COMPTE RENDU DE LA SEANCE DU MERCREDI 25 JANVIER 1995
La séance est ouverte à 15 heures, en présence de tous les conseillers.
Monsieur le Président : Monsieur ABADIE, allez-y !
Monsieur ABADIE : Monsieur le Président, Madame, Messieurs, les diverses dispositions d'ordre social (DDOS) se suivent et pourrais-je dire, se ressemblent. Ces textes que la doctrine¹
Je dois ici illustrer mon propos par le fait que le DDOS est un pavillon sous lequel circulent les marchandises les plus hétérogènes. Les projets de loi, au départ, comportent déjà des dispositions qui sont sans rapport les unes avec les autres. A l'arrivée, c'est encore pire. C'est une obésité galopante. Ça commence en poids coq, ça finit en poids lourd ! Ainsi par exemple notre décision du 12 janvier 1989 statuait sur les pouvoirs des médecins titulaires membres de la Commission médicale d'établissement (n° 89-249 DC, Rec. p. 7), celle du 22 janvier 1990 (n° 89-269 DC, Rec. p. 33), sur les modalités de fixation des tarifs des honoraires et des frais dûs aux médecins, sur les conditions dans lesquelles des étrangers pouvaient percevoir l'allocation supplémentaire du fonds national de solidarité, sur la tarification applicable dans les centres de long séjour et sur la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales. La décision du 29 juillet 1991 portait sur un mécanisme de tiers-payant, sur une convention nationale en matière de laboratoires et sur des mesures relatives à la régulation des dépenses de santé. Le critère de généralité de la loi est malmené.
Le présent DDOS n'échappe pas à une telle fragmentation. La loi du 27 janvier 1987 "partait" de 46 articles et arrivait à 103, celle du 23 janvier 1990 de 14 à 53. Mais je crois que par l'ampleur arithmétique, ce texte a nettement battu les records. Le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat le 26 octobre 1994
comportait 29 articles. La loi qui vous est déférée en comporte 122. On serait naturellement bien en peine d'y trouver une quelconque unité d'ensemble. Il y avait dans le texte initial trois titres. Le premier portait sur les dispositions relatives à la santé, et concrètement était visée la possibilité pour certains titulaires de diplômes étrangers de pratiquer la profession de médecin, l'exercice de la profession de pharmacien et celle de préparateur en pharmacie. Etait également concernée une contribution due par les grossistes en pharmacie ou encore le principe du remboursement des prestations légales de certaines vaccinations et l'aide aux chômeurs créateurs d'entreprises ou les centres d'aide par le travail.
Le titre II comportait des dispositions, elles aussi "diverses" relatives au travail et à l'emploi. Pour bien montrer la cohérence de tout ceci, qu'il me soit permis d'indiquer que l'article 14 rétablit une disposition abrogée par erreur dans un précédent DDOS. Ce titre comporte des dispositions sur le repos compensateur, la modulation du travail, l'âge de la retraite de certains travailleurs et l'embauche par des entreprises de personnes au chômage ou de titulaires du R.M.I.
Quant au titre III, il concerne le recensement en vue de l'accomplissement du service national, la rente mutualiste de certains anciens combattants, le recrutement de personnes handicapées dans la fonction publique de l'Etat, la validation de deux concours d'accès au professorat et de la convention nationale des médecins dont nous sommes saisis sur le fond.
Le texte final a été, si je puis dire, "enrichi" par de très nombreuses dispositions réglementant des ordres professionnels comme celui des masseurs-kinésithérapeutes complétant les lois sur la bioéthique, prévoyant des dispositions nouvelles de lutte contre le chômage, mais aussi, j'y reviendrais, des dispositions sur les HLM, la scolarité des enfants des troupes françaises stationnées en Allemagne, la taxe d'apprentissage, le droit des militaires retraités à accéder à un emploi, le Conseil supérieur de l'ordre des experts comptables et les droits d'écolage afférents à l'enseignement français à l'étranger. Je reviendrais en détail sur un certain nombre de ces dispositions.
En bref, je ne saurai trop citer Jean-Jacques ROUSSEAU qui écrivait : "Quand je dis que l'objet des lois est toujours général, j'entends que la loi considère les sujets en corps et les actions comme abstraites". On voit ici à quel point la loi sert en fait à régler des situations très ponctuelles, sans objectif d'ensemble et, disons le, à titre souvent provisoire. Mais toute ceci n'a pas, en soi, de répercussions constitutionnelles.
Si vous le permettez, je présenterai un rapport d'ensemble car le moyen de procédure étant soulevé sur l'article 95, la décision
devra faire bloc de toutes les questions de procédure, y compris celle des amendements sans lien avec le contenu du texte initial. C'est d'ailleurs la question la plus intéressante qui est posée par cette décision. J'aborderai donc d'abord tous les moyens de la requête.
I.- LA REPONSE A LA REQUETE
Ce n'est d'ailleurs pas sous l'angle de cette faible cohérence que les saisissants attaquent le texte en cause, même s'ils évoquent, à mon avis de manière erronée, le droit d'amendement à l'encontre d'une des dispositions du texte. Ils défèrent la totalité de celui-ci "et notamment ses articles 92, 95 et 119" pour des motifs de fond.
Les saisissants font en effet porter leur critique sur ces seuls articles, mêmes s'ils nous défèrent toute la loi. j'examinerai donc si vous le voulez bien ces trois articles.
Le premier article déféré est l'article 92 introduit par voie d'amendement du Gouvernement au Sénat. Il prévoit la possibilité d'utiliser la cotisation d'assurance chômage mentionnée à l'article L. 351-3-1 du code du travail, dans la limite d'un plafond fixé par décret, pour financer des actions de reclassement professionnel des chômeurs indemnisés. Je dois indiquer que ce dispositif est instauré à titre expérimental, jusqu'au 31 décembre 1996 et qu'il suppose la passation de conventions de coopération entre les organismes publics ou privés et les entreprises, notamment pour contribuer à la réinsertion de salariés privés d'emploi et connaissant des difficultés particulières d'insertion.
