a adoptées dans la loi soumise à notre examen, a commis une erreur manifeste d'appréciation ; ils soutiennent en effet, par une argumentation un peu "byzantine", que le législateur ayant dit en 1991 (dans la loi d'orientation sur la ville) que l'effort des communes devait bénéficier au logement locatif, il ne pourrait plus dire en 1994 que celui-ci devra bénéficier au logement social sans diminuer les garanties légales dues au droit au logement comme par un effet de cliquet !!
Concrètement, en modifiant l'article 302-6 et 302-7 du code de la construction, pour permettre à la contribution financière des communes de financer non seulement des acquisitions foncières ou des opérations de constructions de logements, mais aussi désormais la réalisation de locaux d'hébergement réalisés dans le cadre du plan pour l'hébergement d'urgence des personnes sans abri prévu par la loi du 21 juillet 1994 ou même compte tenu de l'amendement, des terrains d'accueil réalisés dans le cadre du schéma départemental prévu par la loi du 31 mai 1990, le législateur aurait adopté des modalités de mise en oeuvre du droit au logement en régression par rapport à celles qui existaient auparavant.
En termes encore plus concrets, ils soutiennent que la contribution qui finançait le logement peut servir maintenant à financer des baraquements, voire même l'aménagement de terrains destinés à l'accueil des gens du voyage... Un local de fortune ou a fortiori un terrain ne sauraient être pour les requérants un logement.
III.- Les réponses constitutionnelles qui peuvent être apportées
A. Existe-t-il un droit au logement ?
Bien entendu, la première question et au fond, la seule vraiment intéressante qui se pose à nous, est celle du droit au logement. En effet, s'il n'existait pas du tout de droit au logement dans notre arsenal constitutionnel, il suffirait de répondre aux saisissants que ce droit est introuvable et que leur grief manque en fait.
Cependant, il ne paraît pas que la réponse soit aussi simple. Car, effectivement, le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, affirme que la "nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement" ; je rappellerai à cet égard que c'est de cette disposition du Préambule que nous avons tiré le droit de mener une vie familiale normale dans la décision du 13 août 1993, droit qui vaut aussi bien pour les nationaux que pour les étrangers en situation régulière¹
Je mentionnerai aussi le onzième alinéa de ce Préambule par lequel la nation "garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs...".
Le Préambule du Préambule, quant à lui, fait des droits que nous venons de mentionner des principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps.
Pour en terminer avec les normes constitutionnelles applicables, il faudrait encore mentionner la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation qui au même titre que le droit de mener une vie familiale normale pourrait justifier la mise en oeuvre d'une politique du logement destinée à donner un toit à tout être humain.
Je voudrais m'arrêter un instant sur le droit au logement pour montrer que ces normes constitutionnelles peuvent être articulées à un triple point de vue :
- un point de vue de fait,
- un point de vue légal,
- un point de vue de droit comparé.
1) Je n'insisterai pas sur le point de vue de fait. Tout le monde a présent à l'esprit les problèmes posés à l'heure actuelle tant par les sans abri et les sans domicile fixe que par les mal logés. L'actualité a encore tout dernièrement, par l'abbé Pierre et Jacques Chirac interposés, relancé le débat avec la demande du maire de Paris d'appliquer l'ordonnance sur les réquisitions de logements vides.
2) Du point de vue légal, il faut souligner que la France a mis en place un système tout à fait particulier visant à reconnaître et à mettre en oeuvre le droit au logement :
- la loi Quilliot du 22 juin 1982 organisant les rapports locatifs qui consacre le droit à l'habitat,
- la loi Mermaz du 6 juillet 1989,
- la loi d'orientation pour la ville qui consacre un droit à la ville,
- la loi du 13 mai 1991 qui instaure une solidarité financière entre les communes, où le nombre de logements sociaux sert de référence pour déterminer les communes bénéficiaires de la dotation de solidarité,
- la loi du 21 juillet 1994 relative à l'habitat qui comporte des dispositions relatives au logement des personnes à faibles ressources et à l'hébergement d'urgence des personnes sans abri,
- Mais c'est évidemment la loi Besson du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement qui nous intéresse ici. Elle proclame à son article 1er que "Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour
l'ensemble de la nation. Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ces conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité, dans les conditions fixées par le présente loi, pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir".
