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PV1995-12-30

RENAUT Mattéo

COMPTE RENDU DE LA SEANCE DU 30 DECEMBRE 1995

La séance est ouverte à 9 h 10 en présence de tous les conseillers.

Monsieur le Président : Nous allons entendre Madame LENOIR. Vous avez la parole.

Madame LENOIR : I. INTRODUCTION : La loi qui nous est déférée, prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, autorise le Gouvernement à réformer la Sécurité Sociale, par une série de mesures prises par ordonnances, dont l'ampleur est sans doute inégalée dans l'histoire de cette institution depuis la guerre. Ce texte est la cinquième loi d'habilitation sur laquelle nous avons à nous prononcer.

Cette loi est contestée par deux requêtes émanant respectivement de 91 députés et de 77 sénateurs, des groupes communistes et socialistes, en date du 20 décembre 1995. Ces requêtes se fondent sur des moyens tirés tant de l'irrégularité de la procédure que de l'inconstitutionnalité au fond des dispositions de la loi.

Avant de les examiner, il convient de rappeler le contexte de l'adoption de cette loi. Destinée en effet à remédier aux déficits chroniques de la Sécurité Sociale depuis les années 90, elle entend également faire entrer de la rigueur (dans tous les sens du terme) dans la gestion administrative et financière de la protection sociale afin de ne pas hypothéquer l'avenir. La réforme en question, qui ne peut qu'être considérée comme salutaire dans son principe, a donné lieu, chacun le sait, lors de sa présentation publique à des réactions très vives et contrastées.

1. La loi en cause en tant que loi d’habilitation

La loi en cause, originale du point de vue du contexte dans lequel elle s'inscrit, n'en répond pas moins à une pratique relativement courante sous la 5ème République, à savoir celle des lois d'habilitation.

Il me paraît utile, à ce point du rapport, de rappeler les principes essentiels qui régissent la législation déléguée, exercée dans les conditions de l'article 38 de la Constitution, ainsi que la pratique des ordonnances, prises en vertu de cet article, depuis le début de la Vème République.

1.1. Le régime juridique des lois d’habilitation et des ordonnances prises sur leur fondement.

L'article 38 de la Constitution consacre en quelque sorte, en l'encadrant, la procédure des décrets-lois de la 3ème République et des lois de pleins pouvoirs ou de pouvoirs spéciaux de la 4ème République.

Les règles fixées par l'article 38 de la Constitution sont les suivantes :

- l'autorisation d'intervenir par ordonnances est donnée pour l'exécution d'un programme précis ;

- du point de vue de la procédure, les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat ;

- elles sont soumises à une double condition de délai, car, d'une part, elles ne peuvent être prises que dans le délai limité précisé par la loi d'habilitation, ici 4 mois, et d'autre part, elles deviennent caduques "si le projet de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation", au cas présent le 31 mai 1996 ;

- enfin, leur nature juridique est variable dans le temps, puisqu'elles sont des actes réglementaires, susceptibles d'être déférés au juge administratif, tant qu'elles ne sont pas ratifiées, et qu'elles n'acquièrent valeur législative qu'après ratification éventuelle ;

- la ratification n'est en effet qu'éventuelle, dans la mesure où la seule obligation résultant expressément pour le Gouvernement de l'article 38 de la Constitution est le dépôt dans le délai prévu par la loi d'habilitation du projet de loi de ratification. On peut noter depuis quelques années une évolution sensible sur cette question, dans la mesure où les projets de loi de ratification d'ordonnances sont de plus en plus fréquemment soumis au débat parlementaire.

Comme il peut l'être concernant les lois d'habilitation, le Conseil Constitutionnel peut être saisi des lois de ratification. Dans ce cas, la loi de ratification n'est jugée conforme à la Constitution que si les ordonnances sont elles-mêmes jugées conformes (n° 84-170 DC du 4 juin 1984 sur la modification du tarif de la taxe de consommation des produits pétroliers).

Le Conseil constitutionnel a aussi jugé que la ratification pouvait être implicite, ce qui lui ouvre la possibilité d'un contrôle de l'ordonnance en cause (n° 86-224 DC du 23 janvier 1987).

1.2. La pratique des ordonnances de l’article 38 de la Constitution.

Cette pratique est fréquente puisqu'on ne dénombre pas moins de 25 lois d'habilitation, non compris la loi déférée. La dernière en date est la loi du 4 janvier 1992 relative à l'adaptation de la législation applicable dans les TOM, qui a d'ailleurs donné lieu à des ordonnances ratifiées par la loi du 31 décembre 1992.

Les ordonnances prises en application de l'article 38 de la Constitution s'élèvent au nombre de 220, tandis que les lois de ratification de ces ordonnances sont quant à elles moins nombreuses (9 projets globaux discutés). La première loi adoptée concerne du reste la ratification des ordonnances de la Sécurité Sociale de 1967.

Les domaines des lois d'habilitation se limitent en général à trois secteurs :

- l'application des traités européens ;

- l'aménagement du statut des TOM ;

- les mesures d'ordre financier, économique et social.

La présente loi connaît à ce titre deux précédents, à savoir :

- la loi du 22 juin 1967, dont les ordonnances sur la Sécurité Sociale ont été, comme il a été indiqué, ratifiées un an plus tard ;

- la loi du 6 janvier 1982, dont les ordonnances ont été ratifiées au travers de sept lois différentes de 1983 à 1985.

2. Le Contrôle de constitutionnalité des lois d’habilitation

2.1. La variété des saisines et l’approche globale du Conseil constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel a été saisi quatre fois de lois d'habilitation. C'est par sa décision du 12 janvier 1977 sur la loi relative aux circonscriptions du territoire français des Affars et des Issas qu'il a pour la première fois statué sur la conformité d'une loi d'habilitation à la Constitution.

Peu à peu, le Conseil constitutionnel a dégagé les principes du recours à la législation déléguée. Notre jurisprudence s'avère stricte quant à la nécessité de respecter les exigences de procédure et de fond de nature à préserver les droits de contrôle du Parlement.

L'idée qui préside à la jurisprudence est, semble-t-il, liée au souci de limiter la portée de la dérogation au principe de la séparation des pouvoirs que constitue le recours aux ordonnances. Il s'agit pour le Conseil constitutionnel de concilier les objectifs poursuivis par le Gouvernement (rapidité...) et la nécessité d'un cadrage rigoureux des lois d'habilitation qui conduisent à paralyser les prérogatives traditionnelles du Parlement.

2.2. La jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Cela étant posé, le Conseil constitutionnel contrôle :

- la précision du "programme" pour l'exécution duquel le Gouvernement demande une habilitation ;

- la précision apportée par le Gouvernement sur la finalité des mesures envisagées et leur domaine d'intervention ;

- Les matières éventuellement concernées qui doivent relever du domaine de la loi ordinaire, le Conseil constitutionnel a en effet jugé que la loi d'habilitation ne peut intervenir dans le domaine des lois organiques (voir la décision n° 81-134 DC du 5 janvier 1982 sur le cumul des retraites et des revenus d'activité) ;

- la procédure législative qui est la procédure de droit commun ;

- le respect des principes de fond issus du bloc de constitutionnalité, comme le principe d'égalité du suffrage, par exemple.

Jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel n'a jamais censuré une disposition d'une loi d'habilitation. Il a en revanche toujours assorti sa décision de conformité de réserves d'interprétation qui ont servi à encadrer préventivement la procédure des lois d'habilitation, la décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986 en donne un très bon exemple.

II. CONTENU DE LA LOI ET SAISINES :

1. Le contenu de la loi

Je me bornerai ici à mentionner les "têtes de chapitre" de cette loi en trois articles qui modifient néanmoins de fond en comble notre système de Sécurité Sociale.

L’article premier, qui comporte 8 alinéas, renferme les dispositions renvoyant aux ordonnances que le Gouvernement envisage de prendre.

L’article 2 prévoit l'application rétroactive au 1er janvier 1996 des mesures qui porteront sur les recettes et les dépenses de la Sécurité Sociale, et plus largement de celles qui sont relatives au financement et à la maîtrise des dépenses des régimes obligatoires de base de Sécurité sociale.

L’article 3 dispose que le projet de ratification des ordonnances sera déposé devant le Parlement au plus tard le 31 mai 1996.

Je ne vous proposerai d'examiner, dans le délai excessivement bref que nous nous sommes imparti, que les dispositions expressément contestées et les arguments développés par les requérants.

Aussi vais-je brièvement évoquer la portée des dispositions d'habilitation figurant à chaque alinéa de l'article pour ne plus y revenir ensuite.