Les saisissants présentent trois arguments à l'encontre de cet article 92. D'abord, ils méconnaîtrait le droit à l'indemnisation du chômage parce que l'aide serait allouée aux entreprises et associations alors qu'elle est financée par les cotisations ASSEDIC. Ensuite, le consentement formel des intéressés n'est pas exigé. Enfin, la loi ne fixe pas le statut des personnes concernées. En définitive, ces trois arguments se transforment en deux griefs : d'une part, la mise à mal du lien entre cotisations et droit à prestation, d'autre part, l'incompétence négative du législateur qui renvoie aux conventions notamment passées par l'UNEDIC le soin de déterminer les règles applicables aux personnes concernées, méconnaissant ainsi l'article 34 de la Constitution qui incorpore les principes fondamentaux du droit du travail dans le domaine législatif.
Aucun de ces deux arguments ne me paraît devoir retenir très longtemps votre attention. Il est vrai que nous avons défini, dans la décision du 13 août 1993, la cotisation sociale comme "ouvrant vocation à des droits aux prestations et avantages
servis par les régimes" de sécurité sociale (cons. 119, p. 224). Pour autant, jamais le Conseil n'a affirmé que ce lien était automatique et direct. Il n'a pas non plus affirmé l'intangibilité d'une allocation. Nous avons même admis que les critères d'attribution de l'allocation aux adultes handicapés pouvaient devenir plus sévères sans méconnaître des dispositions constitutionnelles, dont celles tirées du 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (29 décembre 1993, Rec. p. 574). Il appartient donc à la loi, dans le respect des règles constitutionnelles dont cet alinéa fait partie d'aménager le lien entre cotisation et prestation. Ici, on peut faire plusieurs remarques. La première, c'est que cet article ne concerne pas directement le droit à l'allocation chômage visé par l'article 351-3 du code. Il prévoit simplement qu'une partie limitée du financement provenant des cotisations pourra servir à des actions d'insertion de chômeurs. Il n'y a là aucun principe constitutionnel qui soit méconnu. Le Gouvernement indique d'ailleurs qu'il n'y a pas de remise en cause du droit à indemnisation. Il est exact que l'article L. 351-3 du code du travail n'est pas modifié.
Quant au moyen tiré de l'incompétence négative du législateur, il ne me paraît pas lui aussi devoir retenir longtemps l'attention. D'abord, le recours à la technique conventionnelle est extrêmement fréquent dans ce domaine. Le régime d'assurance chômage repose lui-même sur un système conventionnel (article L. 351-1 du code du travail). Le recours à un tel système est également extrêmement fréquent en matière de droit du travail et de sécurité sociale. En lui même, il n'a rien de contraire à la Constitution. Il me semble que nous pourrions l'assortir de deux limites : la première tenant au fait que ces conventions proviennent d'un cadre législatif, la seconde étant que leur contenu se fasse dans un cadre légal c'est-à-dire que ne soient pas privées de garanties légales des exigences constitutionnelles. Je veux dire par là que la convention doit être prévue par la loi, laquelle doit fixer par exemple les signataires possibles, ou encore le champ d'application et l'objet de la convention. Mais cette condition est remplie par l'article 92.
Ensuite, le contenu même de la convention ne doit pas priver les salariés de leurs droits fondamentaux. C'est à cet égard que les saisissants font valoir que le consentement des intéressés n'est pas prévu par cet article et même que le refus de leur part d'un emploi proposé dans ce cadre pourrait se traduire par une suppression de leur indemnisation. Mais c'est le cas général. Ce sont là davantage des remarques de portée générale que des dispositions constitutionnelles qui sont invoquées. Une fois encore, je dois dire que ce texte ne porte pas sur l'indemnisation des chômeurs mais sur la recherche d'un nouveau système de lutte contre le chômage. Rien ne permet de supposer que la convention ne prévoira pas le consentement des salariés
concernés. En toute hypothèse, je ne crois pas que la décision doive descendre jusqu'à ce niveau de détail. Il suffit de constater que les garanties légales attachées à la mise en oeuvre du droit du travail reconnues par le Préambule de la Constitution de 1946 ne sont pas méconnues par le recours à la convention pour répondre à un argument qui ne me paraît pas véritablement constitutionnel.
Monsieur le Président : Qui souhaite intervenir ?
Monsieur ROBERT : Quel est son statut ? Que se passe-t-il s'il travaille ainsi pendant six mois ?
Monsieur ABADIE : Le statut sera conventionnel.
Monsieur ROBERT : Il reste chômeur, dans ce cas ?
Plusieurs conseillers : Non, non !
Monsieur ABADIE : Il ne l'est plus. Il est employé par |'entreprise.
Monsieur ROBERT : Et l'allocation chômage ?
Monsieur ABADIE : Il la perd.
Monsieur ROBERT : C'est l'entreprise qui la touche ?
Monsieur ABADIE : Non, non ! Ce n'est pas son allocation individualisée qui est versée mais un système de financement global.
Monsieur le Président : Il n'y a pas de problème constitutionnel.
Madame LENOIR : Les contrats durent combien ?
Monsieur ABADIE : Six mois.
Madame LENOIR : C'est comme les contrats emploi-solidarité ! Ce sera utile.
Monsieur le Président : On va voir cette partie de la décision.
Monsieur ABADIE (lit les pages 7, 8 et 9 en haut).
Monsieur le Président : C'est une interprétative, "regardée comme..." ?
Monsieur ABADIE : Non ! Ce n'est pas tout à fait une interprétative, c'est plutôt le constat que le législateur n'a pas dérogé aux règles du droit du travail.
Monsieur le Président : C'est plutôt restrictif. On dit que le code du travail est applicable.
Monsieur LATSCHA : Ça va de soi.
Monsieur le Président : N'a pas autorisé ? Monsieur SCHRAMECK, cette formule convient-elle ?
Monsieur le Secrétaire général : Il y a une petite ambiguïté quant au contenu des conventions, et, dans le silence de la loi, je crois que la formule du projet est meilleure.