Il est très intéressant de constater que par cette formulation nous sommes très près des expressions employées dans le Préambule de 1946. D'autre part, le droit au logement signifie avant tout que la nation a un devoir de solidarité qui consiste à allouer à ceux qui en ont besoin une aide pour accéder au logement et non évidemment à fournir à chaque français ou à chaque famille les clés d'un appartement. Ce droit a une portée programmatique dans la mesure où il sert de cadre à l'action de la puissance publique pour assurer la réalisation de logements pour tous en mettant en oeuvre un ensemble de moyens politiques juridiques et financiers.
Cette loi a fait l'objet d'une décision de notre Conseil en date du 29 mai 1990 (n° 90-274 DC). Le Conseil a admis que des conventions auxquelles le département sera partie impose à celui ci de participer à égalité avec l'Etat au financement du fonds de solidarité pour le logement. Cette disposition affirmions-nous n'est pas contraire au principe de la libre administration des collectivités locales posée à l'article 72 de la Constitution.
Le Conseil a affirmé que :
"Sur le fondement des articles 72 et 34 de la Constitution, il revient au législateur de définir les compétences respectives de l'Etat et des collectivités territoriales en ce qui concerne les actions à mener pour promouvoir le logement des personnes défavorisées, lequel répond à une exigence d'intérêt national" (cons. 12 et 13).
Ainsi le droit au logement peut venir limiter la libre administration des collectivité locales
recherches d'Eric Spitz (sourires).
Monsieur le Président : Ne le dites jamais au doyen Vedel. Il serait vexé que vous n'ayez pas lu cela par vous-même (rires) !
Monsieur RUDLOFF : Rassurez-vous (rires) ! Il me reste à vous livrer quelques comparaisons internationales qui montrent que ce droit au logement est inscrit dans plusieurs Constitutions européennes :
- L'article 47 de la Constitution espagnole énonce que tous les espagnols ont le droit de disposer d'un logement digne et approprié. Cette disposition permet surtout aux pouvoirs publics de limiter la spéculation et de prendre des mesures en matière d'urbanisme.
- L'article 65 de la Constitution portugaise énonce que chacun a droit pour soi et pour sa famille, à un logement de dimension convenable, qui réponde aux normes de l'hygiène et du confort et qui préserve l'intimité personnelle et familiale. Là encore ce droit autorise l'Etat à programmer une politique du logement, à encourager les initiatives des collectivités locales et à stimuler la construction privée en la subordonnant à l'intérêt général.
- L'article 22 de la Constitution néerlandaise énonce que les pouvoirs publics veillent à promouvoir des équipements de logements suffisants.
- Et enfin, l'article 21 de la Constitution grecque affirme que l'acquisition d'un logement par ceux qui en sont privés ou qui sont insuffisamment logés, fait l'objet d'un soin particulier.
Ainsi, je vous propose sur le fondement des normes constitutionnelles qui sont énumérées ci-dessus, sur le fondement de l'évolution de la législation qui tend à mettre en oeuvre ce droit au logement et sur la convergence des dispositions constitutionnelles étrangères d'affirmer constitutionnellement ce droit.
B. Ce droit a-t-il été méconnu en l'espèce ?
Je crois que la réponse en la matière est très simple à apporter.