. L’alinéa 1er :

Il porte sur les régimes de retraite de base et prévoit deux mesures, afin d'assurer l'équilibre financier de la branche vieillesse :

- limitation à 2,1 % de la revalorisation au 1/1/96 des pensions de vieillesse du régime général et des régimes dont les revalorisations sont alignées sur celle-ci ;

- application de la règle de plafonnement de la durée d'assurance de 150 trimestres aux polypensionnés.

. L’alinéa 2 :

Il vise les prestations familiales et a pour but l'équilibre financier de la branche famille.

Les quatre mesures envisagées sont les suivantes :

- "cristallisation" en 1996 de la base mensuelle des allocations familiales ;

- mise sous condition de ressources, au delà d'un certain montant, de l'allocation pour jeune enfant ;

- élargissement de l'assiette des revenus prise en compte pour l'attribution de certaines prestations, en particulier les allocations de logement ;

- alignement des taux de cotisations familiales de l'Etat et des entreprises publiques sur le taux de droit commun et transfert de la gestion des prestations à la CNAF.

. L’alinéa 3 :

Il concerne essentiellement la "maîtrise médicalisée" des dépenses de santé. Je ne détaille pas les mesures en cause qui visent par exemple le codage et la nomenclature des actes médicaux, les "références médicales opposables", le développement des médicaments génériques, ... toutes questions qui n'ont pas semblé correctement réglées par les procédures conventionnelles en vigueur.

. L’alinéa 4 :

Il tend à faire participer les entreprises au financement de la protection sociale et à l'équilibre financier des organismes de Sécurité Sociale, selon le but affiché.

- L'industrie pharmaceutique serait mise à contribution en 1996 à hauteur de 2,5 milliards ;

- le Fonds de Solidarité Vieillesse (FSV) prélèverait une taxe de 6 % à la charge des entreprises, assise sur la part patronale des contrats complémentaires de prévoyance et de maladie souscrits auprès des sociétés d'assurance, mutuelles et institutions de prévoyance complémentaire ;

- la Sécurité Sociale facturerait les organismes assurant les responsables d'accidents, des frais de recouvrement des sommes que ces derniers lui doivent.

. L’alinéa 5 :

Il tend à réformer le système hospitalier, du point de vue administratif (suppression de la présidence de droit des maires) autant que financier (dotation globale).

. L’alinéa 6 :

Il transforme l'organisation et la gestion des caisses (suppression du système d'élection au conseil d'administration des caisses).

. Les alinéas 7 et 8 :

Les mesures qu'ils impliquent sont au coeur de la réforme. Aussi, je les exposerai ultérieurement, puisqu'il s'agit des deux dispositions majeures critiquées, notamment par les députés.

J'indique simplement qu'ils prévoient les conditions juridiques et financières du comblement du "trou" de la Sécurité Sociale, évalué jusqu'à la fin de 1996 à la somme totale de 250 milliards de Francs en capital.

2. Les requêtes

Les Sénateurs insistent surtout sur l'inconstitutionnalité de la procédure législative, au regard en particulier de l'emploi de la question préalable "positive". Ils ont déposé une seule requête.

Les députés font également porter leur argumentation sur le fond de la loi, sous divers aspects y compris fiscaux et budgétaires. Ils ont déposé, outre leur requête initiale, deux mémoires en réplique en date des 26 et 27 décembre.

Le mémoire du 26 décembre articule un moyen nouveau par rapport à la requête initiale, tiré de la rupture d'égalité entre les salariés, selon leurs conditions de couverture de prévoyance, qu'entraînerait l'alinéa 4 de l'article premier de la loi.

Conformément à notre jurisprudence sur la loi de finances pour 1994 (n° 93-330 DC du 29 décembre 1993) et conformément d'ailleurs aussi à la décision prise hier de viser les mémoires en réplique, je propose d'admettre la recevabilité de ce moyen. D'ailleurs, le secrétaire général du Gouvernement a pris le soin de répondre au moyen. Pour le surplus, il n'y a pas de problème de recevabilité.

A. SUR LA PROCEDURE LEGISLATIVE :

Les mêmes moyens sont articulés par les députés et les sénateurs.

Ils sont au nombre de trois et sont d'inégale valeur.

1. L’application de l’article 49-3 de la Constitution

Vous savez que devant l'Assemblée nationale, le Gouvernement a recouru à l'article 49-3 de la Constitution qui, lui permettant d'engager sa responsabilité sur le vote d'un texte, permet, par là même, de faire considérer comme adopté ce texte s'il n'a pas donné lieu au vote d'une motion de censure.

Or les députés font valoir que le porte-parole du Gouvernement aurait déclaré que le conseil des ministres n'aurait pas délibéré pour autoriser le Premier Ministre à user de l'article 49-3. Une controverse s'est d'ailleurs engagé entre l'opposition et le Gouvernement, comme en fait état le compte- rendu analytique des débats à l'A.N. du dimanche 10 décembre.

Se fondant sur votre jurisprudence (n° 89-264 DC du 9 janvier 1990 et n° 89-268 DC du 29 décembre 1989), les députés soutiennent que la procédure a été viciée s'il s'avère qu'effectivement le Conseil des ministres n'a pas délibéré.

Or, ce n'est pas le cas d'après l'extrait des décisions du Conseil des ministres du 6 décembre communiqué à notre demande par le SGG. Le moyen est donc à rejeter.

2. L’usage de la procédure de la question préalable au Sénat

C'est le moyen lié à la procédure législative le plus délicat. J'avoue avoir longuement hésité sur la constitutionnalité du procédé utilisé en l'espèce, compte-tenu de notre souci de préserver le droit d'amendement des sénateurs (que nous avons avant-hier d'ailleurs rappelé fortement dans notre décision sur la loi de Finances pour 1996 à propos des mesures financières présentées pour la première fois au Sénat). Je suis encore perplexe et c'est pourquoi je pense que nous pourrions éventuellement davantage préciser la rédaction de la décision que je propose et qui rejette le moyen.

- D'abord, comment a fonctionné la question préalable en l'espèce ?

- Ensuite, quelle est la jurisprudence et quels sont, de manière générale, les éléments juridiques auxquels nous pouvons nous référer ?

- Enfin, quelle solution retenir au cas présent ?

a) Comment a fonctionné la question préalable en l'espèce ?

Elle s'est inscrite dans un processus quasi inégalé d'accélération des débats parlementaires, qui ont été réduits, il faut l'admettre, à leur strict minimum.

Le mémoire des députés évoque un vote "à la hussarde". Et effectivement la procédure, qui n'a pas duré plus d'une dizaine de jours, a donné lieu successivement aux mesures suivantes. A peu près toutes les procédures offertes par la Constitution ou les règlements des assemblées ont été utilisées :

* déclaration d'urgence impliquant une seule lecture dans chaque assemblée (Art. 49-2) ;

* responsabilité gouvernementale (Art. 49-3) ;

* question préalable "positive" au Sénat (Art. 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat) ;

* convocation de la commission mixte paritaire et avancement de la date de sa réunion par rapport à celle initialement prévue ;

* vote, après CMP, du texte considéré comme adopté par l'AN en vertu du 49-3 et rejeté en bloc par le Sénat au titre de la question préalable, sans amendements.

Cela n'est pas, c'est le moins que l'on puisse dire, satisfaisant dans une démocratie parlementaire. Est-ce pour autant inconstitutionnel ?

Je dois indiquer avant d'examiner en droit le problème le contexte dans lequel la question préalable a été utilisée.

Les événements sociaux ont sans doute été à l'origine de l'attitude adoptée par l'opposition de tenter de faire obstruction au texte, ou du moins d'en retarder l'adoption.

2807 amendements et motions ont donc été déposés au Sénat, et c'est devant cette avalanche d'amendements que, sur la proposition de Monsieur Fourcade, Président de la Commission des Affaires Sociales, le Sénat a recouru, après un très bref débat organisé dans les conditions de l'article 44 de son Règlement, à la question préalable comme moyen le plus expéditif d'empêcher la discussion de tout amendement.

Les requérants soulignent les effets pervers de l'emploi, dans le cas présent de la question préalable, qu'ils qualifient de "détournement de procédure". Ils considèrent qu'elle a eu, en l'espèce, pour effet de violer le droit d'amendement, consacré par l'article 44 de la Constitution, et même l'article 45, premier alinéa, de la Constitution, suivant lequel "tout projet... de loi est examiné successivement dans les deux assemblées...", alors qu'il ne s'agit que d'une procédure prévue par un règlement, qui a certes été soumis au Conseil constitutionnel, mais qui n'a pas de valeur constitutionnelle.

b) Le problème juridique posé

Il n'est pas simple, car les données actuelles n'apportent pas de réponse certaine en droit.