Monsieur le Président : Pourquoi neutraliser ? Mettre n'a "pas entendu", c'est lui prêter des intentions. C'est un fait, il n'a pas dérogé. Il n'y a pas de remise en cause de tout cela. Mettons n'a pas autorisé...
Monsieur ABADIE : Oui !
Madame LENOIR : Oui ! C'est mieux.
Monsieur le Président : Bien, poursuivez !
Monsieur ABADIE : L'article 95 est celui qui pose les problèmes techniques les plus importants. Aussi, je distinguerai, si vous le voulez bien son contenu, les arguments des saisissants et les réponses à y apporter.
a) le contenu de l'article 95
Cet article n'est pas totalement nouveau. En effet, il modifie l'article L. 128 du code du travail qui concerne les associations intermédiaires. Ces associations agréées ont été instituées par la loi du 27 janvier 1987 modifiée en 1989. Elles ont pour objet l'embauche des personnes dépourvues d'emploi et éprouvant des difficultés de réinsertion, notamment les bénéficiaires du revenu minimum d'insertion. Leur activité est "réputée non lucrative".
Cet article élargit considérablement le champ d'activité de ces associations qui sont destinées désormais à l'embauche de personnes sans emploi rencontrant des difficultés particulières d'insertion ou de réinsertion, c'est-à-dire que le champ d'application est désormais étendu aux primo-demandeurs d'emploi, et la liste des personnes visées n'est pas limitative puisqu'elle concerne notamment les bénéficiaires du RMI, les chômeurs jeunes ou âgés. Mais le mot notamment figurait déjà dans l'ancienne version de l'article L. 128. Les dispositions des chapitres IV et V du titre II du code du travail ne leur seront pas applicables, à l'exception de celles de l'article L. 125-3, 2ème alinéa de ce code. J'ai fait un ???, qui est joint au dossier de séance. Concrètement, le nouveau texte fait ainsi
obstacle à l'application des règles relatives au marchandage et au travail temporaire. Il faut dire ici plusieurs choses. D'abord, cette disposition a été introduite au Sénat notamment à la demande d'élus à l'encontre desquels sont en cours des procédures à ce sujet.
Monsieur RUDLOFF : Oui ! C'est Malécot et Charié dans le Loiret.
Monsieur ABADIE : Oui ! C'est cela ! Ils avaient employé des primo-demandeurs et ils avaient une "matelas" financier important. C'est un peu la genèse de ce texte. Mais, il ressort à l'évidence de ce texte que, dès lors que l'association intermédiaire sort de son objet statutaire, c'est-à-dire que son but n'est plus exclusivement non lucratif, ces dispositions d'exonération pénale ne trouvent plus à s'appliquer. Sur ce plan, ni le I ni le II ne changent quoique ce soit. Tel est d'ailleurs le sens de la réponse du Gouvernement sur ce point, qui précise bien que l'association ne peut se voir reprocher une infraction pénale, par exemple le prêt de main d'oeuvre à but lucratif lorsqu'elle reste dans le cadre de sa mission statutaire et légale. La précision est plus tautologique qu'elle n'a de portée pratique. En outre, demeurent applicables les dispositions citées par le 2ème alinéa de l'article 125-3 du code du travail c'est-à-dire par exemple les obligations afférentes à la médecine du travail (article 124-4-6) les dispositions concernant la représentation du personnel (article 124-14) ou celles relatives aux salariés étrangers (article L. 341-3). Une réserve est également faite par le texte en ce qui concerne les travaux dangereux qui ne peuvent pas être confiés à des personnes mises à disposition par le biais d'une association intermédiaire.
Je dois en outre préciser, afin que les choses soient claires, que ce texte n'a aucune portée rétroactive. Il ne concerne que l'avenir.
b) Les griefs des saisissants
Les saisissants articulent deux types de griefs à l'encontre de cet article.
Tout d'abord ils invoquent un argument de procédure que nous n'aurons pas grand mal à écarter. Ils indiquent en effet que cette modification résulte d'un amendement du Gouvernement, alors que les dispositions en cause, qui n'ont "rien d'impromptu" et sont "substantielles", auraient pu faire l'objet d'un projet de loi.
Vous n'aurez évidemment aucun mal à répondre à cette argumentation qui vise l'article 39 mais aussi implicitement la jurisprudence sur la portée et l'ampleur des amendements telle qu'elle résulte notamment de la décision du 23 janvier 1987. Ces
dispositions n'excédant pas les limites inhérentes au droit d'amendement. Elles ne sont pas sans lien avec le texte de projet initial qui contient des dispositions de lutte contre le chômage. Quant à l'argument selon lequel ces dispositions auraient dû faire l'objet d'un projet de loi et non d'un amendement, vous y avez répondu dans la décision sur la loi Falloux du 13 janvier 1994. Je vous propose donc sur ce point une rédaction qui s'inspire de ce précédent.
Sur le fond, les arguments paraissent mieux étayés. Les saisissants invoquent une rupture de l'égalité entre les demandeurs d'emploi selon qu'une association choisit de les prendre en charge ou non. En fait, ce n'est pas véritablement une critique constitutionnelle, car l'argument vise plutôt à dénoncer l'étendue trop large, du nouveau texte. En effet, l'article 128 du code du travail vise désormais les actions d'insertion ou de réinsertion, et la liste des personnes qui ressortissent de l'activité des associations intermédiaires n'est pas limitative. On peut remarquer que la rédaction actuelle de l'article 128 ne l'est pas non plus. Elle aussi comporte le mot "notamment".
Les saisissants invoquent ensuite une rupture d'égalité entre ces associations et les agences d'"intérim" ou de travail temporaire.
Enfin, ils critiquent, ici encore, le caractère "flou" du statut des personnes visées par cet article.