On fera observer en premier lieu que le législateur a modifié l'article L. 302-6 du code de la construction et de l'habitation de ce droit suppose -et c'est l'objet du projet qui devait devenir la loi du 31 mai 1990- que toute personne ou famille dispose d'un logement décent et indépendant"
pour substituer à la notion de logement à usage locatif la notion de logement social au sens de l'article L. 302-8 dans la nouvelle rédaction que lui donne la loi à son article 8. Il n'y a là évidemment aucune inconstitutionnalité au fait que le législateur substitue une définition à une autre puisqu'il peut, comme nous l'avons souvent dit, "modifier, compléter ou abroger des dispositions antérieures sous réserve de ne pas priver de garanties légales un droit constitutionnellement protégé". Or ce que nous reconnaissons comme droit constitutionnellement protégé, c'est le droit au logement et non un droit à un logement à usage locatif. La définition de ce qu'il faut entendre par logement appartient à l'évidence à la compétence du législateur.
On fera remarquer en second lieu, que le législateur modifie par l'article 7 de la loi, l'article L. 302-7 du code de la construction de façon à permettre d'élargir le domaine d'utilisation de la contribution financière des communes.
En effet, le législateur a pris en compte les dispositions de la loi du 31 mai 1990, -que nous avons longuement commentée, - et qui vise à mettre précisément en oeuvre le droit au logement. Son article 28 impose un schéma départemental prévoyant les conditions d'accueil spécifiques des gens du voyage, en ce qui concerne le passage et le séjour, en y incluant les conditions de scolarisation des enfants.
On ne peut, à cet égard, qu'être d'accord avec les observations du gouvernement qui font remarquer qu'avec 90 000 personnes en France qui sont des gens du voyage et qui utilisent 25 000 caravanes, il y a un effort d'aménagement à faire pour leur permettre un mode de vie décent et digne. Que la contribution financière des communes soit utilisée, sous le contrôle du Préfet, pour participer à cet effort n'est nullement inconstitutionnel. Cela va de soi.
En second lieu, le législateur a aussi pris en compte les dispositions de l'article 21 de la loi relative à l'habitat du 21 juillet 1994. Celles-ci prévoient la mise en oeuvre du plan départemental pour l'hébergement d'urgence des personnes sans abri. Aux termes de cet article, un tel plan analyse les besoins et prévoit les capacités d'hébergement d'urgence à offrir dans des locaux présentant des conditions d'hygiène et de confort respectant la dignité humaine". Là encore, comme le fait observer le Gouvernement, il ne peut en aucun cas s'agir de baraques de chantiers comme le soutiennent les requérants. Il est vraiment paradoxal de soutenir que la participation financière des communes au plan pour l'hébergement des personnes sans abri serait contraire au droit au logement.
Dès lors qu'il n'existe pas de définition du logement social autre que celui que donne le législateur lui-même, on ne voit pas pourquoi la possibilité d'héberger les sans abri voire même de construire des terrains aménagés pour accueillir les gens du voyage serait une erreur manifeste d'appréciation dans les modalités de mise en oeuvre du droit au logement.
Je vous propose donc d'affirmer le droit au logement, de dire que non seulement ce droit n'a pas été méconnu en l'espèce mais encore que l'objet de la présente loi déférée est de le mettre en oeuvre. Ce qui m'amène à la conclusion que le grief des requérants manque en fait.
Monsieur le Président : Très clair ! Merci ! Pourriez-vous synthétiser le considérant qui milite pour la constitutionnalité du droit au logement. La seule question est là : est-ce que cela est un principe constitutionnel ou non ? Sur le fond, la réponse s'impose : il n'y a pas de censure à faire. Mais la question est là !
Madame LENOIR : Je crois que c'est une bonne chose d'affirmer ce principe en ce qui concerne les finalités, mais les modalités qu'on pourrait en tirer au niveau de la loi sont très lourdes. On passe ici de l'exigence de l'intérêt général à un principe constitutionnel. C'est là qu'est la question.
Monsieur le Président : Oui !
Madame LENOIR : Ça intéresse la doctrine et les étudiants : s'agit-il d'un "objectif" et qu'est-ce qu'un objectif ? On utilise ici le Préambule de la Constitution de 1946. La décision utilise l'introduction du Préambule, le 10ème alinéa et le 11ème alinéa. On utiliserait ces 3 sources. C'est une approche nouvelle, un pas supplémentaire dans le sens de la création constitutionnelle, en marge du texte. Je ne suis pas contre, mais le champ s'élargit à des principes non écrits. On pourrait aussi faire découler cela d'une liberté constitutionnelle tel fut le cas de la décision du 29 juillet 1994 sur la loi Toubon.