Notre jurisprudence comporte à mon avis deux précédents de référence :

- Dans notre décision n°86-218 DC du 18 novembre 1986 sur la loi relative à la délimitation des circonscriptions électorales, nous avons admis la validité de l'usage de la question préalable positive au Sénat, pour des motifs circonstanciels précis. En effet, la loi faisait suite au refus du Président de la République de signer les ordonnances prises en application d'une loi d'habilitation se rapportant à cette réforme. Aussi le projet d'ordonnance avait-il été transformé en loi et la procédure législative avait été accélérée dans des conditions comparables à celles observées pour l'adoption de la présente loi. C'est pourquoi le Conseil Constitutionnel avait cru bon de souligner le caractère d'espèce de sa décision en utilisant l'expression "au cas présent", sur laquelle s'appuient les requérants pour invoquer la différence de situation par rapport à 1986.

- La deuxième décision intéressante est celle rendue au rapport de Monsieur le Professeur Jacques Robert sur la loi modifiant la loi Falloux, soit la n°93-329 DC du 16 janvier 1994. Nous avons admis la constitutionnalité du rejet en bloc de quelques 3000 amendements, "au regard de leur contenu et des conditions générales du débat", en distinguant d'ailleurs les amendements contraires au principe d'égalité (visant à exclure nominativement certaines collectivités du champ de la loi) des autres, en nombre limité (69), rejetés "sans justification appropriée".

- Aucune de ces décisions n'est donc directement transposable. Dans le sens des requérants, on peut faire observer que l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat, même si, par deux fois, nous en avons reconnu la constitutionnalité, doit céder devant le droit constitutionnel d'amendement rappelé par l'article 44 de la Constitution, un droit d'amendement qui est le moyen d'expression privilégié de l'opposition, et même pourrait-on dire du Sénat dans son entier, dès lors que l'Assemblée nationale peut avoir le dernier mot dans la plupart des cas.

- Enfin, les requérants font remarquer que l'argument de l'urgence, invoqué au Sénat pour justifier la procédure utilisée, n'est pas véritablement convaincant depuis l'instauration de la session unique.

- Le Gouvernement n'est pas plus convaincant dans son mémoire en défense quand il se réfère à la modification du Règlement du Sénat intervenue en 1991 sur le rapport du Président Dailly, pour en inférer que cette réforme a entendu viser la question préalable positive. Je n'ai rien vu de tel dans le rapport de Monsieur Dailly. Et il semble qu'au contraire le Sénat en 1991 ait ajouté au motif tiré de la volonté de "ne pas poursuivre la délibération", celui tiré de son souci de manifester son opposition de fond à un texte, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

c) La solution proposée

Elle n'est pas simple, car l'atteinte au droit d'amendement que constitue l'usage de la question préalable positive, ne saurait être acceptée sans limites, ni justifications.

Après de grandes hésitations et sans gloire, je propose de rejeter le moyen, compte tenu de l'importance de l'obstruction manifestée en l'espèce. Mais il se peut qu'un jour, face à une utilisation plus systématique de cette procédure, qui n'est tout de même pas normale, le Conseil Constitutionnel ait à censurer la procédure en cause.

3. Sur les conditions générales d’adoption de la loi

Pour les députés, même si chacune des procédures "expéditives" mises en oeuvre en l'espèce était considérée comme conforme à la Constitution, leur accumulation serait en tout état de cause de nature à vicier la procédure dans son ensemble. Mais ce moyen ne me paraît pas valable, en tous cas en l'espèce.

Monsieur le Président : Nous allons examiner ce sujet qui est important et qui met en cause une question de principe. Nous devons estimer la portée des griefs contre les procédures suivies tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Je suggère que nous discutions sur deux points :

- Le premier est de savoir si nous avons quelque chose à dire ou à redire sur le cumul des procédures. C'est expressément articulé dans la requête. Est-ce que le fait d'avoir successivement utilisé toutes les procédures constitue une violation de la Constitution, et constitue un dérapage, une déviation ?

- Le deuxième consiste à regarder de près ce qui est au coeur du grief, c'est à dire à l'Assemblée nationale l'article 49-3 de la Constitution et au Sénat l'article 44-3 du Règlement.

Qu'en est-il de ce cumul dont on voit bien à l'horizon le grief qui peut en être tiré : vous avez escamoté le débat démocratique.

L'utilisation de ces armes fortes ne conduit-elle pas au même résultat ? En ce qui concerne la question préalable on voit bien l'argument du gouvernement : l'abondance des amendements a pu être qualifiée d'abus de droit. Mais l'abus de droit est une arme. Le fait d'utiliser, d'abuser de l'amendement, est-ce que c'est aller trop loin ou pas dans la conception que nous avons du débat démocratique ?

J'observe qu'en Grande-Bretagne, il en est autrement. Le débat sur Maastricht a duré des mois à la Chambre des Communes. Tous les amendements ont été discutés. C'est une question à manier avec beaucoup de prudence. Où commence l'abus, comment le limiter ?

Monsieur ROBERT : Nous sommes en face d'une question délicate car nous sommes en face d'un dysfonctionnement du régime parlementaire. Cela repose sur le libre débat et le droit d'amendement. Nous en sommes les gardiens. Je crois que nous sommes en face d'une dérive qui, si elle se poursuit, risque de dévaloriser totalement le régime parlementaire. On assiste à deux dérives. L'une est de la responsabilité du gouvernement, l'autre des sénateurs.

Le gouvernement, devant l'Assemblée nationale, fait passer ce texte sans même un vote.

Quand on va devant le Sénat, pour stopper le débat, on utilise une procédure pas faite pour ça, celle de la question préalable. A la limite, avec l'article 49, alinéa 3 de la Constitution devant l'Assemblée nationale et le 44.3 du Règlement du Sénat il n'y a plus de discussion possible.

L'autre dérive, devant le coup de force, provient des sénateurs qui déposent 2.000 amendements.

La démocratie parlementaire, c'est un certain nombre de techniques. Dans la loi Falloux, il y avait plus d'amendements, on les a regroupés mais on les a examinés. Quand les amendements n'ont aucun rapport, il sont irrecevables mais on les examine ! Il ne faut pas laisser passer des techniques qui entravent les droits des parlementaires.

Le précédent de 1986 était justifié. Le projet d'habilitation était arrivé après une discussion générale où tout le monde s'était exprimé. Le découpage était secondaire par rapport au grand débat sur la loi électorale. Deuxièmement, il y avait eu le veto présidentiel.

D'ailleurs, les commentaires de la doctrine ont restreint la portée de cette décision au cas d'espèce, que ce soit M. BOULOUIS ou M. GENEVOIS, expert en la matière. La voie dangereuse, c'est que quand nous sommes gênés pour censurer un texte, nous rappelons le principe mais on se donne bonne conscience en ne l'appliquant pas à l'espèce. Nous allons nous discréditer. Nous ne pouvons pas une deuxième fois passer l'éponge.

La preuve n'est pas apportée que seule cette procédure était la bonne. Il est peut être difficile d'aller jusqu'à la censure. Ce n'est d'ailleurs pas ce que je propose.

Si on se réfère au nombre et au contenu des amendements -ça veut dire quoi- quel est le nombre à partir duquel on a obstruction ? Quant à la nature, il y en a d'important sur le lot ! On ne peut dire une fois de plus "d'accord" que si l'on est très ferme sur les limites.

Monsieur le Président : Je vous remercie de votre intervention musclée et nous verrons donc au moment de la rédaction. Quant aux références étrangères, je rappellerai l'Amérique et ce film fameux avec J. Stewart, "Mr. Smith au Sénat".

Monsieur DAILLY : Mon nom a été cité à propos d'un rapport que je ne renie pas. Le droit d'amendement a t-il été supprimé ? non. Puisque la question préalable a été déposée après que 2.805 amendements aient été imprimés, distribués et déposés. La question préalable votée par le Sénat est très explicite à cet égard : 9 heures de discussion générale ce n'est pas un débat escamoté ! L'article 38 de la Constitution existe lui aussi. Il faut bien le laisser s'appliquer.

Vous ne pouvez pas empêcher une assemblée d'utiliser les moyens que lui offre son règlement pour permettre l'application d'une disposition constitutionnelle. Est-ce que le Sénat est souverain oui ou non ? J'en doute, je vous rappelle que le Général de Gaulle a refusé de convoquer le Parlement et qu'un autre Président a refusé de signer les ordonnances alors que l'indicatif est, en droit, impératif.