Ils critiquent ensuite le II de cet article en ce qu'il représenterait une exonération de la responsabilité des entreprises qui embauchent des personnes dans le cadre de l'article 128. Ils ajoutent que ce texte dessaisit l'inspection du travail au profit du préfet, seul compétent pour contrôler les associations intermédiaires. A cet égard, ils invoquent la non application des principes généraux droit du travail, issu du Préambule de la Constitution de 1948 et la contradiction entre le texte de la loi et la convention n° 81 de l'OIT.
c) Les réponses proposées
On peut se demander s'il faut même répondre à la rupture d'égalité entre les salariés "pris en compte" par une association et ceux qui ne le sont pas. En effet, c'est un argument tautologique : une règle a vocation à s'appliquer à une population définie. Il n'y aucune rupture d'égalité dans le fait que certains vont bénéficier de ces mesures et d'autres non. C'est uniquement une différence de fait. Il s'agit d'avantage d'une critique portant sur l'opportunité de l'extension du champ d'application des associations intermédiaires qu'une critique juridique.
Quant à la différence entre les associations intermédiaires et les entreprises de travail temporaire, je crois qu'elle est particulièrement nette. Les associations intermédiaires ne poursuivent pas un but lucratif. Les activités auxquelles elle participe ne sont pas déjà assurées dans les conditions économiques locales par l'initiative privée. Il y a un agrément et il y a un contrôle. En particulier, contrairement à ce que les saisissants affirment, les compétences de contrôle reconnues à l'inspection du travail par l'article L. 611 du code du travail, et plus généralement par le chapitre premier du livre 6ème de ce code qui représentent des garanties pour les salariés ne sont pas écartées. Cet argument ne me paraît donc pas pertinent.
Sur ce point, notre jurisprudence est claire : une différence de situation peut justifier une différence de traitement.
Reste alors l'argument tiré du II sur l'abaissement de la protection des salariés du fait de l'exonération des dispositions répressives en matière de marchandage et de prêt illicite de main d'oeuvre. Mais il y a une incompréhension du texte et le Gouvernement le dit bien. Il ne s'agit pas de créer une irresponsabilité nouvelle mais de rappeler logiquement que dès lors qu'elle s'exerce dans le cadre de son objet statutaire, l'activité de l'association ne peut donner lieu à une responsabilité pour des activités dont la finalité lucrative, c'est à dire qui sortent de cet objet statutaire. On peut donc se contenter sur ce point d'une réponse assez brève et bien entendu il n'y a pas d'inconstitutionnalité. Il n'y a pas non plus d'incidence sur des procédures en cours. La décision mentionne à cet égard que l'article n'a pas de portée rétroactive. Il s’agit là d'un simple constat.
Monsieur le Président : J'ouvre le débat.
Monsieur LATSCHA : Je crois que c'est clair. Il n'y a pas de problèmes.
Madame LENOIR : C'est sans but lucratif. Dès lors qu'il y aurait une activité en dehors de ce statut, le II ne serait plus applicable. Il n'y a aucun problème.
Monsieur le Président : Pourquoi ont-ils saisi sur ce point ?
Monsieur ABADIE : Ils ont cru qu'il y avait une exonération totale de responsabilité.
Monsieur le Président : Oui ! Et puis il y a des problèmes avec les entreprises intérimaires.
Monsieur RUDLOFF : Oui ! Il y a une conjonction d'adversaires ! Ils pensent que ces associations s'exonèrent du code du travail et de certaines contraintes. Il y a une rivalité entre les deux
types d'activité. Mais je ne crois pas qu'il y ait là grand-chose à redire...
Monsieur le Président : Bien ! Lisez !
Monsieur ABADIE (lit le projet pages 9 à 12).
Monsieur le Président : "Particulièrement dangereux". C'est d'une précision extrême ! On peut enlever de l'ensemble à la page 11 ?
(Assentiments, le projet est ainsi modifié)
Monsieur le Président : Bien ! Votons !
(Le vote est acquis à l'unanimité)
Monsieur le Président : Poursuivez !
Monsieur ABADIE : L'article 119 valide une convention médicale actuellement soumise à des procédures contentieuses. Il est vrai que ce cas de figure est extrêmement fréquent. La convention en cause paraît entachée d'un certain nombre de vices de forme. Les saisissants présentent deux types d'arguments. D'abord, ils soutiennent que la validation des arrêts portant approbation de la convention et de son avenant est contraire à la Constitution parce que le législateur ne peut pas valider l'acte administratif lui-même mais uniquement ses conséquences. Cet argument me paraît infondé car la validation a exactement la même portée juridique que celle des conséquences de l'acte en cause. Ils croient discerner dans notre jurisprudence un principe qui prohiberait la validation d'un acte réglementaire mais ne citent pas une seule décision qui l'indique expressément. Bien au contraire, ils rappellent la décision du 30 décembre 1982, qui a admis la validation d'une délibération de l'assemblée territoriale de la Nouvelle-Calédonie. Dois-je ajouter dans notre décision du 11 janvier 1995, nous avons également admis la validation de délibération des organes délibérant de certaines collectivités locales. Je ne vois pas l'ancrage constitutionnel qui permettait de retenir que la validation d'un arrêté portant approbation d'une convention serait en elle-même contraire à la Constitution. L'argument, purement formel, doit être écarté.
Reste une critique sur le fond de la convention. Les saisissants en effet vous indiquent que le contrôle du Conseil constitutionnel doit également s'exercer sur les dispositions de la convention validée. Le Gouvernement répond par la négative en indiquant que du fait de cette validation, la convention n'acquière pas pour autant une force législative. Ceci est exact mais ne résout pas la totalité de la question.
Dans notre décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 nous avons admis que la ratification des ordonnances donnait à celle-ci
valeur législative et impliquait que le Conseil étende son contrôle à l'ordonnance en cause. Il s'agissait d'une ratification. Mais ici, il s'agit du cas d'une validation. Il ne semble pas qu'on puisse être longtemps hésitant sur le champ de notre contrôle sous l'angle de l'inconstitutionnalité du texte validé : dans quelques décisions vous avez examiné le contenu du texte validé (29 décembre 1986, Rec. p. 184). Il serait très choquant qu'une disposition manifestement inconstitutionnelle échappe à notre contrôle à l'occasion d'une mesure qui fait obstacle à son éventuelle annulation contentieuse. Aussi, je vous propose de répondre au fond sur les griefs, n'ayant pas trouvé, en dehors de ceux-ci, de moyen à relever d'office.