Monsieur ROBERT : Moi, sur le fond, je suis d'accord avec le rapporteur. Ce qui me gêne ce sont les références, leur mélange et le contenu du droit ainsi défini. Les références tirées du Préambule ne sont pas toutes sur le même plan. On a utilisé le 11ème alinéa pour le regroupement familial. N'allons pas chercher au-delà, la dignité de la personne humaine. Ce qui est en cause c'est la solidarité nationale en faveur du logement. On devrait alléger les références : qu'est-ce qu'un logement "décent" ? On va trop loin sur le contenu.
Monsieur ABADIE : Je vais dans le même sens que Jacques Robert. L'alinéa 11 suffit. On pourrait aboutir au même dispositif en disant que la solidarité est une exigence d'intérêt général. Le sujet est très restreint, il est inutile de faire une affirmation aussi nette alors que le dispositif est plus limité. C'est une exigence d'intérêt général.
Monsieur FAURE : Moi aussi, je crois qu'on va trop loin : un droit constitutionnel à un logement décent, cela n'est pas dans le texte. La notion de l'intérêt général est plus adaptée.
Monsieur le Président : Vous pensez qu'on peut aller jusqu'à l'objectif de valeur constitutionnelle, mais pas jusqu'à exiger des garanties au-delà, un peu comme en ce qui concerne la sécurité publique ? C'est cela ? Vous ne voulez pas affirmer un droit ?
Monsieur FAURE : C'est cela. On peut affirmer l'objectif, mais pas le droit. Chaque maire a le souci de ce problème et généralement un accord était fait avec les offices publics d'HLM pour tant de logements par an. A Cahors, grosso modo, nous avons satisfait aux besoins. Il n'y a pas cent personnes qui soient sans domicile fixe. Ceux-là ne veulent pas de logement, ils boivent le rouge, ils mangent un jour et pas l'autre, ils se promènent, ils insultent les femmes qui passent... Bref, ils ne veulent pas un logement.
Monsieur le Président : Oui, je comprends, il ne faut pas aller trop loin. C'est un objectif.
Monsieur LATSCHA : Sur la formulation, c'est une "exigence" ?
Monsieur le Président : Non ! Un "objectif" me paraît plus approprié.
Monsieur FABRE : Je suis d'accord pour la prudence, mais je ne crois pas qu'il faille supprimer le mot "décent". La crainte, c'est le logement de fortune, et c'est cela qu'il faut tenter d'empêcher.
Monsieur LATSCHA : J'ai suivi avec intérêt le rapporteur, la saisine me paraissait bien étrange. Mais je suis d'accord : il ne faut pas aller aussi loin dans la formulation.
Monsieur CABANNES : Ce serait tentant de poser des principes, sans danger. Mais trop, c'est trop. Il faut aller jusqu'à l'objectif mais pas au delà.
Monsieur le Président : On peut ne rien dire, indiquer que le moyen manque en fait, ou aller au-delà...
Monsieur CABANNES : Voilà...
Monsieur le Président : Donc aller jusqu'à l'affirmation d'un principe à valeur constitutionnelle. Cela signifierait qu'une censure, à l'avenir serait possible, dans le cas où on ferait une loi "contre" le logement social. Ça prémunit contre la spéculation immobilière. Mais il faut être très prudent. Affirmer un principe, un droit sans suite, c'est le prototype du droit des démocraties populaires.
Madame LENOIR : Cette notion d'objectif n'est pas inexistante. Nous avons le précédent de décembre 1990. J'observe que ces objectifs sont quant même extrêmement souples.
Monsieur le Président : L'objectif est constitutionnel. Il est proclamé.
Monsieur FABRE : Ce n'est quand même pas à nous de "constitutionnaliser". On n'écrit pas la Constitution, on ne fait que tirer le principe de ce qui existe.