Cela ne retire rien à la valeur des observations du Professeur ROBERT mais n'allez pas dire que le droit de déposer des amendements n'a pas été respecté.

L'autre méthode est le rejet par paquet d'amendements qui n'ont rien à voir avec le texte. Elle est meilleure. D'accord. Mais il y a quand même 9 H de débat. Si la majorité du Sénat estime que ça suffit comme ça, elle en a le droit. En retenant une autre solution, on irait contre les droits du Parlement et notamment du Sénat.

Je considère qu'on ne peut pas faire obstacle à une décision d'une assemblée quelle qu'elle soit mais encore plus le Sénat qui ne peut mettre en cause la responsabilité du gouvernement. Le cumul de procédures ne peut pas être inconstitutionnel. Nous sommes là pour juger du respect de la lettre de la Constitution et non de son esprit. Le bloc de constitutionnalité c'est une jurisprudence de nos prédécesseurs, je suis contre, vous le savez.

Monsieur le Président : Merci de votre intervention.

Monsieur DAILLY : Excusez-moi de son côté musclé.

Monsieur le Président : C'est parce que c'est le matin et que le ton a été donné par les précédents orateurs.

Monsieur FAURE : Monsieur DAILLY ne nous a pas expliqué les raisons et les motifs de la réforme du règlement du Sénat en 1991. Pouvez-vous nous en donner son économie ?

Monsieur DAILLY : Avant cette réforme, la question préalable signifiait seulement qu'il n'y avait pas lieu de délibérer plus avant et on a donc rajouté la question dont l'effet est de rejeter le texte.

Monsieur le Secrétaire général lit l'extrait du rapport de Monsieur DAILLY (rapport n° 185) sur l'article 44 paragraphe 3 du Règlement du Sénat :

"Appelée à réexaminer le régime juridique applicable à la question préalable, votre Commission des Lois a par ailleurs relevé que l'article 44, paragraphe 3 du Règlement du Sénat n'offre qu'une définition artificiellement restrictive de cette motion de procédure dont l'objet «est de faire décider qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération».

"Or il s'avère que dans la plupart des cas, l'adoption d'une question préalable revêt une signification politique beaucoup plus nette, puisqu'en l'adoptant, le Sénat entend exprimer une hostilité d'ensemble à l'égard d'un texte qu'en tout état de cause il entend repousser. En pareil cas, la question préalable ne porte pas réellement sur l'opportunité de poursuivre la délibération, mais constitue l'expression procédurale d'une attitude de fond dont la portée et la signification doivent être explicitement prises en compte par le Règlement du Sénat.

"Votre Commission vous propose donc de compléter le présent article de la proposition de résolution n° 79, de façon à distinguer plus nettement, parmi les questions préalables, entre celles qui, comme à l'heure actuelle, tendent pour une raison ou pour une autre à faire cesser la délibération, et celles par lesquelles le Sénat marque qu'il s'oppose d'emblée et entièrement à l'adoption du texte en discussion."

Monsieur DAILLY : C'est précisément pour se conformer à la nouvelle rédaction du règlement que le Sénat a motivé le vote de la question préalable qui nous est soumise.

Monsieur le Président : En 1991 vous aviez pressenti la situation de 1995.

Monsieur FAURE : Mais non. Le deuxième cas qu'il indique vaut rejet du texte. Pouvez-vous relire les deux phrases du rapport de Monsieur DAILLY.

[Monsieur le Secrétaire général relit l'extrait du rapport de Monsieur DAILLY devant le Sénat]

Monsieur le Président : On est bien dans la première catégorie.

Monsieur FAURE : Je remarque que les observations de J. ROBERT et celles de E. DAILLY semblent contradictoires.

Monsieur ROBERT : Elles le sont.

Monsieur FAURE : Tous les deux concluent de la même manière. Moi, je suis de l'avis du Professeur ROBERT. Je suis pour laisser passer mais en étant beaucoup plus sévère. Qu'on renvoie dos à dos les sénateurs de la minorité et le gouvernement dans les circonstances de l'espèce, après avoir durci autant que possible la rédaction des principes.

Monsieur ROBERT : Il faut dire que l'abus, dans les deux cas, est condamnable mais qu'il n'y a pas d'abus caractérisé au cas présent.

Monsieur le Président : La difficulté est bien cernée par Monsieur FAURE. En ce qui concerne le cumul des procédures, je suis de l'avis de Monsieur DAILLY, il n'y a pas d'irrégularité, il est constitutionnel quoi que nous en pensions.

Monsieur AMELLER : Pour expliquer le cumul des techniques, il faut revenir au contexte, et le contexte c'est la volonté d'obstruction qui était manifeste, à l'Assemblée nationale comme au Sénat. A l'Assemblée nationale 5.000 amendements ont été déposés et autant de sous amendements. J'espérais que l'alternance mettrait fin à cette technique car elle a pour résultat de mettre le parlement dans l'impossibilité d'exercer sa fonction législative. Il ne peut pas faire son travail, c'est en fait la vérité. C'est vrai que parler du nombre d'amendements, c'est un problème. Mais si on condamne sévèrement le détournement de procédure qui consiste à déposer une question préalable, je crois qu'on doit condamner tout aussi sévèrement l'abus du droit d'amendement. Car cela a pour effet d'empêcher le fonctionnement des pouvoirs publics.

Le 49.3 a été utilisé après une longue discussion générale. Le Président SEGUIN a fait discuter les amendements de fond un dimanche matin. Dieu sait que je suis profondément attaché au droit d'amendement, il est essentiel, mais il y a là abus manifeste de ce droit. Si nous condamnons, nous condamnons symétriquement.

La Commission des Affaires sociales a examiné 4.000 amendements, rapidement il est vrai, parce que leurs auteurs ne les ont même pas défendus. C'est une preuve supplémentaire de l'obstruction. C'est indigne du Parlement. C'est un procédé de résistance légitime lorsque les droits de l'opposition sont bafoués mais ils ne l'ont pas été. Je crois que la condamnation doit être égale. Ça va être très difficile à rédiger.

Monsieur le Président : Nous avons une réputation de sages, donc nous allons y arriver. J'ai remarqué l'hommage auquel je m'associe du Président SEGUIN.

Monsieur DAILLY : J'ai oublié de le dire : 2.805 amendements ; si on applique le temps de parole de chaque intervenant, on en avait jusqu'au mois de mai et l'article 38 C ne peut pas s'appliquer.

Monsieur FAURE : Dans les deux cas, il faut être aussi sévère sur la question préalable au Sénat que sur l'abus des amendements.

Madame LENOIR : Je rejoins totalement les réflexions du Professeur ROBERT. Mais à stigmatiser ce recours à une procédure, il devenait difficile de sauver le texte.

Une démocratie parlementaire, cela veut quand même dire que les partis et les groupes parlementaires ont des droits propres reconnus par la Constitution et les règlements des assemblées. Ça englobe la discussion sur les textes et les amendements. Il ne faut pas limiter notre protection à celle des droits de la majorité. Le droit d'amendement ce n'est pas seulement le droit de dépôt.

Par ailleurs, la théorie de l'abus de droit est très délicate car elle nie le droit constitutionnel. Ici, la question c'est la proportionnalité des armes. La solution Falloux était la meilleure.

Le résultat est une tension dans la population. Le droit de protestation est un droit d'expression parlementaire de l'opposition. Je suis d'accord pour resserrer la rédaction, mais cela va être délicat.

Monsieur le Président : Sur le cumul des procédures puisque la possibilité de ce cumul n'est pas interdit par les textes on ne peut pas retenir ce grief.

Sur le deuxième point, je me situerai entre Jacques ROBERT et Etienne DAILLY mais je me situerai plutôt vers le Professeur ROBERT si j'avais une vision moraliste. Mais, concrètement comment faire en évitant la qualification d'abus ? Et il faut garder à l'esprit le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Je conclus à la conformité. Monsieur DAILLY, quel sort a été réservé à votre rapport ?

Monsieur DAILLY : Il a été adopté.

Monsieur le Président : Cela c'est traduit comment dans le texte ?

Monsieur DAILLY : Par l'adjonction dans le texte du règlement d'une phrase.

Monsieur le Secrétaire général lit le nouveau règlement.

Monsieur DAILLY : Cela a été approuvé par le Conseil.

Monsieur ROBERT : Hélas !