Cela ne vous posera pas de grosses difficultés. Le requérant indique que le texte n'est pas celui qui a été initialement signé, mais ceci n'a aucune incidence constitutionnelle. Ils indiquent également que la représentativité de l'un des signataires est douteuse et met en cause le principe d'égalité. Ils indiquent enfin que la convention fige les secteurs I et II, c'est-à-dire le secteur dans lesquels les honoraires sont conventionnés et celui dans lesquels ils sont libres. Seuls les médecins du secteur II conserveraient le droit de choisir entre l'un ou l'autre des secteurs en cause.
Les deux premiers arguments n'ont pas d'incidence constitutionnelle. L'essentiel c'est que l'acte validé soit défini avec précision : les conditions de son élaboration n'ont pas d'incidence constitutionnelle. Quant à l'argument tiré de ce qu'un droit d'option ne serait possible aux seuls médecins du secteur II, ils se justifient par une différence de situation entre ceux-ci et ceux qui sont dans le secteur I. Je crois donc qu'il est aisé de répondre sur le fond par la différence de situation qui existe déjà.
Monsieur le Président : Bien !
Madame LENOIR : Je suis d'accord avec la solution. Mais sur un plan plus général, je dois dire qu'en dehors du droit pénal, il n'y a pas un texte qui ne comporte pas de validations. C'est excessif. La séparation des pouvoirs est en cause. Il faut bien dire qu'on a admis cela en 1980 mais je crois qu'il faudrait poser des limites : on valide des concours, des prélèvements, des permis de construire, c'est le cas du lac de Fabrège. Il faut rappeler les critères auxquels la validation est assujettie notamment celui de l'objet précis et celui de l'intérêt général. Il faudrait peut être renforcer le projet à ce sujet (elle lit la page 14). Il ne faut pas qu'il y ait d'inflexion de la jurisprudence.
Monsieur le Président : Cela ne pose pas de difficulté de fond.
Monsieur ABADIE (lit la décision de 1980) : C'est notre ligne directrice.
Madame LENOIR : C'est cela ! Je suis d'accord avec la solution, mais allons plus loin dans la limitation du procédé de validation. Demain, se posera le problème d’un contrat que le législateur vient figurer. Il faut mettre les points d'arrêt.
Monsieur ROBERT : Mais a-t-on besoin de descendre à ce niveau de détail dans le contrôle de la norme validée ? Va-t-on aller voir si un concours rompt un principe d'égalité ?
Monsieur le Président : Mais ce serait à vous de l'arrêter à l'occasion de la validation. On ne peut pas admettre qu'un acte validé viole la Constitution.
Madame LENOIR : Sur le texte, j'ai une remarque...
Monsieur le Président : Attendez, lisons !
Monsieur ABADIE (lit pages 12 à 14).
Monsieur le Président : "...comme lui seul pouvait le faire en l'espèce...".
Monsieur ABADIE : C'est le précédent.
Monsieur LATSCHA : Il y a deux fois "en cause".
Monsieur le Secrétaire général : Mettons "contestés".
Monsieur le Président : Pourquoi en "elles-mêmes" ?
Monsieur ABADIE : C'est les conditions de procédure, de signature...
Monsieur le Président : Ça peut aller. On s'interroge donc sur le contenu de la convention.
Monsieur le Secrétaire général : C'est la validation directe d'un acte inconstitutionnel qui serait inconstitutionnelle. S'agissant seulement de la validation des actes pris en application, vous n'avez pas à évoquer ce problème. En revanche, il se pose dès lors que la validation porte sur le texte en cause.
Madame LENOIR : Le mot "convention" me gêne. On reverra ce problème demain pour un contrat entre E.D.F. et la Compagnie nationale du Rhône. Cela ne transforme pas le contrat en loi. Et je suis très sensible à l'absence de validation d'un acte proprement dit. La règle c'est la séparation des pouvoirs. Je vois un inconvénient à la validation directe de la convention.
Monsieur le Secrétaire général : Alors on peut mettre une autre formule dans la décision.
Monsieur FABRE : Si on a tant de mal, c'est peut être que la décision n'est pas bonne. Cette convention est illégale, elle rompt l'égalité et voilà une validation qui revient sur l'accord des parties. On crée plusieurs catégories de médecins. Il y avait un accord. C'est une technique législative très mauvaise.
Monsieur LATSCHA : On n'a pas examiné le détail de la convention. Peut-être pourrait-on regarder la convention. On va dire qu'elle n'est pas inconstitutionnelle, et on ne l'a pas examinée.
Monsieur le Président : Monsieur FABRE dit : "il y a rupture d'égalité". Si on a le pouvoir de contrôler la convention, il faut descendre à ce niveau de détail.
Madame LENOIR : Je crois qu'il faut faire réserve de la protection de droits et libertés constitutionnellement garantis. Demain, ce sera la liberté contractuelle. C'est pourquoi j'ai complété le projet pour demain. Ici, bien que cette validation concerne des cas particuliers, on n'a pas les moyens de statuer "in concreto". Le problème de droit ici, c'est l'égalité. C'est flou, ce n'est pas patent. Il n'y a pas vraiment une rupture d'égalité.
Monsieur le Président : Comment pourrait-on faire la différence ?
Madame LENOIR : Est-ce qu'on a les moyens de la faire ? On l'a fait dans la loi Sapin. Nous avons alors prononcé l'annulation d'une disposition au motif que le législateur ne limitait pas la prolongation de concessions et qu'elle violait le principe de libre administration des collectivités locales.
Monsieur LATSCHA : Oui, à l'article 40 de la loi. J'y reviendrai la semaine prochaine puisque la Compagnie générale des eaux, la CGE et la Lyonnaise nous demandent de protéger l'article 72. Je suis très perplexe. Car on passe de l'arrêté au contenu de la convention. Or on n'a pas ce texte. On n'a pas vu la convention. On n'a même pas le texte. C'est au Conseil d'Etat à faire de tels contrats. Pas à nous.