Monsieur FAURE : Je reprends votre exemple. Si une loi prévoit la construction massive et exclusive de bureaux, en quoi cela est-il attentatoire au "droit" à un logement "décent" ? En tant qu'ancien ministre du logement, cela me gênerait beaucoup de voir une loi annulée sur ce fondement. Si on voulait développer de l'activité tertiaire dans une ville.
Monsieur le Président : Cela serait valable ! On le laisserait passer.
Monsieur ABADIE : Je suggère "objectif général".
Monsieur le Président : Non ! Non ! Ce n'est pas possible. Et on nous reprocherait notre absence de courage. Ou bien on écrit ou bien on se tait.
Monsieur ABADIE : Je voulais dire cela par rapport à un objectif "local".
Monsieur LATSCHA : Il y a tellement de bureaux vides. 5 millions de mètres carrés inoccupés de bureaux et ce qu'on voit tous les jours.
Monsieur ABADIE : Oui ! 5 000 hectares sont ainsi gelés.
Monsieur LATSCHA : Je voudrais indiquer que dire que c'est un objectif, c'est plutôt "incitatif" et pas très contraignant pour le législateur. Je n'y vois pas les mêmes inconvénients que Monsieur FAURE.
Monsieur le Président : On peut mettre l'objectif mais pas le droit. Si on supprimait le logement social, on serait alors fondé à censurer. C'est très souple mais cela n'aboutit pas à énoncer un droit qu'on ne peut pas remplir. Monsieur PAOLI ?
Monsieur PAOLI : Cela irait dans le sens de la jurisprudence.
Monsieur le Président : Bien, alors on peut lire. (Assentiments).
Monsieur RUDLOFF : (lit les pages 2 à 4).
Monsieur le Président : Enlevons la référence à la "vie familiale normale". C'est inutile et dangereux.
Monsieur ABADIE : Surtout que ce n'est pas dans le précédent.
Monsieur SPITZ : C'est inexact ! C'est dans la décision du 13 août 1993.
Monsieur RUDLOFF : (finit le considérant de la page 4 et 5).
Monsieur le Président : Je m'arrêterai là ! Les moyens "convenables" d'existence, ce n'est pas indispensable.
Madame LENOIR : Si, il faut le maintenir.
Monsieur FAURE : Si, il faut bien le mettre.
Monsieur le Président : Mais c'est l'incapacité de travailler. C'est le chômage qui est visé. C'est l'aide sociale.
Monsieur FAURE : Mais non ! Un chômeur n'est pas dans l'incapacité de travailler.
Monsieur le Président : Mais il y a la situation économique.
Madame LENOIR : Mais c'est aussi les allocations qui sont visées.
Monsieur le Président : Alors, on le garde mais on cite tout l'alinéa (le texte est ainsi modifié).
Monsieur RUDLOFF : (lit le milieu de la page 5).
Monsieur ROBERT : C'est les mauvais traitements qui sont visés dans le concept de dignité, et pas du tout la misère. Je crois qu'on va faire une application a minima d'un principe essentiel.
Monsieur le Président : Si vous trouvez que le type qui traîne dans le métro ce n'est pas dégradant... Je pense que "décent" est nécessaire dans la définition des objectifs.
Monsieur ROBERT : On va déboucher sur un objectif et utiliser un principe fondamental pour rien.
Monsieur le Président : Ce n'est pas un problème même si nous ne mettons pas la "dignité" dans la décision, le résultat est le même. Le Préambule y conduit. Je rappelle que le pluralisme, objectif à valeur constitutionnelle, on l'a fondé sur le 11ème alinéa. Reste à savoir s'il n'est pas opportun de fixer celui là.
Madame LENOIR : Non, effectivement on mélange exclusion et dignité.
Monsieur ROBERT : Cela n'a rien à voir. C'est la bioéthique et ici ...
Monsieur le Président : Mais c'est bien cela qui est en cause. Il y a des gens qui errent sans savoir où aller, c'est une atteinte à leur dignité.