Monsieur CABANNES : Dans le projet de décision on cite d'ailleurs expressis verbis le 44.3 du règlement du Sénat. Le Professeur ROBERT a mis le doigt sur le problème : la difficulté, c'est la limite.

A partir de quand sommes-nous dans l'abus ? 5.000 amendements ou 20, c'est le même problème. Madame LENOIR a raison aussi. Si on dit que c'est scandaleux c'est la censure ou alors l'approbation sous réserve.

Monsieur DAILLY : Le Sénat a pris soin de préciser la catégorie dans laquelle il range la question préalable.

Monsieur AMELLER : Si on accepte cette argumentation, l'emploi de la question préalable n'est plus condamnable du tout. Si on accepte cette double signification et que c'est explicité dans l'exposé des motifs, sur quoi se base t-on pour le condamner ?

Monsieur DAILLY : C'est ma thèse !

Monsieur AMELLER : Quelle différence y a t-il entre les questions préalables ? Elles ont toutes les deux pour effet d'empêcher la discussion des amendements.

Monsieur le Président : Un mot de conclusion dans ce débat en trois points :

1° le rejet du grief relatif au 49.3 ;

2° le cumul a été amplement débattu, une majorité se dégage en faveur du rejet ;

3° sur la question préalable, nous conclurons lors de la rédaction à partir de tous les éléments qui viennent d'être présentés.

Madame LENOIR reprend son rapport sur le fond : B. SUR LE FOND :

Quatre moyens sont invoqués sur :

- la portée de l'habilitation ;

- le respect du principe de l'égalité devant les charges publiques ;

- le domaine d'intervention de la loi en tant que loi d'habilitation ;

- la nécessité de l'impôt et la sauvegarde des pouvoirs de contrôle du Parlement.

1. Sur la portée de l’habilitation :

a) Les requêtes :

Le moyen est articulé en deux branches :

* D'une part, les députés font valoir que le programme sur lequel s'est prononcé le Parlement pour voter la loi d'habilitation a évolué en cours de débat, le Premier Ministre ayant fait savoir, lors de son intervention télévisée du 10 décembre que le Gouvernement renonçait à toute modification des régimes spéciaux de retraite. Or, relèvent les députés, ce changement d'objectifs ne transparaît pas dans la loi elle-même qui laisse la voie ouverte à d'éventuelles réformes affectant les régimes spéciaux.

* D'autre part, les députés considèrent que les circonstances générales d'adoption de la loi laissent planer un doute sur la portée réelle de l'habilitation, contrairement aux exigences constitutionnelles clairement posées par notre jurisprudence.

b) Les éléments de droit :

La jurisprudence est parfaitement explicite en la matière et ce, depuis notre première décision sur une loi d'habilitation, soit la décision n° 76-72 DC du 12 janvier 1977. Dans cette décision le Conseil Constitutionnel a estimé que le programme sur lequel doit se baser un projet d'habilitation doit être suffisamment précis pour permettre au Parlement de se prononcer en toute connaissance de cause sur l'abandon provisoire de ses prérogatives législatives.

Pour le Conseil constitutionnel, l'article 38 de la Constitution fait "obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement, lors du dépôt d'un projet d'habilitation et pour la justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité des mesures qu'il se propose de prendre".

La décision n° 86-208 DC des 25 et 26 juin 1986 rendue à propos de la loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social, dont les privatisations, est encore plus nette. Elle impose que le domaine précis d'intervention des ordonnances soit indiqué et analyse point par point la portée des dispositions de la loi au regard des différentes mesures envisagées sur son fondement. Cette jurisprudence a été depuis lors confirmée.

c) La solution :

Je suggère, sur les deux points soulevés, de rejeter le moyen.

* En ce qui concerne les régimes spéciaux de retraite, il est exact qu'une ambiguïté a pesé sur les débats et que cette ambiguïté demeure dans les dispositions de la loi au 1° de l'article premier, en tant qu'elle concerne le plafonnement des durées d'assurances (150 trimestres) à prendre en compte pour le versement des pensions (cas des polypensionnés).

Mais il est vrai aussi que le Gouvernement, dans ses différents mémoires, argue de sa bonne foi et assure qu'il n'a nullement eu l'intention de modifier par ordonnance les régimes spéciaux de retraite. Ne soyons pas plus royalistes que le Roi et prenons le au mot.

Considérons que le programme du Gouvernement, présenté à l'appui de la demande d'habilitation, et donc le 1° de l'article premier de la loi, ne sauraient viser les régimesspéciaux de retraite, dans aucun de leurs aspects. Sous cette réserve, nous pouvons, je pense, rejeter cette branche du moyen.

* En ce qui concerne la portée globale de l’habilitation, elle me paraît suffisamment précise, y compris dans ses éléments chiffrés et il appartiendra donc au pouvoir réglementaire, dans les ordonnances, de se conformer à ce qui a été indiqué au Parlement.

2. En ce qui concerne les dispositions de la loi relatives aux ressources fiscales :

a) Les saisines :

Ce moyen vise les prélèvements fiscaux qui seront institués en vertu des alinéas 7° et 8° de l'article de la loi.

De quoi s'agit-il ? Il s'agit de créer un impôt, dénommé "remboursement de la dette sociale" ou RDS, d'un taux de 0,5%, sur une durée de 13 ans, nécessaire à l'apurement de la dette de la Sécurité Sociale jusqu''à fin 1996.

Ce prélèvement se décompose en trois contributions, assises sur :

- Les revenus d'activité et de remplacement (cette contribution aura une assiette semblable, mais élargie par rapport à celle de la CSG) ;

- Les revenus du patrimoine ;

- Les produits de placement, à l'exception des revenus du Livret A ;

- Il sera également institué une contribution sur les ventes de métaux ou d'objets précieux et une contribution sur les gains de jeux.

Ces ressources fiscales, perçues à titre rétroactif au 1er janvier 1996, seront affectées à la "Caisse d’amortissement de la dette sociale" ou CADES, nouvellement instituée, qui, comme son nom l'indique, reprendra la dette sociale ainsi que les versements effectués actuellement à ce titre par le Fonds de solidarité vieillesse, pour les treize ans à venir.

Mais nous reviendrons sur ce dispositif ultérieurement, puisqu'il fait l'objet d'arguments spécifiques de la saisine des députés.

Ce que contestent ici les requérants, c'est la possibilité conférée par la loi au Gouvernement de créer de nouveaux impôts par simple ordonnance. Ils se fondent en l'occurrence sur l'article 14 de la DDHC suivant lequel "Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, lerecouvrement et la durée"

. Cet article, comme le souligne en effet le Code constitutionnel, est la pierre angulaire du développement historique de la démocratie représentative. Aussi bien notre jurisprudence est-elle très stricte pour défendre les prérogatives relatives notamment à la fixation de l'assiette et aux taux des impositions.

b) Les éléments de droit :

Pour autant, la création de l'impôt est-elle du domaine des lois d'habilitation ?

Certes, plusieurs ordonnances, avant celles qui vont être prises en janvier 1996, sont intervenues dans le domaine fiscal. Mais la question précise qui nous est posée n'a pas été explicitement tranchée par nous.

Deux décisions peuvent être citées, en particulier :

- La décision n° 84-170 DC du 4 juin 1984 sur la loi de ratification des ordonnances prises en matière financière. L'ordonnance, dont nous avons contrôlé la constitutionnalité, prévoyait de modifier le taux de la taxe de consommation des produits pétroliers, mais la saisine ne portait pas sur le principe de l'intervention des ordonnances dans le domaine fiscal. Aussi nous nous sommes limités à relever, en réponse aux requérants, que des dispositions fiscales pouvaient être prises par la loi ordinaire et pas seulement par une loi de finances.

- La décision n° 91-291 DC du 6 mai 1991 sur la dotation de solidarité urbaine de la Région Ile-de-France répond, quant à elle, à un moyen tiré de la violation de l'article 14 de la DDHC. Les sénateurs auteurs de la saisine soutenaient que ponctionner les communes "riches" de la région pour redistribuer le produit de ce prélèvement à d'autres communes méconnaissait le droit de contrôle des citoyens sur l'emploi des impositions locales.

Nous avons rejeté le grief au motif que les principes de l'article 14 de la DDHC devaient s'appliquer en fonction des articles de la Constitution qui fondent la compétence du législateur. Or en l'espèce, le pouvoir fiscal du Parlement lui donnait la possibilité de redistribuer le produit d'une imposition.

c) La solution :

La question est ici différente, car elle concerne les modalités d'exercice de ce pouvoir fiscal au regard des principes de l'article 14 de la DDHC.