Monsieur le Président : Mais le Conseil d'Etat ne peut plus contrôler puisque la norme est validée, et on délivre un brevet de constitutionnalité.
Monsieur le Président : Est-ce qu'il faut aller jusque là ? Pourquoi faire ?
Monsieur le Secrétaire général : Si une disposition réglementaire figure dans une loi, et si elle est contraire à la Constitution vous la censurez. Si le Gouvernement fait un décret avec le même
contenu, et si le législateur le valide ensuite vous ne censureriez pas ? Il y aurait là un moyen commode pour le Gouvernement d'échapper à tout contrôle.
Monsieur ROBERT : Non ! Ce n'est pas notre rôle de juger de la conformité de la convention à la Constitution.
Monsieur le Président : On va vers le contrôle du contenu d'une convention. C'est vrai que le contrôle descend très bas.
Monsieur ROBERT : On n'est pas tenus de répondre...
Monsieur ABADIE : Il faut bien répondre. Sinon il y a déni de justice.
Madame LENOIR : Ce qui est gênant là, c'est qu'on a l'impression de donner une bénédiction constitutionnelle à une convention que l'on ne connaît pas.
Monsieur le Président : Y a-t-il des précédents ?
Monsieur PAOLI : Le cas ne s'est jamais présenté devant le Conseil. La question n'a jamais été débattue. Le Conseil est très peu outillé pour balayer l'ensemble des stipulations d'une convention. Cela implique des délais, une procédure contradictoire, et cela fait porter le contrôle sur des éléments très détaillés.
Monsieur le Président : Le grief c'est tout de même qu'il y a rupture d'égalité entre médecins.
Monsieur ROBERT : Supposez que ce soit vrai, on considérerait alors que la convention est inconstitutionnelle...
Monsieur ABADIE : C'est un acte réglementaire. Ça reste réglementaire, c'est comme les délibérations des collectivités locales dont nous avons jugé la validation constitutionnelle.
Monsieur LATSCHA : La délégation de service public fait intervenir la puissance publique. Ici, dans le cas de la convention, c'est un accord entre deux parties où la puissance publique n'intervient pas.
Monsieur le Président : Faisons référence à l'objet de la loi.
Monsieur ABADIE : C'est hypocrite mais après tout, dans ce contrôle je trouve que...
Monsieur le Président (l'interrompant) : J'apprécie cette ardeur juvénile à cette heure (rires) ! Mais attendez ! Je propose autre chose (il lit la version finalement retenue). Cela dit, sur le fond, c'est honteux ! Ils iront à Strasbourg et voilà ! Le
législateur se moque du monde. Au moins nous ne tranchons pas la question.
(Assentiments)
Monsieur le Président : Bien ! Voyons la suite.
Monsieur ABADIE : Si nous répondons ainsi à la saisine, il me reste deux questions à aborder : d’abord un problème de principe d'égalité à l'article 39, puis celle des limites inhérentes au droit d'amendement.
Je commence très brièvement pour vous dire qu'en ce qui concerne l'article 39, le Conseil d'Etat a jugé dans son avis que cet article méconnaissait le principe d'égalité. Il s'agit en effet d'exclure du champ d'application du fonds de compensation pour le service des prestations de chauffage et de logement les mines nouvelles ou reprises après une mise en liquidation judiciaire. Concrètement, ces prestations grèvent très lourdement les charges des exploitants et empêchent soit l'ouverture de mines nouvelles, soit la reprise de mines en liquidation judiciaire. Les débats parlementaires ont montré que de nombreux élus étaient très attachés à cette disposition, qui va dans le sens du développement de l'emploi. Le Gouvernement donne des exemples des mines de CHESSY et de SALSIGNE, très pénalisées par les règles actuelles de compensation de prestations.
Il me semble donc que ces entreprises ne sont pas dans une situation identique à celle des autres mines et que le but d'intérêt général que le législateur s'est assigné, c'est ici le maintien et la création d'emplois et qu'il justifie que notre position diffère de celle du Conseil d'Etat. Aussi, je vous propose de passer sous silence cet article, que je tenais cependant à mentionner dans le rapport.
Monsieur FAURE : C'est au cordeau ! La justification est emberlificotée. Il y a une rupture d'égalité.
Monsieur LATSCHA : On pourrait en effet censurer. Mais ce n'est pas soulevé.
Monsieur le Président : De minimis non curat. . . Ne nous en mêlons pas.
(Assentiments)
Monsieur ABADIE : Bien ! J'aborde à présent la question du droit d'amendement.
A cet égard, je serai un peu plus long que d'habitude parce qu'il me semble que nous sommes confrontés à un choix jurisprudentiel.
Je rappelle que depuis la décision du 13 décembre 1985, Rec. page 78, nous vérifions, lorsque les requérants en font la demande l'existence d'un lien entre l'amendement et le texte en discussion. Nous avons même précisé dans une décision du 12 janvier 1989, (Rec. p. 10) que le cadre du texte était déterminé non pas par son titre mais bien par le contenu du projet ou de la proposition soumise à l'examen de l'Assemblée.
Monsieur le Président : Allez-y ! Pas de considérations générales. Quels cavaliers avez-vous retenus ?
Monsieur ABADIE : Je vous rappelle que la difficulté consiste à savoir si nous devons soulever d'office les cavaliers législatifs en question. Sur ce plan il n'y a guère que deux précédents. Dans une décision du 25 juillet 1990 (Rec. p. 75), vous avez soulevé d'office pour la première fois une disposition portant sur l'urbanisme aux alentours des lacs de montagne. Je dis d'office mais en fait il y avait eu une lettre envoyée par des groupements écologistes sur ce sujet. Messieurs Avril et Gicquel ont alors parlé de saisine "sauvage". Vous avez, dans une second cas, soulevé d'office une disposition parce qu'elle remettait en cause une règle contentieuse concernant les actes des collectivités territoriales et le sursis à l'exécution d'actes des collectivités territoriales. Le problème prenait une dimension toute autre qu'un simple cavalier. Il s'agit de la décision du 21 janvier 1994, au sujet de la loi portant diverses dispositions en matière d'urbanisme.