Madame LENOIR : On va écraser un moustique. Sur quoi, alors, cette affirmation débouche-t-elle ? Sur un simple objectif, qui n'est pas méconnu.
Monsieur le Président : Ce n'est pas indispensable mais ce n'est pas gênant. Si on considère que l'absence de logement est une dégradation de la dignité, il faut l'écrire. Et moi je le considère.
Madame LENOIR : En juillet 1994 on a utilisé cette notion de dignité, mais dans un tout autre contexte. C'était pour la bioéthique.
Monsieur le Président : Et alors ? Cela vous gêne ?
Monsieur LATSCHA : Le 10ème et le 11ème alinéa suffisent. Mais cet ajout ne me paraît pas choquant. On a besoin de rappeler cela. C'est une atteinte à la dignité.
Monsieur CABANNES : Je suis d'accord, on peut le dire.
Monsieur FAURE : Moi aussi.
Monsieur le Président : On peut le dire. C'est une question de sensibilité. Ça ne choque personne ?
Madame LENOIR : C'est ridicule.
Monsieur FAURE : Moi je ne trouve pas cela ridicule.
Monsieur ROBERT : On galvaude un très grand principe.
Monsieur le Président : Cette affirmation ne galvaude rien du tout. Non ! On applique un principe à un cas concret.
Monsieur ROBERT : Je maintiens qu'on galvaude un très grand principe.
Monsieur le Président : Mais non !
Madame LENOIR : On n'a pas besoin de multiplier les justifications pour affirmer simplement un objectif, c'est ridicule.
Monsieur ROBERT : Le droit à l'emploi c'est pareil.
Monsieur le Président : Pardonnez-moi ! Ce n'est pas la même chose d'avoir un toit d'être chez soi, d'avoir une allocation que de se trouver à la rue, le sac sur son dos sans savoir où on couche le soir même.
Madame LENOIR : Ne pas avoir d'emploi c'est aussi une atteinte à la dignité.
Monsieur le Président : Allons tous les retraités présents et à venir n'ont pas d'emploi et ils ne sont pas dégradés de ce seul fait ! Alors que tout être qui traîne dans la rue et couche dans un carton est dégradé. Vous êtes en train de dire qu'on passe d'un grand principe à une petite application. Mais cela n'a rien à voir ! C'est une dégradation que d'errer dans la rue sans but et sans
un minimum.
Monsieur FAURE : Il n'y a qu'à voter !
Monsieur CABANNES : Je suis d'accord. Ce n'est pas démagogique.
Monsieur le Président : Poursuivons, et je mettrai aux voix point par point.
Monsieur RUDLOFF : (lit page 5).
Monsieur ABADIE : "La mise à disposition". Cela ne me convient pas.
Madame LENOIR : Les moyens d'atteindre l'objectif incombent à la collectivité.
Monsieur ABADIE : Une caverne, cela peut suffire à certains et...
Monsieur le Président : Quoi ? (Silence). On enlève la famille, je crois que cela n'est pas opportun (Assentiments). Il faut réécrire. (Les conseillers s'accordent sur la rédaction finalement retenue sur proposition de M. Spitz). Bien, poursuivez !
Monsieur RUDLOFF : (achève la lecture de la page 5, lit page 6).
Monsieur le Président : Il faut faire disparaître le titre et l'article de la loi. Mettons "susvisée". (Accord).
(Monsieur Rudloff termine la lecture et lit le dispositif).
Monsieur le Président : Il y a donc deux questions. La sauvegarde de la dignité humaine, puis le texte dans son ensemble. Qui est pour la mention de la dignité ?
(Tous les conseillers votent pour sauf Madame LENOIR et Monsieur ROBERT, qui votent contre). Bien ! C'est adjugé ! Je mets aux voix la totalité du texte (le vote est acquis à l'unanimité).
Monsieur SCHRAMECK donne ensuite le calendrier des prochaines séances.
La séance est levée à 11 h 45.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.