Il me semble difficile de décider que, dès lors que les lois d'habilitation peuvent intervenir dans les domaines relevant de la loi ordinaire (la décision n° 81-134 DC du 5 janvier 1982 ayant en effet seulement exclu le domaine des lois organiques), serait spécialement exclu le domaine fiscal. On peut donc admettre l'intervention des ordonnances en matière d'impôt, avec toutefois un rappel du rôle du Parlement sur cette question. Aussi il paraît logique et souhaitable que les dispositions en cause soient soumises à ratification après dépôt au Parlement du projet de loi, dans le délai fixé par la loi d'habilitation. Sous cette, réserve, je crois que nous pouvons admettre la constitutionnalité de la création du RDS par simple ordonnance.

J'observe d'ailleurs que cette réserve s'inscrit dans la ligne de notre jurisprudence. En effet, si nous admettons la création de l'impôt par la loi ordinaire, sans la limiter au domaine des lois de Finances, c'est parce-que “réserver aux seules lois de Finances la création... d'une ressource fiscale en cours d'année limiteraient ...l'initiative des membres du Parlement en matière fiscale à un droit d'amendement, puisque les lois de finances ne peuvent être présentées que par le Gouvernement (voir notamment, la décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991 sur la loi portant DDOEF).

Monsieur le Président : J'ouvre la discussion.

Monsieur ABADIE : Je me range à l'analyse de Madame le rapporteur et à la subtilité de son raisonnement. Je reprends dans l'ordre ce que j'en retire schématiquement.

Une ordonnance a le même pouvoir de détermination qu'une loi ordinaire. La fiscalité peut être faite par la loi. L'évolution de la jurisprudence aboutit à cette conclusion retenue par toute la doctrine, notamment L. PHILIP.

La fiscalité peut prendre plusieurs formes. Une imposition de toute nature qui peut, une fois déterminée par une loi simple, déboucher sur une loi de finances s'il y a affectation au budget de l'Etat. Mais la loi peut aussi créer une imposition qui ne passe pas par le budget de l'Etat, en général on l'appelle taxe, et c'est fait au bénéfice d'un EPIC. Les effets ne sont pas retracés dans le budget de l'Etat.

S'il n'y a pas nécessité de compléter par le budget un déficit éventuel de cet établissement aucun élément financier de la loi fiscale ne passe par la loi de finances.

Que dit la loi de finances qui nous est soumise ?

1° On ne parle pas de fiscalité, on ne parle pas d'impôt.

2° Le gouvernement ne dit pas sous quelle forme il va créer les modalités de consolidation.

Il décide une fiscalité extérieure au budget de l'Etat ; stricto sensu il n'y a pas de conséquence fiscale. L'hypothèse d'une fiscalité avec effet budgétaire est exclue par la loi déférée. Par avance, le Gouvernement évite l'inconstitutionnalité.

Est-ce que ce n'est pas une évidence que l'on change en interprétative ? Ce que l'on dit paraît donner une restriction alors que c'est une évidence qui résulte du texte même de la loi.

Monsieur le Président : Vous parlez de quel considérant ?

Monsieur ABADIE : C'est à la page 16.

Madame LENOIR : Mais nous en somme à la page 11 !

Madame LENOIR poursuit son rapport : 3. En ce qui concerne le respect du principe d’égalité :

Le moyen vise le 4° de l'article premier de la loi. Il ne nous retiendra pas longtemps.

Le 4° dont s'agit prévoit notamment de prélever sur la part patronale des contrats de prévoyance complémentaires contractés par certains employeurs, soucieux d'améliorer la couverture sociale de leurs salariés, une surtaxation dont le produit irait alimenter le FSV. On notera que le rapport de Monsieur Mandon à l'Assemblée nationale souligne que les avantages en termes d'exonération de cotisation sociale accordés à ces contrats, passés en fait par les grandes entreprises incitent, à la consommation médicale.

Pour les députés, cette mesure est de nature à pénaliser les salariés sur lesquels ne devrait pas manquer de se répercuter l'incidence financière de cette surtaxation et violerait ainsi le principe d'égalité.

Le moyen ne tient pas, car la différenciation invoquée ne touche pas les salariés. Le grief manque donc en fait.

4. Sur la nécessité de l’impôt et sur le pouvoir de contrôle du Parlement.

a) La saisine :

Le moyen invoqué à cet égard est, à mon sens, le plus intéressant. Il est articulé par les députés en deux branches :

- d'une part, ceux-ci invoquent le fait que, lorsque l'on a créé le FSV par la loi du 22 juillet 1993, en lui attribuant à titre principal le produit de l'augmentation de la CSG décidée un mois plus tôt par la loi de Finances rectificative pour 1993, c'était, aux termes mêmes de la loi sur le FSV, afin de lui permettre d'assumer la mission, (certes qualifiée d'"exceptionnelle", mais néanmoins lourde de conséquences financières), de remboursement à l'Etat de la dette sociale reprise par lui en 1994 (je rappelle que cette dette a été évaluée alors en capital à 110 milliards, jusqu'au 31 décembre 1993).

Ils considèrent que prélever un nouvel impôt, sans supprimer le premier (CSG), pour faire désormais assumer par la CADES les versements de 110 milliards sur 15 ans imposés au FSV revient à faire payer deux fois les contribuables pour une seule et même dépense.Il y a donc atteinte selon eux au principe de la nécessité l’impôt.

- Mais ils formulent une critique plus générale relative au dispositif de remboursement de la dette sociale, qui s'élève au total à 250 milliards, si l'on tient compte du déficit prévisionnel de 1996. Pour eux, ce dispositif anéantit le droit de contrôle du Parlement.

b) Eléments de droit et solution en réponse au moyen tiré de la violation du principe de nécessité de l'impôt :

Ce moyen ne concerne que le prélèvement de la RDS devant permettre la substitution de la CADES au FSV au titre des versements en compensation de la dette de l'Etat, et les versements dus encore pour 13 ans.

Si les ressources du FSV, notamment le produit de l'augmentation de la CSG, avaient été spécifiquement affectés par la loi à ce seul versement à l'Etat, à l'exclusion de toute autre dépense du FSV, je n'aurai guère eu d'hésitations sur l'absence de nécessité du nouvel impôt attribué à la CADES.

Mais, ce n'est pas le cas :

- les recettes du FSV n'ont pas été attribuées à l'une particulière de ses missions ;

- et ses recettes seront dans l'avenir exclusivement consacrées à ses missions permanentes d'attributions d'avantages vieillesse.

Or, nous avons jugé dans notre décision sur la loi de finances pour 1994 (décision n° 93-33O DC du 29 décembre 1993) que même si la justification initiale d'une majoration d'impôt disparaît (problème des révisions cadastrales), cette majoration n'étant pas affectée constituait une recette du budget général sans que soit méconnu le principe de nécessité. Nous avons appliqué exactement la même jurisprudence avant hier à propos de la loi de finances pour 1996 (art.19). Je propose donc de rejeter le moyen.

Monsieur FAURE : Si le Parlement le veut, si la loi le dit, ce n'est pas contraire à la Constitution.

Madame LENOIR : Les travaux préparatoires disent que l'argent de la C.S.G. sert au remboursement de la dette sociale. La logique de fait des requérants n'est pas absurde. Nous, on fait primer le fait que l'affectation peut être modifiée.

Monsieur le Président : Vous invoquez les travaux préparatoires de la première C.S.G.

Madame LENOIR : Mais le principe de non affectation l'emporte sur l'indication des travaux préparatoires et sur la mission de l'établissement telle qu'elle peut être indiquée dans la loi.

Monsieur le Président : Et que dit le Gouvernement ?

Madame LENOIR : Le F.S.V. ne fera que verser des prestations vieillesse.

Monsieur ABADIE : Je suis très proche de Madame LENOIR. Dans ce que j'ai dit tout à l'heure, par anticipation, je développais les conséquences que l'on trouve ici.

Nous ne sommes pas sûrs que la charge de la dette sociale sera reprise par l'Etat dans son budget. On l'affirme mais nous s'en sommes pas sûrs.

Madame LENOIR : Ça c'est l'autre moyen. Je poursuis donc :

c) Eléments de droit et solution en réponse au moyen relatif à l'atteinte au droit de contrôle du Parlement :

Ce moyen n'est pas seulement fondé sur les principes énoncés par l'article 14 de la DDHC mais de façon beaucoup plus générale sur les dispositions de la Constitution et de l'ordonnance organique de 1959 relatives au contrôle du Parlement en matière financière et budgétaire.