Je ne connais pas d'autres cas où nous ayons soulevé d'office des cavaliers législatifs.
Monsieur le Président : Bien, allez-y ! Quels cavaliers retenez-vous ?
Monsieur ABADIE : J'aimerai poursuivre... A l'inverse, vous soulevez d'office les cavaliers budgétaires et ceci, je dois le dire, presque systématiquement. Je rappelle par exemple que dans notre décision du 29 décembre 1994, Monsieur Latscha avait "débusqué" deux cavaliers budgétaires et que nous les avions tous les deux censuré. Ce cas est très fréquent.
Cette différence d'appréciation peut s'expliquer par plusieurs raisons. D'abord en ce qui concerne les cavaliers budgétaires, nous avons un texte dont le caractère constitutionnel a été admis en 1960.
Monsieur le Président : Oui ! Ce n'est pas la même chose, nous sommes tous d'accord. Alors pour le texte, quels sont les cavaliers en cause ?
Monsieur ABADIE : Il y a ici deux argumentations assez fortes qui me paraissent aller ici dans le sens d'une censure des cavaliers
législatifs. La première c'est qu'il faut bien constater que nous sommes explicitement saisis de tout le texte, et peut-être faut-il le marquer avec netteté pour justifier que nous relevions certains cavaliers.
La seconde c'est que nous sommes, ici encore saisis d'une porte étroite, et que dès lors qu'on soulèvera d'office un cavalier, on devra le faire pour tous les autres cavaliers législatifs.
Simplement je dois ici indiquer que cette jurisprudence nous laisse un très large pouvoir d'appréciation : les cas dans lesquels nous soulevons des cavaliers législatifs demeurent exceptionnels et, à mon avis, doivent le rester afin de ne pas renforcer la contrainte qui porte sur l'initiative parlementaire, déjà très limitée par l'ordre du jour prioritaire.
Mais en toute hypothèse, ici, la mesure me paraît être dépassée. Aussi je vous propose de faire une analyse détaillée du texte et de retenir comme cavaliers ce qui n'entre manifestement pas dans le cadre du texte initial, qui est clairement sans lien avec le texte débattu.
A cet égard, on peut considérer comme ayant un lien avec le texte débattu les dispositions qui ont trait à la formation professionnelle, aux cotisations sociales, à la présentation des dossiers de revenu minimum d'insertion, aux emplois familiaux, aux contrôles de la Cour des comptes sur des organismes faisant appel à la générosité publique, car ils concernent notamment des organismes de recherche médicale comme l'ARC et à une disposition sur le délai de prescription en matière d'inceste (article 121). En revanche, je souhaite proposer à la censure du Conseil les articles suivants :
- Les articles 103 et 108 ne portent que sur des modalités de gestion des organismes HLM. On ne peut pas admettre que "l'économie sociale" au sens très large entre par nature dans un texte qui ne comporte par ailleurs aucune disposition relative au logement. Il s'agit, j'y insiste, d'articles qui portent sur des modalités de gestion des société en cause. J'attire également l'attention sur le fait que ces deux articles modifient le code de la construction et non pas le code de la sécurité sociale.
- L'article 106 concerne l'effort des employeurs en matière de construction. Il se contente de modifier l'assiette de ce prélèvement obligatoire. Le Conseil a admis dans sa décision du 29 décembre 1985 que les dispositions portant sur le taux de cette participation pouvait figurer dans une loi de finances. Ici encore, c'est le code de la construction qui est modifié. Certes, l'assiette de cette contribution sera "alignée" sur celle des cotisations de sécurité sociale sur les salaires. Mais à l'évidence il n'y a pas de lien avec le texte
en discussion, car il s'agit d'une imposition de toute nature, même si elle est affectée et non d'une cotisation sociale, sinon elle n'aurait pas trouvé sa place en loi de finances. Enfin, elle ne poursuit pas à proprement parler une finalité sociale. L'article 106 porte sur l'assiette d'un prélèvement obligatoire.
- L'article 112 concerne l'obligation de nomination d'un commissaire aux comptes dans les chambres régionales de commerce et d'industrie. Il n'a lui non plus aucun type de lien avec le texte initial.
- L'article 115 est relatif à la composition du Conseil supérieur de l'ordre des experts comptables. Sauf a admettre que dès qu'un projet porte sur une profession, de santé, il peut aussi porter sur une autre profession qui n'a rien à voir, il faut censurer ce cavalier.
- L'article 116 porte sur la scolarisation des enfants des membres des forces françaises stationnées en Allemagne.
- L'article 117 valide des décisions individuelles applicables aux personnels de l'institut national de la consommation. Vous avez jugé dans la décision du 21 janvier 1993 que le fait qu'un projet comporte des mesures relatives au régime des pensions des fonctionnaires ne pouvait impliquer que des mesures d'intégration dérogatoires dans un corps de l'Etat puissent figurer dans le texte. Ici le raisonnement est un peu le même, ce n'est pas parce qu'il y a des mesures de validation que toutes les dispositions de validation doivent y figurer.
- L'article 118 concerne l'Agence nationale pour l'emploi. Vous pouvez donc considérer qu'il a un lien. Tel n'est pas le cas je le répète des articles 117, qui porte sur l'institut national de la consommation et 122 qui porte sur les droits d'écolage pour l'enseignement français à l'étranger et que vous avez vu les observations du SNES à ce sujet. Aussi je crois que tous ces articles, et en droite ligne de la décision du 21 janvier 1993 où nous avions jugé sans lien dans un DMOS un article sur les relations entre bailleurs et locataires, dont la finalité était pourtant sociale, doivent être censurés.
Il me reste quatre hésitations : la décision ne situant pas quatre articles sur lesquels la jurisprudence pourrait trouver à s'appliquer :
- l'article 56 est relatif aux bourses de l'enseignement agricole,
- l'article 57 aux cas de non paiement des frais de cantine.
Monsieur le Président : Alors sur les HLM, on retient ou non ?
Madame LENOIR : Je ne suis pas favorable au fait de soulever d'office les cavaliers législatifs. Contrairement aux cavaliers budgétaires, on ne le fait qu' exceptionnellement : deux fois depuis 1958. On fait ici un grand pas supplémentaire ; cette jurisprudence contestée ne doit pas conduire à une censure trop large.
Monsieur le Président : Le texte reviendra six mois après. L'intérêt de soulever cela, c'est quoi ? On dira, le Conseil a retenu un détail.
Monsieur ROBERT : On peut en retenir certains.
Monsieur le Président : Lesquels ?
Monsieur CAMBY : Je crois que le Conseil est confronté à l'alternative suivante : soit il applique la jurisprudence et retient tous les cavaliers recensés, qui sont sans lien avec le contenu du texte initial, soit il ne soulève rien. Retenir certains et pas d'autres aboutit à introduire une incertitude quant au critère du cavalier législatif. Et cela rendrait la position du Conseil très difficile à justifier par la suite. Il faut maintenir sa cohérence à cette jurisprudence.
Monsieur le Secrétaire général : Lorsque le projet de décision a été conçu, c'est dans l'esprit de soumettre au Conseil constitutionnel la question de principe des cavaliers législatifs : soit on estime qu'il n'y a pas lieu à soulever d'office, et va dans ce sens le fait qu'il y ait deux précédents seulement, soit on retient le fait que ces dispositions par leur nature portent atteinte à des droits et libertés essentielles, et on regarde s'il y a des problèmes essentiels soulevés.
Monsieur ABADIE : Tous les cavaliers n'ont aucun lien avec le texte, mais aucun n'atteint un droit ou une liberté.
Madame LENOIR : L'esprit dans lequel je rejoins Olivier Schrameck c'est que la jurisprudence sur l'amendement sans lien ne se préoccupe pas du contenu de l'amendement mais de son rattachement. Dans le cas où on a soulevé d'office, on n'est plus sur le terrain du "sans lien", mais sur le terrain de la substance de l'amendement.
Monsieur le Président : On doit relever comme cavalier ce qui est manifestement très éloigné.
Madame LENOIR : Tous les textes sont des fourre-tout, aujourd'hui. Ce texte modifie 10 lois et 4 codes. Il ne faut pas que cette décision soit interprétée, comme étant d'une sévérité extrême.
Monsieur le Président : Jusqu'où veut-on aller ?
Monsieur CAMBY : On ne peut pas rattacher la gestion des HLM avec le contenu du texte : les dispositions n'ont aucun lien avec rien du projet initial.
Monsieur le Président : Mais c'est social. On reste dans l'objet du texte, non ?
Monsieur CAMBY : Ce sont des mesures de gestion de sociétés et non des mesures sociales. Le fondement de la jurisprudence actuelle consiste à comparer le contenu de l'amendement et le contenu du texte initial, et non à le situer par rapport à un objectif, un secteur d'intervention de la loi. Les précédents vont en ce sens.
Monsieur SCHRAMECK : Le raisonnement de Monsieur Camby est cohérent mais ne prend pas en compte que le moyen n'est pas soulevé. Une position possible consiste à dire : si la disposition est importante en elle-même ou si l'absence de lien est criante, le Conseil soulèvera d'office. Mais la jurisprudence n'est pas fixée sur ce point.
Madame LENOIR : Dire que les HLM ont à voir avec le domaine social et ne pas le relever d'office aboutit à dire que ce n'est pas sans lien, et si vous le faites une fois, vous le ferez cent fois. On s'engage vers un contrôle de l'objectif du texte, alors que la jurisprudence se situe dans le domaine des procédures.
Monsieur ROBERT : Les articles 101, 112, 115 et 116 sont absolument sans lien.
Monsieur ABADIE : L'article 117 est une validation sur le personnel de l'institut national de la consommation, l'article 122 porte sur les droits d'écolage.
Nous avons deux thèses possibles sur le cavalier :
- lien ou pas lien,
- ou lien, "plus" ampleur et portée comme dirait Madame Lenoir.
Monsieur le Président : Mais non, cela n'a rien à voir avec la jurisprudence Séguin. C'est tout autre chose qui était en cause. Ce qui était en cause, c'était un détournement de procédure. Ce n'est pas le même cas. Pardonnez-moi de le dire : vous confondez deux choses différentes.
Monsieur RUDLOFF : Madame Lenoir expose bien ce que pensent les anciens parlementaires. Personnellement je suis d'accord avec Madame Lenoir, ne soulevons donc rien d'office.
Monsieur le Président : Vous êtes pour ne pas soulever d'office ?
Monsieur RUDLOFF : Oui ! sinon on va tomber dans l'arbitraire. Pourquoi le 117 plutôt que le 112 et pas le 106 ?
Monsieur le Président : Vous êtes pour laisser la liberté aux parlementaires.
Monsieur FAURE : Oui !
Monsieur FABRE : Moi aussi !
Monsieur le Président : Donc la position du Conseil en matière de cavaliers législatifs non soulevés dans la requête -je laisse de côté les cavaliers budgétaires- serait la suivante : on ne va à la censure que si l'amendement constitue une méconnaissance des droits du Parlement d'une manière générale ou lorsqu'il y a une violation flagrante d'une liberté. Dans tous les autres cas s'il n'y a rien de substantiel on laisse totalement passer si le cavalier n'est pas invoqué par les saisissants. Telle est la doctrine ? Bien ! Alors pour ce texte, l'application de ces principes implique que le Conseil ne soulève rien d'office ?
(Assentiments).
Monsieur ABADIE : Je lis la partie sur la procédure car il reste un élément (il lit le projet sur la procédure pages 2 et 3).
Monsieur le Président : Bien !
Monsieur SCHRAMECK : Il vaudrait mieux, compte tenu des modifications, présenter la décision par article et non pas en séparant la procédure et le fond.
(Assentiments).
(La décision est modifiée en ce sens, le vote est acquis à l'unanimité).
La séance est levée à 18 h 20.
Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.