C'est tout le dispositif de remboursement de la dette sociale qui est mis en cause ; Je rappelle brièvement que celui-ci est double :

Pour ce qui est de la dette jusqu’à fin 1993 qui s'élève à 110 milliards de francs, c'est une opération de débudgétisation qui est consacrée de nouveau. En 1993, la reprise de la dette de sécurité sociale par l'Etat n'avait en effet pas donné lieu à inscription budgétaire, sauf pour les intérêts fondus dans la dette globale. Pour autant le FSV était chargé de verser à l'Etat l'équivalent de la reprise de la dette. Dans notre décision (décision n° 93-330 DC du 29 décembre 93 précitée), nous avons considéré que cette reprise de dette à long terme constituait une simple opération de trésorerie, n'ayant pas à figurer dans un titre déterminé du budget.

Compte tenu de la "bénédiction" ainsi donnée à cette débudgétisation massive, ce type de dispositif fait école, d'une manière qui évidemment limite sensiblement le contrôle parlementaire sur les finances publiques. Il faudra donc un jour, lorsque la question sera posée, nuancer notre jurisprudence sur les débudgétisations.

Mais le moyen n'est pas soulevé de manière aussi précise.

Nous pouvons donc nous borner à une simple réserve consistant :

- d'une part, à rappeler que la charge de la dette de l'Etat doit être inscrite au budget ;

- d'autre part, que la nouvelle imposition créée par la loi pour compenser la reprise par l'Etat de cette dette pourra être retracée dans la plus prochaine loi de finances, dès lors que la substitution des versements de la CADES à ceux du FSV sera une opération "blanche" pour l'Etat, ne mettant pas en cause l'équilibre budgétaire.

Ceci me paraît sauvegarder le "domaine exclusif des lois de finances", tel que le prévoit la loi d'habilitation et de ménager ainsi le droit de contrôle du Parlement invoqué par les requérants.

Pour ce qui est de la dette de l’ACOSS en 1994-1995 et de son déficit prévisionnel pour 1996 (140 milliards de francs) la réponse est plus difficile.

En effet, l'opération envisagée permettra de contourner entièrement le budget de l'Etat, puisque la dette en question sera reprise, non plus par l'Etat, mais directement par la CADES, démembrement de l'Etat.

Le Parlement n'a donc plus son mot à dire, sauf à consentir à l'impôt devant alimenter le budget de la caisse.

C'est une procédure, imaginée par le ministère des Finances, qui est astucieuse. Mais, elle peut aboutir à faire échapper à tout contrôle direct du Parlement l'emploi de la dépense publique, dès lors en particulier que celle-ci n'est pas prise en compte dans les critères de Maastricht.

Ce n'est pas le cas de la sécurité sociale, mais ce sera le cas, le cas échéant demain, de la SNCF.

Toutefois, nous aurons à examiner cette question juridique en son temps.

Pour le moment, il est difficile de faire autrement que de rappeler les réserves que s'est d'ailleurs fixées à lui même, au cas présent, le législateur, à savoir qu'aucune charge permanente de l'Etat ne pourra être ultérieurement imposée à la CADS (voir notre décision n° 94-351 DC du 29 décembre 1994 sur la loi de finances pour 1995, qui précise ce qui est du domaine exclusif des lois de finances).

Monsieur le Président : Qui demande la parole sur ce sujet ? Je suis d'accord sur le raisonnement et le libellé du texte.

Monsieur ROBERT : Nous avons dit, nous, qu'on ne peut pas prendre par ordonnances des mesures liées aux lois organiques ?

Madame LENOIR : Oui, en 1982.

Monsieur ROBERT : Mais pas pour les lois de finances ? Là, on rajoute.

Madame LENOIR : Mais ça commande la réponse au dernier moyen.

Monsieur ROBERT : Mais, c'est dans le projet de loi lui-même.

Monsieur AMELLER : Et où trouve-t-on l'exigence constitutionnelle qui nous fait le reprendre ?

Monsieur le Président : Je suggérerais que nous suspendions maintenant et que nous reprenions très tôt cet après-midi.

Monsieur FAURE et Monsieur AMELLER : Pourquoi ne pas continuer et lire la décision ?

Monsieur AMELLER : Il faut reprendre le titre exact de la loi.

Madame LENOIR : D'accord.

Monsieur ROBERT : Est-ce qu'il suffit de dire que le conseil des ministres a "délibéré" ?

Monsieur le Président : Il doit être autorisé.

Madame LENOIR : Le précédent de 1989 est clair.

Monsieur ROBERT : Il faut une délibération et une autorisation. Il en fait ce qu'il veut.

Monsieur AMELLER : La Constitution ne dit pas que le Conseil des ministres doit avoir approuvé.

Monsieur le Président : La rédaction suit la réalité ? Nous sommes à l'abri ? Parfait, c'est adopté.

Suite de la lecture du projet, page 6, premier considérant.

Monsieur FAURE et Monsieur ROBERT : Il faut s'arrêter après les guillemets.

Madame LENOIR : On ne peut pas ne pas citer. La formule est du précédent de 1986.

Monsieur le Président lit le texte du Règlement du Sénat article 44.3.

Monsieur le Secrétaire général : Pour aller dans ce sens, je suggère de remettre à la fin du paragraphe, les guillemets sur le dernier membre de phrase.

La suggestion est adoptée.

Monsieur FAURE : Monsieur DAILLY a beau essayer de nous faire croire qu'il y a question préalable positive dans le règlement remanié, mais non, dans les deux cas, il y a rejet du texte.

Monsieur DAILLY : Mais enfin il y a quand même un texte : il y a, depuis 1991, deux types de question préalable.

Monsieur le Président : Votre objection devra être examinée plus loin dans le texte.

Poursuite de la lecture du projet... page 7.

Monsieur le Président : Ce considérant se compose de deux éléments, la délibération au Sénat, puis l'initiative du Gouvernement. Sur le premier point, on est assez précis. Il s'agit bien de la deuxième hypothèse.

Monsieur DAILLY : Ce n'est pas ce qu'a voté le Sénat ! "En temps utile". Pourquoi ne pas le citer ?

Monsieur le Président : C'est synthétisé dans la formule.

Monsieur DAILLY : On fait abstraction de la procédure du 38 C.

Madame LENOIR : C'est le débat de fond, est-ce que le 38 C nie tous les autres articles de la Constitution ? Nous ne sommes pas obligés de reprendre le raisonnement du Sénat.

Monsieur FAURE : Surtout que pour améliorer le débat, le vote de la question conduit à rejeter le texte !

Madame LENOIR : Là, Maurice, vous faites un jugement de valeur, cela m'étonne de vous !

Monsieur FAURE : Mais ça affaiblit notre raisonnement !

Monsieur le Président : Effectivement, cela altérerait le début de la page 7.

La lecture est poursuivie page 7, deuxième considérant.

Monsieur FAURE : Vous en avez mis quand même ! "Toutefois, cependant, compte tenu...".

Monsieur ROBERT : J'ai préparé, il vaut ce qu'il vaut, un texte que je vous lis.

"Considérant que le bon fonctionnement d'une démocratie parlementaire pluraliste suppose que soit pleinement respecté le droit d'amendement conféré aux parlementaires par l'article 44 de la Constitution et que parlementaires comme Gouvernement puissent utiliser sans entrave les techniques mises à leur disposition ;

Considérant que cette double exigence implique qu'il ne soit pas fait un usage systématique et répété de ces droits ;

Considérant que dans les conditions..."

Monsieur AMELLER : "Pour effet" ne va pas... Elle n'a pas pour objet non plus.

Madame LENOIR : Mon texte n'est pas bon.

Monsieur FAURE : Celui de Jacques ROBERT est bien meilleur.

Monsieur DAILLY : Je trouve le texte intéressant mais c'est la première phrase qui me gêne.

Monsieur ABADIE : Je préférerais que ce soit "le fondement des institutions de la République".

Monsieur ROBERT : Non, c'est trop large, ce n'est pas ça.

Monsieur le Président : Mais c'est vrai que la nature du régime est controversé.

Monsieur AMELLER : Je prendrais la formule de l'article 16 C.

Monsieur ROBERT : "...bon déroulement du débat démocratique".

Monsieur DAILLY : Je préfère les "pouvoirs publics".

Monsieur ROBERT : Le fonctionnement régulier des pouvoirs publics n'est pas en cause !

Madame LENOIR : Pourquoi a-t-on peur d'employer le mot de démocratie ?

Monsieur le Président : Nous sommes en face de deux amendements. Je mets aux voix :

. 5 pour la formule de Monsieur ROBERT

. 3 contre

Monsieur ABADIE : La suite donne une connotation particulière au débat démocratique.

Madame LENOIR : Il y a quand même une certaine logique, le droit d'amendement c'est l'essence même du débat parlementaire. On met en avant un droit constitutionnel et la technique réglementaire suit.

Monsieur le Secrétaire général : La formule habituellement retenue par le Conseil est "régulateur des pouvoirs publics constitutionnels". Ce serait mieux de se référer à une catégorie jurisprudentielle déjà utilisée.

Madame LENOIR : Je considère qu'on n'est pas ici en tant que régulateur. Je n'ai pas peur du mot démocratie. Le Conseil constitutionnel comme le Parlement, comme le gouvernement sont des institutions de la démocratie. Ici il s'agit d'une liberté d'expression, c'est quand même ça qui est le sujet !

Monsieur le Président : L'idée de Monsieur ABADIE n'est pas à rejeter, elle retient deux idées générales. Il y a le débat et il y a aussi le processus et "l'abus" peut conduire à l'arrêt de ce processus.

Monsieur ROBERT : Je comprends la remarque du Secrétaire général. Mais je trouve qu'on lui donne trop d'ampleur.

Les pouvoirs publics ne sont pas en cause dans une question préalable. Je préférerais qu'on garde "débat démocratique", quitte à ajouter quelque chose.

Madame LENOIR : Je suis contre la formule des pouvoirs publics utilisée seulement aux articles 5 et 16 de la Constitution. Ici on pourrait dire que le gouvernement a bloqué le fonctionnement. Mais l'obstruction, même abusive, ne porte pas atteinte au bon fonctionnement des pouvoirs publics. On voit bien qu'on est gêné.

Monsieur ROBERT : "Et par conséquent le bon fonctionnement des pouvoirs publics."

Monsieur DAILLY : Si on remplaçait "démocratique" par "parlementaire", j'aurais entièrement satisfaction. Madame le rapporteur veut nous faire juge de l'ampleur de la démocratie.

Monsieur le Président : Et "partant" plutôt que "par conséquent".

Monsieur CABANNES : Les "techniques" ou les "procédures" ?

Monsieur le Secrétaire général : Il faut ajouter à la fin : "à cette fin" pour boucler le raisonnement.

Monsieur DAILLY : Très bien !

Monsieur le Secrétaire général : Il faut utiliser le vocabulaire du droit administratif. "Rejeter" est dangereux. "Systématique" ne suffit pas. "Abusif' est subjectif.

Monsieur ROBERT : Monsieur GENEVOIS, dans son commentaire de la décision 1986 utilise le mot de répétition.

Madame LENOIR : "Disproportionné" ?

Monsieur le Président : Vous introduisez une nouvelle notion.

Monsieur le Secrétaire général : Il y a l'idée de dilatoire.

Monsieur le Président : C'est trop fort. On peut avoir intérêt à tenir la tribune.

Madame LENOIR : "Excessif" ? C'est une question de degré. On l'utilise souvent.

Monsieur ROBERT : "Usage manifestement excessif' ?

Monsieur FAURE : Oui, c'est bien ça.

Monsieur le Secrétaire général lit l'article 8 du décret du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers : "...demandes manifestement abusives par leur nombre et leur caractère systématique".

Monsieur CABANNES : D'accord avec "manifestement excessif. C'est juridique et littéraire.

Monsieur AMELLER : Comment jugera-t-on de l'excessif ?

Monsieur DAILLY : Je réitère mon souhait de voir le mot "parlementaire" substitué à celui de "démocratique".

Monsieur le Président : Vous voulez qu'on vote là-dessus ?

Monsieur le Secrétaire général lit le texte.

Monsieur le Président : "A ces fins" plutôt qu' "à cette fin ?".

Monsieur DAILLY : Maintenant nous sommes juges du caractère démocratique des débats dans notre pays ! C'est nouveau !

Le texte est mis aux voix :

. 6 pour

. 2 contre (Monsieur AMELLER et Monsieur DAILLY)

La séance est interrompue. Elle est reprise à 14 h 15.

La lecture du projet est poursuivie page 8.

Monsieur AMELLER

propose le retrait de "dans les circonstances de l'espèce".

La proposition est adoptée page 9, fin du 2ème paragraphe.

Monsieur ROBERT et Monsieur AMELLER : Est-ce nécessaire d'aller jusque là ?

Monsieur le Président : On verrouille, ça fera plaisir à tout le monde et ne gênera personne.

Monsieur AMELLER : A l'article 12 "au profit...". Est-ce bien utile ?

La suppression est adoptée.

Au milieu de la page 14, déplacement de "en capital et en intérêt" et, sur suggestion du Secrétaire général "versement" est substitué à "remboursement", page 16, 2ème paragraphe.

Monsieur ROBERT : Il faut supprimer cela. Il n'y a aucun texte constitutionnel qui serve de fondement à cette affirmation.

Monsieur LENOIR : C'est admis.

Monsieur ROBERT : Où ?

Madame LENOIR : On l'a décidé pour les lois organiques.

Monsieur ROBERT : Oui, mais seulement celles-là.

Madame LENOIR : Il y a une procédure spéciale pour les lois de finances, art. 47. C'est la même chose. C'est la seule chose qui permette de valider le reste. C'est dans les mémoires du gouvernement. Et on ne voit pas comment à une procédure spécifique, celle de l'article 47, pourrait être substituée la procédure de l'article 38. Le raisonnement est le même. Il y a une procédure particulière qu'il faut garantir et préserver. Ce serait une régression dans la jurisprudence que l'on ne fasse pas cette avancée.

Monsieur le Président : Imaginons que le gouvernement prenne une disposition relevant de la loi de finances...

Monsieur DAILLY : On aura l'air de quoi ?

Monsieur AMELLER : Mais on ne peut pas écrire qu'il y a des "exigences constitutionnelles"

Madame LENOIR : Si vous le supprimez, tout le reste n'a plus aucun sens.

Monsieur le Président : Ça me préoccupe beaucoup ; réservons et continuons.

Lecture est faite de la fin de la page 16.

Monsieur ABADIE : Le texte de la loi ne dit pas que la dette sociale est reprise par l'Etat.

Madame LENOIR : Mais si !

Monsieur ABADIE : Non, dans le 7°, ça n'y est nullement. Vous imaginez cela. Mais le gouvernement dit qu'il peut le faire autrement. Je le mettrais au conditionnel.

Madame LENOIR : A la page 14, on a jugé qu'il y avait deux parties : l'une prise en vertu de l'article 105 de la loi de finances pour 1994 et l'autre qui est traitée maintenant et qui est distincte. On se borne p.16 à répéter notre décision de décembre 1993.

Monsieur le Président : Ce n'est pas ce que je déduis de la page 14.

Madame LENOIR : C'est un constat. A la dixième ligne de la page 14. Cette dette figure au budget de l'Etat.

Monsieur ABADIE : Si on a lié l'Etat à la page 14...

Madame LENOIR : On ne le lie pas, c'est un constat. C'est un budget. Ce n'est pas une interprétation !

Monsieur le Secrétaire général : Pour essayer d'éclairer le débat, le malentendu vient de la rédaction. A la place de "il s'ensuit que", il suffit de dire "est".

Monsieur le Président : Mais oui, on avait l'impression qu'il y avait une injonction !

Lecture de la page 17.

Monsieur le Secrétaire général : Si le Conseil constitutionnel décide en premier lieu qu'on ne peut pas déléguer par ordonnance le pouvoir parlementaire de décider de l'imposition alors on ne peut pas bouleverser l'équilibre des ressources et des charges par le biais des ordonnances. Mais pourquoi faire cette avancée maintenant ?

Madame LENOIR : Je me souviens du débat de la loi de finances 1994. On ne peut pas dire qu'il y a un principe d'universalité du budget avec un rapporteur, une vérification sur lieu et place et dans le même temps, dire que c'est possible par voie d'ordonnance ! Il y a deux procédures spéciales dans la Constitution, la loi organique et les lois de finances. La formule est peut être mauvaise mais on ne peut pas laisser passer cela.

Monsieur le Secrétaire général : Propose une rédaction alternative.

La rédaction est adoptée.

Monsieur DAILLY : Je reviens sur le considérant qui nous a été remis sur la procédure. Il manque deux virgules et un mot et "néanmoins" avant pleinement à la deuxième ligne.

Monsieur le Président : Non, ceci n'avait pas été retenu. Je fais voter sur l'ensemble du texte.

Le texte est voté à l'unanimité.

Les instructions de transcription ont été communiquées aux étudiantes et aux étudiants.